• Les Apaches, film de Thierry de Peretti

    D’abord je dois dire que le film m’a plu… Le choix du format pour éviter le côté carte postale, les lieux choisis qui n’ont rien à voir avec les sites touristiques et les plages. Pourtant tout se passe dans la région de Porto-Vecchio qui offre des plages magnifiques et où viennent de riches voire de très riches touristes dans des hôtels 4 à 5 étoiles aux tarifs très élevés en saison. Ce décor, c’est celui des personnages et de l’histoire. Ce n’est donc pas un film qui montre la beauté de l’île. C’est un film dérangeant qui met en scène la violence des jeunes face à celle des adultes si on évoque  la menace qui pèse sur nos héros en la personne d’un caïd local. L’histoire est inspirée par un fait divers qui remonte à 2008.

    Les Apaches

    Synopsis : Corse / Extrême Sud / Région de Porto Vecchio/ L’été. Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio trainent. Un soir, l’un d’eux conduit les quatre autres dans une luxueuse villa inoccupée dont son père est le jardinier ... La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance… Tout cela se termine par une tragédie : deux des voleurs décident de tuer celui qui les a conduits dans la maison cambriolée par peur d’être dénoncés, ils entraînent le quatrième dans l’assassinat de leur ami.

    Compte rendu du fait divers de 2008 dans le journal Corse-matin

    Point de départ de cette affaire, le cambriolage d'une résidence à Porto-Vecchio. Informés de ce vol, des amis du propriétaire enquêtent, parviennent à en identifier les auteurs et interviennent pour récupérer une partie du butin caché dans une cabane, dans le quartier de Pifano, notamment par l'intermédiaire du jeune Mounir.

    Aucune pression n'a été exercée à ce moment-là, disent-ils, aucune menace proférée, « un deal » avait été passé pour la restitution des objets dérobés. « J'ai fait le travail que les flics n'ont pas été capables de faire,dit l'un d'eux à la cour, j'ai tout récupéré sauf les cannes à pêche ».

    Quant aux jeunes cambrioleurs, ils craignent des représailles et paniquent, il leur faut neutraliser Mounir El Messaoui, perçu comme le maillon faible de leur groupe, pour lui imposer le silence. Ils le retrouvent dans le quartier de Pifano, et sous un prétexte inconnu, le conduisent en voiture à l'écart, sur la route de l'Ospedale. Sous la menace d'un fusil à pompe de calibre 12, Mounir El Messaoui est poussé vers le ravin, où il essuie un premier tir.

    « Il implore en vain »

    Blessé à l'abdomen et au coude, l'adolescent parvient à remonter la pente, court jusqu'à la voiture où deux autres jeunes attendent. Il frappe à la vitre, implore en vain de l'aide puis décide de fuir par la route. Il est rattrapé par son bourreau qui le ramène vers le ravin.

    L'arme s'enraie, de terribles minutes s'écoulent, Mounir supplie, mais le fusil change de main, il est rechargé. Deux coups sont tirés à bout portant, alors que Mounir, passif, est à terre, il est mortellement touché au thorax et au crâne.

    Le corps sera d'abord camouflé sous des branchages puis enterré, quelques jours plus tard, quelques kilomètres plus loin, à proximité d'un chemin en terre. C'est là qu'il demeurera deux ans durant lesquels les enquêteurs ont multiplié les investigations : on a battu la campagne, cherché la trace de Mounir, « parti sans argent, ni téléphone », dans les foyers d'accueil, les Restos du Cœur, auprès des compagnies de transports, on a survolé les étangs, lancé des avis de recherches par le biais des médias, même une voyante a été entendue.

    Les trois jeunes ont été arrêtés et sont passés en jugement. Le moins impliqué a été relaxé tandis que les deux autres ont été condamnés à des peines de prison. Ils ont été identifiés à la suite d’une dénonciation anonyme.

    Si Thierry de Peretti s’est inspiré d’un fait divers corse qui remonte à 2008, le même scénario s’est déroulé en 2012 en Seine Maritime. Je précise cela non pour délocaliser le problème mais pour dire que ce drame s’est aussi passé ailleurs qu’en Corse et pourrait se produire en Banlieue de Paris, à Marseille… partout où des jeunes n’ont pas de perspective d’avenir et n’ont pour exemple que des caïds locaux. Il est important de dire cela car notre Île trimbale suffisamment de poncifs sur la violence. Malheureusement la violence est universelle et la Corse, quoiqu’on en dise, n’en concentre pas plus qu’ailleurs chez les jeunes. En ce qui concerne le caïd local et ses nervis, on trouve toutefois un réalisme en référence au comportement de quelques personnages qui utilisent la peur pour s’imposer et faire des affaires. Leur action est plus dans la menace que dans les quelques exactions connues et dont la presse se fait l’écho amplifié. C’est cet écho qui a fabriqué le mythe du truand corse descendant du bandit d’honneur. C’est cette « corsitude » chargée des représentations stéréotypées que le vieux continent a forgé d’une île imaginaire vouée à un sot exotisme dont d’aucuns se servent sur l’île pour assoir un pouvoir et faire du fric. Une scène très réaliste (dans laquelle on voit festoyer les clients du secteur de plage réservé à une paillote de luxe où l’ambiance est celle des plages de St Tropez) montre l’un des nervis du caïd local balancer une liasse de billets sur la table où il a bu du champagne au milieu de belles nanas et de jeunes fortunés qui se déhanchent en maillots de bain avec un verre à la main. Quel contraste avec la vie de nos quatre jeunes voleurs occasionnels. Quel exemple !

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    Le film les Apaches, pour moi, touche vraiment la réalité lorsqu’il décrit le contexte social dans lequel vivent ces quatre jeunes. Il met en évidence les disparités entre ces jeunes qui vivent en HLM ou dans un petit mobil home et les belles résidences avec piscines. Les disparités existent aussi au sein de la petite bande selon les origines. Il n’échappe pas au spectateur que les protagonistes ne sont pas tous d’origine corse. Cela pose la question de l’identité corse au Vingt-et-unième siècle. C’est aussi la réalité actuelle de la Corse avec ses dangers : celui du racisme bien sûr mais aussi celui du corsisme exacerbé qui fait que les nouveaux corses se veulent « plus corses que corses » et se conforment aux stéréotypes qui sont véhiculés par l’imaginaire collectif. Et puis il y a les revendications nationalistes bien présentes dans l’esprit de tous les jeunes insulaires, y compris chez les fils d’immigrés devenus plus corses que français, que « gaulois » comme ils désignent les touristes et les riches propriétaires de résidences secondaires. Tous les séparent de ce monde qui débarque pour les vacances. Ces jeunes notamment d’origine maghrébine ne trouvent toutefois pas vraiment leur place en Corse. Ils sont plus révoltés que leurs parents qui occupent des emplois de gens de maison ou de jardiniers. Il est déjà pas facile à une jeune corse de la diaspora de venir vivre en Corse sans se faire traiter d’empinsuté (devenu pinsutu), on peut imaginer l’effort d’intégration qui est demandé aux jeunes insulaires originaires d’ailleurs.

    Même si ce film a un aspect documentaire, il s’agit d’une nouvelle cinématographique : une nouvelle noire tendue par le talent du réalisateur. Les plans de séquences insistent sur cette tension psychologique en sollicitant ainsi davantage le spectateur, en le forçant à se concentrer sur les dires, les mimiques, les faits et gestes des personnages mis en scène. La scène finale implique totalement le spectateur et peut avoir plusieurs significations. Des jeunes nantis font la fête autour d’une piscine lorsqu’un jeune Corse rapporte le fusil de collection volé lors du cambriolage. Un plan séquence montre l’un des jeunes en train de désigner sans doute le jeune Corse et le film se termine sur les regards de ces jeunes gens soit hostiles ou inquiets, soit indifférents ou méprisants. Ils regardent aussi le spectateur et c’est en cela que le réalisateur a un jeu subtil. Avec qui le spectateur sera-t-il en empathie ? Avec le jeune corse voleur et assassin ou avec  ces jeunes nés de bonnes familles ? Pour moi, plus que l’histoire en elle-même, ce sont bien les dialogues, les regards et les personnages qui m’ont intéressé. En choisissant des jeunes de Porto Vecchio, le casting a été réussi. Ce film montre une partie de cette jeunesse corse d’origines diverses et rend parfois une atmosphère que l’on retrouve dans les livres de Jérôme Ferrari et Marcu Biancarelli, deux auteurs corses que Thierry de Peretti doit connaître et avoir lus. Puisque j’évoque ces deux écrivains, il est intéressant de lire leurs nouvelles parues dans un recueil collectif « Une enfance corse » (Editions Colonna) pour comprendre les difficultés d’intégration d’un jeune corse qui est né et a vécu sur le continent.  Dans leurs autres ouvrages, ces auteurs montrent des jeunes hommes et non pas des jeunes garçons mais tous traînent le même ennui qui les fait s’égarer dans l’alcool, la drogue, le sexe et la violence. Il s’agit là de la face noire de la Corse. Il reste tout de même des exemples encourageants à commencer par ces deux auteurs corses reconnus sur l’île où d’autres originaires d’ailleurs ont réussi leur vie. C’est l’occasion de rappeler qu’en Corse il y a des jeunes de toutes origines qui travaillent, qui passent  des diplômes, qui restent au pays ou s’expatrient pour trouver un emploi. Il y a proportionnellement beaucoup plus de vieux que de jeunes que sur le Continent. On n’y a pas les mêmes perspectives  de carrières et les mêmes salaires. Il n’y a pas autant de lieux de divertissements, surtout dans les villages. Et puis l'été, lorsque Porto Vecchio devient Saint Tropez, il faut de l'argent pour se saper et s'amuser.

    Le DVD du film est sorti le 4 février dernier.

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