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Causerie - Parenthèse sur la violence
La violence ? Moralistes, quen pensez-vous ?
La violence est la " trame des drames " ( Oui ! Jaime bien la redondance avec lâme ) que lon trouve dans le polar et le roman noir. Lorsque lon pousse la réflexion sur la violence dun point de vue moral, les approches des auteurs sont le plus souvent absentes. En ces temps de paranoïa collective et de terrorisme international où, dans nos sociétés dites civilisées, des politiques exploitent le sentiment dinsécurité pour justifier des lois plus répressives et des guerres, peut-on sautoriser toutes les violences au nom de la morale ? Avec la violence, se pose donc la question de la morale , cest-à-dire de son pouvoir par rapport à la réalité et à la condition humaine.
La violence désigne un certain état des relations humaines, tel que la morale ne voudrait pas quil soit. Sous ses diverses formes, dans ses manifestations individuelles et dans ses manifestations collectives, la violence semble la réalité de la condition humaine et des rapports humains ; elle est dans loppression, la méchanceté, la brutalité, lagression ; elle existe dans les rivalités, les oppositions dont la guerre, sous ses diverses formes, est lexemple le plus frappant. En opposition à ce monde réel ( mis en fiction par le roman noir), il y a le monde moral défini par le respect mutuel des individus, le respect de la dignité humaine, la coopération, le travail collectif, la promotion vers une humanité meilleure. Le moraliste est par définition partisan de la réalisation de ce monde moral quil voudrait substituer au monde réel de la violence. A partir de cette opposition, quelle doit être son attitude. Doit-il condamner la violence en plaidant pour le monde moral ? Doit-il désespérer de supprimer la violence ? Ne doit-il plus rechercher au niveau de lidéal mais plutôt descendre dans le réel pour supprimer les conditions qui font que les rapports entre les hommes passent par la violence ?
Les morales antiques sont des morales individuelles dans lesquelles le sage exclut la violence de son salut personnel, en se proposant la tranquillité, la " vie cachée ". Le sceptique refuse de sengager, prêche la tolérance, réprouve la violence sans vraiment se préoccuper de la supprimer. Cette position fait de la morale un système de valeurs inapplicables. Elle construit des idéaux, produits dune réflexion de qualité inspirée par un " sens élevé de la dignité de la personne humaine " et aspire à une humanité idéale mais coupée des passions, des intérêts qui sont des facteurs de la violence. Peguy disait des moralistes idéalistes: " Les Kantiens ont les mains propres mais ils nont pas de main ". Donc, le danger qui guette toute théorie morale consiste justement à développer une théorie pure de la conduite humaine sans considération de la réalité, sans poser le problème de lexistence du " mal " dans les rapports entre les hommes. Dans ces conditions , la morale apparaît inefficace, un peu comme un certain pacifisme qui na aucune chance de faire cesser les guerres.
Alors, peut-on intégrer la violence dans un système moral, du moment quune morale séparée de la violence apparaît insuffisante ? A lintérieur dun groupe social, considéré comme un système fermé sur lui-même ( Morale close de Bergson ), le moraliste dans la personne du Juge répond aux crimes et aux violences par des sanctions qui peuvent être elles-mêmes violentes. Cest ce que lon peut appeler " linstitutionnalisation " dune lutte violente contre la violence ; ici, la violence est un mal dont la société doit se débarrasser même si elle est obligée de se servir de moyens violents pour y arriver. Il y a donc une attitude morale et légale qui ne sinterdit pas la violence, dès que lordre public et lharmonie de la cité sont troublés par des forfaits criminels violents.
Mais si lon passe de lacte criminel individuel dune rébellion violente contre lordre légal à la violence insurrectionnelle dune partie de la société contre la moralité des hommes " constitués en dignité et en puissance ", on aboutit à une autre forme de morale dans laquelle la " terreur " est le commencement nécessaire vers la promotion dun nouvel ordre des choses, vers une nouvelle organisation de la société où légalitarisme remplacera les " abus de lAncien régime ". Ici cest la violence et son organisation méthodique qui deviennent le commencement de la morale : on vise, après la terreur, un " nouvel ordre des choses ", où les maux et les violences anciennes seront supprimés. Cest la morale qui prend sa forme la plus nette avec la Révolution française et qui devait devenir le modèle de toutes les morales révolutionnaires à venir.
Certains théoriciens, et en particulier Clausewitz, disent que la guerre, malgré son caractère de violence est la " continuation de la politique par dautres moyens ". La violence, même dans ses formes les plus extrêmes (comme la guerre et lusage de la torture), devient le moyen dapplication dune politique, cest-à-dire dune morale. Si on entend par morale, préservation des intérêts dun pays et aussi réactions aux violences de ladversaire ( casus belli), on peut parler de justification de la violence. En effet, si les intérêts dun pays engendrent des droits et des devoirs qui font apparaître ce quon appelle une idéologie dans le langage moderne et si cette idéologie doit être appliquée et réalisée, il est évident que le recours à la violence se trouve être , dans ce cas, un moyen cruel mais nécessaire. Il y a lapplication dune idéologie par la diplomatie ou par la propagande, et il y a lapplication dune idéologie par la violence. On va mettre au point une réglementation internationale de la Guerre. Cela confirme que la violence guerrière , à lintérieur des lois de la guerre, est justifiée par la morale, par lidéologie, par lexistence de valeurs nationales quil est nécessaire de sauvegarder ; ici, le " moraliste " , qui sélevait contre lemploi de la violence au nom dune idéologie pacifiste internationaliste ou humaniste, na aucune chance dêtre entendu et risque même dêtre accusé et réprouvé au nom des idéologies patriotiques nationales.
On voit donc quil y a, pour le moraliste, deux tentations ; la première est la construction de la norme sans communication avec la réalité ; la seconde est de pénétrer dans la réalité et dans la politique en approuvant la violence comme un mal nécessaire pour la réalisation dun bien ou comme la seule arme efficace pour rétablir léquilibre détruit par le mal et par la violence ; cette seconde tentation est aussi dangereuse que la première, car elle risque de mener rapidement à une apologie de la violence. Cette apologie apparaît morale au niveau de la politique et dune légalité étatique, puisque, dans un monde où règne la violence, se couper delle, cest laccroître tandis que essayer de la légaliser pourrait éventuellement mener à la promotion de la paix, si il nest pas utopique de dire que lon fait la guerre pour faire la paix . La violence légalisée na généralement pas pour effet une diminution mais plutôt une augmentation de la violence et un accroissement des rivalités et des tensions. Le moraliste qui sefforce de justifier la violence est bien un réaliste mais ce réalisme est sur la pente de limmoralité. Même dans la réglementation de la violence, il y a une tentation daccroissement de la violence. Selon la formule de Pascal : " Ne pouvant fortifier la justice, on justifie la force " ( Les Pensées) et Corneille ajoute : " A force dêtre juste, on est souvent coupable " ( Pompée ).
On est donc amené à constater la dualité de la morale et la difficulté ( laporie) sur laquelle cette dualité débouche : ou bien une morale de promotion individuelle vers un idéal, une sagesse " au dessus de la mêlée " ; ou bien une morale qui se veut réaliste, qui lest mais qui se perd rapidement en tant que morale. Comment résoudre cette difficulté ?
Au niveau politique, la tache du moraliste ne doit donc être ni de formuler un bien sans sinterroger sur les conditions de réalisation générale, ni de rester réaliste si cela veut dire considérer la violence comme une donnée inévitable. Sa démarche devrait être de se préoccuper dabord du mal et de la violence, de se demander comment et pourquoi ils apparaissent et sont lun des traits essentiels de la réalité humaine. Au lieu de faire une théorie de la vertu, le moraliste doit commencer par faire une explication du vice, arriver en quelque sorte à une science du mal. Cette science est possible, elle va se subdiviser en science de la violence individuelle ( criminologie) , en science de la violence sociale ( prise de conscience des conflits dintérêts dans la société), et enfin en science de la violence internationale (explication économique des conflits dintérêts provoquant laffrontement des belligérants). Il devrait en ressortir que la violence nest peut-être pas une donnée essentielle de la condition humaine, donc immuable, mais la suite et la conséquence de données essentielles quon pourra par conséquent essayer de limiter et, dans la mesure du possible, éviter.
La violence nest donc pas le domaine doù la morale doit sécarter mais celui où elle doit pénétrer ; si elle le fait, elle peut sapercevoir que la violence a des causes, ce qui veut dire quelle nest pas forcément une donnée essentielle, première, de la condition humaine. Contrairement à la violence dans le monde animal (La violence y fait partie du jeu biologique des rapports entre les espèces ), quand le problème est chez lHomme, au moins le moraliste peut montrer que la violence est insensée, peut désigner les causes qui sont à lorigine de son apparition et peut donc la supprimer. Linstinct de violence lié à une agressivité hormonale nest pas le plus important, car la violence la plus significative , cest la violence historique où les Hommes deviennent victimes dune non - maîtrise des conditions de leur existence. Or comme lhistoire montre que lHomme peut acquérir cette maîtrise, il nest pas totalement utopique daffirmer quil pourrait arriver, par la connaissance des causes, à une suppression relative de la violence . Quen pensez-vous ?
Notre propos nest pas de vous donner un plan de dissertation philosophique sur la violence et de nous poser en donneur de leçon, mais, simplement et modestement, de susciter votre propre réflexion en vous donnant loccasion de repenser un sujet malheureusement toujours et plus que jamais dactualité. Le Victor Hugo des Misérables écrivait : " Lhomme qui ne médite pas vit dans laveuglement. Lhomme qui médite vit dans lobscurité . " Est-ce que nous navons que le choix du noir ?
" Le roman noir, cest le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression ! " Ses auteurs sont les témoins du chaos et de cette réalité : la violence. Ils la montrent sous ses formes les plus insidieuses, les plus perverses, les plus cyniques Ils peignent les murs, cest-à-dire les caractères, les passions, lhomme, les coutumes, les usages dun groupe Ils ne vous proposent aucune morale théorique. Comme André Gide, ils pensent que , avec de bons sentiments, on fait de la mauvaise littérature. Dans le Noir, à chacun de trouver des raisons despérer ou de désespérer.