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    Nimu, Le sentier lumineux, l’Ultimu, commando FNLC … et aujourd’hui Biblios, les romans d’une même œuvre dont on trouvait déjà les linéaments dans d’autres ouvrages de Jean-Pierre Santini comme Corsica clandestina ou notamment Isula Blues : « Quand on est d’ici, l’orgueil commande. On apprend à vivre seul, à exister seul, à se battre seul, à ne jamais aimer s’il le faut puisqu’il n’y a plus personne. " C’est une œuvre à la fois personnelle et sociale. Il nous parle de son village qui se meurt.

    Sans la littérature, que serions-nous ? se demande Andria Costa dans Biblios. On trouve une réponse dans Nimu : Depuis bien longtemps d’ailleurs, il n’y avait plus de littérature. La communication sociale en était réduite à quelques consignes utiles…. Ainsi était-il devenu habituel de découvrir des gens fermés sur eux-mêmes, clos comme des huîtres, impossible d’ailleurs à déplier tant leur crâne était plongé entre leurs bras, tant leurs bras étaient noués autour de leurs jambes, tant la mort avait raidi leur nuque et leurs membres, interdisant que l’on pût revoir leur visage et moins encore leurs yeux.

    La quatrième page de couverture de l’Ultimu nous dit : Chacun est au commencement et à la fin, premier et dernier. Chacun porte en soi, avec soi, les paroles les rêves et les actes de la communauté humaine où il a pris racine, dont il s'est nourri et qui fait obligation de résister à l'oubli quand vient le terme du temps. Le dernier (L'Ultimu) fera donc l'inventaire de sa vie en puisant au fleuve des souvenirs, à la source des êtres rencontrés et, sur ce nouveau territoire où l'espace se resserre, il s'appliquera sans contrainte, guidé par une intuition naturelle, à recomposer dans les mots, les écritures, les actes, les postures ou les mîmes, le parcours qui l'a conduit jusque là.

    Les dernières phrases de l’Ultimu annoncent Biblios: « Samuel Romani ouvre en grand la baie coulissante. Il se baisse et ramasse la feuille que la tramontane a transportée jusque-là. Il reconnaît le premier poème adressé à Jade : « J’écris pour vous, Madame la mort extrême dont la main si légère aquarelle la vie… » Il lève les yeux sur ce pays qui est le sien. Il y a du bleu, de la lumière et du silence partout. A Imiza, depuis longtemps, toutes les portes sont entrouvertes, sauf la sienne. Il est le dernier l’Ultimu, mais il ne suffit pas de le savoir, il faut l’écrire. Ici ou ailleurs, ceux qui racontent leur mort accompagnent la vie des autres. »

    4ème de couverture de Biblios : « Avant qu'Andria Costa ne s'avise de venir vivre à Imiza, Samuel Romani avait vu disparaitre tous les habitants. Moins il y avait de monde, plus il noircissait les pages. Après longtemps d'une écriture d'outre-tombe, il voulut raconter l'histoire d'une jeune femme égarée dans la montagne. Si la vie n'était qu'un roman peuplé d'êtres fictifs, un songe dont on s'éveille à l'instant de la mort, alors, tout ne serait que littérature ».

    Nous sommes toujours dans les années 2030, Samuel Romani et Andria Costa sont les seuls habitants d’Imiza, commune désertée qui forme une communauté d’agglomération avec d’autres communes voisines dont les habitants sont un peu plus nombreux. Andria Costa est le riche descendant d’une famille qui a fait fortune en Argentine et qui a construit une de ces belles villas américaines que l’on trouve dans le Cap corse. Tous adhèrent à un projet commun dont l’initiateur est Andria Costa, héritier d’une grande bibliothèque : créer une imprimerie et une édition pour repeupler  ce coin du Cap corse avec l’ambition de rééditer des œuvres introuvables pour les commercialiser. Le projet est baptisé « Biblios » car tout le processus de fabrication est assuré en un même lieu par une seule équipe. Deux ouvrages disparus à la vente sont choisis dont celui de Jérôme Ferrari qui a obtenu le prix Goncourt en 2012, Le sermon de la chute de Rome et le manifeste historique du FNLC « A liberta o a morte ».

    Pour reprendre les mots de Xavier Casanova parlant des personnages du roman baroque Ultimu, Jean-Pierre Santini met en scène : « une multitude d’énonciateurs, parfois réels pour les textes cités, parfois fictifs pour les propos attribués aux personnages convoqués au roman, parfois semi fictifs pour qui aurait capacité à lire certains passages comme un texte à clef ».

    Jean-Pierre Santini propose, avec Biblios, une nouvelle déclinaison crépusculaire de l’histoire d’Imiza et de celle de Samuel Romani, vox sciptandi in deserto, dans un lieu de désolation mais aussi de re-création possible. Sans doute parce que de la solitude de l’écrivain naît le sentiment qui fera refleurir le sens collectif. L’auteur transcrit des voix intérieures. Un personnage peut être multiple comme les interchangeables Julien, Polo ou Andria. Enfin, le récit lui-même fait l’objet d’une mise en parallèle poreuse entre la fiction et la réalité. Porosité schizophrène entre certains personnages fictifs ou mi-fictifs mais aussi des héros avec l’auteur, notamment  Samuel Romani et Andria Costa.  Ils semblent incarner (le verbe est surprenant lorsqu’il s’agit de héros de papier) deux temps de la vie de l’auteur, Andria Costa reprenant un projet futuriste dans l’édition abandonnée par Samuel. Dans un échange entre ces deux personnages poreux, il est question de la place de l’auteur…

    Samuel : Ne faut-il pas penser aux auteurs qui restent dans l’anonymat ?
    Andria : Je comprends, mais on peut considérer que tous les auteurs sont anonymes.
    Samuel : L’auteur disparait toujours derrière son œuvre ?
    Andria : Oui, il me semble… On n’a jamais vu un auteur au milieu de ses personnages !

    C’est sans doute ce que pense Jean-Pierre Santini peu enclin aux dédicaces. Toutefois il est présent dans cette suite d’ouvrages depuis Nimu jusqu’à Biblios, même s’il veut disparaître derrière son œuvre.

    Avec d’autres auteur(e)s corses, Jean-Pierre Santini a lancé ce qu’ils appellent « Operata culturale » et qui a fait l’objet du Manifeste de Luri dont nous relevons un extrait sur l’écriture et un autre sur l’édition : « Mais qu’est-ce donc qu’écrire ou créer  en Corse ? Réveiller les nostalgies autour des figures du passé ? Ou raviver les énergies autour des enjeux de demain ? Se claquemurer dans nos tours et dans nos citadelles ? Ou poursuivre en place publique nos manières particulières de débattre de tout, des jardins potagers comme de l’état du monde ? Quelque soit l’ancienneté et la profondeur de son ancrage, être créateur en Corse, c’est accepter de poser son travail dans un lieu à part : une île, qui est aussi un carrefour. C’est accepter d’en ressentir et d’en exprimer, à sa façon, avec ses mots, les forces et les faiblesses, les richesses et les misères, les craintes et les espoirs, les certitudes et les contradictions. Une vie entière. La durée d’une carrière. Le temps d’une résidence. L’instant d’une rencontre ou d’une vision éphémère »…/… « La Corse est ainsi dotée d’un appareil éditorial qui ne cesse d’affiner ses démarches et de multiplier ses audaces, dosant subtilement entre les prescriptions lourdes supportées par un noyau très consistant de très grands lecteurs, et les prescriptions homéopathiques proposés à un éventail très large de lecteurs plus occasionnels. Il y a deux décennies, ce qui semblait utopique, c’était de fonder en Corse des maisons d’édition. Aujourd’hui, ce qui est utopique, c’est de tourner ces entreprises vers l’étranger. Le mouvement a déjà été esquissé : la Corse s’ouvre vers le monde ». Dans Biblios, l’auteur s’interroge sur le devenir des œuvres littéraires, des auteurs et de l’édition corses avec l’évolution de l’Internet, le développement du téléchargement et la possibilité d’imprimer un livre à partir d’un fichier informatique grâce aux progrès techniques.

    Un passage sur la présentation d’un recueil collectif de l’Operata culturale intitulé « A cerca ou le voyage à Tuminu » éclaire sur l’intention littéraire de l’auteur de Biblios, en remplaçant Tuminu par Imiza et Imiza par Barrettali : « L’écriture est une forme de résistance. Acteurs incertains dans le maquis des mots, les écrivains cherchent solitairement des signes d’espérance ou de désespérance pour une communauté de destin dans l’opacité d’une révolte quotidienne. Ils écoutent les bruits du temps (Mandelstam encore) et restent ouverts à son chaos tragique. Ce sont ces bruits qui rendent impossible le retrait du monde à Tuminu, petit village sous les embruns méditerranéens. Le recueil est tourné vers ce lecteur que Mandelstam nomme " l’interprète ", au sens rigoureux pris par ce mot dans la musique. Dans un Occident dévoyé par ses soucis d’efficacité économique, Occident cartésien, le poète garde une "conception hellénistique du monde " dont il cherche à retrouver le fonds dionysiaque, irrationnel. L’Opérata culturale apparaît  comme une sorte d’arche de Noé devant unetable d'orientation ouverte sur la mer... Œuvre solitaire et solidaire. Ce sont ses mots que chaque pèlerin sort de sa besace pour les partager dans ce rendez-vous polyphonique… Mais est-ce le début ou la fin du voyage ? »

    A cerca ? L’œuvre de Jean-Pierre Santini est bien une quête humaine et littéraire avec ses étapes initiatiques. Elle est celle d’un militant politique et culturel. Cette dualité poreuse est illustrée par les pages 131 à 133 qui évoquent les deux ouvrages réédités par la nouvelle édition dont le nom et le logo sont « A filetta ». Cette édition fictive offre quelques similitudes avec la la réelle édition Fior di Carta, dont la feuille de fougère et la devise : « Corsi, un vi scurdate di a filetta[1] ! ».  Jean-Pierre Santini nous parle des Corses, de la Corse, des femmes, d’amour, de sexe (quelques scènes torrides mais jamais vulgaires),  de la solitude et de la mort…Et si tout n’était que littérature ? L’auteur s’offre et nous offre une de ses échappées belles dans un paradoxe sombre et lumineux au risque de devenir lui-même une créature de papier. Nous ne voulons pas faire l’exégèse d’une œuvre profuse mais cohérente et qui demande à être découverte si ce n’est pas déjà fait. Jean-Pierre Santini met souvent en prose un langage poétique. Une belle écriture d’une grande sensibilité. Nous préférons donc terminer cette présentation par un extrait dans lequel il nous semble reconnaître l’auteur qui veut prolonger les traces minérales du passé et désespère d’un avenir humain collectif, non sans résister : «  Il s’accroupissait souvent au pied d’un mur. Il affectionne particulièrement ceux qu’il avait lui-même restaurés à une époque déjà lointaine où il s’était convaincu de l’extrême importance de la remise en ordre des minéraux éparpillés par le temps et que des mains par milliers ; portés par la multitude des songes, avaient triés, charriés, façonnés, appareillés pour que la terre s’identifie aux hommes de ce pays et qu’elle se nourrisse d’eux autant qu’elle les nourrit. Alors il sentait monter ben lui des forces inhabituelles, des énergies incontrôlables, occultes, telluriques, qui le poussaient à bâtir avec une sorte de rage. Vers le soir, les bras usés, les épaules sensibles, les jambes lourdes, la nuque durcie et la tête vide, il avait un sourire vague avant de s’endormir ».



    [1] Corses, n’oubliez pas la fougère ! Cette épigraphe est une exhortation qui vient de l’expression corse : Un cunnosce più a filetta (ne plus connaître la fougère). C’est une réprobation utilisée pour s’étonner de constater  chez certains compatriotes l’oubli du pays natal symbolisé par la fougère, cette plante extrêmement répandue sous les châtaigniers dans le centre montagneux de la Corse.

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  • Nous éprouvons à intervalles réguliers le besoin d’abandonner notre pile de polars et de romans noirs au risque de la voir monter. Non pas pour arrêter de lire mais pour aller lire ailleurs. Et l’occasion m’a été donnée par le Mucem de Marseille où Erri de Luca était invité lors d’un événement intitulé « Les comptoirs d’ailleurs ». Comment ne pas m’y rendre d’autant plus que celle qui m’y a entraîné m’avait conseillé cet auteur. Je dois reconnaître qu’il m’a donné envie de le lire et que tout ce qu’il a dit a été le fil de quatre de ses romans romans dont je viens de terminer la lecture.

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    Erri De Luca est un écrivain des grands fonds et des hauteurs de l’âme humaine. Il transcrit des voix méditerranéennes entendues  et dont les échos montent jusqu’aux cimes des montagnes qu’il a escaladées. Il fait émerger ces voix pour qu’elles ne soient pas englouties par l’oubli. C’est bien d’écho en écho qu’elles trouvent une écoute, qu’elles gravissent et passent les montagnes. Ses livres ont traversé les Alpes italiennes et sont traduits en France mais aussi ailleurs. C’est un écrivain d’ici et d’ailleurs, d’hier et maintenant.

    Il dit qu’il fait l’écrivain plus qu’il ne l’est. Par modestie sans doute, mais aussi pour ne pas être mis sur une stèle et enfermé dans un académisme littéraire.  Il a conservé, de son militantisme des années 70, sa révolte post-soixante-huitarde. Il continue en se servant de sa notoriété à dénoncer les injustices contemporaines contre l’humanité comme celles faites aux migrants parqués dans des camps de concentration appelés camps de rétention dont le plus célèbre est celui de Lampedusa, île italienne. « Chez nous, on les appelle hôtes de camps de concentration… » dit-il, avec humour et amertume, en évoquant les migrants survivants de la mer en quête de l’Eldorado. Nous avons écouté la lecture d’un de ses poèmes inspiré par les voix de cette émigration… « Vous pouvez nous refouler, mais nous sommes un aller simple… ». Et puis il fait une belle métaphore sur la géographie italienne trop souvent décrite comme une botte : « Les Pouilles et la Calabre, extrémités d’une main ouverte… La Sicile un mouchoir qui salue. Ce format, dit-il, ne peut pas être revêtu par un condom ».

    De son engagement passé, il rappelle le croupissement des prisonniers politiques, activistes révolutionnaires, dans les geôles italiennes. Il a lui-même trouvé refuge en France en 1982 et travaillait sur des chantiers dans la banlieue parisienne. "On se tenait à distance pour ne pas finir dans les procès sommaires des lois d'urgence..." confie-t-il dans Sulla traccia di Nives (Sur la trace de Nives - Gallimard, 2006). Ce sont des thèmes qu’il aborde sans réticence lorsqu’il participe à des débats où il croise parfois des compatriotes restés en France.

    D’où lui est venu le goût d’écrire ? Il a grandi dans une chambre-bibliothèque puisque c’était là que son père rangeait ses livres qui servaient aussi de rempart, d’isolant contre les bruits de Naples et le froid de l’hiver. Sa famille bourgeoise a tout perdu pendant la guerre et s’est logée dans un petit appartement d’un quartier pauvre de Naples : Montedidio (titre d’un roman pour lequel il a obtenu le prix Femina  en 2002). Il est né en 1950 peu de temps après la deuxième guerre mondiale, le nazisme allemand et le fascisme italien dont les récits ont marqué sa génération qui s’interrogeait sur leurs parents. Il n’a pas suivi le cursus d’un écrivain qui fait ses universités et occupe des fonctions intellectuelles en dehors de l’écriture. Dans la mouvance révolutionnaire des années 70, il a choisi la classe ouvrière plutôt qu’une carrière conforme à ses origines bourgeoises. Il a été notamment ouvrier maçon et a même travaillé chez Fiat. Il a participé en 1969 au mouvement d'extrême gauche Lotta Continua et en devient l'un des dirigeants, responsable de son service d'ordre, jusqu'à sa dissolution à l'été 1977. Son premier livre a été publié à 40 ans et, lui qui n’avait pas donné des motifs de satisfaction à son intellectuel de père mourant, c’est avec une émotion contenue par la pudeur qu’il raconte lui avoir offert ce livre pour retrouver grâce à ses yeux, peu de temps avant de le perdre. « Non ora, non qui » paraît en Italie en 1989 et en France sous le titre inverse Une fois, un jour aux éditions Verdier en 1992 et puis sous le titre Pas ici, pas maintenant aux éditions Rivages en 1994 dans une traduction de Danièle Valin qui est restée sa traductrice actuelle.

    Cet auteur humaniste affirme : « Je ne suis pas quelqu’un qui travaille quand j’écris. Quand j’écris, je m’amuse… L’écriture est toujours mise en contrepoids, la petite partie sauvée, la partie de fête d’une journée de travail. La meilleure façon de me tenir compagnie… J’ai toujours fait ce jeu (je ?) avec moi… », et d’ajouter : «  Pour moi écrire des histoires, c’est écouter des voix… Je suis quelqu’un qui fait de la nourriture pour moi-même. Je n’invente pas mes histoires, je les prends dans le passé… un immense matériel humain dans le Vingtième siècle !... La guerre moderne tue les personnes sans défense… Je suis quelqu’un qui a profité de cette histoire majeure du Vingtième siècle qui a écrasé les histoires mineures des gens. Donc, je n’ai pas envie d’inventer. Et pour moi, il s’agit d’écouter une voix. J’emploie toujours le moi qui raconte une histoire de l’intérieur. Je suis quelqu’un qui parle à l’intérieur de l’Orchestre et chaque histoire est une trace sur laquelle quelqu’un peut avoir envie de me suivre… »

    Ce sont bien des voix qu’Erri De Luca nous a fait entendre : des voix de Naples et d’Ischia, des voix proches et lointaines en échos à la guerre, à l’exil, à l’oppression mais aussi au partage. Nous reprenons ce qu’il a expliqué : « J’emploie toujours le moi, sans manipulation, parce que je transcris les voix des autres que j’entends de l’intérieur de leurs pensées. Comment peut-on écrire il a pensé ceci ? Comment un narrateur pourrait-il savoir ce que quelqu’un pense ? Il faut entendre pour écrire. » Ses dires renvoient à un personnage de « Un jour avant le bonheur », Don Gaetano  qui sait lire dans les pensées. Dans le roman, au jeune narrateur qui lui demande s’il existe un moyen pour lui d’en faire autant, il répond: « Même s’il en existait un, je ne te le dirais pas. Ce n’est pas bien de savoir ce qui se passe par la tête des gens. Tant de mauvaises intentions vont et viennent sans aboutir ensuite. Si je dis ce qu’une personne d’une autre, c’est la guerre civile » et lorsque le jeune garçon lui demande : «  Mais une chose qui pourrait vous être utile à vous, une pensée dont vous pouviez tirez avantage ? », il réplique par une autre question : «  Toi, si tu trouves un portefeuille, tu le rends à celui qui l’a perdu ? ». Parce que le jeune garçon insiste en disant : « J’aimerais connaître les pensées des autres. », il ajoute: « Mais tu ne connais même pas les trois cartes couvertes du dernier tour de scopa. Apprends à jouer avant. »  La scopa est un jeu de cartes. Don Gaetano lui a dit d’apprendre à jouer avant… mais avant quoi ? Avant d’entendre les pensées ? Sans doute ces voix qu’Erri de Luca entend. Cela nous renvoie à ce qu’Erri de Luca formule lorsqu’il parle du jeu de l’écriture qui n’est pas un travail et des voix qu’il entend. Il les entend parce qu’il les écoute.

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    Lorsqu’il participe à un débat, on retrouve dans ses réponses tout ce qu’il a écrit dans ses romans. « Au cours d’une enfance, des attachements s’enracinent qui ne se détachent plus ». C’est écrit encore dans « Un jour avant le bonheur ». L’auteur napolitain passait des vacances sur l’île d’Ischia en face de Naples, périodes de liberté où le soleil le faisait muer. Il y perdait sa peau de citadin sous les brûlures du soleil. Il y marchait pieds nus et la corne plantaire formée lui fabriquait des semelles de liberté. La liberté commence par ces sensations physiques, par l’abandon des souliers et des vêtements de la ville. Sur une île, seuls les touristes s’enduisent d’onguents pour éviter les morsures du soleil. Le jeune Napolitain veut se sentir libre et se fondre parmi les pêcheurs indigènes. Pour cela il lui faut rapidement faire peau neuve.

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    Erri De Luca, dans son dernier roman «  Les poissons ne ferment pas les yeux », dit la difficulté de la traduction, dès les premières lignes. Il en parle en expert puisqu’il est polyglotte. Même s’il a gardé la même traductrice, ce qui est un gage de confiance, il constate : « J’écris ses phrases en italien et toutes à la fois. Quand il les disait, c’étaient des rochers isolés et beaucoup de vagues au milieu. Je les écris en italien, elles sont ternes sans sa voix pour les dire en dialecte ». Il confie cela après l’incipit qui reprend les dires d’un pêcheur local s’exprimant justement en dialecte.

    Il explique son rapport avec la langue napolitaine qui use souvent de formes onomatopéiques. Pour dire je vais, le son « i » suffit par exemple. Le langage napolitain est, selon lui, un langage mineure mais complet. C’est sa langue mère alors que l’Italien est la langue-père. L’Italien est une langue-fleuve à la confluence terminale des dialectes, ajoute-t-il lorsqu’il en parle à nouveau, mais ce n’est pas une langue de raison. Il rappelle que Dante écrivait en Toscan et considère que l’italien est le niveau le plus bas de l’affluence des dialectes. Toutefois, pour lui, c’est le dialecte qui donne des saveurs à sa langue nationale. Selon lui, Moravia était stérile. L’italien est la langue des livres de son père au milieu desquels il a grandi. Ils envahissaient sa chambre et il a vécu avec eux dans l’intimité, une chance pour lui dit-il. Toutefois il fait la distinction entre son « moi qui lis » et son « moi qui écris ».

    Erri De Luca est un auteur méditerranéen. Il fait aussi entrer dans la Méditerranée la Mer noire car, par un courant continu, la musique d’O sole mio a été écrite à Odessa. Son avis sur les rapports d’une langue nationale ou littérale avec les dialectes ne peut que trouver un écho chez tous les écrivains méditerranéens et plus particulièrement insulaires. Je pense aux Corses dont les dialectes ont connu les grands fleuves, italien et français. Pour la sauver et l’écrire, la faculté de Corte a inventé un corse littéral mais a eu finalement la sagesse de  reconnaître la confluence et la diversité des dialectes. Les influences sont multiples comme dans les îles voisines que sont la Sardaigne et la Sicile.

    La trace est, pour lui,  « l’apparition d’une proximité ». Lorsqu’il parle des traces et de l’importance de la pierre, Erri de Luca est dans la lignée des passeurs de mémoire. Les traces les plus anciennes ne sont-elles pas inscrites dans la pierre ? Il est aussi un alpiniste qui suit « les traces du sentier commun » et ses mains agrippent la pierre là où d’autres mains se sont posées. Son jeune narrateur explique qu’il aime le verbe « maintenir » parce qu’il contient le mot « main », la main tenue, la main tendue sans doute.

    Nous entendons l’auteur encore dire : « Je ne suis pas habitué à parler de moi.  Je suis quelqu’un qui écoute et ne parle pas. Je publiais des livres mais je continuais à faire l’ouvrier… Pratiquant l’alpinisme, je n’ai pas voulu ouvrir de voies nouvelles mais passer sur les pas des autres sans laisser de traces. Je ne suis pas quelqu’un qui ouvre un passage… On entretient le sentier. »

    Il a quitté Naples à l’âge de 18 ans. Il a reçu l’histoire de la ville en écoutant les voix des Napolitains. Il a vécu la deuxième guerre mondiale comme le récit. Pour lui, « Seul le comique rend le tragique praticable ». L’été 43, on imagine les mères de famille criant à leur enfant dès le déclenchement de la sirène d’alarme pour rejoindre les abris : « Prends les bonnes places » et le côté comedia dell’arte des rassemblements souterrains. On pense au néoréalisme du cinéma italien des années 1943 à 55. . On le voit ce vieil homme assis sur les ruines de sa maison bombardée. Il dit « Je regarde le ciel pour voir où je peux aller m’installer. Sur cette terre, je ne possède plus rien ». Un exemple encore  dans « Un jour avant le bonheur » : les Napolitains qui inspectent leurs maisons détruites en passant par les portes restées seules debout et vont même dans la cuisine vérifier si le gaz est coupé. Même si « La dérision répond au malheur », Naples était, après la guerre, une ville sombre, froide et Ischia représentait trois mois de liberté, dans laquelle l’auteur a puisé de la matière littéraire. De son adolescence, on retient sa révolte contre les institutions. Il en plaisante en disant que les politiques ont fini par mettre des prisons dans les îles (une pensée pour Lampadusa) et que cela a scellé l’irréparable entre lui et eux. Il se souvient que, dans ses études, il aimait les devoirs libres mais que le jour où il en a eu un, alors qu’il était tout content, il a été accusé d’avoir copié. Cela l’a fâché avec les profs. « Ceux qui m’ont appris quelque chose sont des personnalités au rez-de-chaussée de l’école sociale. J’ai choisi les personnes et pas l’inverse. Pas de maîtres en littérature. Tu ne peux pas lire un écrivain comme un collègue sinon tu gâches ton écriture et ta lecture. » commente-t-il, avant de parler de la Bible.

    Il est un lecteur de la bible sans en faire l’exégèse. Il faut toutefois préciser qu’il a appris le Yiddish. A ce sujet il a commenté : « Il s’agit simplement d’être précis… quelques mots hébraïques me tiennent compagnie, ce que je fais avec la lecture. Mais les histoires je les prends de la vie pas de la lecture » et il ajoute : « Je n’étudie pas la Bible, je la lis. Je la lis tous les jours. J’ai commencé quand j’étais maçon. Je ne suis pas croyant… Cette langue ancienne me donne des étincelles de réveil ».

    « Mes livres ne sont pas des romans de formation mais des histoires de résistance à la déformation »  précise-t-il.

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    Un nouveau roman vient de paraître. La traduction en français de « Le tort du soldat » est parue ce mois-ci (Présentation : Un vieux criminel de guerre et sa fille dînent dans une auberge au milieu des Dolomites et se retrouvent à la table voisine de celle du narrateur, qui travaille sur une de ses traductions du yiddish. En deux récits juxtaposés, comme les deux tables de ce restaurant de montagne, Erri De Luca évoque son amour pour la langue et la littérature yiddish, puis, par la voix de la femme, l’existence d’un homme sans remords, qui considère que son seul tort est d’avoir perdu la guerre…  Le tort du soldat est un livre aussi bref que percutant qui nous offre un angle inédit pour réfléchir à la mémoire si complexe des grandes tragédies du XXe siècle.

    Erri De Luca répète que le Vingtième siècle est celui des guerres et des révolutions. Il les évoque en Italie et  en Argentine dans ses romans. A la question c’est quand le jour avant le bonheur ? Il est difficile de le dire avant… plaisante-t-il. Il fait partie de la génération la plus emprisonnée. « On n’est peut-être pas encore prêts pour le bonheur mais ce qu’on a fait, il fallait le faire » lâche-t-il. Des révolutionnaires sont devenus présidents comme Mandela en Afrique du Sud ou bien José Mujica en Uruguay.

    Nous avons lu quatre romans qui déclinent une même enfance entre Naples et Ischia : « Le jour avant le bonheur », « Les trois chevaux », « Tu, mio » et « Les poissons ne ferment pas les yeux ».  Si nous devions en choisir un parmi ceux-là, ce serait « Tu, mio » sans rien enlever aux autres, mais peut-être parce qu’il se termine par un acte criminel qui pourrait être le début d’un polar.

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    « Tu,mio » se situe sur une île de pêcheurs. Elle n’est pas nommée. Ischia, sans aucun doute. Même si l’auteur s’inspire de vacances sur cette île face à Naples (où il garde des souvenirs d’enfance), on trouve bien des points communs entre le narrateur et les enfants de la Méditerranée. Nous avons relevé des passages sur la pèche à la palangrotte telle que nous l’avons pratiquée, avec les mêmes précautions et les mêmes sensations. Et puis il y a cette mer qui sépare, relie et peut nous engloutir.

    Années cinquante, le héros a 16 ans, un âge « au bord d’un précipice de sentiments ». Il rencontre une jeune fille d’origine juive qui le bouleverse. La deuxième guerre mondiale est toujours bien présente dans les esprits mais son entourage évite d’en parler, ce qui aiguise l’intérêt qu’il porte à cette époque noire mais riche d’enseignement."Les vivants avaient durci leur silence, un cal sur la peau morte de la guerre". Alors il interroge. Il veut savoir. Il veut comprendre ce passé. Il refuse les non-dits en interrogeant un pécheur plus bavard que son père. Ces vacances marquent une étape importante dans la vie du jeune garçon, en même temps qu’elles l’ancrent sur cette île: « Nos étés sur l’île duraient des mois. On avait le temps de s’habituer à vouloir y vivre pour toujours. Repartir contenait un grain d’exil ».

    Un roman de la tolérance et contre l’oubli. L’histoire racontée sort de la banalité d’une rencontre amoureuse entre adolescents pendant des vacances. C’est un livre dont la pudeur met la sensibilité à fleur de peau. Tout y est suggéré, intense. L’auteur pousse l’empathie du jeune héros envers la jeune fille juive jusqu’à lui faire incarner parfois, malgré son jeune âge, le père de cette dernière, un Juif mort dans un camp de concentration. Cette communion avec celle qui incarne la tragédie le poussera à commettre un incendie volontaire contre un groupe nazi de touristes allemands. Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, c’est à notre sens un geste responsable, libérateur d’un passé humain qu’il n’a pas vécu mais qui l’obsède, une obsession chargée d’une culpabilité entretenue par le silence familial sur les années sombres de la deuxième guerre mondiale. C’est une façon d’agir pour ne plus être frustré d’être né après, d’affirmer sa révolte contre la barbarie. C’est aussi un roman d’amour et de fureur. Le feu est l’ultime révolte solitaire du jeune narrateur contre un passé qui ne peut être corrigé car il le découvre  irréversible.

    Nous mettons en place une communauté, une communion, nous dit Erri De Luca, quand nous sommes capables d'accueillir un autre en nous. C’est toute la signification de ce qu’est l’alter égo contenu dans le titre « Tu,mio ».  Erri De Luca est un lecteur non croyant de la Bible qui lui a donné le goût de la métaphore et une belle écriture. Il puise dans sa propre enfance ses trésors à partager toujours de belle manière.

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    Dans « Les trois chevaux », nous avons relevé un passage entre le jeune narrateur et la jeune fille juive, amour platonique d’un été.

    Elle lui dit : … Les visages sont écrits.
    Les mains aussi, dis-je, et les nuages, le pelage des tigres, la cosse des haricots et le saut des thons à fleur d’eau, c’est l’écriture. Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie.
    Mais il me suffit de lire ton visage, ajoute-t-elle.

    Erri De Luca sait sans doute lire les visages et embrasser «  l’arbre qui se détache, solitaire, en haut des forêts ». Il entend des voix et nous entendons la sienne singulière et universelle à la fois. Il a une écriture essentielle, très riche, métaphorique, très travaillée. Ses romans sont courts mais denses et non linéaires avec des fins jamais décevantes… La vie ajoutée ensuite n’est que divagation. Maintenant et ici, il va bien le mot fin… petite sœur (ou frère) de frontière et de fenêtre fermée.

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  • Un regard lucide et drôle sur la naturalisation et l’immigrée arabe.

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    Nous avions déjà assisté au spectacle, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, et même lu ce livre d’une magnifique comédienne, Darina Al-Joundi. On retrouve le même personnage dans "Ma Marseillaise". Noun, l’héroïne du Jour où Nina Simone a cessé de chanter, a quitté le Liban pour s’installer à Paris. Après avoir affronté la guerre, la drogue, les coups, l’hôpital psychiatrique,elle se livre à un nouveau combat pour obtenir la nationalité française. Darina El-Jouni est passée par là et  les péripéties pour y arriver lui ont inspiré un nouveau monologue.

    Noun est une révoltée, éprise de justice. La société libanaise ne lui permet pas de vivre normalement car une femme qui se révolte contre les archaïsmes est considérée comme une folle. Pire son métier de comédienne lui vaut l’insulte de « pute ». Elle décide donc d’émigrer. Au Québec ? Il y fait Trop froid et, pour fumer, il faut aller dans la rue. A New York ? C’est une ville bétonnée et bruyante. Elle choisit Paris et la France. D’abord titulaire  d’une carte de séjour provisoire renouvelée tous les neuf mois, elle décide d’obtenir la nationalité française comme les « Français français ». Pas simple  déjà d’arriver à rester cinq ans en France où, à chaque renouvellement du séjour. L’incertitude à échéances rapprochées et la peur au ventre chaque fois qu’il faut refaire les démarches administratives. C’est une course effrénée jalonnée de complications, de nouvelles demandes de documents, de réponses négatives... Pour tenir la distance, il faut être volontaire et déterminée comme Nour qui se motive en chantant la « Marseillaise ». Elle la chante aussi parce que, pour obtenir sa naturalisation, il faudra qu’elle connaisse l’hymne national, texte et musique. Au rythme des couplets de La Marseillaise, qu’elle a apprise par cœur, elle interroge les fondements de la laïcité de sa terre d’accueil.

    L’auteure et actrice de ce monologue puise largement dans son vécu. En excellente comédienne, elle sait être émouvante ou drôle, se jouer de la tragédie et de la comédie. Elle est engagée dans la lutte des femmes et notamment des femmes arabes puisqu’elle partage avec elles ses origines. Elle a le courage de s’attaquer à des sujets brûlants comme ceux de l’excision, de la répudiation, de la lapidation mais aussi du port du voile ou de la burka. Elle se révolte contre ses femmes musulmanes qui, dans des démocraties laïques, acceptent volontairement le voile alors que leurs sœurs restées au pays sont contraintes à le porter mais aussi à supporter un patriarcat d'un autre âge. Dans des pays où la Charia a été décrétée ou pèse sur la société, les femmes n’ont pas le droit de s’habiller comme elles le souhaitent. Nour révèle de façon anecdotique que le port du pantalon est interdit et qu’arrivée en France, elle a découvert qu’une vielle loi française, scorie machiste oubliée, l’interdisait aussi. Elle se désespère à la simple pensée qu’elle pourrait retrouver en France ce qu’elle a fui. Ses peurs sont toujours avec elle, y compris celle de la guerre qu’elle a vécue au Liban, des bombardements et des assassinats. Pourtant à Paris, elle choisit un logement parce que la salle de bain la met à l’abri des tirs.

    Nour est éprise de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est un eldorado humaniste qu’elle espère trouver en France. Nous avons vu le spectacle le 8 mars dernier, journée internationale des droits des femmes. Si des progrès sont encore à faire dans les démocraties laïques, il ne faudrait pas revenir au Moyen-âge. Chaque lâcheté face aux revendications intégristes est une atteinte au combat des femmes et en premier lieu des femmes arabes musulmanes ou pas. Noun raconte l’histoire d’une femme musulmane en Allemagne. Celle-ci était maltraitée par son mari et a eu le courage d’aller devant la justice. C’est une autre femme allemande, magistrate en charge du dossier, qui a rendu un déni de justice en renvoyant la plaignante à ses origines et à sa culture permettant à son mari de la battre. Cette affaire avait fait grand bruit et provoqué un dessaisissement de la magistrate machiste. Il ne faudrait pas qu’un jour, dans les démocraties laïques, les décideurs autorisent des immigrés à appliquer la loi de leurs pays d’origine. Un premier pas a été fait pour ce qui concerne le droit du travail et la fiscalité, ce qui a conduit au dumping social. Evitons le dumping reIigieux et moral. Il ne faudrait pas qu’une république démocratique et laïque laisse des femmes musulmanes soumises aux intégristes de tous poils sous prétexte qu’elles ne sont pas naturalisées ou simplement d'une origine culturelle différente de celle du pays d'accueil.

    Noun revendique le siècle des lumières et ses philosophes français mais elle connaît aussi les penseurs arabes (qu'elle cite) qui enseignent un Islam tolérant et une version du Coran qui n’a rien à voir avec celle des Intégristes. Elle revendique cette double culture et  témoigne  d’un bel humanisme.

    Par ailleurs, sous la poussée de la xénophobie, il ne faudrait pas rendre la procédure de naturalisation injuste.  Le témoignage de Noun reprend avec humour quelques réalités de cette procédure.. Un étranger qui souhaite acquérir la nationalité française devra, désormais connaître l’histoire et la culture françaises. Pasqua et Sarkozy ont ouvert le chantier et Manuel Valls a posé la dernière pierre en ce qui concerne les conditions de naturalisation en France.  Depuis juillet 2012, le candidat doit répondre à un questionnaire à choix multiple et savoir chanter La Marseillaise. Combien de Français connaissent l’hymne national en entier et sont capables de le chanter juste ? Si on regarde les matches de foot internationaux, on peut se poser la question en ce qui concerne nos footballeurs tricolores mais ils ne sont pas les seuls. La remise des décrets de naturalisation se fait de façon cérémonieuse dans les préfectures où il est de bon ton que les nouveaux citoyens français entonnent notre hymne national.

    Un test d’évaluation permet aussi d’attester du niveau de français et d’assimilation des candidats à la naturalisation grâce à un score compris entre 5 et 495 points. Il faut atteindre 160 points pour le réussir. Quelques questions relevées montrent l’esprit de ceux qui les ont concoctées. Les questions apparaissent surréalistes et carrément une insulte à l’intelligencelorsqu’elle s’adresse à une immigration dite « choisie », c’est-à-dire de gens instruits et diplômés. 

    Les guerres de religion, au XVI ème siècle, ont opposé :
     catholiques et protestants
     chrétiens et musulmans
     écoles publiques et écoles privées

    Lequel de ces trois hommes n’a pas été Président de la République ?
     Valéry Giscard d’Estaing
     François Mitterrand
     Victor Hugo

    Le Mont-Saint-Michel est situé :
     en Méditerranée
     sur une île de la Seine
     en Normandie

    L’hymne de la France est :
     la Marseillaise
     la Versaillaise
     la Paimpolaise

    Notre-Dame de Paris est :
     un lieu de culte
     un bâtiment administratif
     une salle de concert

    Le nom de la France provient :
     des Francs
     de la franchise
     de la langue française

    Brigitte Bardot fut :
     une actrice de cinéma
     la créatrice d’une maison de couture
     la première femme championne de boxe

    De ces trois personnalités, laquelle n’est pas un chanteur ?
     Claude François
     Michel Platini

    Les premiers peuples connus qui ont habité la France sont :
     les Crétois
     les Gaulois
     les François

    Lequel de ces fleuves coule en France :
     le Nil
     la Loire
     le Danube

    Michel Platini est connu pour avoir joué
     du violon
     au football
     aux échecs
     
    Le Tour de France est :
     une épreuve cycliste
     un bâtiment
     une compétition de pétanque

    Edith Piaf est :
     une chanteuse
     une championne de cyclisme
     une spécialiste des oiseaux

    Laquelle de ces montagnes n’est pas en France :
     le Mont Blanc
     le Mont Zeppelin
     le Mont Canigou 9)

    Qui était Jean Moulin ?
     un chanteur de l’entre-deux guerres
     un préfet entré dans la Résistance
     un ministre du général de Gaulle

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    Nous avons été heureux d’apprendre que Danina Al-Joundi a obtenu la nationalité française grâce à ses talents de comédienne et d’auteure. Elle a aussi réussi aux tests et connaît tous les couplets de la Marseillaise. En ce qui concerne la culture française, elle en sait certainement plus que ceux qui l’ont questionnée. Elle est maintenant heureuse d’être française sans renier ses origines. Elle sait ce qu’elle a quitté et ce qu’elle est venue chercher en France. Il est dommages que, lorsque l’on remet un décret de naturalisation, l’Etat ne s’engage pas à maintenir la démocratie, la laïcité, la liberté, l’égalité et les droits sociaux. Dans tout contrat moral, le respect doit être mutuel. C’est à cette condition qu’on réussit la fraternité.

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  • D’abord je dois dire que le film m’a plu… Le choix du format pour éviter le côté carte postale, les lieux choisis qui n’ont rien à voir avec les sites touristiques et les plages. Pourtant tout se passe dans la région de Porto-Vecchio qui offre des plages magnifiques et où viennent de riches voire de très riches touristes dans des hôtels 4 à 5 étoiles aux tarifs très élevés en saison. Ce décor, c’est celui des personnages et de l’histoire. Ce n’est donc pas un film qui montre la beauté de l’île. C’est un film dérangeant qui met en scène la violence des jeunes face à celle des adultes si on évoque  la menace qui pèse sur nos héros en la personne d’un caïd local. L’histoire est inspirée par un fait divers qui remonte à 2008.

    Les Apaches

    Synopsis : Corse / Extrême Sud / Région de Porto Vecchio/ L’été. Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio trainent. Un soir, l’un d’eux conduit les quatre autres dans une luxueuse villa inoccupée dont son père est le jardinier ... La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance… Tout cela se termine par une tragédie : deux des voleurs décident de tuer celui qui les a conduits dans la maison cambriolée par peur d’être dénoncés, ils entraînent le quatrième dans l’assassinat de leur ami.

    Compte rendu du fait divers de 2008 dans le journal Corse-matin

    Point de départ de cette affaire, le cambriolage d'une résidence à Porto-Vecchio. Informés de ce vol, des amis du propriétaire enquêtent, parviennent à en identifier les auteurs et interviennent pour récupérer une partie du butin caché dans une cabane, dans le quartier de Pifano, notamment par l'intermédiaire du jeune Mounir.

    Aucune pression n'a été exercée à ce moment-là, disent-ils, aucune menace proférée, « un deal » avait été passé pour la restitution des objets dérobés. « J'ai fait le travail que les flics n'ont pas été capables de faire,dit l'un d'eux à la cour, j'ai tout récupéré sauf les cannes à pêche ».

    Quant aux jeunes cambrioleurs, ils craignent des représailles et paniquent, il leur faut neutraliser Mounir El Messaoui, perçu comme le maillon faible de leur groupe, pour lui imposer le silence. Ils le retrouvent dans le quartier de Pifano, et sous un prétexte inconnu, le conduisent en voiture à l'écart, sur la route de l'Ospedale. Sous la menace d'un fusil à pompe de calibre 12, Mounir El Messaoui est poussé vers le ravin, où il essuie un premier tir.

    « Il implore en vain »

    Blessé à l'abdomen et au coude, l'adolescent parvient à remonter la pente, court jusqu'à la voiture où deux autres jeunes attendent. Il frappe à la vitre, implore en vain de l'aide puis décide de fuir par la route. Il est rattrapé par son bourreau qui le ramène vers le ravin.

    L'arme s'enraie, de terribles minutes s'écoulent, Mounir supplie, mais le fusil change de main, il est rechargé. Deux coups sont tirés à bout portant, alors que Mounir, passif, est à terre, il est mortellement touché au thorax et au crâne.

    Le corps sera d'abord camouflé sous des branchages puis enterré, quelques jours plus tard, quelques kilomètres plus loin, à proximité d'un chemin en terre. C'est là qu'il demeurera deux ans durant lesquels les enquêteurs ont multiplié les investigations : on a battu la campagne, cherché la trace de Mounir, « parti sans argent, ni téléphone », dans les foyers d'accueil, les Restos du Cœur, auprès des compagnies de transports, on a survolé les étangs, lancé des avis de recherches par le biais des médias, même une voyante a été entendue.

    Les trois jeunes ont été arrêtés et sont passés en jugement. Le moins impliqué a été relaxé tandis que les deux autres ont été condamnés à des peines de prison. Ils ont été identifiés à la suite d’une dénonciation anonyme.

    Si Thierry de Peretti s’est inspiré d’un fait divers corse qui remonte à 2008, le même scénario s’est déroulé en 2012 en Seine Maritime. Je précise cela non pour délocaliser le problème mais pour dire que ce drame s’est aussi passé ailleurs qu’en Corse et pourrait se produire en Banlieue de Paris, à Marseille… partout où des jeunes n’ont pas de perspective d’avenir et n’ont pour exemple que des caïds locaux. Il est important de dire cela car notre Île trimbale suffisamment de poncifs sur la violence. Malheureusement la violence est universelle et la Corse, quoiqu’on en dise, n’en concentre pas plus qu’ailleurs chez les jeunes. En ce qui concerne le caïd local et ses nervis, on trouve toutefois un réalisme en référence au comportement de quelques personnages qui utilisent la peur pour s’imposer et faire des affaires. Leur action est plus dans la menace que dans les quelques exactions connues et dont la presse se fait l’écho amplifié. C’est cet écho qui a fabriqué le mythe du truand corse descendant du bandit d’honneur. C’est cette « corsitude » chargée des représentations stéréotypées que le vieux continent a forgé d’une île imaginaire vouée à un sot exotisme dont d’aucuns se servent sur l’île pour assoir un pouvoir et faire du fric. Une scène très réaliste (dans laquelle on voit festoyer les clients du secteur de plage réservé à une paillote de luxe où l’ambiance est celle des plages de St Tropez) montre l’un des nervis du caïd local balancer une liasse de billets sur la table où il a bu du champagne au milieu de belles nanas et de jeunes fortunés qui se déhanchent en maillots de bain avec un verre à la main. Quel contraste avec la vie de nos quatre jeunes voleurs occasionnels. Quel exemple !

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    Le film les Apaches, pour moi, touche vraiment la réalité lorsqu’il décrit le contexte social dans lequel vivent ces quatre jeunes. Il met en évidence les disparités entre ces jeunes qui vivent en HLM ou dans un petit mobil home et les belles résidences avec piscines. Les disparités existent aussi au sein de la petite bande selon les origines. Il n’échappe pas au spectateur que les protagonistes ne sont pas tous d’origine corse. Cela pose la question de l’identité corse au Vingt-et-unième siècle. C’est aussi la réalité actuelle de la Corse avec ses dangers : celui du racisme bien sûr mais aussi celui du corsisme exacerbé qui fait que les nouveaux corses se veulent « plus corses que corses » et se conforment aux stéréotypes qui sont véhiculés par l’imaginaire collectif. Et puis il y a les revendications nationalistes bien présentes dans l’esprit de tous les jeunes insulaires, y compris chez les fils d’immigrés devenus plus corses que français, que « gaulois » comme ils désignent les touristes et les riches propriétaires de résidences secondaires. Tous les séparent de ce monde qui débarque pour les vacances. Ces jeunes notamment d’origine maghrébine ne trouvent toutefois pas vraiment leur place en Corse. Ils sont plus révoltés que leurs parents qui occupent des emplois de gens de maison ou de jardiniers. Il est déjà pas facile à une jeune corse de la diaspora de venir vivre en Corse sans se faire traiter d’empinsuté (devenu pinsutu), on peut imaginer l’effort d’intégration qui est demandé aux jeunes insulaires originaires d’ailleurs.

    Même si ce film a un aspect documentaire, il s’agit d’une nouvelle cinématographique : une nouvelle noire tendue par le talent du réalisateur. Les plans de séquences insistent sur cette tension psychologique en sollicitant ainsi davantage le spectateur, en le forçant à se concentrer sur les dires, les mimiques, les faits et gestes des personnages mis en scène. La scène finale implique totalement le spectateur et peut avoir plusieurs significations. Des jeunes nantis font la fête autour d’une piscine lorsqu’un jeune Corse rapporte le fusil de collection volé lors du cambriolage. Un plan séquence montre l’un des jeunes en train de désigner sans doute le jeune Corse et le film se termine sur les regards de ces jeunes gens soit hostiles ou inquiets, soit indifférents ou méprisants. Ils regardent aussi le spectateur et c’est en cela que le réalisateur a un jeu subtil. Avec qui le spectateur sera-t-il en empathie ? Avec le jeune corse voleur et assassin ou avec  ces jeunes nés de bonnes familles ? Pour moi, plus que l’histoire en elle-même, ce sont bien les dialogues, les regards et les personnages qui m’ont intéressé. En choisissant des jeunes de Porto Vecchio, le casting a été réussi. Ce film montre une partie de cette jeunesse corse d’origines diverses et rend parfois une atmosphère que l’on retrouve dans les livres de Jérôme Ferrari et Marcu Biancarelli, deux auteurs corses que Thierry de Peretti doit connaître et avoir lus. Puisque j’évoque ces deux écrivains, il est intéressant de lire leurs nouvelles parues dans un recueil collectif « Une enfance corse » (Editions Colonna) pour comprendre les difficultés d’intégration d’un jeune corse qui est né et a vécu sur le continent.  Dans leurs autres ouvrages, ces auteurs montrent des jeunes hommes et non pas des jeunes garçons mais tous traînent le même ennui qui les fait s’égarer dans l’alcool, la drogue, le sexe et la violence. Il s’agit là de la face noire de la Corse. Il reste tout de même des exemples encourageants à commencer par ces deux auteurs corses reconnus sur l’île où d’autres originaires d’ailleurs ont réussi leur vie. C’est l’occasion de rappeler qu’en Corse il y a des jeunes de toutes origines qui travaillent, qui passent  des diplômes, qui restent au pays ou s’expatrient pour trouver un emploi. Il y a proportionnellement beaucoup plus de vieux que de jeunes que sur le Continent. On n’y a pas les mêmes perspectives  de carrières et les mêmes salaires. Il n’y a pas autant de lieux de divertissements, surtout dans les villages. Et puis l'été, lorsque Porto Vecchio devient Saint Tropez, il faut de l'argent pour se saper et s'amuser.

    Le DVD du film est sorti le 4 février dernier.

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