• " La huitième colline ", écrit par Louis CARZOU - Entretien avec l’auteur en fin d’article

    Livre acheté le 24 avril 2006, 91ème anniversaire du génocide arménien. Un premier roman passionnant et convaincant. Son auteur est d’origine arménienne et, à 42 ans, rédacteur en chef adjoint à LCI. Site:

    http://www.louiscarzou.com

    Mémoire généalogique…
    Dans les familles arméniennes, le génocide est un lourd héritage que chaque enfant porte à son tour pour que les voix des Anciens, au-delà de la mort, traversent les siècles d’écho en écho. C’est cela que l’on appelle le devoir de mémoire.

    Carzou : Un patronyme déjà célèbre…

    Louis Carzou dédie son roman " La huitième colline " à son grand-père Garnik Zouloumian, plus célèbre sous le nom de Jean Carzou, peintre, graveur et décorateur français d’origine arménienne, né le 1er Janvier 1907 à Alep (Syrie ) et décédé le 12 août 2000 à l’âge de 93 ans. Académicien à l’Institut des Beaux Arts, récipiendaire de hautes décorations, récompensé par des prix prestigieux, on lui doit la fresque " Apocalypse " qui décore l’église de la présentation à Manosque, œuvre qui traduit sa hantise de l’holocauste. Il a décoré la chapelle de l’Eglise du couvent de Manosque qui est devenu la fondation Carzou en 1991.

    Notre auteur ne s’arrête pas là en ce qui concerne ses illustres ascendants. Sa grand-mère Nane Carzou écrivait des recueils de contes et des livres pour enfants dont " Voyage en Arménie ", un voyage fait avec son illustre époux ou bien Antranik et la montagne sacrée, des contes arméniens. Elle est décédée en 1998.

    Jean et Nane Carzou ont eu un fils Jean-Marie Carzou, auteur de l’ouvrage Arménie 1915 – Un génocide exemplaire- édité chez Flammarion en 1975, professionnel de l’information, producteur et réalisateur d’émissions pour la télévision et qui a, pour fils, Louis Carzou. Celui-ci, auteur de " La huitième colline ", a pris la relève d’une lignée qui ne s’éteint pas. Son père avait ouvert la voie en écrivant sur le génocide arménien avant les autres. Dans son premier roman, il remplit son devoir de mémoire.


    Une fiction pour un témoignage serein et fier : La huitième colline

    Comment les destins se croisent ? Bien souvent, par des rencontres banales. Et puis, il y a les tragédies de l’histoire de l’humanité qui révèlent des héros ordinaires parce qu’ils restent simplement humains alors que leurs congénères s’enlisent dans la barbarie par obscurantisme ou veulerie. Ce refus de la barbarie conduit forcément à un acte héroïque.

    Dans son premier roman pétri d’humanisme au titre " La huitième colline ", Louis Carzou évoque le génocide arménien. De nombreux ouvrages historiques ont été publiés sur le sujet. Il n’y a plus que des négationnistes, des hommes politiques cyniques et des affairistes pour en contester la réalité. L’auteur utilise le genre romanesque et donc la fiction à partir d’un fait historique majeur dans le cours fragile de l’humanité. Il fait appel à l’empathie du lecteur et, par là, nous donne à ressentir, par la lecture et donc l’imaginaire, ce que les Arméniens ont vécu dans leur chair.

    Dans une famille turque, une grand-mère révèle, au seuil de sa mort, qu’elle est arménienne, enfant sauvé et adopté par un médecin turc. Ce choix révèle que, en 1915, tous les Turcs n’ont pas participé ou approuvé le génocide, de même que, de nos jours, des Turcs le reconnaissent avec tous les risques encourus. L’auteur met en scène des femmes arméniennes dans une histoire romancée à la fois tragique et belle par les émotions qu’elle suscite. Les personnages sont porteurs de vérités historiques et contemporaines. L’écriture est subtile et leur donne chair.
    En 1915, le Colonel Mehmet, fier d’être un descendant des Janissaires, incarne la barbarie la plus cruelle à côté du lieutenant Zafer, intellectuel qui, au fil du temps, s’aguerrit et obéit par conviction ou couardise. Le bon Docteur Bey ( Ragip) découvre avec horreur le sort réservé aux Arméniens et se souvient de ce que lui disait un professeur, lorsqu’il était étudiant : " Un médecin fait un diagnostic. Un bon médecin agit ". Il y a aussi le personnage de Itsak. Protégé par le médecin, ce jeune turc est un pacifiste, amoureux de Gayané, jeune fille arménienne à en perdre la raison, dans une Turquie qui est en guerre et prépare le génocide.
    Dans la Turquie contemporaine, Sibel est une journaliste émancipée et une femme moderne qui résiste à la pression de sa famille : une mère, Nermin, qui l’appelle " Mon petit moineau " tout en la culpabilisant de n’être pas mariée à 27 ans ; un frère, Sédat, traditionaliste et conservateur lorsqu’il s’agit de la nation turque et de la religion musulmane ; et le père, Arda, qui, par ses regards et ses silences, veut peser sur la conscience de sa fille. La jeune femme a un amant, Volkan et travaille pour CNN Turquie, qui " n’est qu’une licence exploitée par un groupe de presse turc. " Elle s’intéresse à la répression contre les Kurdes et s’arrête sur une image d’une mère kurde qui offre son enfant à la caméra en disant : " Prenez-le ! Prenez-le ! Qu’est-ce que je vais en faire moi ? Qu’est-ce que je vais lui donner ? La misère ? La répression ? L’exil ? "… Un geste désespéré qui s’était déjà produit en 1915 …
    Ragip (Docteur Bey) et Sibel, à des décennies et trois générations d’intervalle, sont des personnages à la fois forts et fragiles dans une société turque figée dans ses croyances. L’arrière-grand-père turc et sa petite fille portent en eux cette humanité qui permet de ne jamais sombrer dans l’obscurantisme même lorsque tout vous y pousse. Louis Carzou met leurs vies en parallèle dans deux récits qui se suivent et s’imbriquent. Le premier élément matériel de l’intrigue est un ornement fait de " dix pétales qui tournaient dans le sens des aiguilles d’une montre autour d’un rond central ". En 1915, cet objet d’art est observé d’abord, dans la région de Sivas, par Ragip et appartenait au Colonel Mehmet. Celui-ci dévoile son racisme et sa cruauté en disant : " C’est un cadeau… le gavour ( infidèle arménien pour les Turcs) cet infidèle qui me l’a donné m’a assuré qu’il n’en fabriquait plus d’autres comme cela… Mais vous faites confiance, vous, à ces chiens ?... Ah, ça, pas moi ! A peine le dos tourné, ils vont chercher leurs saloperies de frères russes ! Alors pour être sûr qu’il tienne sa promesse, je suis parti avec ses bras !... hè…hè…hè… " A l’époque qui est la notre, Guluzar, grand-mère de Sibel, porte un pendentif au motif identique, en arménien " averjagan " qui signifie et symbolise l’éternité.
    Tout le monde appelle Guluzar par le petit nom de " Nine ". Sibel, qui adore cette grand-mère paternelle, nous confie même que, petite fille, elle lui avait demandé ce qu’était le noir et Nine lui avait répondu : " C’est la couleur qui est privée de lumière "… Sibel avait pris alors pour habitude, la nuit, de laisser sa chambre éclairée pour " consoler la nuit de l’obscurité "… Quelle métaphore à saisir !... allumer la lumière de la vérité pour consoler la longue nuit arménienne… La lumière de la vérité face à l’obscurantisme et au négationnisme… La lueur de l’espoir qui résiste à tous les éteignoirs… la fin de l’éclipse historique qui, depuis bientôt un siècle, maintient un soleil noir au dessus de la Turquie privée de lumière.
     
    " Les mots sont les passants mystérieux de l’âme " écrivait Victor Hugo. Plus près de nous, Kevork Témizian, cardiologue et poète arménien né en Syrie, a écrit un beau poème " Tes mots peuvent-ils ériger un nouveau monde ? ". Les premiers vers questionnent encore : " Tes mots peuvent-ils tracer des sillons dans la terre, se muer en semence, alliant la substance et la saveur des siècles passés aux siècles à venir ? ". Les mots ont une musique avec des échos intérieurs. Lorsque Sibel, intellectuelle, apprend que sa grand-mère est arménienne elle veut savoir et comprendre. Le seul livre qu’elle trouve en librairie est un vieux dictionnaire anglais-arménien. Elle y découvre le mot " Medz Mayrig ", Grand-mère. Elle est prise d’un dégoût, d’une mélancolie jusqu’à la nausée face à son identité nationale turque. Elle dit : " Je ne sais plus si je suis turque ou arménienne, parce que les deux… Les deux, ça me semble difficile… Impossible … Parfois je me dis que je hais ce pays qui se ment, alors que c’est le mien… " Comment va-t-elle surmonter cette crise existentielle ?

    La huitième colline est une métaphore pudique utilisée dans le roman de Louis CARZOU qui a inventé une fin optimiste à son récit. Donc, ne la cherchez pas en Anatolie où une grande partie des massacres eurent lieu et à Sivas où le drame trouve son origine dans ce roman. A Sivas, le 4 septembre 1919, se réunissait le congrès qui a jeté les fondations de la République turque. Plus récemment, le 2 juillet 1993, des fondamentalistes sunnites y incendiaient l’Hôtel Madimak, en représailles de la présence de l’écrivain Aziz Nesin, traducteur des Versets sataniques de Salman Rushdie. Dans cet incendie, 36 intellectuels alévis et un anthropologue néerlandais ont péri.

    Ce premier roman est profondément pensé et écrit tout en finesse, sans haine, sur un sujet qui concerne Louis CARZOU, puisqu’il a une origine arménienne. Il est édité aux Editions Liana Levi… à découvrir sans attendre la fin de l’ " année de l’Arménie ". En France, des événements culturels sont organisés dans de nombreuses villes et offrent l’occasion de découvrir un peuple martyrisé, issu d’une grande civilisation, et porteur de richesses pour le patrimoine de l’Humanité.
     
    La reconnaissance du génocide arménien concerne en premier lieu les Arméniens et les Turcs. Elle est aussi un symbole fort de la communauté internationale pour toutes les minorités intégrées ou non dans une grande nation. Elle touche à leur droit de survie et de sauvegarder un patrimoine identitaire et culturel lié à leur histoire ancestrale dont ils sont les témoins vivants : " un témoignage serein et fier ". Elle est la condamnation des comportements hégémoniques qui refusent l’idée que l’on puisse vivre en harmonie dans un pays, en respectant des règles constitutionnelles, civiles ou pénales, mais sans renier son appartenance identitaire plus ancienne que celle nationale. Elle condamne la pensée et la religion uniques qui fondent, sur la haine de l’autre, le racisme, les dictatures et les communautarismes. " Il n’y a qu’un coin de la planète qui peut se revendiquer ethniquement pur… c’est le Groenland… Enfin, d’après ce que je sais des pingouins ", dit un sage arménien dans le roman de Louis CARZOU, qui nous offre une happy end, avec une vision optimiste de l’évolution sociale en Turquie dans les années à venir. Le jour où la Turquie reconnaîtrait les années noires de son histoire, nous fêterions volontiers ce repentir à Istambul ou à Erevan. A Erevan, on pourrait boire un coktail Malkhaz, un verre dans chaque main, en écoutant l’ Américan Navy Band au Malkhaz jazz Akam et peut-être que le patron , Levon Malkhazian se mettrait au piano… A Istanbul, on consommerait un caïprina au bar 360°, avant d’aller flâner chez les bouquinistes de Sihangir pour feuilleter quelques livres sur le génocide arménien comme Arménie 1915 , un génocide exemplaire d’un certain Jean-Marie Carzou qui cite Jean Jaurés : " Nous en sommes venus au temps où l’humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné ".
    Et puis, rêvons encore un peu, il y aurait un rayon complet de livres sur le génocide chez un libraire prénommé Serguei avec : Les passagers d’Istanbul d’Esther Héboyan, Un poignard dans un jardin de Vahé Katcha, Les héritiers du pays oublié et Le ciel était noir sur l’Euphrate de Jacques Der Alexanian, 1915… Les derniers Laudes de Perdj Zeytoutsian, Les massacres des Arméniens de Arnold J.Tynbee, Nuit turque de Philippe Videlier, 1918-1920 , La république arménienne de Anahide Ter Minassian, L’Arménie à l’épreuve des siècles par Annie et Jean-Pierre Mahè, Les naufragés de la terre promise de Robert Arnoux, Les yeux brûlants d’Antoine Agoudjian, La victoire de Sardarabad de Serge Afanasyan, L’état criminel de Yves Ternon, Les lettres rouges de Jean-Pierre Badonnel, Embarquement pour l’Ararat de Michael J. Arlen, Moi, Constance, princesse d’Antioche de Marina Bédéyan, Arménia de Robert Dermerguerian, Dictionnaire de la cause arménienne de Ara Krikirian, Le tigre en flammes de Peter Balakian, Deir-es-Zor de Bardig Kouyoumdjian et Christine Simeone, La province de la mort de Leslie A.Davis…

    En 1915, les Arméniens avaient été condamnés à mort à cause de leur appartenance ethnique et de leur localisation géographique. La tension régnait entre les Arméniens séparatistes et les occupants turcs, la guerre mondiale avait atteint les Balkans, et, le 24 avril 1915, le débarquement des troupes alliées échouait à Gallipoli. Cet échec marquait la date du début des massacres organisés contre les Arméniens. En 1916, le peuple arménien avait perdu, en deux ans, 1.500.000 des siens, avec l’alibi turc de la subversion. Par la suite, d’autres génocides ont été perpétrés… Dans son roman, Louis Carzou évoque les massacres de femmes arméniennes avec leurs enfants. On peut évoquer à ce sujet les paroles de Pierre Loti de l’Académie française : " Je ne puis penser sans une spéciale mélancolie à ces femmes massacrées qui, pour la plupart sans doute, avaient d’admirables yeux de velours. "
    Pour finir en poème, dans " vô lu mondu " chanté par les Muvrini et dont un couplet est interprété par le chanteur arménien du groupe Bratch, nous avons relevé ces passages…
    U ventu dice un tu nome
    Da rompe a chjostra di tu campa…
    Calvacu mari è corgu mondi…
    Les mers défilent au long du voyage
    Pour découvrir la liberté
    Ma vie s’arrime à tant de peuples
    Tantôt en lutte ou en prière
    A tant d’attente, à tant d’espoir
    Pour la lumière qui reviendra...
    E vo lu mondu…
     
    ENTRETIEN AVEC LOUIS CARZOU :
     
    1°/ La huitième colline est votre premier roman publié. Vous êtes d’origine arménienne. A 42 ans, vous êtes rédacteur en chef adjoint à LCI. Vous êtes donc journaliste de formation et on aurait pu penser que vous auriez choisi le genre historique ou documentaire pour écrire un ouvrage sur le génocide arménien. Pourquoi avoir choisi le roman, donc la fiction ?

    LC : L’écriture, qu’il s’agisse de romans, de nouvelles ou de tout autre forme de fiction, est chez moi un désir bien plus ancien que celui du journalisme, même si je suis très attaché à ce métier. Sur le thème du génocide arménien, mon père avait déjà ouvert la voie des ouvrages historiques avec la publication en 1975 du premier livre d’histoire en français consacré à cette tragédie. Surtout, je ne crois pas avoir écrit un roman sur le génocide des arméniens, mais plutôt sur la question de la transmission, de la mémoire. C’est d’ailleurs pour cela que mon héroïne est une jeune femme d’aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce roman, elle se posait cette question : " A travers mes enfants, à quoi je donne une vie supplémentaire ? " . Et puis seule la fiction permettait cette construction avec l’alternance de passages contemporains et de plongées dans le passé.

    2°/ Le génocide arménien est au centre de votre roman et vos personnages apparaissent porteurs de vérités historiques et contemporaines. Pouvez-vous nous parler des personnages de Ragip et Nine, du colonel Mehmet et du lieutenant Zafer, mais aussi, dans la Turquie contemporaine, de Sibel et Sedat?

    LC : Sibel est évidemment le personnage auquel je suis le plus attaché. C’est aussi le personnage qui m’a donné le plus de difficultés, car, en toute humilité, rien n’est finalement plus complexe que de se glisser dans la peau d’un personnage féminin. Mais il n’y a rien de plus passionnant non plus, du moins à mes yeux. Paradoxalement, les heures passées avec Ragip ont été plus aisées, du point de vue de l’écriture. C’est paradoxal parce que c’est à sa suite que l’on traverse l’horreur de ce génocide, que l’on se trouve confronté à sa réalité la plus immédiate, sa dimension humaine. Je dois reconnaître que pour le personnage de Nine, je me suis inspiré de ma grand-mère paternelle, dotée d’un sacré caractère. Quant aux deux personnages de militaires turcs, ils me semblaient bien symboliser les deux faces d’une même volonté d’extermination : celle qui fait du zèle, qui se venge à travers sa cruauté de sa propre médiocrité, et celle qui laisse à sa propre lâcheté le soin d’oublier sa responsabilité lorsque l’on applique des ordres barbares jusqu’à en faire des réflexes.

    3°/ A la fin de La huitième colline, la grand- mère Nine veut se convertir à la religion musulmane qu’elle n’avait pas réellement embrassée jusque là. Elle est née arménienne de naissance et donc chrétienne Grégorienne. Elle a vécu en musulmane sans l’être. Elle veut mourir en musulmane, par reconnaissance envers celui qui l’a sauvée. Cette conversion voulue et non pas subie est-elle simplement, pour vous, la reconnaissance d’un " Juste " parmi les Turcs ou doit-on y voir un autre message plus polémique sur les Arméniens vivant toujours en Turquie? Est-ce, à cet égard, un geste symbolique significatif ?

    LC : Cette conversion m’a été racontée par un ami français d’origine arménienne, et c’est cette anecdote incroyable qui est à l’origine de ce roman. J’ai été tellement frappé par le récit de ce geste, qu’il me semblait impossible de ne pas écrire sur cette dernière volonté aux allures de révolution intime. Quinze jours après cette conversation, j’avais déjà pratiquement toute la structure du roman en tête, organisée autour de cette anecdote. J’ai demandé à cet ami la permission de me servir de ce geste, ce qu’il a accepté bien volontiers, d’autant que le phénomène des familles turques qui se découvrent un aïeul arménien est assez répandu en Turquie. C’est pour moi un acte très fort, symbolique, de réconciliation. Il est incontestable qu’il y a eu un génocide des arméniens, mais il est aussi incontestable qu’il y a eu, dans cette tempête d’inhumanité assassine, des hommes qui refusaient de prendre part à l’extermination de leurs voisins. Et je trouve important, dans le respect de mes origines arméniennes, d’être aussi capable d’écrire cela.

    4°/ La Huitième colline se situe en Anatolie où une grande partie des massacres a été perpétrée et plus particulièrement la région de Sivas où a été réuni le 4 septembre 1919 le congrès qui a jeté les fondations de la République turque. Plus récemment, dans cette ville, des fondamentalistes sunnites ont incendié l’Hôtel Madimak le 2 juillet 1993, en représailles de la présence de l’écrivain Aziz Nesin, traducteur des Versets sataniques de Salman Rushdie. Dans cet incendie, 36 intellectuels alévis et un anthropologue néerlandais ont péri. Pour quelles raisons avoir choisi ce lieu ?

    LC : Justement parce que cette ville symbolise les effets tragiques du nationalisme turc dans ce qu’il a de plus ombrageux, que ce soit en 1915 ou aujourd’hui. Si le lecteur se renseigne sur cette ville, il se rendra compte que le combat contre l’intolérance, les discours et les saillies extrémistes, est un combat toujours d’actualité en Turquie. De plus, cette ville était très loin des lignes de front de la première guerre mondiale. Or elle a abrité nombre de massacres. C’est donc, à cet égard, un parfait exemple contre l’un des arguments préférés des négationnistes aujourd’hui, qui consiste à dire qu’il s’agissait d’empêcher les populations arméniennes de pactiser avec les russes. Jamais, de toute la guerre, un soldat russe n’a mis le pied à Sivas. Or la population arménienne de Sivas a, elle aussi, été très largement décimée, dès 1915.

    5°/ J’ai lu sur le site de votre éditeur, votre définition biblique des Arméniens comme " le peuple élu… au second tour ". Nous sommes dans l’année de l’Arménie en France. Pensez-vous que cet événement qui se concrétise par de nombreuses manifestations culturelles, soit de nature à faire encore bouger les choses, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du génocide par la Turquie comme condition préalable à son entrée dans la communauté européenne ?

    LC : Ma définition des arméniens est une boutade, et n’a rien de " biblique "… Quant à la reconnaissance du génocide des arméniens par la Turquie, je pense que nous finirons par y assister. Certes, les informations, que ce soient les procès contre les intellectuels, ou les actions plus perverses (la modification des noms latins de certaines espèces qui comportent le mot " armenia "…), ne rendent pas optimistes. Mais souvenez vous de l’exemple de l’URSS. En 1981, j’avais 18 ans, et c’était Brejnev qui tenait le Kremlin. A l’époque, si l’on m’avait dit que tout s’effondrerait huit ans plus tard, sans déclencher un conflit majeur, j’aurais pris mon interlocuteur pour un fou. Il faut donc continuer de se battre pour cette reconnaissance, parce que, parfois, l’Histoire peut être porteuse d’espoir. Surtout, je crois sincèrement que cette reconnaissance serait ce qui pourrait arriver de mieux aujourd’hui… pour les citoyens turcs. Car elle impliquerait trois changements majeurs pour eux : un vrai respect du droit des minorités, une authentique liberté d’expression et la remise en cause du rôle de l’armée dans ses institutions, acteur qui échappe encore au suffrage universel.


     
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  • Un auteur corse de talent : Philippe FRANCHINI:

    Nous venons de lire " Continental Saïgon " écrit par Philippe FRANCHINI, édité en 1977 et réédité en 1999. Il relate, au fil de sa vie, l’histoire du Viet Nam et celle de l’Hôtel Continental de Saïgon, où il a pris la suite de son père au décès de ce dernier, en 1965, après la guerre d’Algérie. Cet hôtel qui faisait donc partie de son patrimoine, était aussi considéré comme un monument historique de cette ville mythique qu’est devenue Saïgon. Au milieu d’un lyrisme aux senteurs d’Extrême - Orient, on trouve des phrases efficaces et bien pensées. Certains passages laissent apparaître l’auteur de polar que Philippe FRANCHINI pourrait devenir, notamment celui " faire du fric américain ". A découvrir ou redécouvrir ! L’auteur , né de père corse et de mère vietnamienne, a quitté l’enseignement pour peindre et écrire. Vous pouvez consulter sa biographie sur le site de l'éditeur qui porte le nom d'un tableau de Kadinsky: http ;/www.lecavalierbleu.com . Si ses racines vietnamiennes nourrissent sa sève humaniste dans "Continental Saïgon", il y a aussi de la graine corse chez lui.

    Dans la collection " Idées reçues " de l'éditeur "Cavalier bleu" , vous trouverez son essai " Les corses " avec cette entrée en matière : " Le sujet est explosif. Et les débats passionnés. Mais en toile de fond de la question politique, il y a une île, une population, une culture. Et beaucoup d’idée reçues… " et il ajoute : " En tant que métis, j’ai éprouvé tout ce que les idées reçues peuvent susciter de malentendus, de conflits, de lourdeurs dans les rapports sociaux et professionnels. Et puis la Corse est mon pays, et , à l’heure actuelle, son peuple est l’objet d’une corsophobie aussi inique que stupide. Néanmoins, le Corse et les corses n’ont nullement besoin d’être défendus. Compte tenu de mon parcours d’historien et de mon expérience vécue des confrontations politiques et guerrières, je crois bénéficier d’un regard différent sur un problème de différence. "

    Nota:

    "Le cavalier bleu" est aussi une revue pour une nouvelle esthétique, fondée à Munich en 1911 par les peintres kubin, Münter, Franz Marc et Kadinsky. Cette revue se voulait anticonformiste.
    " L'homme vit toujours parmi les tombes, et , selon la dignité qu'il met à se mouvoir parmi elles, on peut augurer de son comportement futur" a écrit Franz Marc.

     
    Un jeune auteur américain: Jon FASMAN:

    Pour ceux qui ont aimé " Le pendule de Foucault " de Umberto Ecco et le Da Vinci Code de Dan Broxn, nous leur proposons de se plonger dans l’univers d’un premier roman écrit par un journaliste américain , Jon Fasman: La bibliothèque du géographe. C’est un ouvrage à la fois fantastique et policier. Le personnage principal , Paul Tomm, est le narrateur de sa vie d’abord morne de journaliste provincial sans ambition, jeune homme ayant refusé de se transformer, dans une des mégapoles américaines, en androïde du management où autre secteur de l’économie de marché. Son rédacteur en cher, Art Rolen, lui confie une enquête sur un professeur ne répondant plus au nom de Jaan Pühapâev car il a été retrouvé mort. Il s’agit de préparer une notice nécrologique, tout en cherchant les causes du décès. A partir de ce premier cadavre, notre journaliste va jouer les détectives façon tribulations dans deux histoires en miroir. On remonte le temps jusqu’au 12ème siècle : quel maléfice frappe tous les propriétaires successifs de quinze fabuleuses reliques volées dans la bibliothèque d’Al – Idrisi, géographe du roi Roger II de Sicile ? Mais aussi dans l’espace : où est l’Estonie ? Derrière l’ancien mur de Berlin...

    L’auteur a mis , en exergue et au début du roman, une citation de Graham Greene : " Je suis perpétuellempent tiraillé entre deux pensées ; d’un côté, que la vie devrait être meilleurs ; de l’autre, qu’elle est vraiment pire, quand elle semble meilleure . " et suit une lettre adressé par Paul Toom à sa chère H… ; " Je te croyais morte. En tout cas, je ne m’attendais pas à avoir de tes nouvelles. D’ailleurs, peut-être n’en ai-je pas eu : Je reconnais ton écriture, mais la contrefaçon est sans doute un jeu d’enfant pour tes nouveaux amis.. .. "
    De quoi vouloir en savoir plus !…

    Et puis Jon Fasman a l’art de donner des portraits laconiques mais visuels. Nous en donnons deux pour exemples, car ils sont en début du roman :
    Art Rolen : " Art fumait parce qu’il fumait, sans honte ni volonté de prouver quoi que ce soit, mais tout bonnement parce que fumer faisait partie de lui. Ses sourcils blancs et épais, ses yeux noirs très enfoncés, sa longue mâchoire et sa barbe blanche lui donnait un air constamment endeuillé : Il ressemblait à la fois à Humphrey Bogart d’âge mûr et au Toltoï de la fin.. "
    Feu Jaan Pühapäev : " … était professeur d’histoire à l’université de Wickenden. Je ne me souvenais pas du contenu de ses cours. C’était plus un meuble – vieux, triste, usé, anodin – qu’un professeur en chair et en os ."
     
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  • Un auteur insolite : AL RABASSOU pour un polar dans un style déjanté, mais aussi un témoignage d’une violence scolaire qui alimente aujourd’hui les chroniques judiciaires. L'auteur "Al Rabassou", tel Dionysos, jaillira du sol comme un cep de vigne, figure Nietzchéenne plutôt que sage visage apollinien.
    L.P BLUES
    Al Rabassou,
    une histoire française,
    autoéditions du dernier Mammouth… "

    Lorsque j’ai lu la couverture de ce livre, je l’ai pris dans une main et je suis allé à la la 4ème page de couverture qui m’annonçait le Lycée professionnel Robert Schuman de Montrouge comme scène de crimes pour une enquête menée par l’Inspecteur Labarde et son stagiaire Tricard.

    Quatrième page de couverture :
    " Albertine a disparu ! Sacré challenge que de retrouver cette super louloute après le meurtre de Jean-Marie, un élève du Lycée Professionnel Robert Schuman de Montrouge ! Lancés sur l’affaire, l’inspecteur Labarde et son stagiaire Tricard vont vite découvrir, côté profs ( La Truie qui doute, Concrètement, le Dernier Pédago...) comme parmi les élèves ( Banania man, Black et Decker, Danse avec les clous..) des personnages d’un genre peu ordinaires, pas toujours en totale harmonie avec l’établissement en pleine restructuration. D’autant que l’époque est troublée : dans les rues, les " Tous ensemble ! " paralysent une partie du pays ; l’élite (Jack Lacoquille et Romain Frappé, Jehan et Cosette Riquiqui, Fifi Lachèvre, Tonton, le beau Roro..) se délite avec la bénédiction du Fion nacional. Mais les bêtes s’en mêlent : Zoulou le matou, Baltic, Raymond le basset, exaspérés par Brigitte Cabot soutiennent les sans colliers et manifestent pour leur dignité… "

    Je n’ai pas trouvé de L.P Robert Schuman à Montrouge mais seulement un LP Jean Monnet, celui d’où Youssef Fofana est sorti, sans diplôme et sans travail, à l’époque au Al Rabassou éditait son roman. Au mois de février 2006, cet ancien élève, devenu chef du " gang des barbares ", était arrêté en Côte d’Ivoire pour le meurtre du jeune Illan Halimi. Par la suite de nombreux articles ont été écrits sur cette violence qui prend racine dans les cités et les établissements scolaires. Nous vous en citons un pour exemple écrit par Barbara Lefebvre dans Le Monde du 8 Mars 2006 et dont le titre est " Des barbarismes à la barbarie " et où il est dit que la violence verbale prépare ( dans nos écoles ) au pire passage à l’acte.

    L.P BLUES sentait le prof de Lycée professionnel inspiré d’une éducation nationale à bout de souffle. " Rabassou " avait une sonorité provençale aux senteurs de truffière. La rabasse est une truffe, un diamant noir. Quel symbole pour un polar ! Un coup d’oeil sur le nom et l’adresse de l’imprimeur : Les Ateliers des Presse Littéraires de Saint Estève (Pyrénées orientales). J’orientais donc mes recherches vers un lieu géographique et je trouvais le chemin de la Carrierasse et de Rabassou dans le quartier nord de Frontignan. J’en étais là de mon enquête qui tourna court. Point besoin d’un cochon truffier pour débusquer l’auteur ! J’ai appris de source sûre que Al Rabassou n’habitait pas à Frontignan. On m’a même donné son nom et son adresse. Paul Noguès., professeur de L.P et d’origine catalane, vit toujours en région parisienne. Il a publié le roman " L.P BLUES " en 1999. Cet ouvrage, sous l’éclairage de l’actualité criminelle, mérite d’être revisité. Quant à Rabassou , il s’agit d’un terme catalan , qui signifie " Cep de Vigne ", symbole dionysiaque, au sens littéraire bien sûr de l'adjectif. Que nous réserve donc ce Dieu de la fécondité animale et humaine?

    Je me suis alors lancé dans le lecture de ce roman original qui s’ouvre, par un bestiaire : Zoulou, Raymond, Pépette … des sobriquets pour des chats et chiens qui s’expriment avec des mots humains sur leur quotidien auprès des humains qui les exaspèrent…. Et l’auteur provoque, avec humour, le lecteur en l’interrogeant :" … Les bestioles qui causent ? … et alors ? Ce n’est pas nouveau, et puis, y a bien des flics qui grognent, des profs qui aboient ! "

    L'auteur met en scène l’Inspecteur Labarde , ancien Professeur de L.P reconverti en flic mais toujours renifleur de figures de style dans la trivialité des mots de tous les jours. " Quand un de ses collègues, un gros balèze à gueule de bouledogue, jetait à un suspect qu’on venait d’interpeller : " On va s’occuper de toi, mon biquet ! " il se disait, selon l’humeur du moment : " Tiens une métaphore ! " " Tiens, un euphémisme ! ", " Tiens, de l’ironie !". Ce flic de polar se démarque des classiques comme Maigret et Simenon , en faisant une mise au point avec le lecteur : " On sait que Maigret n’hésitait pas à flâner des heures durant le long d’un quai, d’un canal, d’une rue déserte pour s’imprégner des lieux ; qu’en sniffant le brouillard au pont de Tolbiac, Burma résolut une ténébreuse affaire. Moi, l’atmosphère, j’essayais de la devancer et, pourquoi pas, en jouant avec les mots, car Tricard et moi n’allions pas enquêter le long d’un quai, d’un canal, d’une rue déserte ou sur le pont de Tolbiac. Non, en ce 20ème siècle finissant, la violence semblait développer un rude appétit pour l’école. A la une des journaux, les crimes crapuleux, la délinquance urbaine étaient sérieusement concurrencés par la violence scolaire. Or cette violence venait de frapper au Lycée professionnel de Montrouge aux marges du département le plus riche de France : les Hauts-de-Seine.. " La violence scolaire, une actualité qui est entrée dans le 21ième siècle en même temps que les incertitudes d’une société qui se déshumanise. Si on n’y prend pas garde, on trouvera plus d’humanité dans le regard d’un chien que dans l'Homme. Ce serait peut-être ce corniaud, dans LP BLUES, qui, la truffe frétillante, faisait voleter les premières feuilles tombées. Soudain, il tourna plusieurs fois sur lui-même puis ratissa le sol frénétiquement comme à la recherche de son trou de balle qu’il aurait perdu. Rassuré de ne pas l’avoir trouvé, il prit un air inspiré et prépara une fracture du col du fémur sous la forme d’une crotte noirâtre qu’il renifla avec soin pour s’assurer qu’elle était bien à lui. "

    Ce polar contemporain et truculent est un récit avec une intrigue "noueuse comme un cep de vigne" qui débute sur la découverte du cadavre d’un élève du Lycée Professionnel de Montrouge avec comme indices : des cheveux, des miettes de madeleines proustiennes et un pendentif avec l’inscription " Tsilaosa… D’emblée, j’aimai ce mot. (nous dit Labarde) Les quatre sons vocaliques, l’allitération en S, la douceur de sa chute, étaient aussi doux à mon oreille que sur mon palais le canard laqué aux quatre parfums de la Cité Interdite, un resto chinois de l’avenue de Choisy " L’enquête gordienne est parsemée de morceaux d’anthologie scolaire, tout en n’oubliant pas les vertus pédagogiques sur la langue française et ses subtilités. L’auteur nous offre aussi sa satire du monde politique des Guignols de l’Info. J’ai voulu en savoir plus sur Paul Noguès, alias Al Rabassou. Il est toujours enseignant en banlieue parisienne où je l’ai contacté pour le convier à un entretien en quatre questions.

    Entretien en quatre questions :

    1°/ Je m’adresse d’abord à l’auteur : Al Rabassou ! Après vos années parisiennes, les rousquilles ont-elles toujours une saveur Proustienne. En d’autres termes, avez-vous le sentiment d’appartenir à une identité catalane?
    Les rousquilles ont toujours un délicieux parfum d’enfance (et Rousquille est le véritable nom de Pépette dans le roman). Je me sens Catalan, davantage par les couleurs et les odeurs de la garrigue au printemps, par les rafales décoiffantes de la Tramontane, par un verre de grenache ou de muscat clôturant une cargolade ou par les couillonades de Salvador Dali que par la langue ou la culture. Les revendications identitaires et nationalistes sont ,à mon sens, trop instrumentalisées. Je me sens plutôt " méditerranéen ".
    2°/ Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’écriture de votre roman et celle de votre parcours pour vous faire éditer avec le choix d’une autoédition régionale ?
    Comme les rousquilles, les bouquins (et notamment les polars et néopolars) sont mes " madeleines " à moi. Ils me procurent régression et jouissance… au point, il y a quelques années, de tenter l’aventure de l’écriture. Des " ruptures " dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle (nouveau public d’élèves plus " destructuré ", beaucoup d’interrogations et de choses à " raconter ", des situations de violences pas toujours faciles à comprendre ou à accepter) m’ont fait franchir le pas. J’ai commencé par dégueuler des mots sur des feuillets épars et tenté de leur donner une cohérence quelques mois plus tard. Le résultat c’est LP BLUES, récit bâtard, hésitant entre le neopolar, le journal intime et la chronique sociale. Quant à la suite, vous imaginez les problèmes :coût des tapuscrits, refus polis des éditeurs et…autoédition
    3°/ L’entame de L.P BLUES est animalière. Vous mettez le bestiaire humain sous le regard d’une humanité animale. Votre héros, l’inspecteur Labarde est un ancien Professeur. Diogène déambulant dans le Lycée professionnel de Montrouge, quel regard porterait l’inspecteur Labarde sur l’affaire du gang des barbares qui a défrayé la chronique avec son chef, Youssef Fofana ?
    Labarde déambule dans le lycée, Zoulou le matou dans les banlieues…Ce qu’ils voient n’est pas toujours réjouissant. Fofana était à Montrouge il y a quelques années. Ce n’était pas une terreur. Pourquoi a-t-il basculé ? Je ne me hasarderai pas à répondre ! Ce qui m’interpelle le plus chez certains jeunes c’est la situation de destructuration familiale et l’absence réelle ou symbolique du père. Qui reste-t-il pour leur rentrer dans le lard, pour les reconnaître au sens existentiel du terme ? …Les profs et les flics !
    4°/ Vous citez à rebours Maigret et Nestor Burma. Si je devais classer L.P BLUES dans la Noire, je le rangerais sur le rayon des néo – polars. Dans la Noire, quels sont vos personnages et vos auteurs préférés ?
    Je n’ai pas de collection de prédilection. Bill James, John Harvey, Fred Vargas, Izzo, Connelly, Douglas Kennedy sont des auteurs que j’ai beaucoup de plaisir à lire. Mais j’ai une tendresse particulière pour Pepe Carvalho, le privé catalan gastronome et jouisseur de Vasquez Montalban.
     
    D’une rencontre, il naît toujours une richesse : En 1997-1998, une réalisatrice de documentaires (connue et reconnue), Mme POZZO DI BORGO Catherine, avait croisé Paul NOGUES. Elle a ensuite sorti son film sur les jeunes de Montrouge et " Tu seras manuel, mon gars ! ". Une Dame et une œuvre cinématographique exemplaires !...

    Extrait du dossier " Jeunes dans le Bâtiment " sur le site de Mutualité de France et du journal "Santé et Travail": http://www.mutualité.fr
    " Paul Noguès est professeur de français à Montrouge (Hauts-de-Seine), dans un lycée professionnel qui compte des classes de CAP, de BEP et des bacs pros formant aux métiers du bâtiment(1). Comment les jeunes appréhendent-ils leur avenir ? " Les réactions sont très différentes selon qu’on a affaire à des jeunes préparant un CAP ou un bac pro, répond l’enseignant. Les bacs pros savent déjà très bien à quoi s’attendre, car ils ont eu des stages en préparant leur BEP ou leur CAP. Mais, arrivés à ce niveau, ils prennent encore davantage conscience de la pénibilité du travail. " Trop souvent, les professeurs ont le sentiment de se retrouver face à des jeunes qui " subissent " leur orientation vers le bâtiment ou les travaux publics.
    Démotivés
    Malgré cela, observe Paul Noguès, " il y en a qui s’y trouvent assez bien ". Récemment, il a rencontré deux jeunes en bac pro sur leur lieu de stage, afin de vérifier si tout allait bien. L’un travaillait dans un bureau d’études des services techniques d’une commune, l’autre transportait des gravats dans une brouette sur un chantier du 19e arrondissement de Paris. Le prof de français a pu constater que " les deux garçons étaient satisfaits de leur stage .
    Les clashs pendant les stages sont le plus souvent le fait des jeunes en CAP. " Parmi les jeunes en formation dans le BTP, beaucoup sont issus de familles immigrées dont les pères travaillent déjà dans le secteur, remarque Paul Noguès. Comme ils ne sont pas bons à l’école, ils se retrouvent prisonniers d’une filière, avec en tête une image négative véhiculée par les parents. "

    A l’occasion du tournage d’un film dans ce lycée professionnel de Montrouge pendant l’année scolaire 1997-1998(2), la réalisatrice Catherine Pozzo di Borgo s’est entretenue avec les jeunes sur leur vision de l’avenir. A l’écran, ces derniers paraissent dans l’ensemble assez démotivés. " Je ne veux pas rentrer dans la vie active maintenant, ce serait trop dur. On ne gagne pas assez d’argent dans les entreprises, et puis, travailler toute sa vie en étant ouvrier, ce n’est pas mon truc ", explique un élève âgé de 18 ans. Plus agressif, cet autre interroge : " Avec le bac pro, on va faire quoi ? On va être des crève-la-dalle sur un chantier. Et si on continue… De toute façon, le BTS, on ne l’aura jamais. " La dureté des conditions de travail fait office de repoussoir. " Les gars sur les chantiers, ils sont tellement usés par le travail… Ce sont des "cro-magnons" ", ironise un autre. " On ne peut pas travailler quarante ans sur un chantier, sinon, arrivé à l’âge de la retraite, on est foutu ", assure un dernier.
    Résultat ? Les jeunes étirent au maximum le temps des études, même s’ils ne sont pas au niveau.

    Une rencontre: Mme Catherine POZZO DI BORGO, témoin du Futur :

    Une réalisatrice de films documentaires sur le monde du travail : Catherine POZZO DI BORGO et son parcours exemplaire.

    En 1999, Mme POZZO DI BORGO Catherine, réalisatrice et professeur associée de l’Université d’Amiens, a réalisé un documentaire sur les élèves du Lycée Professionnel de Montrouge où elle avait rencontré, pendant l’année scolaire 1997-1998, Paul Noguès, Professeur de Lettres et auteur du polar "L.P BLUES" sous le pseudonyme Al Rabassou. Le documentaire s’intitule " Tu seras manuel, mon gars ". Nous avons voulu en savoir plus sur cette réalisatrice exemplaire effectuant son travail sur le terrain pour nous ramener des documentaires d’une grande honnêteté morale, en rassemblant des témoignages audiovisuels sur la précarité et le chômage, qui sont autant de pierres à l’édifice d’une humanité qui se cherche.

    Son nom " POZZO DI BORGO " ne laisse aucun doute sur ses origines corses, mais son parcours professionnel et ses mérites se situent dans son oeuvre qui donne une vision réaliste et humaniste du monde du travail avec des approches sur l’évolution de nos sociétés. Certains de ses documentaires ont été diffusés sur des chaînes télévisées thématiques comme la Cinq. Tous servent d’outils pédagogiques ou de bases de réflexion lors de nombreuses conférences organisées par divers organismes dans la France entière et à l'Etranger. Mme POZZO DI BORGO est exemplaire par son talent de réalisatrice et de scénariste, mais aussi par son intégrité morale et intellectuelle qui la pousse à une réflexion sur son travail lui-même dans un souci permanent de coller au plus juste possible dans des constats qui éclairent notre avenir pour y faire face. Elle porte sur le présent son regard de témoin du Futur et s'adresse aux consciences.

    Madame Catherine POZZO DI BORGO possède la science de l’art cinématographique et l’art de la science, alliant son talent créatif à sa rigueur. Le documentaire est souvent considéré comme de l’artisanat, un noble mot conjuguant art et savoir faire. En deux phrases, nous avons employé sciemment plusieurs fois le mot " art ", redondance voulue pour une réalisatrice d’exception. Le documentaire est un art cinématographique. Nous tenions à le souligner en ce qui la concerne.
    Nous avons retrouvé le titre d’un opus récent : " Vues de l’Europe d’en bas " publié aux Editions L’Harmathan et imprimé en juillet 2005.
    Quelques documentaires réalisés par Mme Catherine POZZO DI BORGO :
    A job of the birds en 1979, Shop talk en 1980, The great weirton steal en 1984, et...
    En 1991, Les vaches bleues.
    En 1996, Arrêt tranche, les trimardeurs du nucléaire.
    En 1999, Tu seras un manuel, mon gars ( à la même date Paul Noguès publie L.P BLUES ) .
    En 2202, Tout l’or de la montagne noire .
    En 2003, Chômage et précarité : L’Europe vue d’en bas.
     
    Vous pouvez retrouver une partie de son parcours sur le site de l'INA où il suffit de passer son nom au moteur de recherche pour atteindre notamment les dossiers de l'audiovisuel.

    Entretien en quatre questions avec Mme Catherine POZZO di BORGO

    I. Quels souvenirs avez-vous gardé de votre reportage au sein du Lycée professionnel de Montrouge, pendant l'année scolaire 1997-1998 (pour les besoins de votre film : "Tu seras manuel, mon gars"?)
    En ce qui concerne le film "Tu seras manuel, mon gars", après avoir réalisé plusieurs documentaires sur le monde du travail, j'ai eu envie d'aller voir en amont comment étaient formés les ouvriers. J'ai donc passé une première année d'observation au lycée professionnel de Montrouge, observant les différentes filières proposées et les problèmes qui se posaient. J'ai ensuite rédigé un scénario qui m'a permis d'obtenir une aide du ministère du Travail, ainsi qu'une co-production avec la 5. Puis j'ai tourné par étapes tout au long de l'année scolaire suivante. Le lycée professionnel de Montrouge, comme tous les établissements de ce genre, est devenu malheureusement une voie de garage où l'on envoie tous les jeunes qui n'arrivent pas à suivre l'enseignement normal. Or les métiers manuels qui faisaient la fierté des ouvriers sont aujourd'hui fortement dévalorisés. Les jeunes qui se retrouvent dans les lycées professionnels sont en majorité issus de l'immigration. Beaucoup n'ont pas de père et quand ils en ont, ce sont très souvent d'anciens ouvriers au chômage. Il n'y a plus comme autrefois cette transmission des savoir-faire du père au fils. Et les jeunes d'aujourd'hui ne veulent surtout pas être comme leurs pères, usés prématurément par le travail et trop souvent menacés par le chômage. Ils se rêvent dans des bureaux, mais sont incapables, pour des raisons essentiellement sociales, d'obtenir les diplômes requis pour ce type d'emploi. En outre, il est rare qu'ils puissent choisir leurs filières d'apprentissage. Ce travail m'a laissé deux impressions très fortes. La première était l'ordre et le calme qui régnaient au lycée de Montrouge. Certes, les jeunes avaient du mal à se tenir tranquille pendant les cours, mais en deux ans je n'ai assisté à aucune scène de violence et les rapports que j'ai eu avec eux ont toujours été très courtois. Ce qui va à l'encontre des présupposés que l'on a trop souvent sur les jeunes des banlieues. La deuxième impression était beaucoup plus négative. C'était d'être confrontée à des jeunes, certainement aussi intelligents ou talentueux que d'autres, mais qui, en raison de leurs origines sociales, n'avaient pour ainsi dire pas d'avenir. Et cela, il me semble, est inacceptable dans un pays comme le notre.
    II. Quelle a été la motivation de votre parcours de réalisatrice de documentaires sur le monde du travail et avez-vous des projets en cours?
    Le monde du travail m'a toujours fascinée pour sa richesse et ses contradictions et pour les personnages remarquables qu'on y rencontre parfois. Les documentaires que j'ai réalisés ne sont pas des films de divertissement. Ils exigent l'attention du spectateur, mais je pense qu'ils sont nécessaires en ce qu'ils contribuent à une meilleure compréhension critique de la société dans laquelle nous vivons. Je viens de terminer un film totalement différent. "Les Cris de Paris" dont voici le résumé:
    "Les Non Papa*, un ensemble de jeunes et talentueux chanteurs, préparent un spectacle autour des " cris de Paris " au temps de la Renaissance. Les cris étaient ceux que poussaient les petits vendeurs de rue sur une ou deux notes de musique et que des compositeurs de l¹époque ont recueillis pour en faire des chansons savantes ou populaires. Du déchiffrage des partitions au spectacle final, en passant par la fabrication des costumes, la recherche d¹accessoires et des essais de mise en scène ­ un documentaire où la beauté de la musique côtoie des séquences prises sur le vif, pleines d¹émotion, de fantaisie, voire de franche gaieté. Une plongée dans le mystère de la création musicale." Je dois dire que cette échappée dans le monde de la musique m'a procuré un immense plaisir qui, je l'espère, sera partage par les spectateurs.
    J'ai deux projets en cours, plus tournés cette fois vers le monde paysan: un film sur le Larzac et un autre sur les petites fermes, ou la survie de la petite paysannerie française.
    III. Vous avez des origines corses, quel regard portez-vous sur l'île?
    Je n'ai malheureusement aucune attache en Corse, ce que je regrette car c'est un pays magnifique. Si quelqu'un veut m'inviter....
    IV. Dans vos documentaires, vous montrez une réalité qui sert souvent de décor dans la Noire et le neopolar. Etes-vous lectrice de romans noirs et, de façon plus générale, quels sont vos auteurs préférés dans la littérature ?
    Je suis une grande lectrice de romans policiers. Avec une prédilection pour les auteurs américains: Dashiell Hammett, Ross MacDonald, Elmore Leonard, James Ellroy, James Lee Burke. Il y a aussi quelques français que j'aime beaucoup: Fred Vargas, Jean-Patrick Manchette, Tonino Benaquista, Jean-Claude Izzo. Sans oublier le merveilleux Paco Ignacio Taibo II.

    En marge de l'interview:
    Le groupe Non Papa* a été constitué en 2001 par quatre de ses membres et il comprend aujourd'hui 8 chanteurs issus de l'Université de Paris-Sorbonne associés au Jeune coeur de Paris, au Centre de musique baroque de Versailles et au CNSM de Paris. Son nom évoque le compositeur franco-flamand Jacob Clémens, connu sous le pseudo de Clemens Non Papa. Vous pouvez en savoir plus en allant sur leur site: http://nonpapa.free.fr


     











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