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    Jérôme Ferrari  est un auteur prolifique. Lorsqu’il n’écrit pas et n’enseigne pas la philo, il traduit du corse au français notamment les textes de  Marcu Biancarelli. En Corse, il est un des auteurs des Editions Albiana.

    Chez Acte Sud, on lui doit  Dans le secret (2007) Balco atlantico (2008) et " Un dieu un animal " qui vient de paraître en 2009



    Un dieu un animal...  titre énigmatique : pas de virgule entre dieu et animal, entre le créateur et la créature, mais juste un espace, un vide qui attend un homme et une femme.

    L’homme se fond dans l’armée, dans un bataillon en marche. Il traverse les guerres avec sa propre mission : "  Courir jusqu’à ce que l’air ait la consistance et la couleur du sang ".

    La femme est un maillon d’une hiérarchie dans une entreprise privée et participe à des séminaires où " l’émotion se répand comme un gaz toxique ". Dans sa solitude et les angoisses nocturnes, elle se sent enfermée dans un moule sans pouvoir y trouver des fissures qui pourraient la faire sortir de ce moi étriqué dans une vie " si minuscule ".

    L’homme et la femme se sont connus à l’adolescence dans un village et la vie les avait séparés. Ils végétaient dans l’ennui, rongés par l’oubli. Après les retrouvailles, ils vont faire des efforts de mémoire dans leurs cerveaux qui se vident des souvenirs…

    La roue tourne, en laissant des traces, mais elle n'arrête pas de tourner... Bizarrerie des traces, mémoire qui s’efface, excentricité du temps, le passé qui fait des vagues, le présent qui divague… Quelle trace laissons-nous ? Traces indéchiffrables, riens émiettés, semences du passé, traces immémoriales, mémoires fissurées, accumulations de riens nulle part ou ailleurs, ici ou là- bas... Les traces racontent les fêlures de l’ici-bas. Elles fissurent le silence.

    Quelle place donne-t-on en soi au passé ? Alors que, pour exister, on cherche dans l’autre son propre reflet, la vie n’est-elle qu’une mort lente faite d’angoisses dans un monde qui  humilie en nous faisant prendre conscience de notre impuissance à être libre ? Des questions que l’on se pose à la lecture de ce livre au fluide glacial qui, dans une écriture concise, assène d’emblée une certitude : Bien sûr, les choses tournent mal.

    " Un homme et une femme, égarés dans l’ennui du monde, se retrouvent. Perdu d’avance. Le roman se ferme sur une confirmation. Entre-temps, les trouées d’oxygène offertes par Jérôme Ferrari ont distribué leurs forces, et ce roman ressemble à l’enfant blessé que le héros rencontre … Si léger que sa chute ne fait aucun bruit " (article Les passagers de l’angoisse  (Télérama n°3078 – janvier 2009)

    Note de l’éditeur : Requiem pour une civilisation contemporaine médusée par les sombres mirages de la guerre comme par les formes de la violence inouïe qui se déchaîne au sein du monde de l'entreprise, un roman aux accents mystiques où l'impossible avènement de l'amour entre deux êtres signe la bouleversante faillite de la souveraineté de l'individu dans l'exercice de sa liberté.
     




    Balco Atlantico
    , roman de Jérôme Ferrari (2008)

    " Il est des romans qui se jouent du hasard comme des rencontres impromptues : ils parviennent toujours à se retrouver sur le sommet de la pile, au centre de la table, dans la première chemise que l’on ouvrira au petit matin … Ils scintillent déjà de leur beauté et s’imposent. Celui-ci fait partie de cette lignée-là, ceux que l’on nomme incontournable, indispensable, entrant dans la toute petite famille des livres "utiles" pour le bien être de notre esprit … " (Article du journal Le Mague)

    Résumé : Sur la place d'un village de Corse, Stéphane Campana, ardent nationaliste connu de tous, vient de s'effondrer, fauché par deux balles tirées à bout portant. Sur son corps inanimé est venue se jeter Virginie, la jeune fille qui n'a cessé de vivre dans la vénération de cet homme que, tout enfant déjà, elle s'était choisi comme héros au point de s'abandonner, corps et âme, à ses plus étranges désirs. De l'engagement politique de celui qui baigne à présent dans son sang, le roman reconstitue alors la genèse erratique jusqu'au point, périlleux, où la trajectoire insulaire rencontre celle de deux jeunes Marocains - Khaled et sa sœur Hayet - échoués en Corse à la recherche d'un improbable monde meilleur celui que, sur la corniche de leur ville natale, près de Tanger, faisait miroiter à leurs yeux l'inoubliable et merveilleuse promenade connue sous le nom de "Balco Atlantico"... D'une rive à l'autre, de mémoires qui ne passent ni ne se partagent, entre les âpres routes de l'exil et l'esprit d'un lieu singulier, Jérôme Ferrari jette le pont d'un roman solaire, érigé dans une langue ouverte sur toutes les mers où, de naufrages en éblouissements, passé et avenir naviguent de concert dans le rêve des hommes.

    Vidéo : Au travers le meurtre d’un nationaliste corse, Jérôme Ferrari explore les égarements des mémoires réécrites. Des nostalgies sublimées qui mènent invariablement les héros de son dernier roman, Balco Atlantico (Actes sud), à la solitude, la folie ou la mort.


    http://www.dailymotion.com/video/x4gq31_jerome-ferrari-et-les-dangereuses-n_news


    Jerome ferrari et les dangereuses nostalgies en terre corse
    envoyé par Marianne2fr







    Dans le secret, roman de Jérôme Ferrari (2007)

    4ème de couverture :
    Il y a bien longtemps que, toutes les nuits, Antoine, la quarantaine, se défait de son costume d'époux et de père de famille modèles pour succomber, dans le bar dont il est propriétaire en Corse, à la tentation de l'alcool et, bien souvent, du sexe - au plus loin de l'amour.
    Prononcée par sa femme, "l'immaculée" Lucille, au beau milieu d'une étreinte conjugale à laquelle il l'a forcée, une phrase énigmatique va, un matin, faire exploser tout l'hypocrite dispositif sur lequel repose son existence, et le contraindre à un impossible examen de conscience. Dans son désarroi, Antoine se tourne alors vers Paul, son frère cadet, qui vit, clochardisé, dans la maison de village familiale où il s'est retiré après avoir naufragé lors d'une expérience parisienne calamiteuse...
    Frères de sang et désormais frères en désastre, tous deux s'interrogent, chacun à sa façon, sur la nature du destin qui leur a été fait - peut-être par la "maladie insulaire" qui enfièvre les puissances de la mémoire, substituant le délire de ses images à la prise en compte des catastrophes bien réelles qui, au présent, menacent...
    Sur les murs que la filiation érige entre les êtres, sur la toxicité des obsessions qui s'entretiennent sous le dangereux gouvernement de l'esprit d'un lieu - l'île aux sombres secrets enfouis dans la splendeur des paysages -, sur la rémanence du sacré et les tentations du mysticisme, sur l'impossible choix entre sexualité païenne et vénération amoureuse, sur les noces, enfin, à jamais contrariées, entre l'esprit de l'homme et le monde qu'il habite, Jérôme Ferrari propose, avec ce roman ardent et rebelle, une variation somptueuse.



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  • Le jour où Nina Simone a cessé de chanter

    au théâtre de l’AGHJA,  les 30 et 31 janvier 2009.  <o:p></o:p>

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    Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, monologue de Darina Al Joundi

    <o:p></o:p>Ecrit par Darina Al Joundi et Mohamed Kacimi

    <o:p></o:p>Mise en scène & scénographie : Alain Timar

    Ce spectacle a été nommé pour les Molières 2008

    Programmation commune Aghja / Théâtre Kallisté / Ville d'Ajaccio.       

    Les 30 et 31 janvier 2009 à 21 Heures,  Ville d'Ajaccio, réservations : 20 rue Forcioli Conti, tél : 04 95 50 40 86.

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           Le soir des funérailles de son père, Noun coupe le son des psalmodies du Coran qui accompagnent traditionnellement cette cérémonie. L'acte provoque un grand scandale dans sa famille. Noun décide de s'enfermer à double tour avec son père pour lui dire ce qu'elle a sur le cœur, lui rappeler toutes les leçons de libertés qu'il lui a données.

         

           Noun est libre face à la mort, mais une simple porte la sépare d'un monde hostile. Au fil des évocations, Noun quitte le paradis perdu de son adolescence, de ses révoltes pour se confronter à la fin à un monde, à une société qui interdit à la femme l'exercice de la parole, du rêve et de la révolte.

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           Darina Al Joundi a raconté et écrit avec Mohamed Kacimi sa propre histoire. Elle la joue sur scène. Noun et Darina ne font qu’un dans son passé vécu au Liban, jusqu’au jour où « il restait une place pour Paris ». Noun l’a prise…

            « Enfant de toutes les guerres du Liban, Darina al Joundi a brûlé son enfance et sa jeunesse à Beyrouth, ville de tous les excès qui abuse de la mort comme de l'amour. Ville aussi de toutes les illusions, derrière ses façades réelles de liberté, de révolte, de fêtes et de beuveries, se cache une société conservatrice à l'affût du moindre écart de chaque individu. Beyrouth est une ville de l'exhibition où l'on ne survit que si l'on se dérobe au regard des autres. Darina a traversé, à son corps défendant, les nuits de Beyrouth, elle a vécu de près et dans sa propre chair l'exclusion dont peut faire preuve cette société conservatrice et féodale qui n'hésite pas à exclure et à bannir quiconque enfreint l'espace du religieux. Surtout quand la liberté est prise par une femme, sachant que la femme reste une langue étrangère dans le monde arabe. Au Liban, on peut s'affranchir de tout sauf de Dieu. Darina al Joundi a fait cette expérience des limites. Elle en ressort, brûlée mais libre, avec ce texte de feu et de folie. »

          

    Mohamed Kacimi commente :<o:p> </o:p> « Cette femme est là parce qu’elle a vraiment quelque chose à dire. C’est sa vie qu’elle vient raconter, une vie à la liberté démente (...) Heureusement que les murs de la chapelle Sainte Claire sont désacralisés. Ils trembleraient devant l’impiété impitoyable du récit de Darina Al-Joundi, projetée dans la vie et dans la guerre avec la même sauvagerie (...) son récit a coulé d’elle comme un fleuve en crue. L’écrivain Mohamed Kacimi l’a aidée à contenir ses mots, rythmés par une chanson de Nina Simone : Sinnerman. Une chanson obsédante comme le désir de vie d’une femme. » propos recueillis par  B. Salino, Le Monde

          

    A  Avignon, Darina ne nous a  pas fait attendre. Lorsque nous sommes entrés dans la salle, elle était déjà présente, assise sur les planches de la scène dans la pénombre, regardant son public… une façon peut-être de dire «  Je vous attendais et je vais vous raconter mon histoire en m’adressant à chacun de vous ». Ensuite nous l’avons regardée et écoutée sans que, un seul instant, notre attention ne se soit relâchée.  Les anecdotes personnelles et historiques se côtoient dans ce monologue rythmé et superbement interprété par une actrice de talent.  « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter » tourne autour de ce père tant aimé, intellectuel fuyant jusqu’à sa mort les persécutions du régime syrien, et qui voulait faire de ses trois filles des femmes libres, malgré les archaïsmes de la société libanaise. Darina a 7 ans lorsqu’éclate la guerre du Liban. Sur scène, elle raconte, avec des mots drôles et incisifs, cette enfance rythmée par les combats entre phalangistes chrétiens, groupes armés palestiniens, armées syrienne et israélienne. Elle apprend ainsi à se terrer dans l’abri de l’immeuble, lors des bombardements, ou à passer les barrages des miliciens sans se faire arrêter. A 14 ans, elle va secourir les survivants des massacres de Sabraa et Chatillah avec ses sœurs. Deux ans plus tard, elle goûte à la cocaïne, puis en prend tous les jours. Elle avorte à l’hôpital américain de Beyrouth la veille de ses 16 ans.



     

    « Pour vivre avec cette histoire il fallait la partager », estime-t-elle. De cette soudaine rage d’écrire est née cette pièce, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, qui est devenue la révélation de l’édition 2007 du festival d’Avignon, représentée avec le même succès en 2008 lors du dernier festival. Le texte de la pièce, écrit avec l’aide de l’écrivain algérien Mohamed Kacimi, a donné naissance à un livre du même nom, paru aux Editions Actes Sud en janvier dernier.


    Attention talent ! Darina Al Joundi, rescapée de la guerre du Liban, vit en France depuis plusieurs années. Elle a écrit et joue à Paris l’histoire d’une vie brisée, l’enfer de la guerre au Liban, et un amour éternel voué à un père disparu…C’est un moment rare de théâtre, intense et fort. Dans ” Le jour où Nina Simone a cessé de chanter”, cette éblouissante comédienne raconte un destin de femme au cœur de la guerre, un quotidien ’banal’, tragique et burlesque, où tous les excès aident à vivre… Sexe, drogue, violence, et jeux avec la mort…



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    La pièce de théâtre a été suivie d’un roman publié chez Acte Sud. Nous l’avons lu pour revisiter le texte qui nous avait captivé du début à la fin du monologue joué sur une scène de théâtre d’Avignon.

    Darina ( ’Noun’ dans La fiction) est née en 1968 à Beyrouth et   avait 7 ans quand la guerre a éclaté à Beyrouth, en avril 75. Superbe dans sa robe rouge avec ses longs cheveux noirs dénoués, elle entame son récit au moment de la mort de son père, en avril 2001. Un père adoré, écrivain, journaliste, épris de liberté, antimilitariste, défenseur de la laïcité, qui souhaitait que l’on veille sa dépouille au son du jazz et de Nina Simone…  Seule sur scène, Darina regarde chaque spectateur dans les yeux, puis crie de rage ou rit aux éclats, sans ménagement, sans tabou. Jusqu’au récit d’un jeu de roulette russe avec deux amis, dans Beyrouth sous les bombes, presque insoutenable.

    Darina a grandi avec la guerre, au point de ne plus savoir vivre sans elle. Noun dit : «  Je ne savais plus vivre sans la guerre, mon corps avait été programmé pour elle, depuis mon enfance, j’étais réglée par la peur, tous mes gestes n’avaient de sens que par rapport à elle… » Quand le conflit prend fin, en 1990, elle se retrouve étrangère dans une société qui tout à coup ne tolère plus les excès - sexe, drogue et transgression morale - qui étaient la norme pendant 15 ans. Les apparences reprennent le dessus. « Je n’avais pas compris qu’après la guerre les gens allaient remettre les masques.», avoue-t-elle aujourd’hui. Libre pendant la guerre, elle reçoit une sévère correction en temps de paix et passe de la case hôpital à l’internement psychiatrique pour déviationnisme moral.  Seules des femmes y sont internées. « J’ai compris notre vulnérabilité de femmes, on a beau être une vedette, médecin, une célébrité, au moindre faux pas la femme redevient femme, bête de somme qu’on enchaîne comme on veut », écrit la comédienne, connue au Liban pour ses rôles au cinéma et à la télévision. Elle reste trois semaines dans cet asile tenu par des bonnes sœurs. D’anciens amis ont réussi à convaincre sa mère que Darina était folle et qu’il valait mieux, pour son bien, qu’elle reste enfermée.  Noun dit «  Dans la nuit, je me réveillais et, comme il était interdit d’écrire, je regardais le ciel et j’écrivais avec mon doigt et dans l’air des lettres à mon père ». « J’ai commencé à écrire dans l’air, à l’asile », raconte Darina, mimant le mouvement du stylo invisible. Lorsqu’elle est finalement libérée, on lui précise qu’elle peut à tout moment être renvoyée à l’asile par sa famille. Elle reste encore trois ans au Liban, le temps de gagner l’argent nécessaire pour s’exiler définitivement en France. Sa pièce, affirme-t-elle, ne s’adresse pas aux Libanais,. « On m’a proposé de jouer ce texte au Liban. C'est presque comme jouer pour son propre bourreau. Je ne vois pas l'intérêt. » Darina Al Joundi a écrit en français pour être entendue en Europe, pour démonter le rêve orientaliste du monde arabe, avec ses muezzins, ses baklawas etc. « Il y a toujours un rapport exotique, touristique ou colonialiste avec les pays arabes. » Darina Al joundi veut au contraire que les gens soient révoltés par la réalité de son récit, « parce qu'il y a toujours des gens qui sont internées, des gens qui vivent l'autodestruction comme je l'ai vécue, et des gens qui cherchent à faire la guerre ».


    Darina Al-Joundi a été sur tous les fronts culturels : cinéma, théâtre, télévision. Elle parle également l'arabe, le français et l'anglais. Elle est l'auteur de plusieurs projets : court métrage 'Superman', coécriture du court métrage 'Mimi martyr de l'épingle', écriture du concept télévisé 'Mon histoire... C'est l'histoire', de la pièce de théâtre 'Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter' et une série de documentaires. <o:p></o:p>

    Pour la télévision libanaise, elle tient le rôle principal dans 'Passions d'amour' (2001), ainsi que dans la série 'Demain est un autre jour' sur la chaîne arabe MTV (2004). Au théâtre, elle joue dans 'Killing Game' d'Eugène Ionesco, 'Le Procès' de Franz Kafka ou encore 'Persona' de Bergman. Son jeu d'actrice participe au fait que ses films sont souvent nominés comme 'La Porte du soleil' de Yossri Nasrallah, sélection officielle du festival de Cannes en 2004. Sa beauté et son éclectisme font de Darina al Joundi une étoile du cinéma oriental.    <o:p></o:p>

        

    Filmographie

    2007 : Un homme perdu de Danielle Arbib  -  Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2007

    2004 : Hizziyawiz de Wissam Charaf

    2003 : La porte du soleil de Yossri Nasrallah  - Sélection officielle Cannes 2004

    1999 : Derrière les lignes de Jean Chamoun

    1997 : Beyrouth Fantôme de Ghassan Salhab

    1994 : Histoire d’un retour de Jean-Claude Codsi

    1988 : A la recherche de Leïla de Kassem Hawal

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    Le théâtre de l’Aghja se présente :

     

    L’AGHJA est une salle de spectacle située à Ajaccio et ayant le label Scène conventionnée Théâtre et Musiques actuelles. Il y a donc une programmation théâtrale et musicale. Côté théâtre, nous avons du théâtre de répertoire, du théâtre contemporain, du théâtre en langue corse, du théâtre en langues étrangères avec surtitrage. Côté musique, tous les styles musicaux s’y côtoient : jazz, rock, pop/rock, folk, funk, rap, slam, hip-hop, électro, musiques du monde ou world music, nouvelle scène française, musique latino (salsa, rumba…), reggae, ska, ragga, chant et musique corse, polyphonies… Nous proposons également des lectures d’auteurs corses, méditerranéens, ou écrivant sur des thèmes portant sur la Corse, la Méditerranée ou l’insularité. C’est une salle également ouverte aux pratiques amateurs : pratiques amateurs musique avec l’organisation de plates-formes musique ouvertes aux jeunes groupes insulaires ; pratiques amateurs théâtre avec l’organisation de plates-formes jeune théâtre. La compagnie Théâtre Point est une compagnie de théâtre associée de l’Aghja. Théâtre Point propose des créations ainsi que de la formation avec des ateliers théâtre pour enfants, adolescents et adultes. C’est une salle également ouverte aux pratiques amateurs : pratiques amateurs musique avec l’organisation de plates-formes musique ouvertes aux jeunes groupes insulaires ; pratiques amateurs théâtre avec l’organisation de plates-formes jeune théâtre. La compagnie Théâtre Point <o:p></o:p> est une compagnie de théâtre associée de l’Aghja. Théâtre Point propose des créations ainsi que de la formation avec des ateliers théâtre pour enfants, adolescents et adultes.


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    Programmation à venir :


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    BOJAN Z et JULIEN LOURAU   Jazz - Samedi 24 janvier, 21 h

    LA CREVETTE D ACIER  Chansons à voir  -  Samedi 14 février, 21 h

    JE SUIS ALAIN, ARTAUD... Théâtre - Vendredi 20 et samedi 21 février, 21 h

    LES VOYAGES DU NOUVEL ENTERPRISE - Théâtre - 5 et 6 mars, 21 h  

    MELINGO / Tango - Samedi 14 mars, 21 h<o:p></o:p>

    SUBWAY / Rock -  Samedi 21 mars, 21 h<o:p></o:p>

    51 PEGASI ASTRE VIRTUEL/ Théâtre  - Vend. 27 et sam. 28 mars, 21 h

    DOPU CENA / Chants Corses - Samedi 4 avril, 21 h

    LES FRÈRES CORSES/Théâtre - Jeudi 16, vendredi 17, samedi 18 avril, 21 h

    LES FEMMES S EN MÊLENT / scène musicale - Vendredi 24 avril, 21 h

    BABA ZULA  / Rock oriental - Jeudi 14 mai, 21 h

    NOVI / Nouvelle scène Corse - Vendredi 22 mai, 21 h

    LA CONTREBASSE / Théâtre - Vend. 29 et  sam. 30 mai, 21 h

    PLATE-FORME THÉÂTRE  - 2ème quinzaine de juin - Le détail de cette plate-forme sera communiqué ultérieurement.. Comme chaque année, la saison est avec les travaux des participants aux ateliers de Théâtre Point et des élèves de l'option théâtre du lycée Laetitia. Cette année, l'option théâtre compte deux classes : une classe de seconde et une classe de première qui l'an dernier avait présenté "La Vérité en farce", un montage de textes autour du burlesque.

     

     


     

     

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  • Bon Natale è Pace è Salute à Tutti !...



    En cadeau, un conte de Noël...

    L’enfant perdu, un conte de Noël  écrit par François COPPÉE

                                           À Jules Claretie.

    I

    Ce matin-là, qui était la veille de Noël, deux événements d’importance eurent lieu simultanément. Le soleil se leva, – et M. Jean-Baptiste Godefroy aussi.

    Sans doute, le soleil, – au coeur de l’hiver, après quinze jours de brume et de ciel gris, quand par bonheur le vent passe au nord-est et ramène le temps sec et clair, – le soleil, inondant tout à coup de lumière le Paris matinal, est un vieux camarade que chacun revoit avec plaisir. Il est d’ailleurs un personnage considérable. Jadis il a été Dieu : il s’est appelé Osiris, Apollon, est-ce que je sais ? et il n’y a pas deux siècles qu’il régnait en France sous le nom de Louis XIV. Mais M. Jean-Baptiste Godefroy, financier richissime, directeur du Comptoir général de crédit, administrateur de plusieurs grandes compagnies, député et membre du Conseil général de l’Eure, officier de la Légion d’honneur, etc., etc., n’était pas non plus un homme à dédaigner. Et puis l’opinion que le soleil peut avoir sur son propre compte n’est certainement pas plus flatteuse que celle que M. Jean-Baptiste Godefroy avait de lui-même. Nous sommes donc autorisé à dire que, le matin en question, vers huit heures moins le quart, le soleil et M. Jean-Baptiste Godefroy se levèrent.

    Par exemple, le réveil de ces puissants seigneurs fut tout à fait différent. Le bon vieux soleil, lui, commença par faire une foule de choses charmantes. Comme le grésil, pendant la nuit, avait confit dans du sucre en poudre les platanes dépouillés du boulevard Malesherbes, où est situé l’hôtel Godefroy, ce magicien de soleil s’amusa d’abord à les transformer en gigantesques bouquets de corail rose ; et, tout en accomplissant ce délicieux tour de fantasmagorie, il répandit, avec la plus impartiale bienveillance, ses rayons sans chaleur, mais joyeux, sur tous les humbles passants que la nécessité de gagner leur vie forçait à être dehors de si bonne heure. Il eut le même sourire pour le petit employé en paletot trop mince se hâtant vers son bureau, pour la grisette frissonnant sous sa « confection » à bon marché, pour l’ouvrier portant la moitié d’un pain rond sous son bras, pour le conducteur de tramway faisant sonner son compteur, pour le marchand de marrons en train de griller sa première poêlée. Enfin ce brave homme de soleil fit plaisir à tout le monde. M. Jean-Baptiste Godefroy, au contraire, eut un réveil assez maussade. Il avait assisté, la veille, chez le ministre de l’Agriculture, à un dîner encombré de truffes, depuis le relevé du potage jusqu’à la salade, et son estomac de quarante-sept ans éprouvait la brûlante morsure du pyrosis. Aussi, à la façon dont M. Godefroy donna son premier coup de sonnette, Charles, le valet de chambre, tout en prenant de l’eau chaude pour la barbe du patron, dit à la fille de cuisine :

    « Allons, bon !... Le « singe » est encore d’une humeur massacrante, ce matin... Ma pauvre Gertrude, nous allons avoir une sale journée. »

    Puis, marchant sur la pointe du pied, les yeux modestement baissés, il entra dans la chambre à coucher, ouvrit les rideaux, alluma le feu et prépara tout ce qu’il fallait pour la toilette, avec les façons discrètes et les gestes respectueux d’un sacristain disposant les objets du culte sur l’autel, avant la messe de M. le curé...

    « Quel temps ce matin ? demanda d’une voix brève M. Godefroy en boutonnant son veston de molleton gris sur un abdomen un peu trop majestueux déjà.

    – Très froid, monsieur, répondit Charles. À six heures, le thermomètre marquait sept degrés au-dessous de zéro. Mais monsieur voit que le ciel s’est éclairci, et je crois que nous aurons une belle matinée. »

    Tout en repassant son rasoir, M. Godefroy s’approcha de la fenêtre, écarta l’un des petits rideaux, vit le boulevard baigné de lumière et fit une légère grimace qui ressemblait à un sourire. Mon Dieu, oui ! On a beau être plein de morgue et de tenue, et savoir parfaitement qu’il est du plus mauvais genre de manifester quoi que ce soit devant les domestiques, l’apparition de ce gueusard de soleil, en plein mois de décembre, donne une sensation si agréable qu’il n’y a guère moyen de la dissimuler. M. Godefroy daigna donc sourire. Si quelqu’un lui avait dit alors que cette satisfaction instinctive lui était commune avec l’apprenti typographe en bonnet de papier qui faisait une glissade sur le ruisseau gelé d’en face, M. Godefroy eût été profondément choqué. C’était ainsi pourtant ; et, pendant une minute, cet homme écrasé d’affaires, ce gros bonnet du monde politique et financier, fit cet enfantillage de regarder les passants et les voitures qui filaient joyeusement dans la brume dorée.

    Mais, rassurez-vous, cela ne dura qu’une minute. Sourire à un rayon de soleil, c’est bon pour des gens inoccupés, pas sérieux ; c’est bon pour les femmes, les enfants, les poètes, la canaille. M. Godefroy avait d’autres chats à fouetter, et, précisément pour cette journée qui commençait, son programme était très chargé. De huit heures et demie à dix heures, il avait rendez-vous, dans son cabinet, avec un certain nombre de messieurs très agités, tous habillés et rasés comme lui dès l’aurore et comme lui sans fraîcheur d’âme, qui devaient venir lui parler de toutes sortes d’affaires, ayant tous le même but : gagner de l’argent. Après déjeuner, – et il ne fallait pas s’attarder aux petits verres, – M. Godefroy était obligé de sauter dans son coupé et de courir à la Bourse, pour y échanger quelques paroles avec d’autres messieurs qui s’étaient aussi levés de bonne heure et qui n’avaient pas non plus de petite fleur bleue dans l’imagination ; et cela toujours pour le même motif : gagner de l’argent. De là, sans perdre un instant, M. Godefroy, allait présider, devant une table verte encombrée d’encriers siphoïdes, un nouveau groupe de compagnons dépourvus de tendresse et s’entretenir avec eux de divers moyens de gagner de l’argent. Après quoi, il devait paraître, comme député, dans trois ou quatre commissions et sous-commissions, toujours avec tables vertes et encriers siphoïdes, où il rejoindrait d’autres personnages peu sentimentaux, tous incapables aussi, je vous prie de le croire, de négliger la moindre occasion de gagner de l’argent, mais qui avaient pourtant la bonté de sacrifier quelques précieuses heures de l’après-midi pour assurer, par-dessus le marché, la gloire et le bonheur de la France.

    Après s’être vivement rasé, en épargnant toutefois le collier de barbe poivre et sel qui lui donnait un air de famille avec les Auvergnats et les singes de la grande espèce, M. Godefroy revêtit un « complet » du matin, dont la coupe élégante et un peu jeunette prouvait que ce veuf cinglant vers la cinquantaine n’avait pas absolument renoncé à plaire. Puis il descendit dans son cabinet, où commença le défilé des hommes peu tendres et sans rêverie uniquement préoccupés d’augmenter leur bien-aimé capital. Ces messieurs parlèrent de plusieurs entreprises en projet, également considérables, notamment d’une nouvelle ligne de chemin de fer à lancer à travers un désert sauvage, d’une usine monstre à fonder aux environs de Paris, et d’une mine de n’importe quoi à exploiter dans je ne sais plus quelle république de l’Amérique du Sud. Bien entendu, on n’agita pas un seul instant la question de savoir si le futur railway aurait à transporter un grand nombre de voyageurs et une grande quantité de marchandises, si l’usine fabriquerait du sucre ou des bonnets de coton, si la mine produirait de l’or vierge ou du cuivre de deuxième qualité. Non ! Les dialogues de M. Godefroy et de ses visiteurs matinaux roulèrent exclusivement sur le bénéfice plus ou moins gros à réaliser, dans les huit jours qui suivraient l’émission, en spéculant sur les actions de ces diverses affaires, actions très probablement destinées du reste, et dans un bref délai, à n’avoir plus d’autre valeur que le poids du papier et le mérite de la vignette.

    Ces conversations nourries de chiffres durèrent jusqu’à dix heures précises, et M. le directeur du Comptoir général de crédit, qui était honnête homme pourtant, autant qu’on peut l’être dans les « affaires », reconduisit jusque sur le palier, avec les plus grands égards, son dernier visiteur, vieux filou cousu d’or qui, par un hasard assez fréquent, jouissait de la considération générale, au lieu d’être logé à Poissy ou à Gaillon aux frais de l’État pendant un laps de temps fixé par les tribunaux, et de s’y livrer à une besogne honorable et hygiénique telle que la confection des chaussons de lisière ou de la brosserie à bon marché. Puis M. le directeur consigna sa porte impitoyablement – il fallait être à la Bourse à onze heures – et passa dans la salle à manger.

    Elle était somptueuse. On aurait pu constituer le trésor d’une cathédrale avec les massives argenteries qui encombraient bahuts et dressoirs. Néanmoins, malgré l’absorption d’une dose copieuse de bicarbonate de soude, le pyrosis de M. Godefroy était à peine calmé, et le financier ne s’était commandé qu’un déjeuner de dyspeptique. Au milieu de ce luxe de table, devant ce décor qui célébrait la bombance, et sous l’oeil impassible d’un maître d’hôtel à deux cents louis de gage, qui s’en faisait deux fois autant par la vertu de l’anse du panier, M. Godefroy ne mangea donc, d’un air assez piteux, que deux oeufs à la coque et la noix d’une côtelette ; et encore, l’un des oeufs sentait la paille. L’homme plein d’or chipotait son dessert, – oh ! presque rien, un peu de roquefort, à peine pour deux ou trois sous, je vous assure, – lorsqu’une porte s’ouvrit, et soudain, gracieux et mignon, bien qu’un peu chétif dans son costume de velours bleu et trop pâlot sous son énorme feutre à plume blanche, le fils de M. le directeur, le jeune Raoul, âgé de quatre ans, entra dans la salle à manger, conduit par son Allemande.

    Cette apparition se produisait chaque jour, à onze heures moins le quart exactement, lorsque le coupé, attelé pour la Bourse, attendait devant le perron, et que l’alezan brûlé, vendu à M. Godefroy, par les soins de son cocher, mille francs de plus qu’il ne valait, grattait, d’un sabot impatient, le dallage de la cour. L’illustre brasseur d’argent s’occupait de son fils de dix heures quarante-cinq à onze heures. Pas plus, pas moins, il n’avait qu’un quart d’heure, juste, à consacrer au sentiment paternel. Non qu’il n’aimât pas son fils, grand dieu ! Il l’adorait, à sa façon. Mais, que voulez-vous, les affaires !...

    À quarante-deux ans, plus que mûr et passablement fripé, il s’était cru très amoureux, par pur snobisme, de la fille d’un de ses camarades de cercle, le marquis de Neufontaine, vieux chat teint, joueur comme les cartes, qui, sans la compassion vaniteuse de M. Godefroy, eût été plus d’une fois affiché au club. Ce gentilhomme effondré, mais toujours très chic, et qui venait encore de « lancer » une casquette pour bains de mer, fut trop heureux de devenir le beau-père d’un homme qui payerait ses dettes, et livra sans scrupule au banquier fatigué une ingénue de dix-sept ans, d’une beauté suave et frêle, sortant d’un couvent de province, et n’ayant pour dot que son trousseau de pensionnaire et qu’un trésor de préjugés aristocratiques et d’illusions romanesques. M. Godefroy, fils d’un avoué grippe-sou des Andelys, était resté « peuple », même fort vulgaire, malgré son fabuleux avancement dans la hiérarchie sociale. Il blessa tout de suite sa jeune femme dans toutes ses délicatesses ; et les choses allaient mal tourner, quand la pauvre enfant fut emportée, à sa première couche. Presque élégiaque lorsqu’il parlait de sa défunte épouse, avec laquelle il eût sans doute divorcé si elle avait vécu six mois de plus, M. Godefroy aimait son petit Raoul pour plusieurs raisons : d’abord à titre de fils unique, puis comme produit rare et distingué d’un Godefroy et d’une Neufontaine, enfin et surtout par le respect qu’inspirait à cet homme d’argent l’héritier d’une fortune de plusieurs millions. Le bébé fit donc ses premières dents sur un hochet d’or et fut élevé comme un Dauphin. Seulement, son père, accablé de besogne, débordé d’occupations, ne pouvait lui consacrer que quinze minutes par jour, – comme aujourd’hui, au moment du roquefort, – et l’abandonnait aux domestiques.

    « Bonjour, Raoul.

    – Bonzou, p’pa. »

    Et M. le directeur du Comptoir général de crédit, ayant jeté sa serviette, installa sur sa cuisse gauche le jeune Raoul, prit dans sa grosse patte la petite main de l’enfant et la baisa plusieurs fois, oubliant, ma parole d’honneur ! la hausse de vingt-cinq centimes sur le trois pour cent, les tables couleur de pâturage et les encriers volumineux devant lesquels il devait traiter tout à l’heure de si grosses questions d’intérêt, et même son vote de l’après-midi pour ou contre le ministère, selon qu’il obtiendrait ou non, en faveur de son bourg pourri, une place de sous-préfet, deux de percepteur, trois de garde champêtre, quatre bureaux de tabac, plus une pension pour le cousin issu de germain d’une victime du Deux Décembre.

    « P’pa, et le p’tit Noël... y mettra-ti’ tet’ chose dans mon soulier ? » demanda tout à coup Raoul, dans son sabir enfantin.

    Le père, après un : « Oui, si tu as été sage », fort surprenant chez ce député libre penseur, qui, à la Chambre, appuyait d’un énergique : « Très bien ! » toutes les propositions anticléricales, prit note, dans le meilleur coin de sa mémoire, qu’il aurait à acheter des joujoux. Puis, s’adressant à la gouvernante :

    « Vous êtes toujours contente de Raoul, mademoiselle Bertha ? »

    L’Allemande, qui se faisait passer pour Autrichienne, cela va sans dire, mais qui était, en réalité, la fille d’un pasteur poméranien affligé de quatorze enfants, devint rouge comme une tomate sous ses cheveux blond albinos, comme si la question toute simple qu’on lui adressait eût été de la pire indécence, et, après avoir donné cette preuve de respect intimidé, répondit par un petit rire imbécile, qui parut satisfaire pleinement la curiosité de M. Godefroy sur la conduite de son fils.

    « Il fait beau aujourd’hui, reprit le financier, mais froid. Si vous menez Raoul au parc Monceau, mademoiselle, vous aurez soin, n’est-ce pas ? de le bien couvrir. »

    La « fraulein », par un second accès de rire idiot, ayant rassuré M. Godefroy sur ce point essentiel, il embrassa une dernière fois le bébé, se leva de table – onze heures sonnaient au cartel – et s’élança vers le vestibule, où Charles, le valet de chambre, lui enfila sa pelisse et referma sur lui la portière du coupé. Après quoi, ce serviteur fidèle courut immédiatement au petit café de la rue de Miromesnil, où il avait rendez-vous avec le groom de la baronne d’en face, pour une partie de billard, en trente liés, avec défense de « queuter », bien entendu.

     
    II

    Grâce au bai brun, – payé mille francs de trop, à la suite d’un déjeuner d’escargots offert par le maquignon au cocher de M. Godefroy, – grâce à cet animal d’un prix excessif mais qui filait bien tout de même, M. le directeur du Comptoir général de crédit put accomplir, sans aucun retard, sa tournée d’affaires. Il parut à la Bourse, siégea devant plusieurs encriers monumentaux, et même, vers cinq heures moins le quart, il rassura la France et l’Europe inquiète des bruits de crise, en votant pour le ministère ; car il avait obtenu les faveurs sollicitées, y compris la pension pour celui de ses électeurs dont l’oncle, à la mode de Bretagne, avait été révoqué d’un emploi de surnuméraire non rétribué, à l’époque du coup d’État.

    Attendri sans doute par la satisfaction d’avoir contribué à cet acte de justice tardive, M. Godefroy se souvint alors de ce que lui avait dit Raoul au sujet des présents du petit Noël, et jeta à son cocher l’adresse d’un grand marchand de jouets. Là, il acheta et fit transporter dans sa voiture un cheval fantastique en bois creux monté sur roulettes, avec une manivelle dans chaque oreille ; une boite de soldats de plomb aussi semblables les uns aux autres que les grenadiers de ce régiment russe, du temps de Paul Ier, qui tous avaient les cheveux noirs et le nez retroussé ; vingt autres joujoux éclatants et magnifiques. Puis, en rentrant chez lui, doucement bercé sur les coussins de son coupé bien suspendu, l’homme riche, qui après tout avait des entrailles de père, se mit à penser à son fils avec orgueil.

    L’enfant grandirait, recevrait l’éducation d’un prince, en serait un, parbleu ! puisque, grâce aux conquêtes de 89, il n’y avait plus d’aristocratie que celle de l’argent, et que Raoul aurait, un jour, vingt, vingt-cinq, qui sait ? trente millions de capital. Si son père, petit provincial, fils d’un méchant noircisseur de papier timbré ; son père, qui avait dîné à vingt sous jadis au Quartier Latin, et se rendait bien compte chaque soir, en mettant sa cravate blanche, qu’il avait l’air d’un marié du samedi ; si ce père, malgré sa tache originelle, avait pu accumuler une énorme fortune, devenir fraction de roi sous la République parlementaire et obtenir en mariage une demoiselle dont un ancêtre était mort à Marignan, à quoi donc ne pouvait pas prétendre Raoul, dès l’enfance beau comme un gentilhomme.

    Raoul au sang affiné par l’atavisme maternel, Raoul de qui l’intelligence serait cultivée comme une fleur rare, qui apprenait déjà les langues étrangères dès le berceau, qui, l’an prochain, aurait le derrière sur une selle de poney, Raoul, qui serait un jour autorisé à joindre à son nom celui de sa mère, et s’appellerait ainsi Godefroy de Neufontaine, Godefroy devenant le prénom, et quel prénom ! royal, moyenâgeux, sentant à plein nez la croisade ?...

    Avec des millions, quel avenir ! quelle carrière !... Et le démocrate – il y en a plus d’un comme celui-ci, n’en doutez pas ! – imaginait naïvement la monarchie restaurée, – en France, tout arrive, – voyait son Raoul, non ! son Godefroy de Neufontaine marié au Faubourg, bien vu au château, puis, qui sait ? tout près du trône, avec une clef de chambellan dans le dos et un blason tout battant neuf sur son argenterie et sur les panneaux de son carrosse !... Ô sottise, sottise ! Ainsi rêvait le parvenu gorgé d’or, dans sa voiture qu’encombraient tous ces joujoux achetés pour la Noël, – sans se rappeler, hélas ! que c’était, ce soir-là, la fête d’un très pauvre petit enfant, fils d’un couple vagabond, né dans une étable, où l’on avait logé ses parents par charité.

    Mais le cocher a crié : « Port’ siou p’ait ! » On rentre à l’hôtel ; et, franchissant les degrés du perron, M. Godefroy se dit qu’il n’a que le temps de faire sa toilette du soir, lorsque, dans le vestibule, il voit tous ses domestiques, en cercle devant lui, l’air consterné, et, dans un coin, affalée sur une banquette, l’Allemande, qui pousse un cri en l’apercevant, et cache aussitôt dans ses deux mains son visage bouffi de larmes. M. Godefroy a le pressentiment d’un malheur.

    « Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’y a-t-il ? »

    Charles, le valet de chambre, – un drôle de la pire espèce, pourtant, – regarde son maître avec des yeux pleins de pitié, et bégayant et troublé : « Monsieur Raoul !...

    – Mon fils ?...

    – Perdu, monsieur !... Cette stupide Allemande !... Perdu depuis quatre heures de l’après-midi !... »

    Le père recule de deux pas en chancelant, comme un soldat frappé d’une balle ; et l’Allemande se jette à ses pieds, hurlant d’une voix de folle : « Pardon !... Pardon ! » et les laquais parlent tous à la fois.

    « Bertha n’était pas allée au parc Monceau... C’est là-bas, sur les fortifications, qu’elle a laissé se perdre le petit... On a cherché partout M. le directeur ; on est allé au Comptoir, à la Chambre ; il venait de partir... Figurez-vous que l’Allemande rejoignait tous les jours son amoureux, au delà du rempart, près de la porte d’Asnières... Quelle horreur !... Un quartier plein de bohémiens, de saltimbanques ! Qui sait si l’on n’a pas volé l’enfant ?... Ah ! le commissaire était déjà prévenu... Mais conçoit-on cela ? Cette sainte-nitouche !... Des rendez-vous avec un amant, un homme de son pays !... Un espion prussien, pour sûr !... »

    Son fils ! Perdu ! M. Godefroy entend l’orage de l’apoplexie gronder dans ses oreilles. Il bondit sur l’Allemande, l’empoigne par le bras, la secoue avec fureur.

    « Où l’avez-vous perdu de vue, misérable ?... Dites la vérité, ou je vous écrase !... Où çà ? Où çà ?... »

    Mais la malheureuse fille ne sait que pleurer et crier grâce. Voyons, du calme !... Son fils ! son fils à lui, perdu, volé ? Ce n’est pas possible ! On va le lui retrouver, le lui rendre tout de suite. Il peut jeter l’or à poignées, mettre toute la police en l’air. Ah ! pas un instant à perdre !

    « Charles, qu’on ne dételle pas... Vous autres, gardez-moi cette coquine... Je vais à la Préfecture. »

    Et M. Godefroy, le coeur battant à se rompre, les cheveux soulevés d’épouvante, s’élance de nouveau dans son coupé, qui repart d’un trot enragé. Quelle ironie ! La voiture est pleine de jouets étincelants, où chaque bec de gaz, chaque boutique illuminée, allume au passage cent paillettes de feu. C’est aujourd’hui, la fête des enfants, ne l’oublions pas, la fête du nouveau-né divin, que sont venus adorer les mages et les bergers conduits par une étoile.

    « Mon Raoul !... mon fils !... Où est mon fils ?... » se répète le père crispé par l’angoisse en déchirant ses ongles au cuir des coussins. À quoi lui servent maintenant ses titres, ses honneurs, ses millions, à l’homme riche, au gros personnage ? Il n’a plus qu’une idée, fixée comme un clou de feu, là, entre ses deux sourcils, dans son cerveau douloureux et brûlant : « Mon enfant, où est mon enfant ?... »

    Voici la Préfecture de police. Mais il n’y a plus personne ; les bureaux sont désertés depuis longtemps.

    « Je suis M. Godefroy, député de l’Eure... Mon fils est perdu dans Paris ; un enfant de quatre ans... Je veux absolument voir M. le préfet. »

    Et un louis dans la main du concierge.

    Le bonhomme, un vétéran à moustaches grises, moins pour la pièce d’or que par compassion pour ce pauvre père, le conduit aux appartements privés du préfet, l’aide à forcer les consignes. Enfin, M. Godefroy est introduit devant l’homme en qui repose à présent toute son espérance, un beau fonctionnaire, en tenue de soirée, – il allait sortir, – l’air réservé, un peu prétentieux, le monocle à l’oeil.

    M. Godefroy, les jambes cassées par l’émotion, tombe dans un fauteuil, fond en larmes, et raconte son malheur, en phrases bredouillées, coupées de sanglots.

    Le préfet – il est père de famille, lui aussi, – a le coeur tout remué ; mais, par profession, il dissimule son accès de sensibilité, se donne de l’importance.

    « Et vous dites, monsieur le député, que l’enfant a dû se perdre vers quatre heures ?

    – Oui, monsieur le préfet.

    – À la nuit tombante... Diable !... Et il n’est pas avancé pour son âge ; il parle mal, ignore son adresse, ne sait pas prononcer son nom de famille ?

    – Oui !... Hélas ! Oui !...

    – Du côté de la porte d’Asnières ?... Quartier suspect... Mais remettez-vous... Nous avons par là un commissaire de police très intelligent... Je vais téléphoner. »

    L’infortuné père reste seul pendant cinq minutes. Quelle atroce migraine ! quels battements de coeur fous ! Puis brusquement, le préfet reparaît, le sourire aux lèvres, un contentement dans le regard : « Retrouvé ! »

    Oh ! le cri de joie furieuse de M. Godefroy ! Comme il se jette sur les mains du préfet, les serre à les broyer !

    « Et il faut convenir, monsieur le député, que nous avons de la chance... Un petit blond, n’est-ce pas ? un peu pâle ?... Costume de velours bleu ?... Chapeau de feutre à plume blanche ?...

    – Oui, parfaitement... C’est lui ! c’est mon petit Raoul !

    – Eh bien, il est chez un pauvre diable qui loge de ce côté-là ; et qui est venu tout à l’heure faire sa déclaration au commissariat... Voici l’adresse par écrit : Pierron, rue des Cailloux, à Levallois-Perret. Avec une bonne voiture, vous pourrez revoir votre fils avant une heure. Par exemple, ajoute le fonctionnaire, vous n’allez pas retrouver votre enfant dans un milieu bien aristocratique, dans la « haute », comme disent nos agents. L’homme qui l’a recueilli est tout simplement un marchand des quatre saisons... Mais qu’importe ! n’est-ce pas ?... »

    Ah, oui, qu’importe ! M. Godefroy remercie le préfet avec effusion, descend l’escalier quatre à quatre, remonte en coupé, et, dans ce moment, je vous en réponds, si le marchand des quatre saisons était là, il lui sauterait au cou. Oui, M. Godefroy, directeur du Comptoir général de crédit, député, officier de la Légion d’honneur, etc., etc., accolerait ce plébéien ! Mais, dites-moi donc, est-ce que, par hasard, il y aurait autre chose, dans ce richard, que la frénésie de l’or et des vanités ? À partir de cette minute, il reconnaît seulement à quel point il aime son enfant. Fouette, cocher ! Celui que tu emportes, dans un coupé, par cette froide nuit de Noël, ne songe plus à entasser pour son fils millions sur millions, à le faire éduquer comme un Fils de France, à le lancer dans le monde ; et pas de danger, désormais, qu’on le laisse aux mains des mercenaires ! À l’avenir, M. Godefroy sera capable de négliger ses propres affaires et celles de la France – qui ne s’en portera pas plus mal – pour s’occuper un peu plus sérieusement de son petit Raoul. Il fera venir des Andelys la soeur de son père, la vieille tante restée à moitié paysanne, dont il avait la sottise de rougir. Elle scandalisera la valetaille par son accent normand et ses bonnets de linge. Mais elle veillera sur son petit-neveu, la bonne femme. Fouette, fouette, cocher ! Ce patron, toujours si pressé, que tu as conduit à tant de rendez-vous intéressés, à tant de réunions de gens cupides, est, ce soir, encore plus impatient d’arriver, et il a un autre souci que de gagner de l’argent. C’est la première fois de sa vie qu’il va embrasser son enfant pour de bon. Fouette donc, cocher ! Plus vite ! Plus vite !

    Cependant, par la nuit froide et claire, le coupé rapide a de nouveau traversé Paris, dévoré l’interminable boulevard Malesherbes ; et, le rempart franchi, après les maisons monumentales et les élégants hôtels, tout de suite voici la solitude sinistre, les ruelles sombres de la banlieue. On s’arrête, et M. Godefroy, à la clarté des lanternes éclatantes de sa voiture, voit une basse et sordide baraque de plâtras, un bouge. C’est bien le numéro, c’est là que loge ce Pierron. Aussitôt la porte s’ouvre, et un homme paraît, un grand gaillard, une tête bien française, à moustaches rousses. C’est un manchot, et la manche gauche de son tricot de laine est pliée en deux sous l’aisselle. Il regarde l’élégant coupé, le bourgeois en belle pelisse, et dit gaiement :

    « Alors, monsieur, c’est vous qui êtes le papa ?... Ayez pas peur... Il n’est rien arrivé au gosse. »

    Et, s’effaçant pour permettre au visiteur d’entrer, il ajoute, en mettant un doigt sur sa bouche : « Chut ! il fait dodo. »

     
    III

    Un bouge, en vérité ! À la lueur d’une petite lampe à pétrole qui éclaire très mal et qui sent très mauvais, M. Godefroy distingue une commode à laquelle manque un tiroir, quelques chaises éclopées, une table ronde où flânent un litre à moitié vide, trois verres, du veau froid dans une assiette, et, sur le plâtre nu de la muraille, deux chromos : l’Exposition de 89 à vol d’oiseau, avec la tour Eiffel en bleu de perruquier, et le portrait du général Boulanger, jeune et joli comme un sous-lieutenant. Excusez cette dernière faiblesse chez l’habitant de ce pauvre logis : elle a été partagée par presque toute la France. Mais le manchot a pris la lampe et, marchant sur la pointe du pied, éclaire un coin de chambre, où, sur un lit assez propre, deux petits garçons sont profondément endormis. Dans le plus jeune des enfants, que l’autre enveloppe d’un bras protecteur et serre contre son épaule, M. Godefroy reconnaît son fils.

    « Les deux mômes mouraient de sommeil, dit Pierron, en essayant d’adoucir sa voix rude. Comme je ne savais pas quand on viendrait réclamer le petit aristo, je leur ai donné mon « pieu », et, dès qu’ils ont tapé de l’oeil, j’ai été faire ma déclaration au commissaire... D’ordinaire, Zidore a son petit lit dans la soupente ; mais je me suis dit : Ils seront mieux là. Je veillerai, voilà tout. Je serai plus tôt levé demain, pour aller aux Halles. »

    Mais M. Godefroy écoute à peine. Dans un trouble tout nouveau pour lui, il considère les deux enfants endormis. Ils sont dans un méchant lit de fer, sur une couverture grise de caserne ou d’hôpital. Pourtant quel groupe touchant et gracieux ! Et comme Raoul, qui a gardé son joli costume de velours, et qui reste blotti avec une confiance peureuse dans les bras de son camarade en blouse, semble faible et délicat ! Le père, un instant privé de son fils, envie presque le teint brun et l’énergique visage du petit faubourien.

    « C’est votre fils ? demande-t-il au manchot.

    – Non, monsieur, répond l’homme. Je suis garçon et je ne me marierai sans doute pas, rapport à mon accident... oh ! bête comme tout ! un camion qui m’a passé sur le bras... Mais voilà. Il y a deux ans, une voisine, une pauvre fille plantée là par un coquin avec un enfant sur les bras, est morte à la peine. Elle travaillait dans les couronnes de perles, pour les cimetières. On n’y gagne pas sa vie, à ce métier-là. Elle a élevé son petit jusqu’à l’âge de cinq ans, et puis, ç’a été pour elle, à son tour, que les voisines ont acheté des couronnes. Alors je me suis chargé du gosse. Oh ! je n’ai pas eu grand mérite, et j’ai été bien vite récompensé. À sept ans, c’est déjà un petit homme, et il se rend utile. Le dimanche et le jeudi, et aussi les autres jours, après l’école, il est avec moi, tient les balances, m’aide à pousser ma charrette, ce qui ne m’est pas trop commode, avec mon aileron... Dire qu’autrefois j’étais un bon ajusteur, à dix francs par jour !... Allez ! Zidore est joliment débrouillard. C’est lui qui a ramassé le petit bourgeois.

    – Comment ? s’écrie M. Godefroy. C’est cet enfant ?...

    – Un petit homme, que je vous dis. Il sortait de la classe, quand il a rencontré l’autre qui allait tout droit devant lui, sur le trottoir, en pleurant comme une fontaine. Il lui a parlé comme à un copain, l’a consolé, rassuré du mieux qu’il a pu. Seulement, on ne comprend pas bien ce qu’il raconte, votre bonhomme. Des mots d’anglais, des mots d’allemand ; mais pas moyen de lui tirer son nom et son adresse... Zidore me l’a amené ; je n’étais pas loin de là, à vendre mes salades. Alors les commères nous ont entourés, en coassant comme des grenouilles : « Faut le mener chez le commissaire. » Mais Zidore a protesté. « Ça fera peur au môme », qu’il disait. Car il est comme tous les Parisiens : il n’aime pas les sergots. Et puis votre gamin ne voulait plus le quitter. Ma foi, tant pis ! j’ai raté ma vente, et je suis rentré ici avec les mioches. Ils ont mangé un morceau ensemble, comme une paire d’amis, et puis, au dodo !... Sont-ils gentils tout de même, hein ? »

    C’est étrange, ce qui se passe dans l’âme de M. Godefroy. Tout à l’heure, dans sa voiture, il se proposait bien, sans doute, de donner à celui qui avait recueilli son fils une belle récompense, une poignée de cet or si facilement gagné en présence des encriers siphoïdes. Mais on vient de lever devant l’homme un coin du rideau qui cache la vie des pauvres, si vaillants dans leur misère, si charitables entre eux. Le courage de cette fille-mère se tuant de travail pour son enfant, la générosité de cet infirme adoptant un orphelin, et surtout l’intelligente bonté de ce gamin de la rue, de ce petit homme secourable pour un plus petit, le recueillant, se faisant tout de suite son ami et son frère aîné, et lui épargnant, par un instinct délicat, le grossier contact de la police, tout cela émeut M. Godefroy et lui donne à réfléchir. Non, il ne se contentera pas d’ouvrir son portefeuille. Il veut faire mieux et plus pour Zidore et pour Pierron le manchot, assurer leur avenir, les suivre de sa bienveillance. Ah ! si les peu sentimentaux personnages qui viennent constamment parler d’affaires à M. le directeur du Comptoir général de crédit pouvaient lire en ce moment dans son esprit, ils seraient profondément étonnés ; et pourtant M. le directeur vient de faire la meilleure affaire de sa vie : il vient de se découvrir un coeur de brave homme. Oui, monsieur le directeur, vous comptiez offrir une gratification à ces pauvres gens, et voilà que ce sont eux qui vous font un magnifique cadeau, celui d’un sentiment, et du plus doux, du plus noble de tous, la pitié. Car M. Godefroy songe, à présent, – et il s’en souviendra, – qu’il y a d’autres estropiés que Pierron, l’ancien ajusteur devenu marchand de verdure, d’autres orphelins que le petit Zidore. Bien plus, il se demande, avec une inquiétude profonde, si l’argent ne doit vraiment servir qu’à engendrer l’argent, et si l’on n’a pas mieux à faire, entre ses repas, que de vendre en hausse des valeurs achetées en baisse et d’obtenir des places pour ses électeurs.

    Telle est sa rêverie devant le groupe des deux enfants qui dorment. Enfin il se détourne, regarde en face le marchand des quatre saisons ; il est charmé par l’expression loyale de ce visage de guerrier gaulois, aux yeux clairs, aux moustaches ardentes.

    « Mon ami, dit M. Godefroy, vous venez de me rendre, vous et votre fils adoptif, un de ces services !... Bientôt, vous aurez la preuve que je ne suis pas un ingrat. Mais, dès aujourd’hui... Je vois bien que vous n’êtes pas à l’aise et je veux vous laisser un premier souvenir. »

    Mais de son unique main le manchot arrête le bras de M. Godefroy, qui plonge déjà sous le revers de la redingote, du côté des bank-notes.

    « Non, monsieur, non ! N’importe qui aurait agi comme nous... Je n’accepterai rien, soit dit sans vous offenser... On ne roule pas sur l’or, c’est vrai, mais, excusez la fierté, on a été soldat, – j’ai ma médaille du Tonkin, là, dans le tiroir, – et on ne veut manger que le pain qu’on gagne.

    – Soit, reprend le financier. Mais, voyons, un brave homme comme vous, un ancien militaire... Vous me paraissez capable de mieux faire que de pousser une charrette à bras... On s’occupera de vous, soyez tranquille. »

    Mais l’estropié se contente de répondre froidement, avec un sourire triste qui révèle bien des déceptions, tout un passé de découragement : « Enfin, si monsieur veut bien songer à moi !... »

    Quelle surprise pour les loups-cerviers de la Bourse et les intrigants du Palais-Bourbon s’ils pouvaient savoir ! Voilà que M. Godefroy est désolé, à présent, de la méfiance de ce pauvre diable. Attendez un peu ! Il saura bien lui apprendre à ne pas douter de sa reconnaissance. Il y a de bonnes places de surveillants et de garçons de caisse, au Comptoir. Qu’est-ce que vous direz, monsieur le sceptique, quand vous aurez un bel habit de drap gris-bleu, avec votre médaille du Tonkin à côté de la plaque d’argent ? Et ce sera fait dès demain, n’ayez pas peur ! Et c’est vous qui serez bien attrapé, ah ! ah !...

    « Et Zidore ? s’écrie M. Godefroy avec plus de chaleur que s’il s’agissait de faire un bon coup sur les valeurs à turban. Vous permettrez bien que je m’occupe un peu de Zidore ?...

    – Ah ! pour ça, oui ! répond joyeusement Pierron. Souvent, quand je songe que le pauvre petit n’a que moi au monde, je me dis : « Quel dommage !... » Car il est plein de moyens. Les maîtres sont enchantés de lui, à l’école primaire. »

    Mais Pierron s’interrompt brusquement, et, dans son regard de franchise, M. Godefroy lit encore, et très clairement, cette arrière-pensée : « C’est trop beau, tout ça... Le bourgeois nous oubliera, une fois le dos tourné. »

    « Maintenant, dit le manchot, je crois que nous n’avons plus qu’à transporter votre gamin dans la voiture ; car vous devez bien vous dire qu’il sera mieux chez vous qu’ici... Oh ! vous n’avez qu’à le prendre dans vos bras ; il ne se réveillera même pas... On dort si bien à cet âge-là... Seulement il faudrait d’abord lui remettre ses souliers. »

    Et, suivant le regard du marchand des quatre saisons, M. Godefroy aperçoit devant le foyer, où se meurt un petit feu de coke, deux paires de chaussures enfantines : les fines bottines de Raoul et les souliers à clous de Zidore ; et chacune des paires de chaussures contient un pantin de deux sous et un cornet de bonbons de chez l’épicier.

    « Ne faites pas attention, monsieur, murmure alors Pierron d’une voix presque honteuse. C’est Zidore, avant de se jeter sur le lit, qui a mis là ses souliers et ceux de votre fils... À la laïque, on a beau leur dire que c’est de la blague, les enfants croient encore à la Noël... Alors, moi, en revenant de chez le commissaire, comme je ne savais pas, après tout, si votre gamin ne passerait pas la nuit dans ma turne, j’ai acheté ces bêtises-là... vous comprenez... pour que les gosses... à leur réveil... »

    Ah ! c’est à présent que les bras leur tomberaient, aux députés qui ont vu si souvent M. Godefroy voter pour la libre pensée ; – au fond, il s’en moquait pas mal, mais la réélection ! – C’est à présent qu’ils jetteraient leur langue au chat, tous les messieurs durs et secs qui siégeaient avec M. Godefroy autour des tables vertes et qui l’admiraient comme un maître pour sa sécheresse et pour sa dureté. Est-ce que, par hasard, ce serait aujourd’hui la fin du monde ?... M. Godefroy a les yeux pleins de larmes !

    Tout à coup, il s’élance hors de la baraque, y rentre au bout d’une minute, les bras chargés du superbe cheval mécanique, de la grosse boite de soldats de plomb, des autres jouets magnifiques achetés par lui dans l’après-midi et restés dans sa voiture ; et, devant Pierron stupéfait, il dépose son fardeau doré et verni auprès des petits souliers. Puis, saisissant la main du manchot dans les siennes, et d’une voix que l’émotion fait trembler :

    « Mon ami, mon cher ami, dit-il au marchand des quatre saisons, voici les cadeaux que Noël apportait à mon petit Raoul. Je veux qu’il les trouve ici, en se réveillant, et qu’il les partage avec Zidore, qui sera désormais son camarade... Maintenant, vous me croyez, n’est-ce pas ?... Je me charge de vous et du gamin... et je reste encore votre obligé ; car vous ne m’avez pas seulement aidé à retrouver mon fils perdu, vous m’avez aussi rappelé qu’il y avait des pauvres gens, à moi, mauvais riche qui vivais sans y songer. Mais, je le jure par ces deux enfants endormis, je ne l’oublierai plus, désormais ! »...

    Tel est le miracle, messieurs et mesdames, accompli le 24 décembre dernier, à Paris, en plein égoïsme moderne. Il est très invraisemblable, j’en conviens ; et, en dépit des anciens votes anticléricaux de M. Godefroy et de l’éducation purement laïque reçue par Zidore à l’école primaire, je suis bien forcé d’attribuer cet événement merveilleux à la grâce de l’Enfant divin, venu au monde, il y a près de dix-neuf cents ans, pour ordonner aux hommes de s’aimer les uns les autres.

    François COPPÉE, Longues et brèves, 1893



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