• Lecture de La nausée à l'Universisté d'été d'Ajaccio:

    Le 7 juillet dernier, Raphaël ENTHOVEN ouvrait la séance de philo avec le constat des séances précédentes: la philosophie ne peut évacuer la question du sens. Alors, si le monde n'est pas absurde, il énonçait la question du jour: savoir si on peut donner un sens à ce monde à travers le roman de Sartre.En écrivant La nausée, Sartre voulait donner à penser à travers un récit. Il disait lui-même que la philosophie à la quelle il croyait, les vérités qu'il atteindrait s'exprimaient dans ce roman, son ambition étant d'être à la fois Spinoza et Stendhal. En 1938, dans ce roman, il exprime en 250 pages ce qu'il développera en plus de 800 pages dans son ouvrage L'être et le néant édité en 1943.La nausée est le journal de bord d'une homme, Antoine Roquentin, qui se découvre lui-même alors qu'il écrit l'histoire d'un illustre inconnu , le Marquis de Rollebon. Roquentin va être saisi à la gorge par le non-sens, découvrir l'inéxistence de Dieu, l'effrayante et obscène nudité de l'univers... La nausée lui tombe dessus et lui ouvre les yeux sur son existence."La chose, qui attendait, s'est alertée, elle a fondu sur moi, elle se coule en moi, j'en suis plein.- Ce n'est rien: la chose, c'est moi. L'existence, libérée, dégagée, reflue sur moi. J'existe..."La nausée, qui commence par des mots qui manquent, va lui apparaître comme une porte ouverte. Nous sommes condamnés à être libres par le Tribunal de la vie. A partir de là, Roquentin fait sa révolution copernicienne. Sartre déroule un récit à portée philosophique et qui supporte d'autres lectures: psychanalytique, biographique, culturelle, émotionnelle... Roquentin ( ou Sartre, le jeu est subtil) nous relate ses ballades dans le réel d'un monde où les choses, en perdant leurs fonctions, deviennent inommables et les hommes jouent les imbéciles ou les salauds...Parmi ses imbéciles et ses salauds, un personnage reste inaperçu même lors de cette lecture de La nausée, faite pourtant en Corse:  "le Corse".

    Le personnage "le Corse" dans La nausée:

    Dans ce roman, Jean-Paul Sartre utilise des sobriquets. L'action se situe à Bouville, en vérité Le Havre. L'Autodidacte est le sobriquet d'un personnage humaniste qui se révèle aussi pédéraste. C'est le Corse qui va le prendre la main dans le panier d'un jeune lycéen et qui va lui donner deux coups de poing au visage, en l'humiliant puis le chassant de la bibliothèque. Le Corse va être lui-même humilié par Roquentin. Le Corse est gardien de la bibliothèque de Bouville et son épouse en est la concierge. Dans l'Edition "Folio", à la page 113, on trouve une description du Corse: " Le gardien venait vers nous: c'est un petit Corse rageur, avec des moustaches de tambour-major. Il se promène des heures entières entres les tables en claquant des talons. L'hiver, il crache dans des mouchoirs qu'il fait ensuite sécher contre le poêle..." Ensuite de la page 233 à 236, Roquentin relate l'incident dans la bibliothèque. On apprend que le Corse se nomme Paoli lorsque le jeune sous-bibliothècaire (qu'il terrorise aussi) l'apelle par son nom. Après qu'il ait frappé l'Autodidacte avec un "gémissement voluptueux", Roquentin le prend par le cou  et le soulève de terre "tout gigotant"... " il était devenu bleu et se débattait, cherchait à me griffer; mais ses bras courts n'atteignaient pas mon visage. Je ne disais mot, mais je voulais lui taper sur le nez et le défigurer. Il le compri, il leva le coude pour protéger sa face: j'étais content poarce que je voyais qu'il avait peur..."et il ajoute plus loin: " Autrefois, je ne l'aurais pas laissé sans lui avoir brisé les dents..."Pourquoi avoir choisi le sobriquet le Corse, pour un personnage petit et rageur qui prend plaisir à jouer les gros bras et se fait humilier par plus fort que lui? On peut se poser la question lorsque l'on constate qu'il s'agit, dans La nausée, du seul sobriquet évoquant des origines. Peut-être Raphaël ENTHOVEN a-t-il passé sous silence ce personnage dans une universisté d'été en Corse, pour éviter de sortir de l'essentiel de l'oeuvre et ouvrir un débat sur ce choix inspiré par le racisme anticorse alimenté par des caricatures tenaces.A chacun de se faire une idée, en relisant une oeuvre majeure de Sartre.

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  • A las cinco de la tarde, roman de g-m Bon , troisième volet d’une trilogie :

     

    "  A cinq heures de l’après-midi, il était juste cinq heures de l’après-midi, le glas commença à sonner et tout le reste n’était que mort… " Le poème de Fédérico Garcia Lorca raconte une corrida et la mise à mort d’un torrero.

    A las cinco de la tarde ! " ; c’est aussi le titre du troisième volet écrit par g-m Bon, créateur de " Cavalier " né avec " Bar de la Poste, Marseille " et " Contes cruels, Toulouse " ( aux Editions L'Ecailler du Sud).

    Ce personnage aux allures de novillero évolue dans les arènes sanglantes des guerres du Milieu marseillais. Après le décès de sa mère Millanoise, son père était resté près de Millau, dans l’Aveyron. Cavalier a vécu dans une ferme isolée sur les Causses du Larzac, au milieu des chevaux. Devenu citadin et flic, il traîne sa nostalgie des espaces ventés ( "  Sa mer à lui, c’était le vent soufflant sur les roches grises du Larzac ") et de ses plus lointaines origines espagnoles . Le poète Garcia Lorca l’accompagne dans sa vie mais aussi des peintres : Greco, Goya ou Zurbaran. Il craque pour " des yeux de plaines brûlées, des yeux de gitanes andalouse ".A 45 ans, il sillonne Marseille au volant de sa MG d’occasion d’un rouge lie-de-vin, modèle de1974. Il a le visage émacié, aux traits fins, les cheveux broussailleux et la silhouette d’un novillero que l’on prenait parfois pour un gitan. Il a voyagé en Afrique et en Amérique du Sud. Du Portugal, il a ramené un maillot de l’équipe de foot de Benfica. Sombre et taciturne, il ne se lie qu’à de joyeux drilles qui l’extirpent de sa coquille, et , lorsqu’il boit de l’eau , c’est toujours avec du Ricard. Marseille lui apparaît comme une Babylone trépignante, chaotique, fiévreuse. Après un premier poste à Lille, il était passé par Paris et " il portait la marque de fabrique du 36 quai des Orfèvres, la police judiciaire parisienne, où il venait de passer plus de dix ans. Et aux yeux des Marseillais, il resterait un Parisien ". Il a du mal à s’adapter à la cité phocéenne, "  sa moiteur, la pulsion même de la ville, trop de gens y courent après un rêve de grandeur perdue " et parmi eux deux vieux truands : Graziani, le Corse et Moretti , le Napolitain.

    Il n’est pas encore cinq heures de l’après-midi lorsque le cadavre de Graziani est découvert lardé de coups de couteau. Les blessures du truand corse ressemblent à une étoile à 6 branches : les six coups du diable ! Le dernier a l’avoir vu vivant ou mort est le parrain napolitain Moretti qui vit avec sa vieille mère. Autour de ce dernier, les victimes de règlements de comptes se multiplient. Est-ce le début d’une nouvelle guerre des gangs ? Un gnome semble diriger les meurtres sur le terrain. Qui est ce gnome accompagné de tueurs bulgares ? Cavalier est chargé de faire la lumière. Il peut compter sur son collègue corse Dionisi, le bien nommé qui aime et est aimé des femmes. Et puis, il y a Marciano, un vieux poulet pied-noir avec ses archives personnelles. Cavalier s’insurge contre la loi de l’argent et pense qu’il pourrait finir anar, comme son père, dans un pays où se pose la question de savoir si servir l’Etat avait encore un sens. Il n’a aucune indulgence pour les hommes politiques, désabusé par un Président qui " piétine les lois, jusqu’à plus soif " , et un Ministre de l’Intérieur, décrit comme étant " un petit coq ambitieux et arriviste. Beaucoup d’esbroufe et peu de réussite. Pas une journée sans une sortie devant les caméras ". Dans la fiction, il se nomme " Romani " même si les journaux annonce qu’il s’est fait prendre en photo à Séville en compagnie de son épouse, que l’on disait partie vivre au Maroc : un couple sur la voie de la réconciliation après des déboires sentimentaux. Pour clore la description , c’est un homme pressé de devenir Président.  Cavalier s’épanche sur son métier, sans savoir ce qu’il aimait dans la police. Finalement, il ne se voyait rien faire d’autre et s’accommodait de tout, même de la mort.

    Cavalier croise dans la fiction quelques personnages pour lesquels les ressemblances ne sont pas forcément fortuites. Pour ceux qui vivent à Marseille depuis de nombreuses années, " Le chinois " qui animait des parties de Volley sur la plage des Catalans est un commissaire célèbre d’origine vietnamienne, chef du GIPN à Marseille. Antoine et Mémé GUERINI étaient de vrais truands qui ont alimenté les chroniques judiciaires . Des noms comme Croce, Mosca et Luchesi restent aussi associés au grand banditisme marseillais. En mélangeant fiction et réalité, l’auteur donne de la crédibilité à son récit, et il est bien informé puisqu’il est journaliste parisien ayant traité des faits divers. Le réalisme est encore renforcé  par un connaissance apparente des milieux judiciaire et policier de Marseille, où " on a vu des gens se suicider de deux balles dans la tête et d’autres survivre avec onze projectiles dans la peau. ".

    Cavalier est un flic à la psychologie nuancée qui, " la vie étant ce qu’elle est, était rentré dans les rangs. Marre de se battre contre les moulins à vent. Marre de s’opposer à une hiérarchie qui, du commissaire de base jusqu’au préfet, fait siennes les pires inepties de la classe politique… La désinvolture de son chef commençait à lui taper sur le système. S’imaginait-il vraiment qu’on pourrait trancher la question en vingt secondes, entre deux portes ? " Lorsqu’il est sous le coup du découragement, il décide d’aller passer le week-end dans la bergerie du Larzac, héritage paternel… à la différence avec Fabio Montale, fils d’Italiens et flic débonnaire qui se réfugie dans son cabanon aux Goudes mais qui fréquente, comme lui,  le Bar des treize coins, près de l’hôtel de police de Marseille.

    Italiens, Espagnols, Corses mais aussi Sénégalais, Réunionnais, Comoriens, Maghrébins… se sont succédés ou côtoyés dans le quartier du Panier. Jean-Claude Izzo disait justement : "  Depuis sa fondation, Marseille n’est qu’une ville de l’exil. Nous devons sans cesse apprendre à vivre ensemble. " Finalement Cavalier reconnaît lui-même que " Au fil des mois, il commençait pourtant à s’adapter à Marseille. De toute façon, c’était Marseille ou rien. Ce qui le fascinait dans cette ville folâtre et rebelle ? Le métissage des cultures peut-être. Ou son erratique violence. Aucune autre ville de province n’aurait pu lui apporter ainsi son compte d’émotions "… tout en rêvant de vendre la bergerie, vider son compte d’épargne et filer en Andalousie, près de Jerez de la Frontera, la Mecque des dresseurs de chevaux , ou de Ronda.

     

    On peut être Marseillais et Corse, Marseillais et Espagnol, Marseillais et Italien, Marseillais et Arménien, Marseillais et  … On est plus rarement simplement un Marseillais. Marseille est plus qu’une ville, elle est un port méditerranéen où tous se réclament de cette mer que Fabio Montale contemplait comme un paysage lunaire qui n’embrasse rien que du bleu. Le bonheur côtoie la nostalgie et, en regardant les bateaux quitter les quais, on peut rêver de retour au pays. Personne n’est obligé d’y renier ses origines. Lorsque l’on parle de Marseille, on est amené à évoquer toute la Méditerranée dont la Corse où Cavalier a séjourné : " Il se leva et alla se poster à la fenêtre d’où il observa, entre deux immeubles, une partie du pont supérieur d’un ferry. En raison d’une grève des marins, plus aucune liaison avec la Corse n’était assurée depuis trois jours. Et il se souvint alors de son unique enquête en Corse. Une sorte de voyage au pays de l’impunité. Là-bas, tous les témoins sont sourds, aveugles ou alités. Encore pire qu’à Marseille. Naturellement, il n’avait pas trouvé l’homme qu’il cherchait. Une quête insensée, de hameau en bergerie, jusqu’au col de Vizzavona où il avait retrouvé un peu les mêmes sensations qu’au Larzac. Là-haut, en parlant avec les bergers, il avait pris conscience que les Corses n’avaient aucune raison de se sentir français. Au nom de quoi ? Génois et Français les avaient à chaque fois soumis par la force. Et ce fut Bonaparte, le traître, qui écrasa durablement la résistance… "  Une vision sans aucaun doute très caricaturale de la Corse en dehors du fait que cette île est devenue génoise et française par la force.

     

    Le poète andalou  fusillé à Grenade :

     

    Frédérico Gracia Lorca est un poète, dramaturge, peintre, pianiste et compositeur espagnol né le 5 juin 1898 dans la province de Grenade où il sera fusillé le 19 août 1936 par les rebelles antirépublicains qui ont jeté son corps dans une fosse à Viznar. Sous la dictature franquiste , ses œuvres furent interdites puis censurés jusqu’à la mort de Franco, en 1975.

    Jean Cassou, écrivain et critique d’art français, lui a rendu un bel hommage en écrivant: "  Toucher à Garcia Lorca, rompre cet hymne vivant, cette jeunesse et cet enivrement de rossignol, ce fut une offense atroce à tout ce qui, dans ce coin de terre, est nature ; floraison et beauté. Ce fut injurier la vigne et l’olivier, l’œillet et le jasmin, frapper à mort la nuit, la lune, la mer, jeter le plus insolent défi à ces passions que le peuple porte en lui et qui lui paraissent à ce point sacrées qu’il ne peut les égaler qu’aux éléments éternels… " Pour Jean Cassou, l’inspiration essentielle de ce poète " réside dans un sens exceptionnel de l’âme populaire et son plus haut talent en un art non moins extraordinaire pour transformer cette inspiration en une poésie pure..."

    "Frédérico Garcia lorca fut l’ami des surréalistes Luis Bunuel et de Salvador Dali, qui, en 1929, collaborèrent pour le film " Un chien andalou ", que Lorca prit comme une allusion à son homosexualité au moment de sa rupture avec le peintre Eimilio Aladren. Le poète fit alors un long séjour au Etats Unis qui lui inspirèrent sa collection de poèmes " le Poète à New York ". Il rentre en Espagne en 1930 , au moment de la chute de la dictature de Primo de Ribera et du rétablissement de la République. Il vit à Madrid où il devient le directeur de la société de théâtre étudiante , La Barraca ". Quand la guerre civile éclate, il rejoint Grenade , conscient du danger qui le menaçait dans le ville la plus conservatrice de l’Andalousie.

     

    En 2002, Michel Rostain avait mis en scène le poème de Frédérico Garcia Lorca, Il s’agit d’un chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, torero célébre mort le 13 août 1934 deux jours après avoir été blessé aux arènes de Manzanares. " Llanto por Igancio Sanchez Mejias " a été présenté au Théatre National de Toulouse sur une musique de Vicente Pradal. A las cinco de la tarde… à cinq heures de l’après-midi ! L’heure de la mort pour Frédérico Garcia Lorca. "  A cinq heures de l’après-midi, terribles cinq heures de l’après-midi ! Il était cinq heures à toutes les horloges. Il était cinq heures à l’ombre du soir ".

    l’Afghanistan, à cinq heures de l’après-midi :

    Samira Makhmalbaf, jeune cinéaste iranienne, s’est approprié ce poème, chant funèbre, en projetant les images de l’Afghanistan au lendemain de la chute des Talibans. Une femme rêve de liberté sous sa burka bleue, liberté d’apprendre, d’être belle et d’être ambitieuse en écho aux versets, sourates et autres psalmodies du Coran. Espoir d’émancipation d’une jeune femme en opposition à un patriarcat nostalgique des archaïsmes intégristes dans un pays dévasté, miné, envahi par des réfugiés pakistanais, affamé… un pays où les femmes sont réduites à se taire, attendre et survivre, où l’espoir de changement ne semble pas permis. La famille de la jeune fille quitte finalement Kaboul sans destination.

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