• Dans son recueil « Les passagers d’Istanbul », Esther Heboyan nous offre neuf nouvelles, neuf récits intimes de vies qui établissent une généalogie arménienne post-génocidaire. Il s’agit d’êtres et surtout de femmes à la fois victimes de leur destin qui, paradoxalement, les a rendues plus fortes. A travers des familles, s’établit une filiation identitaire faite de souvenirs suaves comme des loukoums, tendres, parfois burlesques. Si le titre du recueil est aussi celui de la dernière nouvelle, chaque personnage est le «passager » d’un pays d’accueil, un passager dont l’identité se brouille comme la langue qui se perd ou s’enrichit selon le point de vue. On prend conscience de la survivance fragile de l’arménité en Turquie mais aussi dans tous les ailleurs de l’Anatolie.

    Les Arméniens ont été intégrés dans la nation turque avant le génocide. Nombre des leurs parlent mieux le turc que l’Arménien. Certains sont restés après le génocide, dans une sorte d’exil intérieur. Ils sont allés survivre surtout à Istanbul, grande ville cosmopolite. Et puis, à court, moyen ou long terme, nombreux se sont exilés définitivement, s’arrachant des racines qui leur restaient. Ce sont à ces petites gens « démunis, exilés, sans langue», passagers d’Istanbul puis d’autres villes du monde, qu’ Esther HEBOYAN a voulu donner la parole.

    L’auteur fait partie de la génération née en Turquie, à distance (par sa naissance et par sa scolarité en Turquie) du génocide. Son enfance est liée à Istanbul qu’elle évoque toujours avec nostalgie. Ses langues de naissance sont d’abord l’arménien, puis le turc. Sa famille s’est exilée en Allemagne et ensuite en France. A chaque escale, elle a du surmonter une rupture et apprendre une nouvelle langue. Elle est allée ensuite aux Etats-Unis découvrir son El dorado : la littérature américaine (Peut-être que cet attrait a quelque chose à voir avec les rêves hollywoodiens de quelques femmes arméniennes, lectrices de revues de cinéma). Actuellement, elle est universitaire dans l’Artois et, traductrice, impliquée dans des travaux sur les langues, avec le constat qu’elle a du apprendre l’allemand, le français et l’anglais, puis réapprendre le turc. Elle estime que sa maîtrise de l’arménien est rudimentaire par rapport au français et à l’anglais. Il lui faudrait trouver le temps et l’énergie, selon elle, nécessaire pour atteindre un niveau de compétence satisfaisant pour l’arménien. « L’oralité est une chose , dit-elle, savoir écrire correctement dans une langue est autre chose ». C’est sans doute ce constat qui a motivé son attrait affirmé pour l’écriture. C’est sûrement, en elle, la femme arménienne (envers et contre tout renoncement à sa vraie généalogie) qui a senti le besoin d’écrire les neuf nouvelles du recueil « Les passagers d’Istanbul ». Il ne s’agit pas de récits archéologiques mais de la mémoire généalogique d’une arménité tenace et vivante chez ses passagers qui transportent partout leurs trésors avec eux… trésors culturels, il s’entend !...

    Esther HEBOYAN nous parle du défi d’exister envers et contre l’exil, de son appartenance à une diaspora confrontée puis intégrée aux autres cultures, et de la volonté d’être arménienne : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser.

    Les passagers d’Istanbul – Editions Parenthèses collection Diasporales -

    Le recueil s’ouvre sur Aroussiak, une grand - mère qui s’exprime dans une « langue composite à résonances et approximations turco -arméniennes ». Tout juste adolescente, elle a été mariée avec un boucher de 10 ans son aîné. Cette vieille arménienne, épouse bafouée, illettrée et indigente, a pour devise : « Le bidon d’huile du bon dieu vient à qui veut » (une façon à elle de dire « Aide-toi et dieu t’aidera ») illustrée par son poulailler du Bon Dieu, garde-manger pour les jours de disette. Que reste-il d’elle, après que « la mort et l’exil qui parfois ressemblait à la mort eurent dispersé les êtres et les choses » : quelques photographies dans une vieille boite récupérée par une petite-fille pour qui sa « Medz mayrig » ( grand –mère en arménien) reste la plus belle, la « Güzel » du village d’Istanoz près d’Ankara. Et puis vient la petite sœur d’Ava Gardner, la belle Sylva convaincue qu’elle ressemble à Ava Gardner par son amie Méliné délaissée par les hommes et décrite avec « une tête de corbeau sur un corps de moineau », la coupable idéale de tous les péchés de son entourage. Suivent le phénoménal Oncle Zareh et Diguine Yester, une femme pieuse et respectée, réunis lors d’un banquet familial bien arrosé de Raki. Ils précèdent Mardiros Artinian alias Agha, bel homme « les yeux bleus envoûtant, le chef orné de boucles châtain et la parole magnanime », admiré des femmes et envié par les hommes… « Et Mardiros Agha posait, soupirait, saluait tantôt en turc tantôt en grec ou en arménien. » Avec la nouvelle « Un si long chemin », l’antagonisme entre son père Antranik le timoré et son oncle Krikor, globe trotter religieux, va faire le bonheur conjugal de Serko… On y trouve un dialogue polémique entre les deux frères sur l’usage de la langue arménienne en Turquie. Quant à la jeune Hilda, elle va au cinéma, chaperonnée par ses deux grands-mères « avec leurs mots bien à elles, des mots brusques, effervescents à jamais perdus », juste avant la séquence d’automne entre Hagop qui n’a jamais rien promis et son épouse Ani qui, résignée, se contente de ce qu’elle appelle « la vie nue». Hagop « a laissé une précieuse partie de lui-même, là-bas, là d’où il vient même si il ne sait plus très bien d’où il vient ». Lui, qui ne rêvait jamais, a fait un rêve étrange et pénétrant…Tous sont des passagers d’Istanbul comme les personnages de la dernière nouvelle du recueil : Hovsep rebaptisé Joseph, Anika devenue Annie et leurs enfants, Yester répondant au prénom choisi d’Esther avant de découvrir trop tard celui d’Esterina dans un mélodrame italien, alors que Herantouhi s’est retrouvée Isabellisée , victime de la lettre « H »…

    « Les passagers d’Istanbul » est la dernière nouvelle du recueil, celle de l’exil, du trouble de l’identité, de l’intégration à un nouveau schéma socio –culturel qui passe par l’apprentissage de la langue de l’exil et l’oubli de la langue originelle, la montée de la xénophobie… l’occasion, par les temps qui courent, pour accepter un vaccin de rappel de l’exception culturelle française. La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ne devrait pas devenir un slogan vide de sens dans une France qui exporte l’humanitaire et expulse sans humanité. Finalement, ne sommes – nous pas tous des passagers d’une humanité en marche ?



    Cette anthologie familiale contient son florilège de mots, de lieux et de noms dont l’étrangeté fait imaginer des personnages fabuleux, « enluminés », peut-être parce que l’exil et l’entropie des souvenirs rendent le passé parfois plus beau dans une vérité romanesque. Lorsque l’on referme le livre, les personnages font un carrousel dans notre imagination, tant Esther Heboyan leur donne chair, nous les rend familiers.

    Les passagers d’Istanbul nous invitent à un voyage nostalgique avec ce sentiment que le temps ne délivre aucun billet de retour, même si le présent se nourrit du passé, souvent avec humour et tendresse. Chacune de leur vie est comme une strate de cette humanité arménienne et les mots, par poussées orogéniques affleurant cette vérité romanesque (écrirait, je pense, Martin Melkonian), renaissent des cendres d’un séisme en date du 24 avril 1915. Latent, transparaît ce sentiment d’appartenir à une entité historique et culturelle menacée par la fragilité d’une transmission familiale orale qui pousse au besoin d’écrire.



    Engagés dans une croisade contre l’oubli, les passagers arméniens de l’exode et de l’exil font escale depuis 1915. Toujours à la croisée entre deux cultures, ils emportent partout, avec eux, cette Arménité qui a son berceau en Anatolie. Lors d’une table ronde organisée pendant la journée du livre arménien à Marseille, une participante a demandé : « Arméniens, qu’apportons – nous au monde ? J’aimerai qu’un non -arménien réponde. » Malheureusement, le temps était écoulé et la séance est restée sur cette question. Mais, finalement, la réponse apparaît évidente : Le peuple arménien apporte son humanité vieille de plusieurs millénaires et sa culture riche de ce long passé. Il apporte son histoire marquée par le premier génocide du 20ème siècle et l’exil d’une diaspora meurtrie jusqu’aux enfants qui naissent avec cette tragédie en héritage. Aujourd’hui, les Arméniens de cette diaspora représentent une richesse pour les pays d’accueil où ils ont su s’intégrer avec intelligence et sans se renier. Ils comptent, parmi eux, nombre de talents, notamment dans les domaines de l’art et de la littérature. Ils respectent sans faille leur devoir de mémoire et se font les passeurs d’une culture toujours et plus que jamais vivante. Le peuple arménien, par sa solidarité trans-générationnelle et sa diaspora, contribue à notre humanité pluri – culturelle en devenir.



    Dans une lignée généalogique, les grands parents sont les mémoires vivantes d’un passé plus lointain. Plusieurs auteurs arméniens, dont Esther Heboyan, ont senti le besoin de revenir, par l’écriture, sur les bribes d’un passé incarné par une grand-mère arménienne restée en Turquie après le génocide. Nous avions consacré un article à Louis Carzou pour « La huitième colline ». Nous signalons la 7ème réédition du roman « Le livre de ma grand-mère » écrit par Féthiyé Cetin ( publié en 2004). Cette avocate des droits de l’homme et des minorités raconte le secret de toute une vie : être une grand-mère arménienne dans une famille turque. C’était le secret de sa grand-mère Héranouche, décédée en 2000.



    Entretien avec Mme Esther HEBOYAN :

    Question 1 : Vous montrez avec talent l’existence de cette arménité qui a repris racine à Istanbul et qui, après l’exil, est nostalgique de cette ville turque. Avant le génocide, les arméniens étaient déjà turcs et parlaient souvent mieux le turc que l’arménien. D’ailleurs, vous utilisez des mots arméniens et des mots turcs, voire même de dialecte turco -arménien comme « Arman Astvadzis ! » qui signifie « Ah ! Mon dieu. » Finalement, on s’aperçoit que les ambiances familiales et les souvenirs d’enfances en Turquie après le génocide sont très proches des récits faits par des familles arméniennes venues en France immédiatement après le génocide. Finalement, qu’est-ce qui différencie une femme arménienne et une famille arménienne en Turquie, d’une femme arménienne et une famille arménienne en France ?

    Réponse d’Esther HEBOYAN : Vaste question. Pour pouvoir y répondre, il faudrait prendre en compte quelques paramètres – le niveau socio-économique, les possibilités de développement intellectuel, social et politique, les mentalités, les repères culturels, etc. Pour ce qui est de la langue, comme dans tout espace où coexistent plusieurs peuples, il y avait et il y a des interférences entre le turc et l’arménien. En Turquie, les Arméniens qui n’avaient pas accès aux institutions éducatives arméniennes parlaient effectivement mieux le turc que l’arménien.


    Question 2 : Vous êtes née en Turquie dans une famille d’origine arménienne. Vous avez émigré en Allemagne puis en France avant de séjourner longuement aux Etats-Unis où, après plusieurs années, vous avez pleuré en entendant parler turc parce que vous avez réalisé que, faute de pratique, vous perdiez votre langue de naissance. Aujourd’hui, vous êtes universitaire en France et notamment spécialiste de la littérature américaine. Vous faites des traductions d’ouvrages turcs (Je pense à la traduction de Nedim Gürsel ). Vous parlez plusieurs langues mais pas l’arménien. Vous écrivez aussi des poèmes dans la revue « Neige d’août » sortie en octobre 2006. Vous avez dirigé un ouvrage « Exil à la frontière des langues » paru en 2001. Certains auteurs exilés choisissent de s’exprimer dans la langue du pays d’accueil. D’autres restent fidèles à leur langue. Pensez-vous que la langue soit un élément nécessaire à la survie de la culture arménienne et de l’arménité chez la diaspora en France?

    E.H : Il faudrait corriger quelques informations qui circulent depuis peu sur le net et qui sont erronées. Non, je n’ai pas pleuré en entendant les gens parler le turc aux Etats-Unis, mais plutôt après avoir lu les nouvelles en français de Nedim Gürsel sur l’exil qui bien entendu me renvoyaient à mon propre exil. Non, je n’ai pas perdu ma langue maternelle ; je parle arménien mais ma compétence est limitée. Quant à savoir si la survie d’un peuple dépend de la pratique de sa langue… A priori, on pourrait croire que oui. Cependant, il y a énormément d’Arméniens en France, en Suisse, en Allemagne et ailleurs, en Turquie même, qui ne parlent pas arménien mais qui se sentent arméniens, alors… « Neige d’août » est une très belle revue dirigée par Camille Loivier ; le numéro d’octobre 2006 contient quelques uns de mes poèmes.

    Question 3 : Pensez-vous que les Editions bilingues soient un bon compromis entre l’identité culturelle et l’édition dans le pays d’accueil pour les auteurs faisant partie d’une diaspora?

    E.H : C’est une très belle trouvaille qu’il faudrait exploiter davantage.


    Question 4 : Vous avez intitulé votre ouvrage « Les passagers d’Istanbul ». Pouvez-vous nous parler du choix de ce terme « passager » pour évoquer l’arménité et l’exil ?

    E.H : Pour autant que je m’en souvienne, au début des années soixante Arméniens et Turcs d’Istanbul se destinaient à partir s’installer en Europe et ailleurs. Les entreprises ouest-allemandes surtout ont encouragé un mouvement de masse qui n’a finalement jamais cessé. Le terme « passagers » est un terme lyrique pour désigner des formes d’exil.


    Question 5: Vous avez participé à une œuvre collective en écrivant une nouvelle sur Istanbul dans un recueil édité par les Editions Albiana. Il s’agissait pour chaque auteur d’écrire une nouvelle située dans une ville. Pouvez-vous nous parler de cette expérience avec l’Edition corse ?

    E.H : François-Xavier Renucci m’avait demandé de traduire une nouvelle de Nedim Gürsel. Par la suite, nous avons échangé des projets d’écriture ; notre collaboration est née de cette façon.


    Question 6: Comme nous avons la chance d’avoir en vous une spécialiste de la littérature américaine, quelle est l’évolution des goûts pour le polar et le roman noir aux Etats-Unis?

    E.H : La littérature américaine est un domaine très varié et très fécond. Je n’ai pas suivi l’évolution du polar américain. Il m’arrive de lire ou de relire les maîtres du genre – Dashiell Hammett et Raymond Chandler dont j’apprécie l’écriture minutieuse et le rythme nerveux


    Yahoo!

  • Résumé :

    Le lieu présumé est la Corse. L’image du premier épisode est celle du visage buriné de François Paoli, chef d’un des principaux clans de l’île. Il meurt dans les bras de sa nièce Sandra. Avec ses gardes du corps, il vient d’être tué par des cagoulés. Sandra est avocate, à la solde de cet oncle qui l’a désignée devant notaire pour lui succéder. Jean-Michel, son frère, n’a pas l’envergure et, conscient de cela, pousse sa sœur à accepter le défi. Il se range à ses côtés sans états d'âme. Pour lui, sa sœur est la seule capable de gérer les affaires et d’assurer la survie du clan. Notre " Mafiosa malgré elle " va être confrontée aux risques du métier, à la solitude du pouvoir, à l’ivresse des interdits : vol d'armes, de diamants dérobés dans un avion, blanchiment de l'argent de la drogue... Elle s’aguerrit alors que le commissaire Rocca et la D.E.A ( Drug Enforcement Administration) la surveillent, que les alliances claniques et politiques fluctuent au gré des ambitions de chacun. Sandra séduit, décide, manipule, tue… trouvant parfois un soutien masculin, pour jouer dans la cour des grands garçons, auprès de son frère et de son vieux parrain de père, qui a pris sa retraite… Huit épisodes de solitude à tenir pour être la digne nièce de son oncle, face au machisme et à toutes les manigances mortelles. Et sa nièce Carmen (rôle joué par une jeune actrice prometteuse, d’origine arménienne) pourrait alors se demander : " Ah ! Si ma tante en avait. ?… réponse : Elle serait votre oncle ". (Nous déconnons mais ça fait du bien).



    Pour comprendre l’usage à nouveau exotique de la Corse dans La Mafiosa, il faut revenir sur quelques déclarations faites par le staff de ce feuilleton .
     
    Mme COLLET , co-productrice - propos recueillis le jeudi 20 juillet 2006 par B.Jacquiau.

    "Pour Mafiosa, j'ai eu personnellement l'idée de faire une série sur une famille de mafieux corse. Je l'ai ensuite vendue à notre partenaire Canal +, dont le directeur de la fiction, Fabrice de la Patelière, avait approuvé l'idée. Après, je suis allée chercher un scénariste, Hugues Pagan. Quand je lui ai raconté l'histoire, il m'a dit : "Oui, ça m'intéresse, mais j'ai une autre idée complémentaire : et si la famille de mafieux était dirigée par une femme ?". J'ai trouvé cette idée formidable ! Voilà comment peut se passer le début d'une fiction. Ensuite on écrit et très vite, on cherche un réalisateur. Et comme on travaille en fonction des diffuseurs, on cherche un réalisateur différent selon que ce soit un film pour Canal + ou France 2. Il y a une exigence d'originalité, mais aussi d'être plus proche du cinéma à Canal +. J'ai décidé de prendre un canadien, qui n'avait jamais travaillé en France et avait donc une expérience différente. Mon choix s'est aussi orienté sur lui parce que je trouvais que ce qu'il avait fait était formidable et que cela correspondait exactement à ce que je voulais. Ensemble on s'est occupé du casting, et on a engagé les techniciens. Pendant le tournage, je me rendais sur les lieux pour régler tous les problèmes que cela pose chaque jour, qu'ils soient financiers, artistiques, ou humains. Maintenant, je regarde tous les jours les rushs, les montages, et je surveille les photos et les dossiers de presse. Finalement, un producteur s'occupe de tout sur une série ".

    Sur le choix de la Corse :" J'ai choisi ce lieu parce qu'il y a une mafia en corse ! Il y a des particularités de la mafia insulaire corse. C'est une spécialité locale quand même. A Paris, la mafia n'est pas organisée de la même façon qu'en corse. C'est une mafia qui irrigue toute l'île, elle est insulaire. C'est ça qui m'intéressait. Et l'avantage quand on a beaucoup de personnages, dont toute une famille, c'est qu'outre de travailler sur le côté policier, on peut faire une saga".Et à la question : La série n'a malheureusement pas pu être tournée sur l'île de beauté. Pourquoi ? Elle a répondu : " Non, je n'ai pas pu la tourner en Corse pour des raisons de logistique parce que c'est trop cher. Il n'y a pas d'équipe technique complète en Corse, donc on serait obligé d'y emmener tout le monde, de payer le voyage et divers frais, ça reviendrait très cher ! Alors qu'à Marseille, il y a des techniciens. Par contre, j'ai des acteurs corses, beaucoup d'acteurs corses ".

    Une précision sur le budget : Coproduite par Nicole Collet (Image et Compagnie) et Canal Plus, la série a bénéficié d'un budget de 10 millions d'euros.

    (Entre Corses, un petit aparté : A signora hà fume senza arrostu. Parini foli ! Chi ne pensate ?)
     
     
    Des propos recueillis par Alice Coffin pour le quotidien " 20 Minutes " :
     
    Pierre-Marie Mosconi: " Même si le tournage s'est déroulé en Provence, on a essayé d'être le plus fidèle possible à l'île, explique l'acteur insulaire Pierre-Marie Mosconi. Il figure au générique et a fait office de " coach pour les autres comédiens, histoire qu'ils aient le bon accent. J'ai aussi corrigé certaines approximations. " Il est ainsi intervenu alors que le réalisateur s'apprêtait à faire un plan sur " une charrette à bras pleine de légumes ". " La Corse n'est pas un territoire du tiers-monde ! raille-t-il. Pas plus qu'elle n'est réductible à la mafia. J'espère que les téléspectateurs le comprendront. "

    Pour le journaliste Jacques Follerou, coauteur des Parrains corses (éd. Fayard), " les pratiques mafieuses qui pèsent sur la Corse sont, au contraire, largement minimisées. Les médias préfèrent s'intéresser aux maisons qui sautent et aux nationalistes. Il est salutaire qu'une série se saisisse de ce sujet. " Reste, souligne Hugues Pagan, auteur de " Mafiosa ", que " cette oeuvre dépasse son cadre géographique. Je m'intéressais surtout au banditisme et je me suis appuyé sur une documentation de 4 000 pages ! Je me doute qu'il va y avoir des susceptibilités froissées, mais alors il ne faut programmer que du "Julie Lescaut".

    Emile Zuccarelli, député-maire radical de gauche (PRG) de Bastia., se dit " consterné qu'une nouvelle fois notre région soit montrée du doigt et qu'on en parle toujours à l'aune d'attentats ou de dérives présumées. Pourquoi ne traite-t-on jamais de l'influence des clans dans le Cantal ou en Lozère ? Nous payons les fantasmes continentaux sur une certaine idée de notre île. "

    Van, internaute sur un forum de Fluctuat.net : " Est-ce exagéré de réaliser une série autour de clans mafieux corses - la mafia ne sévissant pas qu'en Corse - ou n'est-ce pas finalement un moyen de parler tout de même d'une réalité passée le plus souvent sous silence ? Les nationalistes, les attentats, on en parle beaucoup - trop -, mais les dérives mafieuses, on en parle peu. Certes la Corse n'est pas la Sicile, et je ne pense pas d'ailleurs qu'on puisse en tirer une aussi bonne histoire que Le Parrain, mais il y règne un état de non -droit assez hallucinant malgré tout Certains élus de l'île s'inquiètent du message que Mafiosa fait passer aux oreilles du public qui n'entend parler de la Corse que lorsqu'une maison saute, ou quand il programme ses vacances. Après tout, ne s'agit-il pas d'une histoire de gangsters de plus, sans autre message caché, que la télé et le cinéma affectionnent tant ? C'est vrai qu'en Corse, il y a des histoires de famille, de clans, des particularités insulaires pittoresques, tout ça est en soi très cinématographique et permet de faire un bon polar qui aurait à la fois un côté saga, parfait pour du prime time somme toute. C'est aussi simple que ça. Que ça se passe en Corse ou dans le Cantal, ça ne devrait pas changer grand chose. Mais c'est vrai qu'on parle peu du banditisme dans le Cantal. "

    Fabrice de la Patelière, directeur de cette fiction à Canal+: " les héros, les décors, tout est plus grand , plus coloré, plus contrasté que dans la réalité "
     



    Notre constat après les premiers épisodes :
     
    Avec La Mafiosa, Canal+ a voulu servir, pour son besoin d’audimat, un alcool fort avec un réalisateur qui représenterait 37% du marché des séries télévisées. En ce qui concerne le label Corse, nous ne dirons pas qu’il s’agit de canada-dry , pour faire un jeu de mot facile avec l’origine de ce réalisateur. Toutefois, nous n’y avons trouvé aucun goût d’eau de vie d’Arbousier ou de liqueur de Myrte. Nous le savions, dès le départ, cet alcool est frelaté même si on y a incorporé, à doses homéopathiques, quelques vues de Bastia et quelques idiomes courants dont la phonétique a été contrôlée par un acteur corse, Pierre – Marie Mosconi (Il joue le rôle de Mattei, homme de main du clan Paoli).

    Si ce feuilleton en huit épisodes prévus n’était que la fiction de la fiction corse entretenue dans l’imaginaire par les médias et les auteurs " pinzutti ", nous en serions restés à notre premier article. Mais, au delà de cet usage exotique d’une identité, il y a la vérité indigène et, de ce côté là, les Corses n’ont certainement pas pu se reconnaître dans ce clan inspiré par la Mafia sicilienne. Si l’association " Mafia sicilienne " est un pléonasme, le clan corse est tout autre chose et les truands corses sont bien différends des Siciliens et des Sardes. On ne parle pas de mafia mais de Milieu corse, comme l’on parlerait de Milieu marseillais, de Milieu niçois... La mafia, c’est tout autre chose que la dérive mafieuse. Le clan n’a pas une essence mafieuse mais familiale et communautaire. Le scénariste aux 4000 documents doit le savoir.

    La Mafiosa est un produit du petit écran avec ses scènes à la Brian de Palma sur une musique de thriller ( de Cyril Morin ), alors que les personnages ont des airs de Soprano. Si le scénariste " s’est appuyé une documentation de 4000 pages ", il s’agit d’une documentation sur le banditisme et non pas sur la Corse. Avant lui, des gens mieux documentés sur la Corse ont écrit sur le thème du clan un polar : " Le Corse ". Il s’agit des journalistes Paul - Claude Innocenzi et Jean Bazal édités en Livre de poche. Nous l’avons lu en 1977 mais leur récit remonte aux années 1930, à l’occupation avec les atrocités de la Carlingue, les règlements de compte de l’après-guerre puis les vendettas du Combinate.
     
    Paul-Claude Inoncenzi avait déjà écrit auparavant une quinzaine de romans ou de documentations : L’énigme de Pelissanne, Piège pour un flic, La Brigade antigang, Le Juge assassiné et même Un tiercé pour la mafia… " Le Corse " et un polar sur le thème du clan : la naissance d’un clan et l’épanouissement de son empire. C’est l’enfance d’un truand qui explique son entrée dans la délinquance puis le crime organisé. C’est sa généalogie et la clanisme qui peut expliquer son charisme de chef de gang ou de chef de parti. Le cinéaste et la productrice de La Mafiosa sont passés à côté de cette généalogie, préférant une équation simple pour la Corse : clan égal mafia. Ensuite, il suffit de saupoudrer le récit de quelques poncifs exotiques, en relayant, de façon souvent subliminale donc plus perverse, des préjugés, des articles de presse orientés et enclins aux amalgames. Pour cela, nous comprenons la réaction un peu vive du député-maire Emile Zuccarelli. Mais ne nous laissons pas gagner par la mauvaise humeur. Chez Canal+, le clientélisme de la cheftaine du clan de la coproduction a pour seul objectif : l’Audimat. Restons-en là pour ne pas être taxé de paranoïa et de chauvinisme, tout en fournissant quelques autres propos.

    Aujourd’hui le banditisme a évolué et la Corse aussi, mais en dehors de la Mafia qu’elle soit sicilienne, russe ou américaine. Ne vous étonnez pas si des Corses en ont marre de voir à la télévision des poncifs qui les décrivent en fonction des fantasmes des uns et des autres, ignorants d’une culture marquée par une réalité plus souvent faite de souffrances endurées que de crimes commis.

    Le " clan " est le prolongement de la famille, pilier de nombres de peuples. Dans l’individualisme inhérent du monde d’aujourd’hui, la famille clanique et patriarcale est le pilier des minorités qui veulent survivre avec leur culture. Que l’on mette en scène un clan dans le banditisme ou la politique est une chose. Que l’on associe le clanisme corse à la Mafia est autre chose. La Mafia est sicilienne et, lorsque l’on montre des actes de cruauté, il s’agit d’anciennes mœurs sardes et siciliennes qui ont déjà alimenté le cinéma américain avec notamment " Le parrain " de Scorcese. Les amalgames avec la Corse reflètent une méconnaissance nuisible de la réalité corse déjà malmenée par d’autres pourvoyeurs de racisme rampant.

    Jacques FUSINA, universitaire et poète corse, nus dit : " Le clan a joué un rôle non négligeable dans la vie politique et économique, tout autant sociale et culturelle de l’ïle puisque les chefs ( capî partitu) se proposait avec efficacité d’être les intermédiaires entre leurs familles de partisans et l’échelon décisionnel supérieur, auxquels ils pouvaient avoir affaire dans leurs tractations pragmatiques : il s’agissait le plus souvent de pourvoir quelque emploi subalterne ou d’épauler quelque intervention de faveur au profit de protégés, à charge pour ces derniers et leurs proches de remercier électoralement ad vitam aeternam leurs bienfaiteurs. On peut à la rigueur s’accorder sur l’origine de cette fonction traditionnelle du clan qui reste de l’ordre, en somme, de la solidarité familiale u communautaire ". Ce sont les excès individuels et les dérives engendrées qui ont rendu le système obsolète, explique-t-il aussi. Depuis de nombreuses années, d’aucuns auront peut-être remarqué que des mouvements mettent en avant des intérêts collectifs majeurs. La seule survivance du clan reste le clientélisme, mais ce n’est pas une exclusivité politique corse.

    Par ailleurs, en Corse, même si le temps n’est pas si loin où les femmes, pour servir, ne s’asseyaient pas à table au moment du repas, elles ont toujours été respectées et ce respect, elles l’imposent aujourd’hui comme hier. Columba est un personnage de roman et la Mafiosa une simple vue de l’esprit ou le fantasme d’un cinéaste en quête d’originalité. Les femmes corses ne sont pas des Lysistrata mais des gardiennes de la culture corse au même titre que les hommes et, sur bien des points, davantage. Elles ne sont pas des " pousse au –crime " et respectent la vie qu’elles donnent. La Mafiosa ne présente aucun réalisme corse même romanesque contrairement à Columba et, si la société corse est plus féministe qu’il ne paraît, une femme corse et encore plus celle d’un clan, n’afficherait pas devant son frère sa liberté sexuelle et ses perversités, non par peur mais simplement par pudeur et respect mutuel. Sandra aurait pu prendre le patronyme de Soprano ou Corleone, et l’Ardèche servir de décor à la Sicile, mais la Mafiosa n’en aurait pas été plus crédible. Il suffit de poser la question aux Siciliens.

    Hugues Pagan, scénariste, s’attendait à froisser les susceptibilités. Comment pourrait-il en être autrement ? Pour écrire un scénario situé en Corse, il s’est servi de 4000 pages de documentation sur le banditisme. Il aurait pu consacrer un peu de son temps à quelques pages sur la Corse. Il le dit lui-même " cette œuvre (le terme est de lui…) dépasse le cadre géographique. Je m’intéressais surtout au banditisme… " Il ne s’intéresse donc pas à la Corse, mais cela, on l’a vite compris. En outre, ce travail de documentation a visiblement bridé son imagination. Il n’a trouvé que le mot inventé de " Mafiosa " pour appâter le chaland. Dans la production d’une série télévisée, un réalisateur m’avait confié que la matière grise était très mal payée au regard des frais de gestion des coproducteurs indépendants. Ceci expliquerait peut-être cela. Quant à la susceptibilité corse, elle s’exprime avec humour lorsqu’il s’agit, comme dans L’enquête corse, de faire rire. On peut se moquer des Corses mais il ne faut surtout pas le faire avec sérieux, car le propos tourne alors à l’injure. En ce sens, la Mafiosa est une injure à la Corse d’aujourd’hui.

    Pour finir sans agressivité, nous reconnaissons volontiers aux acteurs le mérite de sauver l’ensemble de ce feuilleton simili – corse. Ils comblent, par leur présence et leur talent, la pauvreté des dialogues qui frôlent souvent l’indigence. La caméra et le réalisateur ne se trompent pas en s’attardant sur leurs portraits, parce que , en dehors de quelques scènes d’action, elle n’a rien d’autre à filmer si ce n’est des vues furtives du port de Bastia. Il est vrai que la production avait décidé de mener en bateau les téléspectateurs de Canal+ sans escale en Corse.

    Louis Choquette, réalisateur québécois a été primé pour d’autres travaux. Il est le lauréat de 7 gémeaux dont celui de la meilleure réalisation d’émission jeunesse. Le vent en poupe, il a réalisé plusieurs épisodes de séries télévisées : Les 2 frères, Delirium, Rumeurs, Les aventures tumultueuses de Jack Carter, Temps dur… Pour La Mafiosa, il a fait ce qu’il a pu et il l’a bien fait avec sa culture cinématographique nord américaine, plus proche de la Mafia que de la Corse. Quant à l’homme, selon nos sources, il aurait été apprécié par les quelques acteurs corses qui ont participé aux tournages.
     


    Il nous fait plaisir de rappeler que :

    Hélène Fillières est sur les grands écrans dans Lady Chaterley , avec Marina Hands, Jean-Louis Coulloc'h, Hippolyte Girardot…
    Thierry Neuvic est présent aux côtés de Tchéky Karyo, Michaël Youn, Anne Parillaud, Elsa Zylberstein, Jérémie Renier… dans "Aux armes, etc.", premier long métrage de la cinéaste Laure Hassan, dont l'intrigue tourne autour d'un pistolet automatique
    Enfin, notre compatriote Pierre- Marie Mosconi joue dans " Le Silence " dont le réalisateur est Orso Miret. Ce film raconte l’histoire d’Olivier, un jeune homme d'origine corse, l'unique témoin d'un meurtre commis par un proche de ses amis. De peur d'être exclu de la communauté, il devra tenter de garder le silence.


     
    Yahoo!

  • Le Miniaturiste - L'écriture naît des cendres:

    Martin Melkonian est né en 1950 à Paris. Ecrivain confirmé, il possède une bibliographie d’une quinzaine d’ouvrages et Les Editions Parenthèses, en 2006, ont édité un autre ouvrage dont il est l’auteur " Ils sont assis " (c’est ainsi qu’on désignait le fait d’être enfermé dans un camp en Union soviétique). Il est aussi peintre et on lui doit en 2005 aux éditions d’écarts " Edward Hopper luttant contre la cécité ". Il expose actuellement dans une galerie à Gap (05).

    Cet auteur fait partie de ces personnages pour lesquels on éprouve immédiatement de la sympathie. Il vous reçoit avec un grand sourire et, lorsqu’il s’excuse de sa lenteur feinte pour vous dédicacer un livre, il remplit cette lenteur de quelques mots qui sont des pistes pour votre lecture. Et puis, lorsque vous le quittez, ces mots que vous pensiez vite oublier car un salon du livre est comme une grande salle des mots perdus, ils vous reviennent… Vous les redécouvrez et vous vous les appropriez. Vous avez alors l’envie d’écrire une apologie de la lenteur et une autre de l’oubli… La lenteur est le temps que l’on vous donne et non pas celui que l’on vous vole. L’oubli est une chance de redécouvrir et d’inventer le passé à la lumière d’un présent insaisissable. J’ai attendu un peu avant d’ouvrir le livre et de prendre connaissance de sa dédicace en forme de sous – titre : " Ce miniaturiste où l’écriture naît des cendres ". Son livre est une réédition. Quelle chance, je n’avais pas lu la première, avant de le rencontrer. " Le miniaturiste " ouvre une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cœur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.



    Le Miniaturiste est un roman autobiographique situé dans le 10ème arrondissement de Paris (jadis populaire) et déjà publié au Seuil en 1984. L’auteur se souvient de son enfance au 204 du Faubourg Saint-Martin dans le minuscule appartenant – atelier où il a vécu avec un père, artisan tailleur, et sa mère. L’ouvrage est divisé en trois chapitres importants de la vie : voir, parler et mourir.

    Voir :
    Le peintre va chercher ses couleurs dans la vie où rien n’est figé. L’homme veut faire durer le présent mais il est déjà dans un autre moment, un présent insaisissable qui se nourrit d’un passé qui toujours s’éloigne. L’écrivain, spéléologue de l’intime, déchiffre les hiéroglyphes de sa mémoire, sonde les cendres du passé et, pour écrire, se sert des plumes de ce Phoenix qu’est le temps. Sous les cendres, couvent les braises d’une humanité morte et toujours renaissante. L’écriture, qui naît des cendres, enveloppe de sa chaleur le lecteur plongé dans l’univers du miniaturiste Le passé est sauvé de l’oubli par l’écriture qui naît de ses cendres. L’écrivain est un passeur de mémoire. L’imagination du lecteur, sollicitée par ce Miniaturiste, enlumine forcément ses récits. Dans notre mémoire, les êtres et les lieux de l’enfance deviennent des enluminures imaginées avec les couleurs de nos propres récits intérieurs. Les récits intérieurs ainsi enluminés de Martin Melkonian s’offrent, à chacun de nous, dans l’intemporalité de notre imaginaire.

    Parler :
    " Renoncer à sa propre langue (accepter ce renoncement), c’était renoncer à bien plus, qui ne se chiffre pas, porter en soi le deuil d’une inconnue, d’une civilisation imaginaire qui tient dans la faculté de prononcer, c’est maintenant vivre (continuer) avec un accablement sans fond et sans nom. " Nous dit l’auteur.
    L’écriture naît des cendres, terreau du " rhizome voyageur " qui a perdu ses racines et cherche une terre d’accueil " propice à une fixation définitive à des milliers de lieux de son point d’origine, de son circonstanciel et sûrement douloureux prélèvement ". L’encre bleue est un "recouvrement archéologique " sur le papier, avec, pour repères, " la peau, peut-être aussi une mémoire cénesthésique, animale, et la volonté de créer de nouveaux talismans " et, pour dessein, laisser quelques traces dans des paysages et des lieux " jusqu’au seuil d’un néant immobile où ne comptent que les traces de l’avoir été ". Le Miniaturiste raconte son histoire individuelle " amoureusement reconquise " et cette histoire nominative, palpable, incarnée, savoureuse d’un passé infinitésimal porte trace de l’autre histoire " majuscule " des hommes, générique et impalpable.
    L’écriture passe par la langue et l’auteur s’interroge : " Pour quelle raison, mon père renonça à sa langue – à notre langue – et cultiva l’autre, l’adoptive, à l’excès ? ", toute en se réservant des échanges idiomatiques avec la mère qui " parlait un amalgame d’arménien, de turc, de grec et d’italien ". Sans aucun doute, par volonté d’intégration. Peut-être aussi pour ne pas transmettre la lourde douleur du génocide à son fils , qui, adolescent, a souffert de la révélation de cette langue " encore vivante humectée de salive " qui, chuchotée, " remuait en lui, soulevait des nappes d’oublis ", cette langue d’une autre rive de lui-même qu’il ne pouvait atteindre, " avec ses assemblages rythmiques et gutturaux ", ses trois variétés de " r " dont le félin, " ruminant, s’avance à mezzo – voce, sans coup férir, comme si de rien n’était, puis, qui, en quelques fractions de secondes, laisse échapper un grincement chuinté, comme le chat ou le tigre, en position défensive, sur le point de griffer ou de mordre, grasseye, crache, feule ".
    Il évoque ses souvenirs de " slum " (bidonville) vertical, cette pauvreté " qui blessait son regard et, d’une certaine façon aveuglante, le tatouait à chaud ". C’est dans ce nid familial, sur sa terre natale constituée d’un deux pièces et d’un réduit de cuisine, au 204 de la rue du Faubourg Saint –Martin que Martin a perdu sa " langue coupée, hachée menue comme l’Arménie " et qu’il en a conquis une autre : dans cette chambre partagée où son père (qui avait appris le français en lisant des romans policiers dans la collection Le masque) lui inventait et lui réinventait mille histoires de Cendrillon. Quelle conquête ! Quelle chance pour le lecteur!
    Martin Melkonian nous offre un livre profond dans un lyrisme qui révèle sa grande sensibilité d’enfant arménien, fils unique d’un tailleur du Faubourg Saint Martin. C’est cette partie arménienne de lui-même qui fait dire à l’adulte quinquagénaire que la première langue garde toujours sa part de territoire : " il est des sentiments uniques, exclusifs, qui ne relèvent que d’une ethnie spécifique, sans équivalence d’une langue à l’autre ". Cette langue arménienne est associée, dans la mémoire de l’auteur, aux escaliers de son immeuble que son père gravissait en comptant les marches en arménien " meg, yergou, yerek… " Un, deux, trois… cette langue arménienne ne cesse d’être pour le restant de ses jours un appel. Il les redescend seul dans la mélancolie, lorsqu’il rate une ou deux marches comme cela arrivait à son père malade

    Mourir :
     " Je relevais ses oreillers, je retapais son lit, je rangeais sa table de chevet, je pliais et dépliais ses jambes… Je lui donnais à manger, je lui faisais la lecture, je lui caressais la main. " La mort s’installe lentement chez le père et use les forces vitales du fils. Il prend sans doute conscience que ses gestes attentionnés et tendres sont des soins palliatifs dictés par l’amour filial face à la mort hospitalière. Après, il y a la séparation, la douleur, la solitude… et la nécessite de ne plus commenter ce que Martin Melkonian écrit avec cœur et talent, dans une langue française dont il joue des subtilités, pour nous dévoiler son goût prononcé pour la miniature et la divination des mots.
    Face à la douleur, l’auteur se livre à une introspection inspirée du Bouddhisme et qui débouche sur son nirvana : l’écriture.


     
    Ecritum humanum est

    24 décembre 2007

    En cette fin de décembre, tous les fils savent-ils qu’un père est plus qu’un père Noël et que les plus beaux cadeaux ne sont pas les plus évidents ?… notamment sa tendresse et les histoires racontées avant de dormir. Il se fait surtout le passeur d’une identité et de l’amour des mots qui sauvent de l’oubli, seconde mort plus définitive. L’écriture naît des cendres… Tu es poussière et redeviendras poussière. C’est écrit dans la Bible qui, depuis les temps immémoriaux, renaît de ses cendres. Les paroles s’envolent et les écrits restent. Je préfère t’écrire car je n’arrive pas à te parler… Ecrivez-nous !... C’est écrit !...
    Le pire dans un destin, c’est d’y laisser des pages blanches.

    24 avril 1915........

    S’agissant du peuple arménien, un génocide s’accompagne souvent d’autodafés des livres. C’est pour cela qu’" écrire " fait partie du devoir de mémoire des survivants et de leurs descendants. Les auteurs arméniens le font avec talent.


     
    Yahoo!

  • BABEL, film du réalisateur mexicain Alejandro Gonzàlez Inàrritu, prix de la mise en scène au 59ème festival de Cannes et prix du jury œcuménique, sorti en 2006. Principaux acteurs : Brad Spitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal et Kôji Yakusho.


    Babel serait le nom hébreu de Babylone, ou un mot akkadien " Bab-ili " la Porte de Dieu, ou encore " Bab-el " la cité de dieu. La tour de Babel a été d’abord évoquée par les Sumériens. Puis, selon la Genèse, les descendants de Noé représentaient l’humanité entière et parlaient la même langue adamique, jusqu’à l’édification de cette tour qui déclencha l’ire céleste. Dieu " brouilla les langues ". Les hommes ne se comprirent plus et ne purent plus faire œuvre commune. La tour de Babel resta inachevée et l’humanité se dispersa sur la terre avec de multiples idiomes et dialectes. Cette parabole biblique met en garde les hommes qui défient le pouvoir céleste de Dieu et, par exégèse, met en évidence la nécessiter de se parler, de communiquer et de se comprendre pour mener à terme un grand projet. Il n’est pas étonnant que la tour de Babel reste une source d’inspiration pour nombre d’auteurs.
     
     
    Babel, c’est le titre du dernier volet de la trilogie réalisée par Alejandro Gonzalèz Inàrritu , après " Amours chiennes " ( Amores perros) en 2000 et " 21 grammes " en 2004. L’auteur fait une nouvelle mise en scène des destins de plusieurs personnages, avec l’accumulation de faits contingents qui deviennent les rouages du drame humain. Dans chacun de ses trois films, les destins se nouent de façon accidentelle. Se servant de la nature humaine comme métier à tisser les fils disparates des vies de ses personnages, Inàrritu cherche une trame commune. C’est une grande ambition et un vaste champ d’investigation dans lequel les thèmes sont nombreux.

    Donc rien à voir avec le Babel de Gérard Pullicino qui, en 1999, avait réalisé, avec ce même titre, un film fantastique. En choisissant ce titre de Babel, Alejandro Gonzalèz Inàrritu a voulu " englober toute l’idée de la communication humaine, ses ambitions, sa beauté et ses problèmes, en un seul mot ". Il y déroule des vies totalement indépendantes qui vont se rejoindre à la suite d’un coup de feu dans le désert marocain. Ce sont deux jeunes marocains qui ont le fusil et qui ont appuyé sur la détente en déclenchant un drame accidentel qui va être le théâtre d’un choc des cultures entre des destins, jouets de malentendus. Le drame apparaît alors comme la conséquence d’un enfermement obsessionnel, d’un repli intra-muros des individus, murés dans l’incompréhension et la méfiance de l’autre. Dès lors, quels points communs peuvent exister entre deux jeunes chevriers marocains, un couple de touristes américains en proie à leur crise conjugale, une nourrice mexicaine avec deux enfants américains et une jeune sourde – muette japonaise révoltée dont le père est poursuivi par les policiers de Tokyo ? La solitude et la douleur.

    Les êtres sont condamnés au malentendu d’être autre. Entretenu pour que l’homme ne défie plus Dieu, ce malentendu éloigne du ciel les hommes qui, tout en se référant à des valeurs religieuses, ne se sont jamais montrés aussi peu solidaires. Privée de tour de Babel, l’humanité creuse des tunnels de solitudes. La multiplication et les progrès des moyens de communication devraient favoriser leur solidarité alors qu’ils se laissent guider par la paranoïa collective, telle qu’on a pu la ressentir après des attentats terroristes spectaculaires. Inàrritu explique que " chaque empire a tendance à avoir un regard sur l’autre… Généralement l’incompréhension engendre la paranoïa, tout le monde dès lors est un terroriste en puissance. Cette idée est devenue obsessionnelle aux Etats-Unis ".

    Si le constat est solipsiste et communautaire, Alejandro Gonzalez Inàrritu nous parle aussi de notre destin individuel lié à celui de l’humanité, de la douleur mais aussi des amours et des sentiments dans ce XXIème siècle qui voit s’installer la méfiance. " On est extrêmement vulnérable à travers les êtres que nous aimons, dit-il " et il ajoute, sur les personnages du film qu’ils " souffrent de leur incapacité à entrer en contact avec autrui : époux, enfants ou frontières… tout tourne autour de ce besoin d’être touché lorsque les mots ne fonctionnent plus. " Il nous entraîne sur des pistes humaines dans le désert marocain. A la croisée humaine de trois continents, il recherche ce qui peut se trouver d’universel dans l’intime. Il scénarise des réactions en chaîne humaine et nous fait entendre des échos dans le désert. Pour lui, " il s’agit d’un film sur les êtres humains et non sur les Marocains, les Mexicains ou les Américains ".
     


    Babel versus Babel : Un humanité pluriculturelle ou rien ?

     
    Pour revenir à la Tour de Babel, que peut-on trouver d’autre dans cette parabole ? Ne serait-elle pas aussi une mise en garde contre la pensée unique, l’intégrisme, l’eugénisme et plus généralement toute hégémonie ? Si l’homme, dans son unité perdue, n’a pas atteint le ciel, cet échec n’avait-il pas pour but de lui montrer une autre voie, celle de son humanité ? L’humanité réduite à un seul peuple et une seule langue ? Ce projet fou ne vous rappelle rien ?... Donc, plus jamais ça !

    La tour de Babel serait-elle, à rebours de ce que montre le film d’Inàrritu, le symbole de ce que l’humanité ne doit plus être, car la voie de cette humanité en devenir devrait se trouver dans la pluralité. Le premier but à atteindre ne serait pas le ciel mais la solidarité dans la diversité. Cette solidarité ne peut pas être une fin en soi mais le ciment de notre humanité dans la mesure où tout projet commun s’inscrit dans des perspectives humanitaire et humaniste, en commençant par porter un autre regard sur l’autre.
    Enfin, faut-il parler la même langue pour faire œuvre commune ? Pour Inàrritu : " Ce n’est pas un problème ; une langue peut être en effet vite apprise. En revanche, je pense que le problème concerne ces idées reçues qui maintiennent une séparation entre les peuples " et il ajoute : " J’ai voulu explorer la contradiction entre l’impression que le monde est devenu tout petit en raison de tous les outils de communication dont nous disposons, et le sentiment que les humains sont toujours incapable de s’exprimer et de communiquer les uns avec les autres au niveau fondamental... "

    Chaque culture, chaque civilisation qui disparaît est un appauvrissement pour l’ensemble de l’humanité. Les langues sont des facteurs identitaires de première importance. Elles permettent la survie et le prolongement de cultures minoritaires. " Interdire l’usage de sa langue à des peuples conquis " était la première mesure inique prise par leurs colonisateurs pour les intégrer de force. L’avenir, ce n’est pas un seul peuple et une seule langue mais des peuples polyglottes.

    Les langues ont des passerelles : les traductions. Si on prend pour exemple la littérature qui se nourrit de mots et transfuse la langue, les éditeurs s’honoreraient à proposer davantage de textes en éditions bilingues lorsqu’il s’agit de sauver un patrimoine culturel et promouvoir une culture dans ce qu’elle a de vivant.

    Enfin, il ne faudrait pas que, sous l’effet d’une hégémonie linguistique, des langues ne participent plus aux babils des enfants qui, plus tard, seront à la recherche archéologique et généalogique d’une identité perdue. La langue est un outil de pouvoir et de domination. Si les minorités sont aujourd’hui menacées, qu’en sera-t-il de certaines grandes nations demain ?… Qu’elles soient culturelles, économiques, politiques etc…, toutes les Babélisations ne sont pas bonnes à suivre ! C’est Dieu qui le fait comprendre si on tient compte de l’exégèse.

    Exrtait de la genèse 11 de la Bible " la ville et la tour de Babel " , en français …

    " Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots… Allons bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L’Eternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Eternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là à ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons ! Descendons, et là, confondons leur langage, enfin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres. Et l’Eternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Eternel confondit le langage de toute la terre, et c’est là que l’Eternel les dispersa sur la face de toute la terre. "

    … et en Corse : A Bibbia - Genesi 11…
     
    " Tutta a terra avia una sola lingua è e listesse parolle…. Aio ! custruimuci una cità è una torra chi a cima tocchi u celu, è fèmuci un nome, affinchi no un siamu spargugliati nantu à a fàccia di tutta a terra. L’Eternu falo per vede a cità è a torra ch’elli costruianu i figlioli di l’omi. E l’Eternu disse : Eccu, formanu un solu populu è hanu tutti a listessa lingua, è ghjè quessa ch’elli hanu intrapresu ; avà nunda l’impédiciaria di fà tuttu cio ch’elli avarianu prughjittatu. Aio ! falemu, è cunfundimu u so linguàgiu, affinchi l’uni un capiscanu piu u linguàgiu di l’altri. E u Signore i sparguglio luntanu da culà nantu à a faccia di tutta a terra ; è cissonu di custruisce a cità. Hè per quessa ch’ella fu chjamata Babele, perchè ghjè quà chi u Signore cunfuse u linguàgiu di tutta a terra, è ghjè da quà chi u Signore i spagliuglio nantu à a faccia di tutta a terra. "
    Nous nous excusons auprès des puristes pour l’absence de nombreux accents toniques, absence due à de " pures " raisons techniques…
     


    Note : La belle édition bilingue de La Bible ( A Bibbia ) date de 2005. Nous la devons aux Editions DCL avec le soutien de la Collectivité Territoriale Corse. La traduction corse est de Christian Dubois en collaboration avec Ghjuseppe Maria Antone Rabazzani. Il s’agit d’une édition œcuménique réalisée sous la direction de Gabriel Xavier Culioli.
     
    Yahoo!

  • Comment choisit-on un livre ? Il y a plusieurs façons, me direz-vous. Alors, je vais vous raconter comment j’ai choisi " C’est quoi la Philo ? " de René Merle aux Editions L’écailler du Sud. D’abord, je regarde toujours les parutions de cet éditeur, comme celles de quelques autres. Et puis le titre m’a interpellé. Ensuite, j’ai pris le livre dans les mains et j’ai lu la quatrième page de couverture : " Ses ennemis le surnomme le " PPE ", le présumé Philosophe et Ecrivain. Et des ennemis, Abailard en a… Le héros était donc Abailard ! La référence au Pierre Abailard ( ou Abélard ) , né en 1079 et mort en 1142, philosophe et théologien, fondateur de la méthode scolastique avec Alexandre de Hales ne pouvait être fortuite, sachant que René Merle est historien. S’agissant d’un polar, quel allait être le destin d’un Abailard des temps modernes ? Allait-il rencontrer une belle Héloïse ? Qu’adviendra-t-il de sa virilité ? J’ai donc payé le prix de ma curiosité : 7 euros. Je n’ai pas été déçu par ce petit polar dense avec une intrigue bien construite et le discours savamment dosé.

    Abailard est le nom du narrateur et avant lui , c’était le pseudonyme de son père communiste dans la résistance, pendant l’Occupation. Notre Abailard se raconte en commençant par son " sale rêve " : dans le midi, devant la porte d’une usine voisinant la mer, à 13h30, la sirène appelle à la reprise du travail…. " Le bruit de la barre de fer sur le crâne du type. Et puis le silence ". Il se réveille. De la fenêtre de sa chambre d’hôtel, il voit la Croisette. Dans son lit, Ornella Muti… non pas l’actrice, une inconnue qui lui ressemble. Mais lui ressemble-t-elle vraiment ou est-ce l’aveu d’un fantasme érotique? Abailard aime trouver des ressemblances avec des personnalités.

    Quand il ne dort pas, Abailard écrit et fait la promo de son dernier roman " Le Mal court ", titre déjà utilisé par Audiberti, précise-t-il. Notre écrivain revendique le sobriquet dont on l’a affublé : PPE (Présumé Philosophe et Ecrivain). Philosophe autoproclamée et médiatique, il s’enorgueillit de dispenser le blâme et l’éloge sur le monde comme il va, assumant d’être un donneur de leçons. Il anime une émission télévisée " C’est quoi la philo ? " Pour faire comme tout le monde, il a commis quelques polars et il " s’honore (sans fausse modestie) d’être de ceux qui ont sorti le polar du ghetto de la sous - culture pour le hisser, comme on dit, au niveau de la littérature. En tout cas, à défaut des journalistes spécialisés, c’est ce qu’on dit les pages " Livres " de nos deux quotidiens, et les chroniques de tous les magazines. Et je me garde, ajoute-il, de participer au cirque itinérant et dominical, qui parcourt l’hexagone. Cirque cruellement baptisé la grande famille des polareux, ou je ne tiens pas à avoir une place. On ne semble pas d’ailleurs me la proposer. " On comprends que Abailard n’a pas peur de se faire des ennemis, même chez les " polareux ". Car si le titre du dernier polar d’Abailard contemporain niçois est " Le Mal court ", c’est son " Historia calamitatum " qu’il raconte pour reprendre le titre de l’œuvre monastique de son illustre homonyme médiéval et breton.

    Il ne s’agit pas de reprendre la querelle des universaux, ni de nominalisme ou de conceptualisme. René Merle a écrit un roman noir avec un personnage central original. Notre Abailard des temps modernes… "Internationaliste à vingt ans, jet society humanitariste à cinquante… l’âge de son prédécesseur lorsqu’il écrit, vers l’An 1129, "l’ Histoire de mes malheurs ". Et ses malheurs, notre Abailard contemporain les rencontre en revenant dans la région de Nice pour un festival littéraire. D’abord apparaît Eloïsa qui ressemble à Ornella Mutti, et ensuite deux membres de ce qu’il appelle son ancien " Groupe " (révolutionnaire d’extrême – gauche s’entend) : la pulpeuse Reparata, fille de notable encanaillée, et l’énigmatique Tchoco, plébéien auréolé d’un passé de guérillero révolutionnaire et aigri dans un présent de journaliste local… C’est ce dernier, auteur d’un livre de cuisine, qui va entraîner Abailard dans une salade niçoise avec une aubergine. Mais qui est ce Légume niçois auquel Tchoco fait allusion dans un poème ; " Ode à celui que nous avons massacré " ? … Qui sera le mort, puisque, dans un polar, il y a toujours au moins un cadavre et souvent davantage ? Est-ce que notre philosophe donneur de leçon n’aurait pas quelque mauvaise action dans un passé qui le rattrape ? Quel va être le destin de Abailard le niçois et Eloïsa, la Piémontaise ? Vont-ils nous fabriquer un petit Astrolabe… De quoi réveiller un mort, lorsque l’on sait que Gaston Leroux est enterré à Nice.

    Au fait , Abailard, c’est quoi la philo ? – " Mais au réveil , j’avais senti dans mon caleçon une présence bienvenue. La vie était belle. C’est quoi la philo ? Des choses assez simples en définitive… " et pourquoi philosopher ? pour atteindre une vérité sur moi-même ,… " le point d’équilibre à partir duquel on peut considérer le monde, les autres, et soi-même, je ne dirais pas en toute sérénité, mais en toute justesse. Bref, ce que les philosophes ont cherché depuis que la philo existe. Et qu’ils n’ont probablement jamais trouvé. "

    Abailard Pierre, philosophe et théologien de l’époque médiévale : l’orthographe de son nom est variable Abailard, Abeilard ou Abélard., mais son vrai nom est Beranger. Il est né en 1079 à la seigneurie du Pallet, près de Nantes. Son père était un noble guerrier qui voulait que ses enfants soient instruits et façonnés au métier des armes. Pierre était l’aîné d’une nombreuse fratrie. Il renonça à son droit d’aînesse et à son héritage en refusant les armes au profit de la culture des sciences, en premier lieu la dialectique. Il s’opposa à l’un de ses maîtres, Guillaume de Champeaux, archidiacre de Notre Dame et premier dialecticien de son temps, notamment dans ce que l’on a appelé la querelle des universaux. Il enseigna dans une école créée sur la Montagne Sainte Geneviève, aux portes de Paris.

    Et il y a sa liaison avec son élève Héloïse, belle et intelligente! Abélard se met en pension chez l’oncle de la belle, le chanoine Fulbert, la met enceinte puis l’enlève. En Bretagne, ils ont un fils, Astrolabius et se marient. Mais l’oncle envoie à Abélard des hommes de mains qui le castrent. Les hommes de mains le paieront de leurs propres virilités plus les yeux en prime. Le chanoine Fulbert est suspendu de ses fonctions. Le mal est fait. Héloïse entre au couvent et échangera avec son mari une correspondance publiée sous le titre " Lettres d’Abélard et d’Héloïse " vers 1130. René Merle s’est inspiré de ces trois personnages, car si vous trouvez dans " C’est quoi la Philo ? ", Abailard et Eloïsa… cette dernière a aussi un oncle Fulberto.



    En marge, nous avons relevé dans le roman de René Merle , deux intrusions allusives, presque subliminales aux Corses. La première lorsqu’ Abailard se souvient que, dans sa jeunesse, il avait enlevé la piémontaise Reparata à " un étudiant corse assez remuant " et la deuxième lorsqu’il se trouve face à deux individus " assez jeunes, lunettes de soleil, cheveux très courts, vestes d’été manches retroussées, jeans. Le F.L.N.C ou les flics. J’avais souvent dit du mal des nationalistes corses dans mes chroniques, mais j’ai opté pour les flics et j’avais raison…"

    A ce sujet, l’auteur nous a gentiment confié : "  Mon héros est étudiant dans les années 70, et son groupe gaucho mao niçois, qui s'affronte à l'UEC et à d'autres groupes gauchistes, ne sait pas comment se situer par rapport aux étudiants corses nationalistes, alliances de circonstances et parfois affrontements. D'où le lien ambigu avec le type à qui il enlève Reparata. Plus tard, mon philosophe devient, genre Finkielkraut, ennemi de tous les communautarismes, autonomismes, etc… et écrit des articles entre autres sur la Corse. Il développe une paranoïa de la persécution et a effectivement peur de se faire coincer un jour par ceux qu'il a critiqués. D'où sa réaction stéréotypée devant le look des flics. Je vous parlais de "Treize reste raide". Je ne sais pas si vous connaissez ce Série noire publié en 1997 et 1998. La trame est un aller retour entre le Marseille des années 1930 et Marseille présent, à travers le destin d'un groupe de militants communistes du quartier du Panier, tous d'origine corse et travaillant sur le port, déchirés par leur engagement politique et leur fidélité à celui qui les y avait poussé, Sabiani, passé ensuite à d'autres engagements diamétralement opposés. Je n'écrivais qu'à travers de ce que je savais, c'est-à-dire ce que m'avaient dit tant de vieux, aux termes de leur vie, et je ne voulais en rien vilipender les Corses. Je pense que la plupart des lecteurs ne s'y sont pas trompés. Il s'agissait, à travers l'intrigue imaginée, d'évoquer, en sympathie humaine et en proximité, cette émigration corse dans un Marseille "rouge", et parfois "brun". Il n'empêche : J'ai eu droit à une volée de bois vert de la part de certains écorchés vifs ".

    Donc ceux qui, ajoutant un commentaire sur les Corses qui en ont marre d'être toujours présentés comme des bandits, pensaient que René Merle avait voulu les agresser, n'avaient pas dû lire le bouquin et l’auteur d’ajouter : "  Autre volée de bois vert : lorsque je présente le voyage en Corse de mon enquêteur, le Cicérone est le prototype de mon "étudiant corse remuant" de "C'est quoi la philo", à savoir étudiant nationaliste à Nice devenu militant indépendantiste. Cet engagement n'est pas la tasse de thé de mon enquêteur, mais des liens humains ont été tissés... Bref, je me suis fait taper sur les doigts de diverses façons : tu cautionnes l'indépendantisme, tu agresses l'indépendantisme... "



    René MERLE est né en 1936 . Il est agrégé d’Histoire, Docteur es Lettres. Il a enseigne toute sa vie. Il dit de lui-même : " J’ai toujours eu une sensibilité patrimoniale, occitaniste… J’ai été embarqué dans ce monde occitaniste très varié qui va des nationalistes persuadés qu’il existe une nation occitane jusqu’au félibre avec sa cigale. Il écrit des textes poétiques en occitan et traduits en Français par lui-même. Après une rencontre avec Patrick Raynal, il s’est mis au polar en 2001 avec " Treize reste raide " édité par Galimard , Série noire.Pour mieux le connaître, vous pouvez aller sur son site : http://www.rene-merle.com

    Vous y trouverez un entretien à l’occasion de la sortie de son premier polar dont nous vous donnons un accès direct : http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=293

    4ème page de couverture de " Treize reste raide " :
    "À Marseille, une étrange série de meurtres décime les pépés. Pas vraiment des pépés ordinaires. À travers le Marseille d’aujourd’hui, le journaliste Laurent Laugier découvre une sale histoire commencée dans les années trente, quand l’alliance des armateurs, des truands et de l’extrême droite avait su ratisser pour prendre la ville. Treize reste raide, comme on dit aux boules. Une vieille histoire marseillaise qui résonne aujourd’hui dangereusement sur fond de racisme et d’obsession sécuritaire".

    Yahoo!