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Par Difrade le 21 Novembre 2006 à 21:28" La huitième colline ", écrit par Louis CARZOU - Entretien avec lauteur en fin darticleLivre acheté le 24 avril 2006, 91ème anniversaire du génocide arménien. Un premier roman passionnant et convaincant. Son auteur est dorigine arménienne et, à 42 ans, rédacteur en chef adjoint à LCI. Site:
http://www.louiscarzou.com
Mémoire généalogique
Dans les familles arméniennes, le génocide est un lourd héritage que chaque enfant porte à son tour pour que les voix des Anciens, au-delà de la mort, traversent les siècles décho en écho. Cest cela que lon appelle le devoir de mémoire.
Carzou : Un patronyme déjà célèbre
Louis Carzou dédie son roman " La huitième colline " à son grand-père Garnik Zouloumian, plus célèbre sous le nom de Jean Carzou, peintre, graveur et décorateur français dorigine arménienne, né le 1er Janvier 1907 à Alep (Syrie ) et décédé le 12 août 2000 à lâge de 93 ans. Académicien à lInstitut des Beaux Arts, récipiendaire de hautes décorations, récompensé par des prix prestigieux, on lui doit la fresque " Apocalypse " qui décore léglise de la présentation à Manosque, uvre qui traduit sa hantise de lholocauste. Il a décoré la chapelle de lEglise du couvent de Manosque qui est devenu la fondation Carzou en 1991.
Notre auteur ne sarrête pas là en ce qui concerne ses illustres ascendants. Sa grand-mère Nane Carzou écrivait des recueils de contes et des livres pour enfants dont " Voyage en Arménie ", un voyage fait avec son illustre époux ou bien Antranik et la montagne sacrée, des contes arméniens. Elle est décédée en 1998.
Jean et Nane Carzou ont eu un fils Jean-Marie Carzou, auteur de louvrage Arménie 1915 Un génocide exemplaire- édité chez Flammarion en 1975, professionnel de linformation, producteur et réalisateur démissions pour la télévision et qui a, pour fils, Louis Carzou. Celui-ci, auteur de " La huitième colline ", a pris la relève dune lignée qui ne séteint pas. Son père avait ouvert la voie en écrivant sur le génocide arménien avant les autres. Dans son premier roman, il remplit son devoir de mémoire.
Une fiction pour un témoignage serein et fier : La huitième colline
Comment les destins se croisent ? Bien souvent, par des rencontres banales. Et puis, il y a les tragédies de lhistoire de lhumanité qui révèlent des héros ordinaires parce quils restent simplement humains alors que leurs congénères senlisent dans la barbarie par obscurantisme ou veulerie. Ce refus de la barbarie conduit forcément à un acte héroïque.
Dans son premier roman pétri dhumanisme au titre " La huitième colline ", Louis Carzou évoque le génocide arménien. De nombreux ouvrages historiques ont été publiés sur le sujet. Il ny a plus que des négationnistes, des hommes politiques cyniques et des affairistes pour en contester la réalité. Lauteur utilise le genre romanesque et donc la fiction à partir dun fait historique majeur dans le cours fragile de lhumanité. Il fait appel à lempathie du lecteur et, par là, nous donne à ressentir, par la lecture et donc limaginaire, ce que les Arméniens ont vécu dans leur chair.
Dans une famille turque, une grand-mère révèle, au seuil de sa mort, quelle est arménienne, enfant sauvé et adopté par un médecin turc. Ce choix révèle que, en 1915, tous les Turcs nont pas participé ou approuvé le génocide, de même que, de nos jours, des Turcs le reconnaissent avec tous les risques encourus. Lauteur met en scène des femmes arméniennes dans une histoire romancée à la fois tragique et belle par les émotions quelle suscite. Les personnages sont porteurs de vérités historiques et contemporaines. Lécriture est subtile et leur donne chair.
En 1915, le Colonel Mehmet, fier dêtre un descendant des Janissaires, incarne la barbarie la plus cruelle à côté du lieutenant Zafer, intellectuel qui, au fil du temps, saguerrit et obéit par conviction ou couardise. Le bon Docteur Bey ( Ragip) découvre avec horreur le sort réservé aux Arméniens et se souvient de ce que lui disait un professeur, lorsquil était étudiant : " Un médecin fait un diagnostic. Un bon médecin agit ". Il y a aussi le personnage de Itsak. Protégé par le médecin, ce jeune turc est un pacifiste, amoureux de Gayané, jeune fille arménienne à en perdre la raison, dans une Turquie qui est en guerre et prépare le génocide.
Dans la Turquie contemporaine, Sibel est une journaliste émancipée et une femme moderne qui résiste à la pression de sa famille : une mère, Nermin, qui lappelle " Mon petit moineau " tout en la culpabilisant de nêtre pas mariée à 27 ans ; un frère, Sédat, traditionaliste et conservateur lorsquil sagit de la nation turque et de la religion musulmane ; et le père, Arda, qui, par ses regards et ses silences, veut peser sur la conscience de sa fille. La jeune femme a un amant, Volkan et travaille pour CNN Turquie, qui " nest quune licence exploitée par un groupe de presse turc. " Elle sintéresse à la répression contre les Kurdes et sarrête sur une image dune mère kurde qui offre son enfant à la caméra en disant : " Prenez-le ! Prenez-le ! Quest-ce que je vais en faire moi ? Quest-ce que je vais lui donner ? La misère ? La répression ? Lexil ? " Un geste désespéré qui sétait déjà produit en 1915
Ragip (Docteur Bey) et Sibel, à des décennies et trois générations dintervalle, sont des personnages à la fois forts et fragiles dans une société turque figée dans ses croyances. Larrière-grand-père turc et sa petite fille portent en eux cette humanité qui permet de ne jamais sombrer dans lobscurantisme même lorsque tout vous y pousse. Louis Carzou met leurs vies en parallèle dans deux récits qui se suivent et simbriquent. Le premier élément matériel de lintrigue est un ornement fait de " dix pétales qui tournaient dans le sens des aiguilles dune montre autour dun rond central ". En 1915, cet objet dart est observé dabord, dans la région de Sivas, par Ragip et appartenait au Colonel Mehmet. Celui-ci dévoile son racisme et sa cruauté en disant : " Cest un cadeau le gavour ( infidèle arménien pour les Turcs) cet infidèle qui me la donné ma assuré quil nen fabriquait plus dautres comme cela Mais vous faites confiance, vous, à ces chiens ?... Ah, ça, pas moi ! A peine le dos tourné, ils vont chercher leurs saloperies de frères russes ! Alors pour être sûr quil tienne sa promesse, je suis parti avec ses bras !... hè hè hè " A lépoque qui est la notre, Guluzar, grand-mère de Sibel, porte un pendentif au motif identique, en arménien " averjagan " qui signifie et symbolise léternité.
Tout le monde appelle Guluzar par le petit nom de " Nine ". Sibel, qui adore cette grand-mère paternelle, nous confie même que, petite fille, elle lui avait demandé ce quétait le noir et Nine lui avait répondu : " Cest la couleur qui est privée de lumière " Sibel avait pris alors pour habitude, la nuit, de laisser sa chambre éclairée pour " consoler la nuit de lobscurité " Quelle métaphore à saisir !... allumer la lumière de la vérité pour consoler la longue nuit arménienne La lumière de la vérité face à lobscurantisme et au négationnisme La lueur de lespoir qui résiste à tous les éteignoirs la fin de léclipse historique qui, depuis bientôt un siècle, maintient un soleil noir au dessus de la Turquie privée de lumière.
" Les mots sont les passants mystérieux de lâme " écrivait Victor Hugo. Plus près de nous, Kevork Témizian, cardiologue et poète arménien né en Syrie, a écrit un beau poème " Tes mots peuvent-ils ériger un nouveau monde ? ". Les premiers vers questionnent encore : " Tes mots peuvent-ils tracer des sillons dans la terre, se muer en semence, alliant la substance et la saveur des siècles passés aux siècles à venir ? ". Les mots ont une musique avec des échos intérieurs. Lorsque Sibel, intellectuelle, apprend que sa grand-mère est arménienne elle veut savoir et comprendre. Le seul livre quelle trouve en librairie est un vieux dictionnaire anglais-arménien. Elle y découvre le mot " Medz Mayrig ", Grand-mère. Elle est prise dun dégoût, dune mélancolie jusquà la nausée face à son identité nationale turque. Elle dit : " Je ne sais plus si je suis turque ou arménienne, parce que les deux Les deux, ça me semble difficile Impossible Parfois je me dis que je hais ce pays qui se ment, alors que cest le mien " Comment va-t-elle surmonter cette crise existentielle ?
La huitième colline est une métaphore pudique utilisée dans le roman de Louis CARZOU qui a inventé une fin optimiste à son récit. Donc, ne la cherchez pas en Anatolie où une grande partie des massacres eurent lieu et à Sivas où le drame trouve son origine dans ce roman. A Sivas, le 4 septembre 1919, se réunissait le congrès qui a jeté les fondations de la République turque. Plus récemment, le 2 juillet 1993, des fondamentalistes sunnites y incendiaient lHôtel Madimak, en représailles de la présence de lécrivain Aziz Nesin, traducteur des Versets sataniques de Salman Rushdie. Dans cet incendie, 36 intellectuels alévis et un anthropologue néerlandais ont péri.
Ce premier roman est profondément pensé et écrit tout en finesse, sans haine, sur un sujet qui concerne Louis CARZOU, puisquil a une origine arménienne. Il est édité aux Editions Liana Levi à découvrir sans attendre la fin de l " année de lArménie ". En France, des événements culturels sont organisés dans de nombreuses villes et offrent loccasion de découvrir un peuple martyrisé, issu dune grande civilisation, et porteur de richesses pour le patrimoine de lHumanité.
La reconnaissance du génocide arménien concerne en premier lieu les Arméniens et les Turcs. Elle est aussi un symbole fort de la communauté internationale pour toutes les minorités intégrées ou non dans une grande nation. Elle touche à leur droit de survie et de sauvegarder un patrimoine identitaire et culturel lié à leur histoire ancestrale dont ils sont les témoins vivants : " un témoignage serein et fier ". Elle est la condamnation des comportements hégémoniques qui refusent lidée que lon puisse vivre en harmonie dans un pays, en respectant des règles constitutionnelles, civiles ou pénales, mais sans renier son appartenance identitaire plus ancienne que celle nationale. Elle condamne la pensée et la religion uniques qui fondent, sur la haine de lautre, le racisme, les dictatures et les communautarismes. " Il ny a quun coin de la planète qui peut se revendiquer ethniquement pur cest le Groenland Enfin, daprès ce que je sais des pingouins ", dit un sage arménien dans le roman de Louis CARZOU, qui nous offre une happy end, avec une vision optimiste de lévolution sociale en Turquie dans les années à venir. Le jour où la Turquie reconnaîtrait les années noires de son histoire, nous fêterions volontiers ce repentir à Istambul ou à Erevan. A Erevan, on pourrait boire un coktail Malkhaz, un verre dans chaque main, en écoutant l Américan Navy Band au Malkhaz jazz Akam et peut-être que le patron , Levon Malkhazian se mettrait au piano A Istanbul, on consommerait un caïprina au bar 360°, avant daller flâner chez les bouquinistes de Sihangir pour feuilleter quelques livres sur le génocide arménien comme Arménie 1915 , un génocide exemplaire dun certain Jean-Marie Carzou qui cite Jean Jaurés : " Nous en sommes venus au temps où lhumanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre dun peuple assassiné ".
Et puis, rêvons encore un peu, il y aurait un rayon complet de livres sur le génocide chez un libraire prénommé Serguei avec : Les passagers dIstanbul dEsther Héboyan, Un poignard dans un jardin de Vahé Katcha, Les héritiers du pays oublié et Le ciel était noir sur lEuphrate de Jacques Der Alexanian, 1915 Les derniers Laudes de Perdj Zeytoutsian, Les massacres des Arméniens de Arnold J.Tynbee, Nuit turque de Philippe Videlier, 1918-1920 , La république arménienne de Anahide Ter Minassian, LArménie à lépreuve des siècles par Annie et Jean-Pierre Mahè, Les naufragés de la terre promise de Robert Arnoux, Les yeux brûlants dAntoine Agoudjian, La victoire de Sardarabad de Serge Afanasyan, Létat criminel de Yves Ternon, Les lettres rouges de Jean-Pierre Badonnel, Embarquement pour lArarat de Michael J. Arlen, Moi, Constance, princesse dAntioche de Marina Bédéyan, Arménia de Robert Dermerguerian, Dictionnaire de la cause arménienne de Ara Krikirian, Le tigre en flammes de Peter Balakian, Deir-es-Zor de Bardig Kouyoumdjian et Christine Simeone, La province de la mort de Leslie A.Davis
En 1915, les Arméniens avaient été condamnés à mort à cause de leur appartenance ethnique et de leur localisation géographique. La tension régnait entre les Arméniens séparatistes et les occupants turcs, la guerre mondiale avait atteint les Balkans, et, le 24 avril 1915, le débarquement des troupes alliées échouait à Gallipoli. Cet échec marquait la date du début des massacres organisés contre les Arméniens. En 1916, le peuple arménien avait perdu, en deux ans, 1.500.000 des siens, avec lalibi turc de la subversion. Par la suite, dautres génocides ont été perpétrés Dans son roman, Louis Carzou évoque les massacres de femmes arméniennes avec leurs enfants. On peut évoquer à ce sujet les paroles de Pierre Loti de lAcadémie française : " Je ne puis penser sans une spéciale mélancolie à ces femmes massacrées qui, pour la plupart sans doute, avaient dadmirables yeux de velours. "
Pour finir en poème, dans " vô lu mondu " chanté par les Muvrini et dont un couplet est interprété par le chanteur arménien du groupe Bratch, nous avons relevé ces passages
U ventu dice un tu nome
Da rompe a chjostra di tu campa
Calvacu mari è corgu mondi
Les mers défilent au long du voyage
Pour découvrir la liberté
Ma vie sarrime à tant de peuples
Tantôt en lutte ou en prière
A tant dattente, à tant despoir
Pour la lumière qui reviendra...
E vo lu mondu
ENTRETIEN AVEC LOUIS CARZOU :
1°/ La huitième colline est votre premier roman publié. Vous êtes dorigine arménienne. A 42 ans, vous êtes rédacteur en chef adjoint à LCI. Vous êtes donc journaliste de formation et on aurait pu penser que vous auriez choisi le genre historique ou documentaire pour écrire un ouvrage sur le génocide arménien. Pourquoi avoir choisi le roman, donc la fiction ?
LC : Lécriture, quil sagisse de romans, de nouvelles ou de tout autre forme de fiction, est chez moi un désir bien plus ancien que celui du journalisme, même si je suis très attaché à ce métier. Sur le thème du génocide arménien, mon père avait déjà ouvert la voie des ouvrages historiques avec la publication en 1975 du premier livre dhistoire en français consacré à cette tragédie. Surtout, je ne crois pas avoir écrit un roman sur le génocide des arméniens, mais plutôt sur la question de la transmission, de la mémoire. Cest dailleurs pour cela que mon héroïne est une jeune femme daujourdhui. Lorsque jai commencé à travailler sur ce roman, elle se posait cette question : " A travers mes enfants, à quoi je donne une vie supplémentaire ? " . Et puis seule la fiction permettait cette construction avec lalternance de passages contemporains et de plongées dans le passé.
2°/ Le génocide arménien est au centre de votre roman et vos personnages apparaissent porteurs de vérités historiques et contemporaines. Pouvez-vous nous parler des personnages de Ragip et Nine, du colonel Mehmet et du lieutenant Zafer, mais aussi, dans la Turquie contemporaine, de Sibel et Sedat?
LC : Sibel est évidemment le personnage auquel je suis le plus attaché. Cest aussi le personnage qui ma donné le plus de difficultés, car, en toute humilité, rien nest finalement plus complexe que de se glisser dans la peau dun personnage féminin. Mais il ny a rien de plus passionnant non plus, du moins à mes yeux. Paradoxalement, les heures passées avec Ragip ont été plus aisées, du point de vue de lécriture. Cest paradoxal parce que cest à sa suite que lon traverse lhorreur de ce génocide, que lon se trouve confronté à sa réalité la plus immédiate, sa dimension humaine. Je dois reconnaître que pour le personnage de Nine, je me suis inspiré de ma grand-mère paternelle, dotée dun sacré caractère. Quant aux deux personnages de militaires turcs, ils me semblaient bien symboliser les deux faces dune même volonté dextermination : celle qui fait du zèle, qui se venge à travers sa cruauté de sa propre médiocrité, et celle qui laisse à sa propre lâcheté le soin doublier sa responsabilité lorsque lon applique des ordres barbares jusquà en faire des réflexes.
3°/ A la fin de La huitième colline, la grand- mère Nine veut se convertir à la religion musulmane quelle navait pas réellement embrassée jusque là. Elle est née arménienne de naissance et donc chrétienne Grégorienne. Elle a vécu en musulmane sans lêtre. Elle veut mourir en musulmane, par reconnaissance envers celui qui la sauvée. Cette conversion voulue et non pas subie est-elle simplement, pour vous, la reconnaissance dun " Juste " parmi les Turcs ou doit-on y voir un autre message plus polémique sur les Arméniens vivant toujours en Turquie? Est-ce, à cet égard, un geste symbolique significatif ?
LC : Cette conversion ma été racontée par un ami français dorigine arménienne, et cest cette anecdote incroyable qui est à lorigine de ce roman. Jai été tellement frappé par le récit de ce geste, quil me semblait impossible de ne pas écrire sur cette dernière volonté aux allures de révolution intime. Quinze jours après cette conversation, javais déjà pratiquement toute la structure du roman en tête, organisée autour de cette anecdote. Jai demandé à cet ami la permission de me servir de ce geste, ce quil a accepté bien volontiers, dautant que le phénomène des familles turques qui se découvrent un aïeul arménien est assez répandu en Turquie. Cest pour moi un acte très fort, symbolique, de réconciliation. Il est incontestable quil y a eu un génocide des arméniens, mais il est aussi incontestable quil y a eu, dans cette tempête dinhumanité assassine, des hommes qui refusaient de prendre part à lextermination de leurs voisins. Et je trouve important, dans le respect de mes origines arméniennes, dêtre aussi capable décrire cela.
4°/ La Huitième colline se situe en Anatolie où une grande partie des massacres a été perpétrée et plus particulièrement la région de Sivas où a été réuni le 4 septembre 1919 le congrès qui a jeté les fondations de la République turque. Plus récemment, dans cette ville, des fondamentalistes sunnites ont incendié lHôtel Madimak le 2 juillet 1993, en représailles de la présence de lécrivain Aziz Nesin, traducteur des Versets sataniques de Salman Rushdie. Dans cet incendie, 36 intellectuels alévis et un anthropologue néerlandais ont péri. Pour quelles raisons avoir choisi ce lieu ?
LC : Justement parce que cette ville symbolise les effets tragiques du nationalisme turc dans ce quil a de plus ombrageux, que ce soit en 1915 ou aujourdhui. Si le lecteur se renseigne sur cette ville, il se rendra compte que le combat contre lintolérance, les discours et les saillies extrémistes, est un combat toujours dactualité en Turquie. De plus, cette ville était très loin des lignes de front de la première guerre mondiale. Or elle a abrité nombre de massacres. Cest donc, à cet égard, un parfait exemple contre lun des arguments préférés des négationnistes aujourdhui, qui consiste à dire quil sagissait dempêcher les populations arméniennes de pactiser avec les russes. Jamais, de toute la guerre, un soldat russe na mis le pied à Sivas. Or la population arménienne de Sivas a, elle aussi, été très largement décimée, dès 1915.
5°/ Jai lu sur le site de votre éditeur, votre définition biblique des Arméniens comme " le peuple élu au second tour ". Nous sommes dans lannée de lArménie en France. Pensez-vous que cet événement qui se concrétise par de nombreuses manifestations culturelles, soit de nature à faire encore bouger les choses, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du génocide par la Turquie comme condition préalable à son entrée dans la communauté européenne ?
LC : Ma définition des arméniens est une boutade, et na rien de " biblique " Quant à la reconnaissance du génocide des arméniens par la Turquie, je pense que nous finirons par y assister. Certes, les informations, que ce soient les procès contre les intellectuels, ou les actions plus perverses (la modification des noms latins de certaines espèces qui comportent le mot " armenia " ), ne rendent pas optimistes. Mais souvenez vous de lexemple de lURSS. En 1981, javais 18 ans, et cétait Brejnev qui tenait le Kremlin. A lépoque, si lon mavait dit que tout seffondrerait huit ans plus tard, sans déclencher un conflit majeur, jaurais pris mon interlocuteur pour un fou. Il faut donc continuer de se battre pour cette reconnaissance, parce que, parfois, lHistoire peut être porteuse despoir. Surtout, je crois sincèrement que cette reconnaissance serait ce qui pourrait arriver de mieux aujourdhui pour les citoyens turcs. Car elle impliquerait trois changements majeurs pour eux : un vrai respect du droit des minorités, une authentique liberté dexpression et la remise en cause du rôle de larmée dans ses institutions, acteur qui échappe encore au suffrage universel.
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Par Difrade le 19 Novembre 2006 à 22:03Un auteur corse de talent : Philippe FRANCHINI:
Nous venons de lire " Continental Saïgon " écrit par Philippe FRANCHINI, édité en 1977 et réédité en 1999. Il relate, au fil de sa vie, lhistoire du Viet Nam et celle de lHôtel Continental de Saïgon, où il a pris la suite de son père au décès de ce dernier, en 1965, après la guerre dAlgérie. Cet hôtel qui faisait donc partie de son patrimoine, était aussi considéré comme un monument historique de cette ville mythique quest devenue Saïgon. Au milieu dun lyrisme aux senteurs dExtrême - Orient, on trouve des phrases efficaces et bien pensées. Certains passages laissent apparaître lauteur de polar que Philippe FRANCHINI pourrait devenir, notamment celui " faire du fric américain ". A découvrir ou redécouvrir ! Lauteur , né de père corse et de mère vietnamienne, a quitté lenseignement pour peindre et écrire. Vous pouvez consulter sa biographie sur le site de l'éditeur qui porte le nom d'un tableau de Kadinsky: http ;/www.lecavalierbleu.com . Si ses racines vietnamiennes nourrissent sa sève humaniste dans "Continental Saïgon", il y a aussi de la graine corse chez lui.
Dans la collection " Idées reçues " de l'éditeur "Cavalier bleu" , vous trouverez son essai " Les corses " avec cette entrée en matière : " Le sujet est explosif. Et les débats passionnés. Mais en toile de fond de la question politique, il y a une île, une population, une culture. Et beaucoup didée reçues " et il ajoute : " En tant que métis, jai éprouvé tout ce que les idées reçues peuvent susciter de malentendus, de conflits, de lourdeurs dans les rapports sociaux et professionnels. Et puis la Corse est mon pays, et , à lheure actuelle, son peuple est lobjet dune corsophobie aussi inique que stupide. Néanmoins, le Corse et les corses nont nullement besoin dêtre défendus. Compte tenu de mon parcours dhistorien et de mon expérience vécue des confrontations politiques et guerrières, je crois bénéficier dun regard différent sur un problème de différence. "
Nota:
"Le cavalier bleu" est aussi une revue pour une nouvelle esthétique, fondée à Munich en 1911 par les peintres kubin, Münter, Franz Marc et Kadinsky. Cette revue se voulait anticonformiste.
" L'homme vit toujours parmi les tombes, et , selon la dignité qu'il met à se mouvoir parmi elles, on peut augurer de son comportement futur" a écrit Franz Marc.
Un jeune auteur américain: Jon FASMAN:
Pour ceux qui ont aimé " Le pendule de Foucault " de Umberto Ecco et le Da Vinci Code de Dan Broxn, nous leur proposons de se plonger dans lunivers dun premier roman écrit par un journaliste américain , Jon Fasman: La bibliothèque du géographe. Cest un ouvrage à la fois fantastique et policier. Le personnage principal , Paul Tomm, est le narrateur de sa vie dabord morne de journaliste provincial sans ambition, jeune homme ayant refusé de se transformer, dans une des mégapoles américaines, en androïde du management où autre secteur de léconomie de marché. Son rédacteur en cher, Art Rolen, lui confie une enquête sur un professeur ne répondant plus au nom de Jaan Pühapâev car il a été retrouvé mort. Il sagit de préparer une notice nécrologique, tout en cherchant les causes du décès. A partir de ce premier cadavre, notre journaliste va jouer les détectives façon tribulations dans deux histoires en miroir. On remonte le temps jusquau 12ème siècle : quel maléfice frappe tous les propriétaires successifs de quinze fabuleuses reliques volées dans la bibliothèque dAl Idrisi, géographe du roi Roger II de Sicile ? Mais aussi dans lespace : où est lEstonie ? Derrière lancien mur de Berlin...
Lauteur a mis , en exergue et au début du roman, une citation de Graham Greene : " Je suis perpétuellempent tiraillé entre deux pensées ; dun côté, que la vie devrait être meilleurs ; de lautre, quelle est vraiment pire, quand elle semble meilleure . " et suit une lettre adressé par Paul Toom à sa chère H ; " Je te croyais morte. En tout cas, je ne mattendais pas à avoir de tes nouvelles. Dailleurs, peut-être nen ai-je pas eu : Je reconnais ton écriture, mais la contrefaçon est sans doute un jeu denfant pour tes nouveaux amis.. .. "
De quoi vouloir en savoir plus !
Et puis Jon Fasman a lart de donner des portraits laconiques mais visuels. Nous en donnons deux pour exemples, car ils sont en début du roman :
Art Rolen : " Art fumait parce quil fumait, sans honte ni volonté de prouver quoi que ce soit, mais tout bonnement parce que fumer faisait partie de lui. Ses sourcils blancs et épais, ses yeux noirs très enfoncés, sa longue mâchoire et sa barbe blanche lui donnait un air constamment endeuillé : Il ressemblait à la fois à Humphrey Bogart dâge mûr et au Toltoï de la fin.. "
Feu Jaan Pühapäev : " était professeur dhistoire à luniversité de Wickenden. Je ne me souvenais pas du contenu de ses cours. Cétait plus un meuble vieux, triste, usé, anodin quun professeur en chair et en os ."
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Par Difrade le 14 Novembre 2006 à 23:47Un auteur insolite : AL RABASSOU pour un polar dans un style déjanté, mais aussi un témoignage dune violence scolaire qui alimente aujourdhui les chroniques judiciaires. L'auteur "Al Rabassou", tel Dionysos, jaillira du sol comme un cep de vigne, figure Nietzchéenne plutôt que sage visage apollinien.
L.P BLUES
Al Rabassou,
une histoire française,
autoéditions du dernier Mammouth "
Lorsque jai lu la couverture de ce livre, je lai pris dans une main et je suis allé à la la 4ème page de couverture qui mannonçait le Lycée professionnel Robert Schuman de Montrouge comme scène de crimes pour une enquête menée par lInspecteur Labarde et son stagiaire Tricard.
Quatrième page de couverture :
" Albertine a disparu ! Sacré challenge que de retrouver cette super louloute après le meurtre de Jean-Marie, un élève du Lycée Professionnel Robert Schuman de Montrouge ! Lancés sur laffaire, linspecteur Labarde et son stagiaire Tricard vont vite découvrir, côté profs ( La Truie qui doute, Concrètement, le Dernier Pédago...) comme parmi les élèves ( Banania man, Black et Decker, Danse avec les clous..) des personnages dun genre peu ordinaires, pas toujours en totale harmonie avec létablissement en pleine restructuration. Dautant que lépoque est troublée : dans les rues, les " Tous ensemble ! " paralysent une partie du pays ; lélite (Jack Lacoquille et Romain Frappé, Jehan et Cosette Riquiqui, Fifi Lachèvre, Tonton, le beau Roro..) se délite avec la bénédiction du Fion nacional. Mais les bêtes sen mêlent : Zoulou le matou, Baltic, Raymond le basset, exaspérés par Brigitte Cabot soutiennent les sans colliers et manifestent pour leur dignité "
Je nai pas trouvé de L.P Robert Schuman à Montrouge mais seulement un LP Jean Monnet, celui doù Youssef Fofana est sorti, sans diplôme et sans travail, à lépoque au Al Rabassou éditait son roman. Au mois de février 2006, cet ancien élève, devenu chef du " gang des barbares ", était arrêté en Côte dIvoire pour le meurtre du jeune Illan Halimi. Par la suite de nombreux articles ont été écrits sur cette violence qui prend racine dans les cités et les établissements scolaires. Nous vous en citons un pour exemple écrit par Barbara Lefebvre dans Le Monde du 8 Mars 2006 et dont le titre est " Des barbarismes à la barbarie " et où il est dit que la violence verbale prépare ( dans nos écoles ) au pire passage à lacte.
L.P BLUES sentait le prof de Lycée professionnel inspiré dune éducation nationale à bout de souffle. " Rabassou " avait une sonorité provençale aux senteurs de truffière. La rabasse est une truffe, un diamant noir. Quel symbole pour un polar ! Un coup doeil sur le nom et ladresse de limprimeur : Les Ateliers des Presse Littéraires de Saint Estève (Pyrénées orientales). Jorientais donc mes recherches vers un lieu géographique et je trouvais le chemin de la Carrierasse et de Rabassou dans le quartier nord de Frontignan. Jen étais là de mon enquête qui tourna court. Point besoin dun cochon truffier pour débusquer lauteur ! Jai appris de source sûre que Al Rabassou nhabitait pas à Frontignan. On ma même donné son nom et son adresse. Paul Noguès., professeur de L.P et dorigine catalane, vit toujours en région parisienne. Il a publié le roman " L.P BLUES " en 1999. Cet ouvrage, sous léclairage de lactualité criminelle, mérite dêtre revisité. Quant à Rabassou , il sagit dun terme catalan , qui signifie " Cep de Vigne ", symbole dionysiaque, au sens littéraire bien sûr de l'adjectif. Que nous réserve donc ce Dieu de la fécondité animale et humaine?
Je me suis alors lancé dans le lecture de ce roman original qui souvre, par un bestiaire : Zoulou, Raymond, Pépette des sobriquets pour des chats et chiens qui sexpriment avec des mots humains sur leur quotidien auprès des humains qui les exaspèrent . Et lauteur provoque, avec humour, le lecteur en linterrogeant :" Les bestioles qui causent ? et alors ? Ce nest pas nouveau, et puis, y a bien des flics qui grognent, des profs qui aboient ! "
L'auteur met en scène lInspecteur Labarde , ancien Professeur de L.P reconverti en flic mais toujours renifleur de figures de style dans la trivialité des mots de tous les jours. " Quand un de ses collègues, un gros balèze à gueule de bouledogue, jetait à un suspect quon venait dinterpeller : " On va soccuper de toi, mon biquet ! " il se disait, selon lhumeur du moment : " Tiens une métaphore ! " " Tiens, un euphémisme ! ", " Tiens, de lironie !". Ce flic de polar se démarque des classiques comme Maigret et Simenon , en faisant une mise au point avec le lecteur : " On sait que Maigret nhésitait pas à flâner des heures durant le long dun quai, dun canal, dune rue déserte pour simprégner des lieux ; quen sniffant le brouillard au pont de Tolbiac, Burma résolut une ténébreuse affaire. Moi, latmosphère, jessayais de la devancer et, pourquoi pas, en jouant avec les mots, car Tricard et moi nallions pas enquêter le long dun quai, dun canal, dune rue déserte ou sur le pont de Tolbiac. Non, en ce 20ème siècle finissant, la violence semblait développer un rude appétit pour lécole. A la une des journaux, les crimes crapuleux, la délinquance urbaine étaient sérieusement concurrencés par la violence scolaire. Or cette violence venait de frapper au Lycée professionnel de Montrouge aux marges du département le plus riche de France : les Hauts-de-Seine.. " La violence scolaire, une actualité qui est entrée dans le 21ième siècle en même temps que les incertitudes dune société qui se déshumanise. Si on ny prend pas garde, on trouvera plus dhumanité dans le regard dun chien que dans l'Homme. Ce serait peut-être ce corniaud, dans LP BLUES, qui, la truffe frétillante, faisait voleter les premières feuilles tombées. Soudain, il tourna plusieurs fois sur lui-même puis ratissa le sol frénétiquement comme à la recherche de son trou de balle quil aurait perdu. Rassuré de ne pas lavoir trouvé, il prit un air inspiré et prépara une fracture du col du fémur sous la forme dune crotte noirâtre quil renifla avec soin pour sassurer quelle était bien à lui. "
Ce polar contemporain et truculent est un récit avec une intrigue "noueuse comme un cep de vigne" qui débute sur la découverte du cadavre dun élève du Lycée Professionnel de Montrouge avec comme indices : des cheveux, des miettes de madeleines proustiennes et un pendentif avec linscription " Tsilaosa Demblée, jaimai ce mot. (nous dit Labarde) Les quatre sons vocaliques, lallitération en S, la douceur de sa chute, étaient aussi doux à mon oreille que sur mon palais le canard laqué aux quatre parfums de la Cité Interdite, un resto chinois de lavenue de Choisy " Lenquête gordienne est parsemée de morceaux danthologie scolaire, tout en noubliant pas les vertus pédagogiques sur la langue française et ses subtilités. Lauteur nous offre aussi sa satire du monde politique des Guignols de lInfo. Jai voulu en savoir plus sur Paul Noguès, alias Al Rabassou. Il est toujours enseignant en banlieue parisienne où je lai contacté pour le convier à un entretien en quatre questions.
Entretien en quatre questions :
1°/ Je madresse dabord à lauteur : Al Rabassou ! Après vos années parisiennes, les rousquilles ont-elles toujours une saveur Proustienne. En dautres termes, avez-vous le sentiment dappartenir à une identité catalane?
Les rousquilles ont toujours un délicieux parfum denfance (et Rousquille est le véritable nom de Pépette dans le roman). Je me sens Catalan, davantage par les couleurs et les odeurs de la garrigue au printemps, par les rafales décoiffantes de la Tramontane, par un verre de grenache ou de muscat clôturant une cargolade ou par les couillonades de Salvador Dali que par la langue ou la culture. Les revendications identitaires et nationalistes sont ,à mon sens, trop instrumentalisées. Je me sens plutôt " méditerranéen ".
2°/ Pouvez-vous nous raconter lhistoire de lécriture de votre roman et celle de votre parcours pour vous faire éditer avec le choix dune autoédition régionale ?
Comme les rousquilles, les bouquins (et notamment les polars et néopolars) sont mes " madeleines " à moi. Ils me procurent régression et jouissance au point, il y a quelques années, de tenter laventure de lécriture. Des " ruptures " dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle (nouveau public délèves plus " destructuré ", beaucoup dinterrogations et de choses à " raconter ", des situations de violences pas toujours faciles à comprendre ou à accepter) mont fait franchir le pas. Jai commencé par dégueuler des mots sur des feuillets épars et tenté de leur donner une cohérence quelques mois plus tard. Le résultat cest LP BLUES, récit bâtard, hésitant entre le neopolar, le journal intime et la chronique sociale. Quant à la suite, vous imaginez les problèmes :coût des tapuscrits, refus polis des éditeurs et autoédition
3°/ Lentame de L.P BLUES est animalière. Vous mettez le bestiaire humain sous le regard dune humanité animale. Votre héros, linspecteur Labarde est un ancien Professeur. Diogène déambulant dans le Lycée professionnel de Montrouge, quel regard porterait linspecteur Labarde sur laffaire du gang des barbares qui a défrayé la chronique avec son chef, Youssef Fofana ?
Labarde déambule dans le lycée, Zoulou le matou dans les banlieues Ce quils voient nest pas toujours réjouissant. Fofana était à Montrouge il y a quelques années. Ce nétait pas une terreur. Pourquoi a-t-il basculé ? Je ne me hasarderai pas à répondre ! Ce qui minterpelle le plus chez certains jeunes cest la situation de destructuration familiale et labsence réelle ou symbolique du père. Qui reste-t-il pour leur rentrer dans le lard, pour les reconnaître au sens existentiel du terme ? Les profs et les flics !
4°/ Vous citez à rebours Maigret et Nestor Burma. Si je devais classer L.P BLUES dans la Noire, je le rangerais sur le rayon des néo polars. Dans la Noire, quels sont vos personnages et vos auteurs préférés ?
Je nai pas de collection de prédilection. Bill James, John Harvey, Fred Vargas, Izzo, Connelly, Douglas Kennedy sont des auteurs que jai beaucoup de plaisir à lire. Mais jai une tendresse particulière pour Pepe Carvalho, le privé catalan gastronome et jouisseur de Vasquez Montalban.
Dune rencontre, il naît toujours une richesse : En 1997-1998, une réalisatrice de documentaires (connue et reconnue), Mme POZZO DI BORGO Catherine, avait croisé Paul NOGUES. Elle a ensuite sorti son film sur les jeunes de Montrouge et " Tu seras manuel, mon gars ! ". Une Dame et une uvre cinématographique exemplaires !...
Extrait du dossier " Jeunes dans le Bâtiment " sur le site de Mutualité de France et du journal "Santé et Travail": http://www.mutualité.fr
" Paul Noguès est professeur de français à Montrouge (Hauts-de-Seine), dans un lycée professionnel qui compte des classes de CAP, de BEP et des bacs pros formant aux métiers du bâtiment(1). Comment les jeunes appréhendent-ils leur avenir ? " Les réactions sont très différentes selon quon a affaire à des jeunes préparant un CAP ou un bac pro, répond lenseignant. Les bacs pros savent déjà très bien à quoi sattendre, car ils ont eu des stages en préparant leur BEP ou leur CAP. Mais, arrivés à ce niveau, ils prennent encore davantage conscience de la pénibilité du travail. " Trop souvent, les professeurs ont le sentiment de se retrouver face à des jeunes qui " subissent " leur orientation vers le bâtiment ou les travaux publics.
Démotivés
Malgré cela, observe Paul Noguès, " il y en a qui sy trouvent assez bien ". Récemment, il a rencontré deux jeunes en bac pro sur leur lieu de stage, afin de vérifier si tout allait bien. Lun travaillait dans un bureau détudes des services techniques dune commune, lautre transportait des gravats dans une brouette sur un chantier du 19e arrondissement de Paris. Le prof de français a pu constater que " les deux garçons étaient satisfaits de leur stage .
Les clashs pendant les stages sont le plus souvent le fait des jeunes en CAP. " Parmi les jeunes en formation dans le BTP, beaucoup sont issus de familles immigrées dont les pères travaillent déjà dans le secteur, remarque Paul Noguès. Comme ils ne sont pas bons à lécole, ils se retrouvent prisonniers dune filière, avec en tête une image négative véhiculée par les parents. "
A loccasion du tournage dun film dans ce lycée professionnel de Montrouge pendant lannée scolaire 1997-1998(2), la réalisatrice Catherine Pozzo di Borgo sest entretenue avec les jeunes sur leur vision de lavenir. A lécran, ces derniers paraissent dans lensemble assez démotivés. " Je ne veux pas rentrer dans la vie active maintenant, ce serait trop dur. On ne gagne pas assez dargent dans les entreprises, et puis, travailler toute sa vie en étant ouvrier, ce nest pas mon truc ", explique un élève âgé de 18 ans. Plus agressif, cet autre interroge : " Avec le bac pro, on va faire quoi ? On va être des crève-la-dalle sur un chantier. Et si on continue De toute façon, le BTS, on ne laura jamais. " La dureté des conditions de travail fait office de repoussoir. " Les gars sur les chantiers, ils sont tellement usés par le travail Ce sont des "cro-magnons" ", ironise un autre. " On ne peut pas travailler quarante ans sur un chantier, sinon, arrivé à lâge de la retraite, on est foutu ", assure un dernier.
Résultat ? Les jeunes étirent au maximum le temps des études, même sils ne sont pas au niveau.
Une rencontre: Mme Catherine POZZO DI BORGO, témoin du Futur :
Une réalisatrice de films documentaires sur le monde du travail : Catherine POZZO DI BORGO et son parcours exemplaire.
En 1999, Mme POZZO DI BORGO Catherine, réalisatrice et professeur associée de lUniversité dAmiens, a réalisé un documentaire sur les élèves du Lycée Professionnel de Montrouge où elle avait rencontré, pendant lannée scolaire 1997-1998, Paul Noguès, Professeur de Lettres et auteur du polar "L.P BLUES" sous le pseudonyme Al Rabassou. Le documentaire sintitule " Tu seras manuel, mon gars ". Nous avons voulu en savoir plus sur cette réalisatrice exemplaire effectuant son travail sur le terrain pour nous ramener des documentaires dune grande honnêteté morale, en rassemblant des témoignages audiovisuels sur la précarité et le chômage, qui sont autant de pierres à lédifice dune humanité qui se cherche.
Son nom " POZZO DI BORGO " ne laisse aucun doute sur ses origines corses, mais son parcours professionnel et ses mérites se situent dans son oeuvre qui donne une vision réaliste et humaniste du monde du travail avec des approches sur lévolution de nos sociétés. Certains de ses documentaires ont été diffusés sur des chaînes télévisées thématiques comme la Cinq. Tous servent doutils pédagogiques ou de bases de réflexion lors de nombreuses conférences organisées par divers organismes dans la France entière et à l'Etranger. Mme POZZO DI BORGO est exemplaire par son talent de réalisatrice et de scénariste, mais aussi par son intégrité morale et intellectuelle qui la pousse à une réflexion sur son travail lui-même dans un souci permanent de coller au plus juste possible dans des constats qui éclairent notre avenir pour y faire face. Elle porte sur le présent son regard de témoin du Futur et s'adresse aux consciences.
Madame Catherine POZZO DI BORGO possède la science de lart cinématographique et lart de la science, alliant son talent créatif à sa rigueur. Le documentaire est souvent considéré comme de lartisanat, un noble mot conjuguant art et savoir faire. En deux phrases, nous avons employé sciemment plusieurs fois le mot " art ", redondance voulue pour une réalisatrice dexception. Le documentaire est un art cinématographique. Nous tenions à le souligner en ce qui la concerne.
Nous avons retrouvé le titre dun opus récent : " Vues de lEurope den bas " publié aux Editions LHarmathan et imprimé en juillet 2005.
Quelques documentaires réalisés par Mme Catherine POZZO DI BORGO :
A job of the birds en 1979, Shop talk en 1980, The great weirton steal en 1984, et...
En 1991, Les vaches bleues.
En 1996, Arrêt tranche, les trimardeurs du nucléaire.
En 1999, Tu seras un manuel, mon gars ( à la même date Paul Noguès publie L.P BLUES ) .
En 2202, Tout lor de la montagne noire .
En 2003, Chômage et précarité : LEurope vue den bas.
Vous pouvez retrouver une partie de son parcours sur le site de l'INA où il suffit de passer son nom au moteur de recherche pour atteindre notamment les dossiers de l'audiovisuel.
Entretien en quatre questions avec Mme Catherine POZZO di BORGO
I. Quels souvenirs avez-vous gardé de votre reportage au sein du Lycée professionnel de Montrouge, pendant l'année scolaire 1997-1998 (pour les besoins de votre film : "Tu seras manuel, mon gars"?)
En ce qui concerne le film "Tu seras manuel, mon gars", après avoir réalisé plusieurs documentaires sur le monde du travail, j'ai eu envie d'aller voir en amont comment étaient formés les ouvriers. J'ai donc passé une première année d'observation au lycée professionnel de Montrouge, observant les différentes filières proposées et les problèmes qui se posaient. J'ai ensuite rédigé un scénario qui m'a permis d'obtenir une aide du ministère du Travail, ainsi qu'une co-production avec la 5. Puis j'ai tourné par étapes tout au long de l'année scolaire suivante. Le lycée professionnel de Montrouge, comme tous les établissements de ce genre, est devenu malheureusement une voie de garage où l'on envoie tous les jeunes qui n'arrivent pas à suivre l'enseignement normal. Or les métiers manuels qui faisaient la fierté des ouvriers sont aujourd'hui fortement dévalorisés. Les jeunes qui se retrouvent dans les lycées professionnels sont en majorité issus de l'immigration. Beaucoup n'ont pas de père et quand ils en ont, ce sont très souvent d'anciens ouvriers au chômage. Il n'y a plus comme autrefois cette transmission des savoir-faire du père au fils. Et les jeunes d'aujourd'hui ne veulent surtout pas être comme leurs pères, usés prématurément par le travail et trop souvent menacés par le chômage. Ils se rêvent dans des bureaux, mais sont incapables, pour des raisons essentiellement sociales, d'obtenir les diplômes requis pour ce type d'emploi. En outre, il est rare qu'ils puissent choisir leurs filières d'apprentissage. Ce travail m'a laissé deux impressions très fortes. La première était l'ordre et le calme qui régnaient au lycée de Montrouge. Certes, les jeunes avaient du mal à se tenir tranquille pendant les cours, mais en deux ans je n'ai assisté à aucune scène de violence et les rapports que j'ai eu avec eux ont toujours été très courtois. Ce qui va à l'encontre des présupposés que l'on a trop souvent sur les jeunes des banlieues. La deuxième impression était beaucoup plus négative. C'était d'être confrontée à des jeunes, certainement aussi intelligents ou talentueux que d'autres, mais qui, en raison de leurs origines sociales, n'avaient pour ainsi dire pas d'avenir. Et cela, il me semble, est inacceptable dans un pays comme le notre.
II. Quelle a été la motivation de votre parcours de réalisatrice de documentaires sur le monde du travail et avez-vous des projets en cours?
Le monde du travail m'a toujours fascinée pour sa richesse et ses contradictions et pour les personnages remarquables qu'on y rencontre parfois. Les documentaires que j'ai réalisés ne sont pas des films de divertissement. Ils exigent l'attention du spectateur, mais je pense qu'ils sont nécessaires en ce qu'ils contribuent à une meilleure compréhension critique de la société dans laquelle nous vivons. Je viens de terminer un film totalement différent. "Les Cris de Paris" dont voici le résumé:
"Les Non Papa*, un ensemble de jeunes et talentueux chanteurs, préparent un spectacle autour des " cris de Paris " au temps de la Renaissance. Les cris étaient ceux que poussaient les petits vendeurs de rue sur une ou deux notes de musique et que des compositeurs de l¹époque ont recueillis pour en faire des chansons savantes ou populaires. Du déchiffrage des partitions au spectacle final, en passant par la fabrication des costumes, la recherche d¹accessoires et des essais de mise en scène un documentaire où la beauté de la musique côtoie des séquences prises sur le vif, pleines d¹émotion, de fantaisie, voire de franche gaieté. Une plongée dans le mystère de la création musicale." Je dois dire que cette échappée dans le monde de la musique m'a procuré un immense plaisir qui, je l'espère, sera partage par les spectateurs.
J'ai deux projets en cours, plus tournés cette fois vers le monde paysan: un film sur le Larzac et un autre sur les petites fermes, ou la survie de la petite paysannerie française.
III. Vous avez des origines corses, quel regard portez-vous sur l'île?
Je n'ai malheureusement aucune attache en Corse, ce que je regrette car c'est un pays magnifique. Si quelqu'un veut m'inviter....
IV. Dans vos documentaires, vous montrez une réalité qui sert souvent de décor dans la Noire et le neopolar. Etes-vous lectrice de romans noirs et, de façon plus générale, quels sont vos auteurs préférés dans la littérature ?
Je suis une grande lectrice de romans policiers. Avec une prédilection pour les auteurs américains: Dashiell Hammett, Ross MacDonald, Elmore Leonard, James Ellroy, James Lee Burke. Il y a aussi quelques français que j'aime beaucoup: Fred Vargas, Jean-Patrick Manchette, Tonino Benaquista, Jean-Claude Izzo. Sans oublier le merveilleux Paco Ignacio Taibo II.
En marge de l'interview:
Le groupe Non Papa* a été constitué en 2001 par quatre de ses membres et il comprend aujourd'hui 8 chanteurs issus de l'Université de Paris-Sorbonne associés au Jeune coeur de Paris, au Centre de musique baroque de Versailles et au CNSM de Paris. Son nom évoque le compositeur franco-flamand Jacob Clémens, connu sous le pseudo de Clemens Non Papa. Vous pouvez en savoir plus en allant sur leur site: http://nonpapa.free.fr
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