• Jacques Tardi
    est né en 1946. Son grand-père, d'origine corse, militaire de carrière, a fait la guerre de 14-18. C'est à travers les récits de sa grand-mère qu'il découvre l'horreur et l'atrocité de cette guerre qui alimentera ses cauchemars d’enfants et son imagination d’auteur de Bandes dessinées. Son père a été soldat pendant la seconde guerre mondiale. À seize ans, il entre aux Beaux Arts de Lyon puis il intègre les Arts Décoratifs à Paris. Il fait ses débuts de dessinateur à 23 ans dans le célèbre hebdomadaire Pilote. Sa première histoire longue " Rumeurs sur le Rouergue " paraît en 1972, début du succès et d’une longue suite comprenant l’alliance avec.les écrivains de polar ou de roman policier. Il adapte en images leurs histoires noires prenant souvent pour cadre le Paris. Il a ainsi travaillé avec Jean - Patrick Manchette qui écrit le scénario de Griffu en 1982, avec Didier Daeninckx en 1997 sur La Der des Ders.

    "J'ai entendu parler de la Grande Guerre, à l'âge de cinq ou six ans, par ma grand-mère. J'ai très vite voulu en savoir plus. Ce qu'elle me racontait avait trait au quotidien dans les tranchées. Je faisais des cauchemars, mais j'étais proprement fasciné. Par la suite, j'ai vu des photos et mon désir de dessiner cette guerre en a été accru." Propos de Tardi recueillis par Y. Alion pour Le Journal du Polar, décembre 97.

    Jacques Tardi a adapté les aventures de Léo Malet et de Nestor Burma., Brouillard au pont de Tolbiac en 1982, puis Rue de la gare en 1988, Casse pipe à la nation en 1996 et Une gueule de bois en plomb. Il collabore avec Daniel Pennac. Il réalisera en 1988 illustration de Voyage au bout de la nuit, œuvre majeure de Louis Ferdinand Céline, puis Casse pipe en 1989 et Mort à Crédit en 1991.

    Il est l’inventeur du personnage d'Adèle Blanc-Sec, dont il a écrit lui-même les scénari des aventures extraordinaires. Il est le dessinateur d’ affiches de films, des jaquettes de CD ou d’ illustrations de couvertures de romans. En 1985, les Editions Futuropolis/Gallimard ont publié deux importants volumes: Mines de Plomb et Chiures de Gomme, qui rassemblent et recensent de façon exhaustive l'ensemble de ses travaux graphiques (couvertures de livres, affiches de films, croquis, portfolios, caricatures...) ainsi que de nombreux inédits. Il est l’auteur du roman " Rue des rebuts ", publié en 1990. Sa notoriété fait que de nombreux sites vous proposent des biographies et bibliographies.



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    Dans l’actualité, il est " l’homme de peine " de la revue " L’étrangleur " aux côtés de Nadia Gibert " femme de tête " et Guillaume Prieur " homme de cabinet ". Nous avons pu nous procurer les numéros 2 à 5 mais pas le numéros 1. Les cinq revues datées du 2 au 6 février 1959 suivent les meurtres de l’Etrangleur pendant que la Police parisienne fait grève. La première victime est l’acteur Gaston Malinguet, suivi d’un aveugle, d’un représentant en timbres –poste de collection et d’un marchand de journaux ( ancien combattant de la guerre 1914-1918 dans l’Armée d’Orient* ). Ces revues accompagnent la bande dessinée " le secret de l’Etrangleur ". Entre le 2 et le 6 février 1959, la police est en grève et, dans la capitale plongée dans le brouillard, un mystérieux étrangleur rôde en commettant d’affreux forfaits… Jacques Tardi donne sa vision d’un roman "Monsieur Cauchemar" signé Pierre SINIAC, auquel nous avons consacré un article pour un autre roman " La course du Hanneton.. " édité après que l’auteur fut mort dans la solitude et l’oubli.

    Armée d’Orient* : rappelons-le, dans cette armée, il y avait de nombreux Corses qui ne sont pas revenus de la guerre - pour mémoire, Pierre Laurent Fabiani, originaire de Monticellu est mort à l’âge de 27 ans sur le front serbe, en laissant une femme, Jeanne Ceccaldi, de Partinellu, et deux fillettes, une de 2ans et un bébé qu’il n’aura pas connu. Il est enterré au carré militaire du cimetière St Pierre à Marseille.




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    Revenons un court instant sur " Voyage au bout de la nuit " illustré par Jacques Tardi dans un beau livre grand format, texte intégral , collection Futuropolis de Gallimard. La nouvelle édition est de novembre 2006 et reprend les préfaces des deux précédentes datant de 1932 et de 1949. Dans la première préface, il est écrit : " Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il y va de la vie et de la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant, Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie ". Jacques Tardi avait déclaré à propos de son travail : " Avec Céline, je restais dans l'univers qui m'intéresse, 1914-1918, tout ça... Et c'est un très grand écrivain. Mais ses livres sont très peu dialogués, il aurait donc fallu que je coupe. C'est tout à fait possible d'adapter Céline en BD mais cela impliquait des coupes. Or j'avais moins de scrupules à les faire dans Malet que dans Céline ; c'est quand même une autre pointure ! Je l'ai donc illustré, pas adapté."
    Vous pouvez aller voir un interview complet du 17/08/05 sur le site du journal Le Monde à l’adresse ci-dessous :
    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-680761@45-1,0.html



    Note sur Voyage au bout de la nuit
    :

    " La vie c'est ça un bout de lumière qui finit dans la nuit "… " Notre vie est un voyage / Dans l'hiver et dans la Nuit / Nous cherchons notre passage / Dans le ciel où rien ne luit " – extraits du roman de Céline.

    Nous n’allons pas nous lancer dans une exégèse du roman de Celine. Simplement, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, nous pouvons écrire que Louis-Ferdinand Céline, de son vrai nom Louis - Ferdinand Destouches, publie Voyage au bout de la nuit en 1932. Le héros ,Ferdinand Bardamu raconte dans le roman sa vie et nous montre la misère du monde contemporain. À vingt ans, en 1914, il se retrouve sur le front et les atrocités de la guerre le mettent au bord de la folie. Réformé, il fuit et arrive en Afrique où il découvre le système colonial. Clandestin en Amérique, il y rencontre Molly, une prostituée ( mais Molly était dotée d'une patience angélique… un cœur infini vraiment avec du vrai sublime dedans). Finalement, il revient en France, et après des études de médecine, s’installe en banlieue.

    Céline est mort en 1961. Le 1er juillet, à 18 heures, Louis-Ferdinand Céline meurt d'une rupture d'anévrisme. Son décès ne sera annoncé par la presse que le 4, après son inhumation au cimetière de Meudon.

    " À force d'être poussé comme ça dans la nuit, on doit finir tout de même par aboutir quelque part, que je me disais. C'est la consolation. Courage, Ferdinand, que je me répétais à moi-même, pour me soutenir, à force d'être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'ils n'y vont pas eux au bout de la nuit. " extrait du roman de Céline.

    " Le livre français qui compta le plus pour nous cette année, ce fut Voyage au bout de la nuit de Céline. Nous en savions par cœur des tas de passages. Son anarchisme nous semblait proche du nôtre. Il s'attaquait à la guerre, au colonialisme, à la médiocrité, aux lieux communs, à la société, dans un style, sur un ton, qui nous enchantaient. Céline avait forgé un instrument nouveau : une écriture aussi vivante que la parole. Quelle détente, après les phrases marmoréennes de Gide, d'Alain, de Valéry ! Sartre en prit de la graine." Simone de Beauvoir, La force des choses. Paris : Gallimard, 1960.

    " Il faut relire Céline en le voyant. Céline a dit la vérité du siècle : ce qui est là est là, irréfutable, débile, monstrueux, rarement dansant et vivable." Philippe Sollers, Voyage au bout de la nuit, édition illustrée par Tardi. Paris : Futuropolis, 1988.
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  • Marseille : Noir du polar à la Maison de la Corse, avec Jean-Pierre Orsi, et noir anthracite au théâtre Toursky, avec Piétra…
     
     
    Samedi 27 janvier 2007: La maison de la Corse était trop petite pour l’affluence qu’elle a connue ce dernier week-end, 27 et 28 janvier 2007.
    Plusieurs salles étaient à la disposition des éditeurs et des auteurs présents. Entre les conférences sur Pascal Paoli et les leçons de cuisine corse, les visiteurs se sont pressés autour les livres, une exposition de tableaux et les produits corses, avant de fêter le Capu d’Annu lors d’un apéritif. Les habitués sont venus compléter leur bibliothèque corse et leur nombre s’est renforcé par de nouveaux venus. Pour tous, c’était l’occasion de rencontres et de nouvelles présentations lors desquelles il n’est pas rare de recevoir des nouvelles de relations ou de parents. Les salons culturels restent des lieux privilégiés de cohésion sociale et de solidarité. Il faut rappeler que la Maison de la Corse recevait des dons alimentaires pour l’île où, comme partout, le nombre des nécessiteux augmente.

    Du côté littéraire, il n’est plus besoin de dire que nos éditeurs proposent de bons romans et de beaux livres. C’est une réalité maintenant ancienne. Le succès du salon du livre corse est donc mérité pour les organisateurs et les participants. Jean-Pierre Orsi dédicaçait ses trois polars corses : " La chèvre de Coti-chiavari " (réédité ), " Sous le regard de Napoléon " et son dernier " la nuit de San Matteo " qui est déjà un succès en librairie. Nous avons noté la présence de son éditeur Le Journal de la Corse en la personne de Jean-Charles Gaspari. Il faut rappeler que le Journal de la Corse est aussi un journal vieux en âge mais moderne par sa ligne éditoriale, sa présence sur le Net et dans l’édition de polars contemporains.

    Dans ce genre littéraire, Jean-Pierre Orsi et Jean Crozier – Pandolfi (auteur de La vendetta de Sherlock Holmes) ont pris l’initiative de créer une association des auteurs corses de polars et un site avec des projets d’événements d’abord en Corse et ensuite sur le continent. Corse noire s’est associée à cette aventure. Vous pouvez visiter le site de l’association Corsicapolar à l’adresse ci-dessous :
    http://www.corsicapolar.eu


     
    Et puisque nous en venons au "noir", à 21 Heures, le Théâtre Toursky à Marseille donnait la dernière représentation du ballet " conditions humaines " de notre talentueuse compatriote Marie-Claude Pietragalla.
     
    Dans cette œuvre dansée, le noir est celui du charbon et des terrils de la région Nord - Pas de Calais. C’est le noir des conditions d’existence des mineurs au début du 20ème siècle et c’est le noir de la mort. Le 10 mars 1906, la catastrophe de Courrières : coup de grisou à la suite d’un incendie qui couvait dans la veine Cécile de la mine. Sur 1425 mineurs, 1099 ne remonteront pas. Trop rapidement, la direction de la mine décide qu’il n’y a plus de survivant et fait inverser l’air dans les puits. Malgré cela, le 30 mars treize rescapés réapparaissent et le 4 avril, quatorze autres. " Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire " est le sous-titre de ce spectacle de danse - théâtre. C’est le Président de la région Nord Pas de Calais qui a sollicité la troupe Marie-Claude Pietragalla, pour la commémoration de cette catastrophe. Avec Julien Derouault, danseur et compagnon, la chorégraphe et danseuse - étoile a consulté des archives, parcouru le bassin minier et rencontré d’anciens mineurs et des veuves de mineurs, réalisant un véritable travail d’investigation. Après la première représentation devant une salle composée, en grande majorité, d’anciens mineurs, les personnes contactées ont trouvé normal que ce soit un ballet, de la danse, qui parle de la mine et raconte leur vie, parce qu’au fond (de la mine) il y avait tellement de bruit que la parole n’avait pas de place. Pietra et Derouault concluent une interview croisée dans le journal " L’Hebdo " en disant : " Le corps, la mémoire du corps avait parlé… " Que reste-t-il de cet événement, de ce qui demeure gravé dans le corps ? Pietra commente son travail : " C’est à travers ces questionnements que l’œuvre chorégraphique " Conditions humaines " tentera de se frayer un chemin…. où poésie et humilité seront les armes du mouvement " et Julien Derouault ajoute : " La danse est peut-être l’art le plus légitime pour raconter l’histoire des mineurs : les deux ont en commun le corps comme outil de travail ".

    Le rideau s’ouvre sur un tableau allégorique de la mine " dans son drapé de noir " : surélevée, Pietragalla fait danser ses bras, son buste sort d’une immense jupe noire qui couvre toute la scène. Sous le tissu " noir anthracite ", des corps ensevelis. Le deuxième tableau met en scène une femme désespérée luttant contre la folie, bientôt rejointe par d’autres… Chaque tableau est inspiré par les récits authentiques recueillis lors du travail journalistique qui a précédé la chorégraphie. L’enfer de la mine est mis en scène de façon dantesque dans un tableau qui fait penser à une œuvre du peintre Fernand Léger. Les hommes – machines exécutent leurs danses mécaniques dans un concert de bruits assourdissant. Et puis, des tableaux ouvrent des parenthèses sur la vie dans les corons de briques rouges où la vie reprend provisoirement le dessus avec ses amours, ses espiègleries mais aussi parfois la solitude, la fatigue, l’ennui des femmes pendant que les hommes s’enivrent … Et toujours, la mort qui rode dans la mine. La mort et la mine incarnées par une seule danseuse Pietra, Peut-être parce que les deux ne font qu’une, lorsque les corps ne remontent plus et laissent des vêtements vides à des veuves. Quelle mémoire subsiste ? Celle gravée dans les corps cassés des mineurs et dont l’odeur imprègne encore les vêtements. " Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ". A l’époque la justice n’a pas eu ce courage et les responsables de la catastrophe ont été mis hors de cause, malgré une longue grève et une prise de conscience collective de la réalité des mines. Cette catastrophe, qui aurait pu être évitée, a traumatisé pour longtemps les habitants du Nord de la France.

    Le succès était au rendez-vous. La troupe part pour Belgrade où le Théâtre national veut reprendre " Fleurs d’automne " créé en 2001 à Marseille. Au théâtre Toursky, la troupe est toujours la bienvenue et affiche complet à chaque passage. Le précédent ballet était " Je me souviens ", inspiré par les souvenirs d’enfance de Pietra. Avant, il y a eu " Ni Dieu, ni maître " en hommage à Léo Ferré. On doit citer aussi " Sakountala " inspiré par Camille Claudel. Il y a eu " Ivresse " " et son flamenco. ; en remontant beaucoup plus loin, " Corsica " et les musiques de Guelfucci. Dans tout ce que la star corse de la danse fait, le choix des musiques est toujours un bonheur. Avec " conditions humaines ", Marie-Claude Pietragalla démontre qu’elle peut aborder les sujets les plus difficiles. Cette liberté de création qu’elle dit avoir trouvée est une chance pour un très large public. Vous pouvez aller visiter son site qui offre aussi des extraits en vidéo, à l’adresse ci dessous :
    http://www.pietragalla.com


      
    Dimanche 28 janvier 2007, Jean-Pierre Orsi accueille, sans entrechat ni pirouette, de nouveaux lecteurs intéressés par ses trois polars corses. L’un d’eux est venu exécuter une commande faite par sa sœur qui n’a pas pu se déplacer. L’inventeur du Commissaire Batti Agostini a décidé de faire de la place aux polars corses dans les rayons des librairies du Continent. Les siens sont déjà en vente dans toutes les grandes librairies de Marseille comme Cultura pour n’en citer qu’une.
     
    Les trois romans forment une trilogie avec des personnages récurrents : trois récits distincts des enquêtes menées par le Commissaire Baptiste Agostini, assisté de ses deux collaborateurs, Jean – Antoine Mariani, affublé du sobriquet " A ghjobula " et Angelo Leonetti dit l’Acellu. Nous vous laissons découvrir, par la lecture, les explications des sobriquets. Nos trois compères ne connaissent pas l’oisiveté. Au commissariat d’Ajaccio, leur quotidien était fait de vols à la tire, de la petite délinquance, des petits casses, des petits trafics de drogue, des scènes de ménage, des actes de racisme ordinaire… jusqu’à ce que Jean-Pierre Orsi les fassent entrer dans le monde du polar d’abord avec " La chèvre de Coti-Chiavari " qui n’est pas un de ruminants caprins dont le lait caille pour notre plaisir dans une bergerie de Coti-chiavari. Il s’agit d’une coutume sicilienne pour règlement de compte raffiné. Lorsque la victime est Antoine Doria, professeur des civilisations méditerranéennes à l’université de Corte, descendant d’une illustre famille génoise, militant nationaliste en rupture avec son mouvement… et de surcroît vieil ami de notre commissaire, ce dernier est prêt, avec sa garde prétorienne, à affronter tous les dangers d’où qu’ils viennent… A peine sortis de cette affaire éminemment délicate qui le touchait personnellement, voilà notre commissaire avec un nouveau cadavre sur les bras : Un jeune homme retrouvé mort " sous le regard de Napoléon " qui n’a pas bougé et reste muet… Non ! … Napoléon n’a pas ressuscité. Il ne s’agit pas de l’omerta d’un illustre descendant mais du lieu de la découverte du cadavre : au pied de la statue de Napoléon, au Casone, quartier habituellement calme à Ajaccio. Le défunt est un toxicomane qui a succombé à une overdose de cocaïne aggravée par un abus d’alcool. S’agit-il d’une simple affaire de drogue ? On aurait pu le penser, si le cadavre n’avait pas eu, posée sur sa poitrine, une étrange croix en bois. Rapidement, un journaliste local échafaude une hypothèse selon laquelle le corps du jeune homme aurait été l’objet de rites sataniques ayant un rapport avec le Croisé du jardin d’Austerlitz… Par la suite apparaît une certain Silvana Papalardo. Est-elle vraiment immortelle ? Que manigance un ancien de l'Indochine aux méthodes douteuses ? Vous aimeriez bien tout savoir ? Rien de plus facile : lisez les romans.

    Dans les deux premiers volets, l'horrible des situations propres à un bon polar côtoie souvent des instants plus quotidiens, à savoir les problèmes familiaux du commissaire, la perte d'un ami cher ou une certaine actualité corse. Le troisième volet " La nuit de San Matteo " débute, en 2005, avec la grève de la SNCM et l’intervention du GIGN sur la " Pascal Paoli " au grand dam du lieutenant Mariani qui ne comprend pas l’opération commando menée contre des syndicalistes. Connaissant bien entendu les raisons du conflit social, le commissaire Agostini se souvient alors de son ami feu Antoine Doria qui prônait une politique audacieuse d’investissement en Corse et, d’abord, préconiser de casser le système clanique, frein au développement de l’île… Sur ces bonnes paroles, il se rend à Cuttoli , village corse où il possède une maison que son ami " Zi Pè " (Jean-Pierre Poletti) lui a laissée en héritage. Un lègue qui lui vaut la haine des deux neveux du Défunt et une raclée mémorable interrompue par une vieille dame, Anna-Maria Meniconi qui a très bien connu Zi Pè. Le lendemain un gamin, contre 20 euros donnés par un inconnu affublé d’une casquette et de lunettes de soleil, lui remet une enveloppe contenant deux balles de Kalachnikov. Une menace claire avec la question qui se pose : Qui veut tuer le Commissaire Agostini ? … Nous ne vous en dirons pas plus que ce qui est écrit dans la quatrième page de couverture : lors d’une nuit, un commando cagoulé et armé pend par les pieds, en haut de la grille d’entrée du cimetière de Cuttoli, un homme apparemment sans vie. L’intrigue se déroule sur fond de conflit social lié au projet de privatisation de la compagnie maritime corse, la SNCM.

    Si vous n’avez pas lu les deux premiers, nous vous conseillons cette trilogie. Jean-Pierre Orsi nous parle de choses sérieuses sans se prendre au sérieux et nous rend familier ce commissaire Agostini, au point d’avoir envie de l’appeler Batti, en lui donnant une tape amicale dans le dos, avant d’aller partager un apéritif à Coti-Chiavari où notre auteur, ancien journaliste et cadre mutualiste, trouve son inspiration, en contemplant la Méditerranée… Malgré quelques césures, je termine cette trop longue phrase, un peu essoufflé mais satisfait car, arrivée à Coti-chiavari, la vue est belle sur le Golfe d’Ajaccio. Au bout des trois lectures, j’ai aussi suivi trois enquêtes prenantes. Toutefois, je n’ai pas pu savoir si le commissaire Baptiste Agostini est parent avec son homonyme prénommé Léonard que j’ai rencontré dans un polar du corso-québécois François Canniccioni. Ce que je peux dire, c’est que " Jean-Pierre Orsi ", il n’y en a qu’un, en bonne place dans le polar corse.
     
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  • Le Corse, roman écrit par deux journalistes et édité en livre de poche par les Editions Orban en 1976.

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    " La loi du talion a inspiré la loi du maquis, la loi du Milieu. Ma morale est peut-être primitive, mais elle vaut celle des autres : j’en suis sûr ! Elle m’a permis de ne pas être un pauvre type !… J’ai compris que si l’homme est seul, les autres le dévorent. Je suis peut-être devenu un loup qui ne connaît qu’une loi : celle du clan. Cela n’empêche pas le loup d’aimer ses petits, de les protéger, de les nourrir… "

    Lorsqu’Ange Vinciguerra dit cela, il est à l’heure du bilan d’une vie qui a commencé en Corse dans un petit village de la Balagne, près de Calvi : Calenzana. En Août 1923, il est le témoin de la mort de son père Hyacinthe, tué par Pierre Orsini pour une histoire de partage des eaux d’un torrent. C’est le jeune garçon qui tue Orsini blessé lors du duel et qui gardera toute sa vie ce secret. Ange assiste à l’enterrement de son père dans la tradition corse. Sa mère y déclame au défunt tout son amour d’épouse : " O Hyacinthe, mon homme sans pareil, mon mari entre tous choisi, mon vent, ma pluie, ma rivière, mon aigle des sommets, mon renard d’intelligence, mon sanglier de force, mon Noël argenté et mon été de blé ! O Hyacinthe, mon compagnon, je ne me blottirai plus sous votre menton bleu … " Et les vocifératrices poussent le cri du " succulu " ancestral : Dih, dih, dih ! …

    Le roman s’ouvre donc sur un petit village corse et une vendetta. " Gardez-vous, je me garde ! " était la phrase rituelle de la déclaration de guerre entre deux familles et puis " Le sang appelle le sang " justifiait l’accomplissement de la vengeance dont les auteurs prenaient le maquis comme le personnage de Féliciolo, ami de feu Hyacinthe et conteur qui commence toujours ses récits de bandits par " Moi qui vous en parle… " pour expliquer que " c’est par fatalité qu’un homme devient un brigand ". Et justement , c’est la fatalité qui va transformer le jeune Ange Vinciguerra, berger et apiculteur en herbe, en un proxénète et chef d’un clan corse dans le Milieu marseillais. Ange, gamin, pensait s’enrichir en développant sa petite production de miel dans une région connu pour la vivacité de ses abeilles que les Calenzanais utilisèrent comme troupes de libération contre les Génois en 1782. Après la mort tragique de son père, Ange rencontre son premier et véritable amour qui a les cils à la Mary Pickford*. Pauline est la fille du procureur de la République Nonce Casinca d’Istria. " Avec l’arrivée massive des Corses francisés du Continent qui viennent jouer les estivants parce qu’ils ont fréquenté les écoles ou décroché de bonnes places dans l’administration", notre jeune berger éprouve aussi les morsures de la jalousie qui tourne à l’affrontement avec un rival du moment, Marc-Aurel Casanova, étudiant en médecine à Marseille… Ange blesse ce dernier et , sur les conseils de Féliciolo, renonce à prendre le maquis. Il s’en remet à la justice qui l’acquitte à condition qu’il s’engage cinq ans dans la Marine. Il quitte donc son " pays de cocagne " qui n’arrivait pas à retenir ses enfants. Il se retrouve à Toulon à bord du " Strasbourg ". Une bagarre lui fait connaître le " patache ", poste de police maritime du Quai Cronstadt, puis la prison maritime St Roch qu’il quittera pour la section disciplinaire de Calvi avec ses catégories d’hommes et de sous-hommes : Les " camisards " avaient le droit de fumer et d’aller à la cantine, les "isolés " ou les " gayes " réclamaient leur isolement pour échapper aux sévices infligés par des caïds aux mœurs spéciales. Là, on pratique la torture avec les poucettes, des étaux de bois qui serrent les doigts jusqu’à la limite de l’écrasement, et des punitions comme la pelote ( course d’endurance avec 30Kg sur les reins) ou la briquette ( on ajoute une brique de cinq kilos portée à bout de bras). C’est l’époque des Tribunaux militaires dont le symbole est le " falot " représentant un croissant et une lanterne. Le 9 mars 1928, un loi introduit un magistrat de carrière pour présider les débats de ces tribunaux. Le 15 septembre 1928 , notre héros est ramené à Toulon avant d’embarquer pour rejoindre le 1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique : Foun Tatahouine au fin fond du Sud tunisien, le tristement célèbre Bat’d’Af, où celui qui " refile de la jaquette " est appelé un " schleb " (un girond) dans l’argot arabisant de Tatahouine. Les hommes, les vrais, les tatoués y chantent "à Briribi", la chanson de Montehus*. Notre Ange ( qui n’en est plus un ) avait déjà fréquenté les maisons de tolérance de Toulon et évalué les revenus substantiels qu’en tiraient les proxénètes. A Tatahouine, il côtoie des hommes du Mitan dont Gaston Boucara, pourvoyeur de filles dans la traite des blanches et qui décrète : " Quoiqu’il arrive, n’oublie pas que seuls les caves baissent la tête et nagent dans la mouise ! Il faut se révolter contre tout, ne pas se résigner à une condition modeste… Tu sais, notre loi du Milieu ressemble à la loi de ton maquis… " Il y apprend le secret de la réussite : " Pour le fric, la combine ; pour l’impunité, la prudence.", et " les différences qu’il commençait à entrevoir entre le bien et le mal n’étaient sans doute plus celles que le brave abbé Gastaldi lui avait enseigné au catéchisme… "

    - Mary Pickford, de son vrai nom Gladys Louise Smith (née le 8 avril 1892 à Toronto ; décédée le 29 mai 1979) était une actrice à l’âge de 10 ans. Surnommée " la petite fiancée de l'Amérique " ou " la petite fiancée du monde ", elle séduisit le public par sa grâce juvénile et primesautière dans des films comme Une pauvre petite fille riche (1917) ou Le Petit Lord Fauntleroy (1921). En 1919, Mary Pickford participa à la fondation des Artistes associés, avec Griffith, Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks, qu'elle épousa en 1920.

    - Montehus ( ou Monthéus) s’appelait de son vrai nom Gaston Mardochèe Brunschwig et il était chansonnier. Il était le fils aîné d’une famille de 22 enfants. Il a commencé à chanter à l’âge de 12 ans. Dans son répertoire, on trouve des chansons militaires comme " Au camarade du 153ème régiment " (1897) ou " A la gloire du 17ème " (1907) dont les soldats refusèrent d’ouvrir le feu sur des vignerons qui manifestaient. Il est né en 1872 et mort en 1952. Il a connu Lénine en exil en France et il chantait dans la première partie des conférences du révolutionnaire russe. Il a donc chanté une chanson intitulée " à Biribi", Biribi étant le bagne de Cayenne.

    En 1932, Pauline Casinca d’Istria a choisi d’épouser, dans sa robe signée Schiaparelli, Jérôme , médecin et fils du Professeur Antoine Costa, propriétaire de la Clinique ST Blaise d’Aix en Provence. Ange est libéré. Il revient à Calenzana. Une épizootie, la loque américaine, a tué toutes ses abeilles et ses projets de miel. A 24 ans, il décide d’aller tenter l’aventure à Marseille et s’installe au 23 rue des repenties au Panier, quartier cosmopolite mais majoritairement peuplé de Corses : navigateurs, dockers, calfats, patrons pêcheurs, artisans, boutiquiers, cafetiers et poissonnières du côté de la Major mais aussi dans la partie St Jean, tenanciers de bordels, souteneurs, prostituées en maison ou en magasin, patrons de bar… C’est le 2ème arrondissement de Marseille avec son quartier réservé créé en 1863 par la conseil municipal.
    C’est l’époque du grand Alcazar, où Constantin Rossi fait ses débuts le 3 mars 1933 et devient Tino avec Marinella. Le 21 avril 1933, un grand marathon de danse est organisé. Ange s’inscrit avec Mireille Francion. Le couple remporte le concours sur la Valse brune jouée par l’orchestre de Manuel Pizzaro. Mireille est la tenancière d’un bordel, Le Grand 7 , rue de la Fare. L’année1933, c’est aussi l’année de la grande crise économique, mais pas pour Ange. Devenu l’amant de Mireille, il porte des costumes coupés par Agopian et des chaussures Angelo. Sa belle a perdu la protection de son mari décédé et se retrouve sous la menace d’un ancien amant. Elle le tue, est arrêtée et incarcérée à la prison des Présentines. Ange prend les affaires en main et constitue son clan… Il entre alors officiellement dans le Mitan avec son code dont Tonin l’Indien, l’un de ses premiers législateurs, dira : " Tout y est prévu, comme dans le code Napoléon : principe de l’honneur et de l’assistance, règle du silence, respect de la femme d’un ami… Même l’arbitrage d’anciens, dans les cas délicats. Le jour où le code ne sera plus respecté, alors on pourra dire adieu au Mitan, parce qu’il n’y aura plus de mentalité… "

    Et la famille Orsini ! De son côté, Jean-Baptiste Orsini, qui a l’âge d’Ange, a suivi aussi le chemin du banditisme jusqu’à Paris. Les deux hommes auront-ils l’occasion de se rencontrer ? La Vendetta est un feu qui couve sous la cendre et qui peut se rallumer au moindre souffle provocateur. Rappelons que ce roman est une fiction, même si y apparaissent des personnes et des événements réels. A travers la vie romanesque d’Ange Vinciguerra dont la famille offre quelques ressemblances avec celle de frères Calenzanais célèbres, les auteurs racontent l’histoire du banditisme et le parcours d’une jeune berger corse qui devient l’empereur des nuits marseillaises.

    Gamin, notre Ange écoutait les histoires de bandits corses racontées par Féliciolo avec sa liste de noms légendaires : Les frères Belloscia, Gallocio, Jean- Simon Ettori dit " Le sage de Moca – croce ", André Spada, Jules Négroni ou Dominique Rutili ( condamné à mort et gracié par le Président Doumergue). De 1821 à 1927, on dénombre 9319 morts en Corse pour 38 condamnations à mort ( la plupart prononcées par contumace) et 22 exécutions dans des affaires de vendetta locales ou de vengeances domestiques.
    A Toulon, avec " cette espèce de lointain flottant dans les yeux ", il découvre comment les proxénètes gagnent de l’argent facile. Au Bat’d’Af, les tatoués chantant les goualantes forgent son caractère de dur à cuire. Il y lie des amitiés dans la pègre. C’est l’époque où, à Marseille, des bandes s’entre-tuent et surtout deux gros gangs d'apaches et de nervis: ceux de St Jean et de St Mauront. Antoine La Rocca, chef de la bande de St Jean, dit "La Scoumoune", s’illustrera par la tuerie du Bar Pierre, rue St Laurent. Dans la nuit du 19 au 20 mars 1923, il abat la patronne et deux autres personnes, en blesse une quatrième et tout cela en représailles de l’assassinat de son second par la bande de St Mauront. La Scoumoune s’exile ensuite en Argentine et, après un séjour en Espagne, reviendra à Marseille en 1946 pour finir videur à Pigalle avant d’être descendu à Paris. Il fait partie de la figuration dans le roman, où les héros romanesques ont les premiers rôles au milieu de figurants choisis au fichier du grand banditisme.

    Lorsqu’Ange s’installe à Marseille, les maisons de prostitutions prospèrent dans le quartier réservé. C’est le début de l’époque dite " Borsalino " avec l’ascension de Carbone et Spirito. Les voyous se taillent des réputations avec des surnoms évocateurs : Henri La musique, Jo le matou, Dominique le Bônois, Raphael Le Manchot, Nazole le Niçois, Jean La main, Julien le Bordelais, Gu le Marseillais, Naze bleu, La Gazelle… Ange devient " Le Calenzanais ". Pour une " galoupe " ( une incorrection ), on est mis à l’amende ou trucidé. Tant que l’on est vivant , on remplit son " crapaud " ( porte-monnaie ), jusqu’au " dix-neuvième trou ", celui du confort et du luxe au golf. La politique s’acoquine avec le banditisme. Carbone et Spirito sont les amis du fasciste Simon Bastiani, qui, avec ses deux compères truands, s’illustrera dans la collaboration pendant l’occupation . Ange le Calenzanais se constitue un clan avec un de ses frères et les jumeaux de son village, Carolu et Napoleon. Il fera même sortir Feliciolo du maquis. Après la loi Marthe Richard, il trouve un nouveau débouché avec les machines à sous. Contrairement à Carbone et Spirito, Ange choisit d’abord le maire socialiste de Marseille, René Musso (adversaire de Bastiani) et se range du côté de la résistance pendant l’occupation, en y jouant un rôle actif. A la libération, il profite des trafics organisés avec les troupes américaines et notamment le trafic des cigarettes… Aux Etats Unis, c’est l’époque d’Al Capone et Lucky Luciano.

    Tout au long du récit romanesque, on apprend des tas de détails de la petite histoire de chaque époque. Mais comment faire le tri entre la réalité et la fiction ? Un nommé Jean-Baptiste Griffaut, surnommé La Griffe, est guillotiné en place publique par le bourreau Deibler. Le supplicié crie " Adieu fifi ! Mort aux Vaches ! " avant les deux " bang " successifs de la lunette et de la lourde lame. Ange et Gaston Boucara assistent au spectacle au milieu de la grande foule… Fiction ou réalité ? La réalité est qu’un gigolo anarchiste Yves Coliou, dit " Nez pointu " a été guillotiné le 31 octobre 1925 à Aix en criant " Vive l’Anarchie ! Mort aux vaches ! "… mais peut-être Jean- Bastide Griffaut a-t-il existé aussi… C’est la Maison Katz, rue Crussol à Paris, qui fabriquait les jetons de cuivre pour les machines à sous, avant la guerre. Les " bagalentis " désignaient les petits minables de la pègre marseillaise. Au cinéma, on projette le film " Scarface " avec le héros Georges Raft. Ange s’offre comme voiture la C4 IX Citroen ( plus tard, il s’offrira la Nerva Grand Sport Renault, le spider-coach décapotable). Fèvrier 1934, l’affaire Stavisky. Depuis un an , Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. On trouvait dans les kiosques la revues "Police magasine " , le n° 190 du 15 juillet 1934 est consacré aux Gangsters de Marseille. Le 30 novembre 1935, le petit Claude Malmejac est enlevé au Parc Chanot de Marseille. C’est le premier rapt d’enfant en Europe ( après l’enlèvement du fils de Lindberg en mars 1932). L’enfant est retrouvé avec l’aide du Milieu… Dans le roman l’enfant se nomme Claude Masméjan et c’est Ange Vinciguerra qui donne le tuyau à l’Inspecteur Egide Moracchini, petit homme râblé à la tignasse brune aux mèches rebelles, d’origine bastiaise mais né à Marseille, il ne parle pas le corse… L’enlèvement est réel, Ange et l’inspecteur Moracchini ne sont-ils que des personnages de roman ? L’enfant s’appelait-il Masmejan ou Malmejac ? Les auteurs nous font traverser des époques : les luttes électorales des années 1930, les marathons de danse de l’Alcazar, la guerre des machines à sous qui sont apparues en France après la Loi Marthe Richard interdisant les maisons de tolérance, l’occupation allemande avec les atrocités commises par la Carlingue (Gestapo française) et la destruction du quartier réservé, les règlements de comptes d’après-guerre, l’affaire du Combinatie, l’OAS et les barbouzes du SAC… Dans le deuxième arrondissement de Marseille, le quartier réservé ( à la prostitution ) se situait entre le Quai Maréchal Pétain ( devenu Quai du Port), l’esplanade de la Tourette, la place Lenche , la rue de la Roquette et la place Vicor Gelu ( du nom du félibre provençal). Tous les habitants sont évacués en Février 1943, soit environ 20.000 dont 1.642 sont livrés à la Gestapo, sur lesquels la moitié juive est déportée en Allemagne après être passée par Compiègne. Fin Février 1943, le quartier est détruit à l’explosif… Marseille avait accueilli 100000 réfugiés et on pouvait apercevoir aux terrasses des cafés du Vieux Port Jean Cocteau, Charles Trenet, Louis Jouvet, Madeleine Robinson ( qui passait ses vacances à Evisa )… Yves Montand était livreur chez Rivoire et Carré.
    Bien sûr, le héros du roman, Ange Vinciguerra, est porteur, sur le chemin du crime, d’une sorte d’idéal et d’un code de l’honneur, éléments qui peuvent le faire apparaître sympathique dans la relativité de la faune au milieu de laquelle il évolue. Il est fidèle en amour et en amitié. Il s’est investi d’un devoir familial sans faille. Il est à la fois victime d’une certaine fatalité et auteur de son destin en choisissant l’argent facile avec des méthodes violentes et illicites. Le Corse est, avant tout, une fiction qui montre aussi la réalité cruelle et peu reluisante de la pègre. L’ouvrage dénonce le rôle joué par des bataillons disciplinaires, comme le Bat’d’Af, dans la formation des malfrats. Lorsque l’on parle de la naissance et du développement d’un clan corse, lorsqu’il s’agit de banditisme, on peut aussi parler de clan marseillais, de clan niçois, de clan toulonnais et autres localisations d’appartenance identitaire. Il est bon de rappeler que le terme de clan s’applique dans divers domaines, ce qui est le cas également pour la Corse où il n’est pas synonyme de Mafia, structure criminelle sicilienne. Des truands corses ont tenu, à un moment, le haut du pavé dans des pègres locales où la rivalité a toujours pris le pas sur l’entente.

    Les auteurs nous offrent dans leur texte commun des bribes de paysage et de culture corses : dictons, croyances, humour avec le héros populaire de Grossu Minutu dont Christian Mery avait enregistré les histoires drôles… Une petite anthologie en quelque sorte ! On trouve un extrait du Lamentu de Jean Camille Nicolaï " Disgraziatu / So en per la furesta/ Tuttu l’invernu/ Sposu alla tempesta.… " , quelques morceaux de bon sens : " i to’prufittu contali dopu ! " ( Comptes tes profits après !), et c’est peut-être " A chi ha soldi e amicizia torce u nasu a la Justizia " ( Celui qui a de l’argent tord le nez à la Justice), qui donnera des idées à Ange Vinciguerra. Et puis, n’oubliez pas le matin de l’ascension de conserver le premier œuf pondu et de ramasser de l’herbe, pour écarter la calamité… César, l’un des frères d’Ange, devient avocat et on se doit alors d’évoquer le Ténor corse Moro Giafferi qui avait fait une passe d’arme oratoire avec un Magistrat apostrophé en ces termes : " Et la Cour dans son sommeil n’entend point mes paroles ! " le Magistrat répliqua : " La cour, dans son réveil, vous suspend pour trois mois ! " et l’avocat eut le dernier mot : " Et moi, plus fort que la Cour, je me suspends pour toujours!". On lui attribue aussi la plus courte plaidoirie en ces termes : " Si mon client est coupable, Ah !… Mais si il est innocent, Ah ! Ah ! "… Une façon expéditive mais concise de plaider le doute.

    Le livre fait 600 pages avec pour fil conducteur , l’amour que porte Ange à Pauline Casinca d’Istria et la vendetta avec la famille Orsini. Le récit romanesque couvre les deux tiers du 20ème siècle pour une histoire du banditisme corse et marseillais qui va jusqu’à la guerre d’Algérie, avec l’OAS et le SAC. C’est une petite histoire jalonnée par la Grande (Le Front populaire, l’Occupation allemande, la Guerre civile en Espagne..) Les personnages romancés évoluent au milieu de personnalités du banditisme, de la politique et du spectacle. Un énorme travail de documentation a certainement précédé l’écriture romanesque et l’invention des personnages. Il n’est donc pas surprenant que cet ouvrage soit le résultat d’un travail en commun de deux journalistes – écrivains du Sud de la France: Paul – Claude Innocenzi et Jean Bazal, certainement très renseignés sur l’histoire du banditisme de leur région d’investigation professionnelle : le Sud-est de la France.



    Paul-Claude Innocenzi a été en charge des chroniques judiciaires au journal Le Provençal ( devenu La Provence ) et à ce titre a suivi de grandes affaires criminelles, notamment dans les années 1970 celles de Christian Ranucci, dernier condamné à mort exécuté en France et celle appelée l’Enigme de Pelissanne sur laquelle il a écrit un ouvrage. Il a une bibliographie bien remplie à compter de 1974 dont L’Enigme de Pelissanne, Piège pour un flic, La Brigade antigang, un tiercé pour la Mafia, le Juge assassiné, Guiseppe Salvatore Zampano, Au bord de la mer…

    Jean Bazal était aussi Journaliste et spécialiste du banditisme. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet dont Le clan des Marseillais : Des Nervis aux parrains 1900-1988, Dieu ou Satan?, Marseille galante, Par le sang dans l'honneur, Le milieu and Co, Le milieu et moi par Marie Paoleschi et Jean Bazal, Panique en Camargue, Le Vallon des Auffes: Mon village à 71 marches de Marseille ( dont il est citoyen d’honneur ), La corrida de Barcelone par Bazal Jean et May Roger, Sauve ta peau, Entre l’arme et les Corses.
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    La violence ? Moralistes, qu’en pensez-vous ?

    La violence est la " trame des drames " ( Oui ! J’aime bien la redondance avec l’âme ) que l’on trouve dans le polar et le roman noir. Lorsque l’on pousse la réflexion sur la violence d’un point de vue moral, les approches des auteurs sont le plus souvent absentes. En ces temps de paranoïa collective et de terrorisme international où, dans nos sociétés dites civilisées, des politiques exploitent le sentiment d’insécurité pour justifier des lois plus répressives et des guerres, peut-on s’autoriser toutes les violences au nom de la morale ? Avec la violence, se pose donc la question de la morale , c’est-à-dire de son pouvoir par rapport à la réalité et à la condition humaine.

    La violence désigne un certain état des relations humaines, tel que la morale ne voudrait pas qu’il soit. Sous ses diverses formes, dans ses manifestations individuelles et dans ses manifestations collectives, la violence semble la réalité de la condition humaine et des rapports humains ; elle est dans l’oppression, la méchanceté, la brutalité, l’agression ; elle existe dans les rivalités, les oppositions dont la guerre, sous ses diverses formes, est l’exemple le plus frappant. En opposition à ce monde réel ( mis en fiction par le roman noir), il y a le monde moral défini par le respect mutuel des individus, le respect de la dignité humaine, la coopération, le travail collectif, la promotion vers une humanité meilleure. Le moraliste est par définition partisan de la réalisation de ce monde moral qu’il voudrait substituer au monde réel de la violence. A partir de cette opposition, quelle doit être son attitude. Doit-il condamner la violence en plaidant pour le monde moral ? Doit-il désespérer de supprimer la violence ? Ne doit-il plus rechercher au niveau de l’idéal mais plutôt descendre dans le réel pour supprimer les conditions qui font que les rapports entre les hommes passent par la violence ?

    Les morales antiques sont des morales individuelles dans lesquelles le sage exclut la violence de son salut personnel, en se proposant la tranquillité, la " vie cachée ". Le sceptique refuse de s’engager, prêche la tolérance, réprouve la violence sans vraiment se préoccuper de la supprimer. Cette position fait de la morale un système de valeurs inapplicables. Elle construit des idéaux, produits d’une réflexion de qualité inspirée par un " sens élevé de la dignité de la personne humaine " et aspire à une humanité idéale mais coupée des passions, des intérêts qui sont des facteurs de la violence. Peguy disait des moralistes idéalistes: " Les Kantiens ont les mains propres mais ils n’ont pas de main ". Donc, le danger qui guette toute théorie morale consiste justement à développer une théorie pure de la conduite humaine sans considération de la réalité, sans poser le problème de l’existence du " mal " dans les rapports entre les hommes. Dans ces conditions , la morale apparaît inefficace, un peu comme un certain pacifisme qui n’a aucune chance de faire cesser les guerres.

    Alors, peut-on intégrer la violence dans un système moral, du moment qu’une morale séparée de la violence apparaît insuffisante ? A l’intérieur d’un groupe social, considéré comme un système fermé sur lui-même ( Morale close de Bergson ), le moraliste dans la personne du Juge répond aux crimes et aux violences par des sanctions qui peuvent être elles-mêmes violentes. C’est ce que l’on peut appeler " l’institutionnalisation " d’une lutte violente contre la violence ; ici, la violence est un mal dont la société doit se débarrasser même si elle est obligée de se servir de moyens violents pour y arriver. Il y a donc une attitude morale et légale qui ne s’interdit pas la violence, dès que l’ordre public et l’harmonie de la cité sont troublés par des forfaits criminels violents.

    Mais si l’on passe de l’acte criminel individuel d’une rébellion violente contre l’ordre légal à la violence insurrectionnelle d’une partie de la société contre la moralité des hommes " constitués en dignité et en puissance ", on aboutit à une autre forme de morale dans laquelle la  " terreur " est le commencement nécessaire vers la promotion d’un nouvel ordre des choses, vers une nouvelle organisation de la société où l’égalitarisme remplacera les " abus de l’Ancien régime ". Ici c’est la violence et son organisation méthodique qui deviennent le commencement de la morale : on vise, après la terreur, un " nouvel ordre des choses ", où les maux et les violences anciennes seront supprimés. C’est la morale qui prend sa forme la plus nette avec la Révolution française et qui devait devenir le modèle de toutes les morales révolutionnaires à venir.

    Certains théoriciens, et en particulier Clausewitz, disent que la guerre, malgré son caractère de violence est la " continuation de la politique par d’autres moyens ". La violence, même dans ses formes les plus extrêmes (comme la guerre et l’usage de la torture), devient le moyen d’application d’une politique, c’est-à-dire d’une morale. Si on entend par morale, préservation des intérêts d’un pays et aussi réactions aux violences de l’adversaire ( casus belli), on peut parler de justification de la violence. En effet, si les intérêts d’un pays engendrent des droits et des devoirs qui font apparaître ce qu’on appelle une idéologie dans le langage moderne et si cette idéologie doit être appliquée et réalisée, il est évident que le recours à la violence se trouve être , dans ce cas, un moyen cruel mais nécessaire. Il y a l’application d’une idéologie par la diplomatie ou par la propagande, et il y a l’application d’une idéologie par la violence. On va mettre au point une réglementation internationale de la Guerre. Cela confirme que la violence guerrière , à l’intérieur des lois de la guerre, est justifiée par la morale, par l’idéologie, par l’existence de valeurs nationales qu’il est nécessaire de sauvegarder ; ici, le " moraliste " , qui s’élevait contre l’emploi de la violence au nom d’une idéologie pacifiste internationaliste ou humaniste, n’a aucune chance d’être entendu et risque même d’être accusé et réprouvé au nom des idéologies patriotiques nationales.

    On voit donc qu’il y a, pour le moraliste, deux tentations ; la première est la construction de la norme sans communication avec la réalité ; la seconde est de pénétrer dans la réalité et dans la politique en approuvant la violence comme un mal nécessaire pour la réalisation d’un bien ou comme la seule arme efficace pour rétablir l’équilibre détruit par le mal et par la violence ; cette seconde tentation est aussi dangereuse que la première, car elle risque de mener rapidement à une apologie de la violence. Cette apologie apparaît morale au niveau de la politique et d’une légalité étatique, puisque, dans un monde où règne la violence, se couper d’elle, c’est l’accroître tandis que essayer de la légaliser pourrait éventuellement mener à la promotion de la paix, si il n’est pas utopique de dire que l’on fait la guerre pour faire la paix . La violence légalisée n’a généralement pas pour effet une diminution mais plutôt une augmentation de la violence et un accroissement des rivalités et des tensions. Le moraliste qui s’efforce de justifier la violence est bien un réaliste mais ce réalisme est sur la pente de l’immoralité. Même dans la réglementation de la violence, il y a une tentation d’accroissement de la violence. Selon la formule de Pascal : "  Ne pouvant fortifier la justice, on justifie la force " ( Les Pensées) et Corneille ajoute : "  A force d’être juste, on est souvent coupable " ( Pompée ).

    On est donc amené à constater la dualité de la morale et la difficulté ( l’aporie) sur laquelle cette dualité débouche : ou bien une morale de promotion individuelle vers un idéal, une sagesse " au dessus de la mêlée " ; ou bien une morale qui se veut réaliste, qui l’est mais qui se perd rapidement en tant que morale. Comment résoudre cette difficulté ?

    Au niveau politique, la tache du moraliste ne doit donc être ni de formuler un bien sans s’interroger sur les conditions de réalisation générale, ni de rester réaliste si cela veut dire considérer la violence comme une donnée inévitable. Sa démarche devrait être de se préoccuper d’abord du mal et de la violence, de se demander comment et pourquoi ils apparaissent et sont l’un des traits essentiels de la réalité humaine. Au lieu de faire une théorie de la vertu, le moraliste doit commencer par faire une explication du vice, arriver en quelque sorte à une science du mal. Cette science est possible, elle va se subdiviser en science de la violence individuelle ( criminologie) , en science de la violence sociale ( prise de conscience des conflits d’intérêts dans la société), et enfin en science de la violence internationale (explication économique des conflits d’intérêts provoquant l’affrontement des belligérants). Il devrait en ressortir que la violence n’est peut-être pas une donnée essentielle de la condition humaine, donc immuable, mais la suite et la conséquence de données essentielles qu’on pourra par conséquent essayer de limiter et, dans la mesure du possible, éviter.

    La violence n’est donc pas le domaine d’où la morale doit s’écarter mais celui où elle doit pénétrer ; si elle le fait, elle peut s’apercevoir que la violence a des causes, ce qui veut dire qu’elle n’est pas forcément une donnée essentielle, première, de la condition humaine. Contrairement à la violence dans le monde animal (La violence y fait partie du jeu biologique des rapports entre les espèces ), quand le problème est chez l’Homme, au moins le moraliste peut montrer que la violence est insensée, peut désigner les causes qui sont à l’origine de son apparition et peut donc la supprimer. L’instinct de violence lié à une agressivité hormonale n’est pas le plus important, car la violence la plus significative , c’est la violence historique où les Hommes deviennent victimes d’une non - maîtrise des conditions de leur existence. Or comme l’histoire montre que l’Homme peut acquérir cette maîtrise, il n’est pas totalement utopique d’affirmer qu’il pourrait arriver, par la connaissance des causes, à une suppression relative de la violence…. Qu’en pensez-vous ?

    Notre propos n’est pas de vous donner un plan de dissertation philosophique sur la violence et de nous poser en donneur de leçon, mais, simplement et modestement, de susciter votre propre réflexion en vous donnant l’occasion de repenser un sujet malheureusement toujours et plus que jamais d’actualité. Le Victor Hugo des Misérables écrivait : "  L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. L’homme qui médite vit dans l’obscurité…. " Est-ce que nous n’avons que le choix du noir ?

    " Le roman noir, c’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression ! " Ses auteurs sont les témoins du chaos et de cette réalité : la violence. Ils la montrent sous ses formes les plus insidieuses, les plus perverses, les plus cyniques… Ils peignent les mœurs, c’est-à-dire les caractères, les passions, l’homme, les coutumes, les usages d’un groupe… Ils ne vous proposent aucune morale théorique. Comme André Gide, ils pensent que , avec de bons sentiments, on fait de la mauvaise littérature. Dans le Noir, à chacun de trouver des raisons d’espérer ou de désespérer.

     

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  • What a Wonderful Wager, Mister Bensaïdi!

    Le titre ne peut laisser indifférent les Internautes amateurs de jazz, puisqu’il s’agit d’un des morceaux les plus connus d’un des papes de cette musique aux racines noires, le regretté Louis Armstrong ( première version en 1968 et il la reprendra avec The Oliver Nelson’sOrchestra en 1970 avec une nouvelle introduction). Pour ceux qui préfèrent le Hard Rock , TNT en a fait la version " All The Way To The Sun " en 2005. Même Celine Dion a donné sa version dans son Album " A New Day… Live in Las Vegas , en 2004 ). Du côté des musiques de film, on la retrouve dans " Bowling for Columbine " de Michael Moore ou dans " A la rencontre de Forester " en 2001 avec l’acteur Sean Connery dans le rôle principal…

    Sean Connery , le premier et le meilleur James Bond... Cela nous raméne au film de Faouzi Bensaïdi , qui joue lui-même le rôle du tueur professionnel, Buster Keaton aux allures de ce James Bond des années 1960. Notre acteur réalisateur ne manque pas de culture cinématographique. Avant ce film , il avait réalisé " Mille mois " dont il avait dit lui-même qu’il s’agissait " d’un film arabe social et humaniste ". Pour WWW, What a Wonderful World, il nous dit " Mon film revendique sa différence en assumant une individualité libre et indépendante face à une identité collective oppressante. Je pense que le salut du monde arabo-musulman passe par l’émergence de l’individu ". C’est un point de vue fort dit tout en finesse, comme son film. Tout en s’inscrivant dans le genre noir, il ne recule pas devant le lyrisme qui côtoie le burlesque du cinéma muet… C’est tout un monde cinématographique qui défile avec des références que nous vous laissons découvrir car c’est la découverte des clins d’œil et des inspirations qui en font le plaisir. Donc point d’érudition castratrice du plaisir des autres. Et même si vous n’avez pas une culture cinématographique de militant cinéphile, ce film est un florilège de genres qui devrait vous séduire. Novateur, il reste marocain en rupture avec le cinéma marocain mais pas avec l’identité marocaine. C’est un film contemporain où la mort et l’amour apparaissent comme des jeux virtuels. Et le virtuel permet tout jusqu’à la déjante, même sur des sujets graves comme l'émigration ou un certain 11 septembre.

    L’histoire pourrait apparaître banal : Un tueur à gage, Kamel joué par Bensaïdi, passe par l’Internet pour ses contrats. Après chaque meurtre sur e-commande, il a recours aux services d’une intermittente de la prostitution, Souad, mais c’est une autre qui décroche, Kenza (joué par Nehza Rahil) dont la seule voix provoque chez lui les feux de l’amour. Kenza avait déjà croisé le chemin de Kamel qui se met donc à la recherche de celle qui s’avère être un agent de la circulation. L’affaire se complique encore lorsque un hacker , Hicham, candidat à l’exil pour l’El Dorado européen, tombe par hasard sur les contrats très spéciaux de Kamel… Ces deux fils forment la trame du film qui n’est pas banal. Les dialogues surprenants, le choix des musiques et les chorégraphies font apparaître tout le talent de Faouzi Bensaïdi qui met en scène le Maroc du 21ème siècle entre archaïsme et modernité, tout en démontrant que les technologies sont à la portée de tous et que chacun peut se les approprier. Avec ce film, il s’est approprié beaucoup du cinéma des autres ( Almodovar, Jamush, Tati, Murnau, Fellini, Arthr Penn, Orson Welles… le music’hall, la comédie musicale, le dessin animé, le polar, le cinéma indien , le cinéma muet, le burlesque…) et il nous offre son cinéma sans mimétisme, avec la générosité d’un passionné qui aime la déjante. What a Wonderful Wager !

    Si le titre correspond à un morceau de jazz, le fond noir prend, sous des lumières froides, les tonalités d’un rap , le lyrisme ajoute la poésie d’un Slam qui, par la magie de l’Internet, pourrait être un I – Slam.
     


    Faouzi Bensaïdi a été primé deux fois à Cannes pour son premier long-métrage " Mille mois ", en 2003. Se déroulant en 1981, Mille mois est centré sur le personnage de Mehdi, un jeune garçon vivant dans un village des montagnes de l'Atlas et veillant à la chaise de l'instituteur. Sa mère et son grand-père lui font croire que son père est parti travailler en France alors qu'il est en prison. A tout moment, l'équilibre de l'enfant menace de s'écrouler...

    Le réalisateur ,né à Meknès en 1967, avait été doublement récompensé, avec le prix "Premier regard", suivi de celui du Ministère français de la Jeunesse. En 1998, à la Biennale de Cinéma à l’Institut du Monde Arabe de Paris, il avait présenté son premier court - métrage " La falaise ", qui recevra vingt-trois prix. Parmi ses autres courts-métrages, " Le mur", sera très remarqué. La caméra, délibérément plantée face à un mur dans une rue d’une grande ville marocaine, filme en plan fixe tous les événements cocasses, émouvants ou graves qui, en vingt-quatre heures, peuvent se produire en un lieu apparemment si banal... Le mur est sélectionné en 2000 pour la "Quinzaine des Réalisateurs" à Cannes et décroche un autre prix . " Mes courts - métrages ont constitué des pistes pour l’avenir ", avait confié le cinéaste. André Téchiné l’avait remarqué, et choisi en 2001 à la fois comme son co-scénariste et acteur pour son film " Loin ", dont l’action, qui se situe à cheval sur la France et le Maroc, " reflète l’exigence d’honnêteté de Téchiné et prend en compte le point de vue marocain ", avait affirmé Faouzi. Diplômé en 1990 de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle (ISADAC) de Rabat, il est entré en 1994 au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris, qui lui a offert une passerelle avec la FEMIS, la fameuse école française de cinéma. Deux ans plus tard, c’est en qualité de comédien qu’il est retenu pour Mektoub, de Nabil Ayouch, l’un des cinéastes marocains les plus en vue. Il y incarne un inspecteur de police. En 2002, Faouzi a tenu l’un des premiers rôles dans Le cheval de vent, de Daoud Aoulad-Syad, celui d’un voyageur auquel il prête un attachant burlesque poétique. Il qualifie sa démarche artistique d’elliptique. Il aime déjouer les attentes du public, sans le larguer. Il propose une manière personnelle de regarder le monde et les êtres.
     
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