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Par Difrade le 4 Janvier 2007 à 23:23Dans son recueil « Les passagers dIstanbul », Esther Heboyan nous offre neuf nouvelles, neuf récits intimes de vies qui établissent une généalogie arménienne post-génocidaire. Il sagit dêtres et surtout de femmes à la fois victimes de leur destin qui, paradoxalement, les a rendues plus fortes. A travers des familles, sétablit une filiation identitaire faite de souvenirs suaves comme des loukoums, tendres, parfois burlesques. Si le titre du recueil est aussi celui de la dernière nouvelle, chaque personnage est le «passager » dun pays daccueil, un passager dont lidentité se brouille comme la langue qui se perd ou senrichit selon le point de vue. On prend conscience de la survivance fragile de larménité en Turquie mais aussi dans tous les ailleurs de lAnatolie.
Les Arméniens ont été intégrés dans la nation turque avant le génocide. Nombre des leurs parlent mieux le turc que lArménien. Certains sont restés après le génocide, dans une sorte dexil intérieur. Ils sont allés survivre surtout à Istanbul, grande ville cosmopolite. Et puis, à court, moyen ou long terme, nombreux se sont exilés définitivement, sarrachant des racines qui leur restaient. Ce sont à ces petites gens « démunis, exilés, sans langue», passagers dIstanbul puis dautres villes du monde, qu Esther HEBOYAN a voulu donner la parole.
Lauteur fait partie de la génération née en Turquie, à distance (par sa naissance et par sa scolarité en Turquie) du génocide. Son enfance est liée à Istanbul quelle évoque toujours avec nostalgie. Ses langues de naissance sont dabord larménien, puis le turc. Sa famille sest exilée en Allemagne et ensuite en France. A chaque escale, elle a du surmonter une rupture et apprendre une nouvelle langue. Elle est allée ensuite aux Etats-Unis découvrir son El dorado : la littérature américaine (Peut-être que cet attrait a quelque chose à voir avec les rêves hollywoodiens de quelques femmes arméniennes, lectrices de revues de cinéma). Actuellement, elle est universitaire dans lArtois et, traductrice, impliquée dans des travaux sur les langues, avec le constat quelle a du apprendre lallemand, le français et langlais, puis réapprendre le turc. Elle estime que sa maîtrise de larménien est rudimentaire par rapport au français et à langlais. Il lui faudrait trouver le temps et lénergie, selon elle, nécessaire pour atteindre un niveau de compétence satisfaisant pour larménien. « Loralité est une chose , dit-elle, savoir écrire correctement dans une langue est autre chose ». Cest sans doute ce constat qui a motivé son attrait affirmé pour lécriture. Cest sûrement, en elle, la femme arménienne (envers et contre tout renoncement à sa vraie généalogie) qui a senti le besoin décrire les neuf nouvelles du recueil « Les passagers dIstanbul ». Il ne sagit pas de récits archéologiques mais de la mémoire généalogique dune arménité tenace et vivante chez ses passagers qui transportent partout leurs trésors avec eux trésors culturels, il sentend !...
Esther HEBOYAN nous parle du défi dexister envers et contre lexil, de son appartenance à une diaspora confrontée puis intégrée aux autres cultures, et de la volonté dêtre arménienne : un corps, plutôt quun corpus à ressasser.
Les passagers dIstanbul Editions Parenthèses collection Diasporales -
Le recueil souvre sur Aroussiak, une grand - mère qui sexprime dans une « langue composite à résonances et approximations turco -arméniennes ». Tout juste adolescente, elle a été mariée avec un boucher de 10 ans son aîné. Cette vieille arménienne, épouse bafouée, illettrée et indigente, a pour devise : « Le bidon dhuile du bon dieu vient à qui veut » (une façon à elle de dire « Aide-toi et dieu taidera ») illustrée par son poulailler du Bon Dieu, garde-manger pour les jours de disette. Que reste-il delle, après que « la mort et lexil qui parfois ressemblait à la mort eurent dispersé les êtres et les choses » : quelques photographies dans une vieille boite récupérée par une petite-fille pour qui sa « Medz mayrig » ( grand mère en arménien) reste la plus belle, la « Güzel » du village dIstanoz près dAnkara. Et puis vient la petite sur dAva Gardner, la belle Sylva convaincue quelle ressemble à Ava Gardner par son amie Méliné délaissée par les hommes et décrite avec « une tête de corbeau sur un corps de moineau », la coupable idéale de tous les péchés de son entourage. Suivent le phénoménal Oncle Zareh et Diguine Yester, une femme pieuse et respectée, réunis lors dun banquet familial bien arrosé de Raki. Ils précèdent Mardiros Artinian alias Agha, bel homme « les yeux bleus envoûtant, le chef orné de boucles châtain et la parole magnanime », admiré des femmes et envié par les hommes « Et Mardiros Agha posait, soupirait, saluait tantôt en turc tantôt en grec ou en arménien. » Avec la nouvelle « Un si long chemin », lantagonisme entre son père Antranik le timoré et son oncle Krikor, globe trotter religieux, va faire le bonheur conjugal de Serko On y trouve un dialogue polémique entre les deux frères sur lusage de la langue arménienne en Turquie. Quant à la jeune Hilda, elle va au cinéma, chaperonnée par ses deux grands-mères « avec leurs mots bien à elles, des mots brusques, effervescents à jamais perdus », juste avant la séquence dautomne entre Hagop qui na jamais rien promis et son épouse Ani qui, résignée, se contente de ce quelle appelle « la vie nue». Hagop « a laissé une précieuse partie de lui-même, là-bas, là doù il vient même si il ne sait plus très bien doù il vient ». Lui, qui ne rêvait jamais, a fait un rêve étrange et pénétrant Tous sont des passagers dIstanbul comme les personnages de la dernière nouvelle du recueil : Hovsep rebaptisé Joseph, Anika devenue Annie et leurs enfants, Yester répondant au prénom choisi dEsther avant de découvrir trop tard celui dEsterina dans un mélodrame italien, alors que Herantouhi sest retrouvée Isabellisée , victime de la lettre « H »
« Les passagers dIstanbul » est la dernière nouvelle du recueil, celle de lexil, du trouble de lidentité, de lintégration à un nouveau schéma socio culturel qui passe par lapprentissage de la langue de lexil et loubli de la langue originelle, la montée de la xénophobie loccasion, par les temps qui courent, pour accepter un vaccin de rappel de lexception culturelle française. La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ne devrait pas devenir un slogan vide de sens dans une France qui exporte lhumanitaire et expulse sans humanité. Finalement, ne sommes nous pas tous des passagers dune humanité en marche ?
Cette anthologie familiale contient son florilège de mots, de lieux et de noms dont létrangeté fait imaginer des personnages fabuleux, « enluminés », peut-être parce que lexil et lentropie des souvenirs rendent le passé parfois plus beau dans une vérité romanesque. Lorsque lon referme le livre, les personnages font un carrousel dans notre imagination, tant Esther Heboyan leur donne chair, nous les rend familiers.
Les passagers dIstanbul nous invitent à un voyage nostalgique avec ce sentiment que le temps ne délivre aucun billet de retour, même si le présent se nourrit du passé, souvent avec humour et tendresse. Chacune de leur vie est comme une strate de cette humanité arménienne et les mots, par poussées orogéniques affleurant cette vérité romanesque (écrirait, je pense, Martin Melkonian), renaissent des cendres dun séisme en date du 24 avril 1915. Latent, transparaît ce sentiment dappartenir à une entité historique et culturelle menacée par la fragilité dune transmission familiale orale qui pousse au besoin décrire.
Engagés dans une croisade contre loubli, les passagers arméniens de lexode et de lexil font escale depuis 1915. Toujours à la croisée entre deux cultures, ils emportent partout, avec eux, cette Arménité qui a son berceau en Anatolie. Lors dune table ronde organisée pendant la journée du livre arménien à Marseille, une participante a demandé : « Arméniens, quapportons nous au monde ? Jaimerai quun non -arménien réponde. » Malheureusement, le temps était écoulé et la séance est restée sur cette question. Mais, finalement, la réponse apparaît évidente : Le peuple arménien apporte son humanité vieille de plusieurs millénaires et sa culture riche de ce long passé. Il apporte son histoire marquée par le premier génocide du 20ème siècle et lexil dune diaspora meurtrie jusquaux enfants qui naissent avec cette tragédie en héritage. Aujourdhui, les Arméniens de cette diaspora représentent une richesse pour les pays daccueil où ils ont su sintégrer avec intelligence et sans se renier. Ils comptent, parmi eux, nombre de talents, notamment dans les domaines de lart et de la littérature. Ils respectent sans faille leur devoir de mémoire et se font les passeurs dune culture toujours et plus que jamais vivante. Le peuple arménien, par sa solidarité trans-générationnelle et sa diaspora, contribue à notre humanité pluri culturelle en devenir.
Dans une lignée généalogique, les grands parents sont les mémoires vivantes dun passé plus lointain. Plusieurs auteurs arméniens, dont Esther Heboyan, ont senti le besoin de revenir, par lécriture, sur les bribes dun passé incarné par une grand-mère arménienne restée en Turquie après le génocide. Nous avions consacré un article à Louis Carzou pour « La huitième colline ». Nous signalons la 7ème réédition du roman « Le livre de ma grand-mère » écrit par Féthiyé Cetin ( publié en 2004). Cette avocate des droits de lhomme et des minorités raconte le secret de toute une vie : être une grand-mère arménienne dans une famille turque. Cétait le secret de sa grand-mère Héranouche, décédée en 2000.
Entretien avec Mme Esther HEBOYAN :
Question 1 : Vous montrez avec talent lexistence de cette arménité qui a repris racine à Istanbul et qui, après lexil, est nostalgique de cette ville turque. Avant le génocide, les arméniens étaient déjà turcs et parlaient souvent mieux le turc que larménien. Dailleurs, vous utilisez des mots arméniens et des mots turcs, voire même de dialecte turco -arménien comme « Arman Astvadzis ! » qui signifie « Ah ! Mon dieu. » Finalement, on saperçoit que les ambiances familiales et les souvenirs denfances en Turquie après le génocide sont très proches des récits faits par des familles arméniennes venues en France immédiatement après le génocide. Finalement, quest-ce qui différencie une femme arménienne et une famille arménienne en Turquie, dune femme arménienne et une famille arménienne en France ?
Réponse dEsther HEBOYAN : Vaste question. Pour pouvoir y répondre, il faudrait prendre en compte quelques paramètres le niveau socio-économique, les possibilités de développement intellectuel, social et politique, les mentalités, les repères culturels, etc. Pour ce qui est de la langue, comme dans tout espace où coexistent plusieurs peuples, il y avait et il y a des interférences entre le turc et larménien. En Turquie, les Arméniens qui navaient pas accès aux institutions éducatives arméniennes parlaient effectivement mieux le turc que larménien.
Question 2 : Vous êtes née en Turquie dans une famille dorigine arménienne. Vous avez émigré en Allemagne puis en France avant de séjourner longuement aux Etats-Unis où, après plusieurs années, vous avez pleuré en entendant parler turc parce que vous avez réalisé que, faute de pratique, vous perdiez votre langue de naissance. Aujourdhui, vous êtes universitaire en France et notamment spécialiste de la littérature américaine. Vous faites des traductions douvrages turcs (Je pense à la traduction de Nedim Gürsel ). Vous parlez plusieurs langues mais pas larménien. Vous écrivez aussi des poèmes dans la revue « Neige daoût » sortie en octobre 2006. Vous avez dirigé un ouvrage « Exil à la frontière des langues » paru en 2001. Certains auteurs exilés choisissent de sexprimer dans la langue du pays daccueil. Dautres restent fidèles à leur langue. Pensez-vous que la langue soit un élément nécessaire à la survie de la culture arménienne et de larménité chez la diaspora en France?
E.H : Il faudrait corriger quelques informations qui circulent depuis peu sur le net et qui sont erronées. Non, je nai pas pleuré en entendant les gens parler le turc aux Etats-Unis, mais plutôt après avoir lu les nouvelles en français de Nedim Gürsel sur lexil qui bien entendu me renvoyaient à mon propre exil. Non, je nai pas perdu ma langue maternelle ; je parle arménien mais ma compétence est limitée. Quant à savoir si la survie dun peuple dépend de la pratique de sa langue A priori, on pourrait croire que oui. Cependant, il y a énormément dArméniens en France, en Suisse, en Allemagne et ailleurs, en Turquie même, qui ne parlent pas arménien mais qui se sentent arméniens, alors « Neige daoût » est une très belle revue dirigée par Camille Loivier ; le numéro doctobre 2006 contient quelques uns de mes poèmes.
Question 3 : Pensez-vous que les Editions bilingues soient un bon compromis entre lidentité culturelle et lédition dans le pays daccueil pour les auteurs faisant partie dune diaspora?
E.H : Cest une très belle trouvaille quil faudrait exploiter davantage.
Question 4 : Vous avez intitulé votre ouvrage « Les passagers dIstanbul ». Pouvez-vous nous parler du choix de ce terme « passager » pour évoquer larménité et lexil ?
E.H : Pour autant que je men souvienne, au début des années soixante Arméniens et Turcs dIstanbul se destinaient à partir sinstaller en Europe et ailleurs. Les entreprises ouest-allemandes surtout ont encouragé un mouvement de masse qui na finalement jamais cessé. Le terme « passagers » est un terme lyrique pour désigner des formes dexil.
Question 5: Vous avez participé à une uvre collective en écrivant une nouvelle sur Istanbul dans un recueil édité par les Editions Albiana. Il sagissait pour chaque auteur décrire une nouvelle située dans une ville. Pouvez-vous nous parler de cette expérience avec lEdition corse ?
E.H : François-Xavier Renucci mavait demandé de traduire une nouvelle de Nedim Gürsel. Par la suite, nous avons échangé des projets décriture ; notre collaboration est née de cette façon.
Question 6: Comme nous avons la chance davoir en vous une spécialiste de la littérature américaine, quelle est lévolution des goûts pour le polar et le roman noir aux Etats-Unis?
E.H : La littérature américaine est un domaine très varié et très fécond. Je nai pas suivi lévolution du polar américain. Il marrive de lire ou de relire les maîtres du genre Dashiell Hammett et Raymond Chandler dont japprécie lécriture minutieuse et le rythme nerveux
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Par Difrade le 28 Décembre 2006 à 22:06Le Miniaturiste - L'écriture naît des cendres:
Martin Melkonian est né en 1950 à Paris. Ecrivain confirmé, il possède une bibliographie dune quinzaine douvrages et Les Editions Parenthèses, en 2006, ont édité un autre ouvrage dont il est lauteur " Ils sont assis " (cest ainsi quon désignait le fait dêtre enfermé dans un camp en Union soviétique). Il est aussi peintre et on lui doit en 2005 aux éditions décarts " Edward Hopper luttant contre la cécité ". Il expose actuellement dans une galerie à Gap (05).
Cet auteur fait partie de ces personnages pour lesquels on éprouve immédiatement de la sympathie. Il vous reçoit avec un grand sourire et, lorsquil sexcuse de sa lenteur feinte pour vous dédicacer un livre, il remplit cette lenteur de quelques mots qui sont des pistes pour votre lecture. Et puis, lorsque vous le quittez, ces mots que vous pensiez vite oublier car un salon du livre est comme une grande salle des mots perdus, ils vous reviennent Vous les redécouvrez et vous vous les appropriez. Vous avez alors lenvie décrire une apologie de la lenteur et une autre de loubli La lenteur est le temps que lon vous donne et non pas celui que lon vous vole. Loubli est une chance de redécouvrir et dinventer le passé à la lumière dun présent insaisissable. Jai attendu un peu avant douvrir le livre et de prendre connaissance de sa dédicace en forme de sous titre : " Ce miniaturiste où lécriture naît des cendres ". Son livre est une réédition. Quelle chance, je navais pas lu la première, avant de le rencontrer. " Le miniaturiste " ouvre une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.
Le Miniaturiste est un roman autobiographique situé dans le 10ème arrondissement de Paris (jadis populaire) et déjà publié au Seuil en 1984. Lauteur se souvient de son enfance au 204 du Faubourg Saint-Martin dans le minuscule appartenant atelier où il a vécu avec un père, artisan tailleur, et sa mère. Louvrage est divisé en trois chapitres importants de la vie : voir, parler et mourir.
Voir :
Le peintre va chercher ses couleurs dans la vie où rien nest figé. Lhomme veut faire durer le présent mais il est déjà dans un autre moment, un présent insaisissable qui se nourrit dun passé qui toujours séloigne. Lécrivain, spéléologue de lintime, déchiffre les hiéroglyphes de sa mémoire, sonde les cendres du passé et, pour écrire, se sert des plumes de ce Phoenix quest le temps. Sous les cendres, couvent les braises dune humanité morte et toujours renaissante. Lécriture, qui naît des cendres, enveloppe de sa chaleur le lecteur plongé dans lunivers du miniaturiste Le passé est sauvé de loubli par lécriture qui naît de ses cendres. Lécrivain est un passeur de mémoire. Limagination du lecteur, sollicitée par ce Miniaturiste, enlumine forcément ses récits. Dans notre mémoire, les êtres et les lieux de lenfance deviennent des enluminures imaginées avec les couleurs de nos propres récits intérieurs. Les récits intérieurs ainsi enluminés de Martin Melkonian soffrent, à chacun de nous, dans lintemporalité de notre imaginaire.
Parler :
" Renoncer à sa propre langue (accepter ce renoncement), cétait renoncer à bien plus, qui ne se chiffre pas, porter en soi le deuil dune inconnue, dune civilisation imaginaire qui tient dans la faculté de prononcer, cest maintenant vivre (continuer) avec un accablement sans fond et sans nom. " Nous dit lauteur.
Lécriture naît des cendres, terreau du " rhizome voyageur " qui a perdu ses racines et cherche une terre daccueil " propice à une fixation définitive à des milliers de lieux de son point dorigine, de son circonstanciel et sûrement douloureux prélèvement ". Lencre bleue est un "recouvrement archéologique " sur le papier, avec, pour repères, " la peau, peut-être aussi une mémoire cénesthésique, animale, et la volonté de créer de nouveaux talismans " et, pour dessein, laisser quelques traces dans des paysages et des lieux " jusquau seuil dun néant immobile où ne comptent que les traces de lavoir été ". Le Miniaturiste raconte son histoire individuelle " amoureusement reconquise " et cette histoire nominative, palpable, incarnée, savoureuse dun passé infinitésimal porte trace de lautre histoire " majuscule " des hommes, générique et impalpable.
Lécriture passe par la langue et lauteur sinterroge : " Pour quelle raison, mon père renonça à sa langue à notre langue et cultiva lautre, ladoptive, à lexcès ? ", toute en se réservant des échanges idiomatiques avec la mère qui " parlait un amalgame darménien, de turc, de grec et ditalien ". Sans aucun doute, par volonté dintégration. Peut-être aussi pour ne pas transmettre la lourde douleur du génocide à son fils , qui, adolescent, a souffert de la révélation de cette langue " encore vivante humectée de salive " qui, chuchotée, " remuait en lui, soulevait des nappes doublis ", cette langue dune autre rive de lui-même quil ne pouvait atteindre, " avec ses assemblages rythmiques et gutturaux ", ses trois variétés de " r " dont le félin, " ruminant, savance à mezzo voce, sans coup férir, comme si de rien nétait, puis, qui, en quelques fractions de secondes, laisse échapper un grincement chuinté, comme le chat ou le tigre, en position défensive, sur le point de griffer ou de mordre, grasseye, crache, feule ".
Il évoque ses souvenirs de " slum " (bidonville) vertical, cette pauvreté " qui blessait son regard et, dune certaine façon aveuglante, le tatouait à chaud ". Cest dans ce nid familial, sur sa terre natale constituée dun deux pièces et dun réduit de cuisine, au 204 de la rue du Faubourg Saint Martin que Martin a perdu sa " langue coupée, hachée menue comme lArménie " et quil en a conquis une autre : dans cette chambre partagée où son père (qui avait appris le français en lisant des romans policiers dans la collection Le masque) lui inventait et lui réinventait mille histoires de Cendrillon. Quelle conquête ! Quelle chance pour le lecteur!
Martin Melkonian nous offre un livre profond dans un lyrisme qui révèle sa grande sensibilité denfant arménien, fils unique dun tailleur du Faubourg Saint Martin. Cest cette partie arménienne de lui-même qui fait dire à ladulte quinquagénaire que la première langue garde toujours sa part de territoire : " il est des sentiments uniques, exclusifs, qui ne relèvent que dune ethnie spécifique, sans équivalence dune langue à lautre ". Cette langue arménienne est associée, dans la mémoire de lauteur, aux escaliers de son immeuble que son père gravissait en comptant les marches en arménien " meg, yergou, yerek " Un, deux, trois cette langue arménienne ne cesse dêtre pour le restant de ses jours un appel. Il les redescend seul dans la mélancolie, lorsquil rate une ou deux marches comme cela arrivait à son père malade
Mourir :
" Je relevais ses oreillers, je retapais son lit, je rangeais sa table de chevet, je pliais et dépliais ses jambes Je lui donnais à manger, je lui faisais la lecture, je lui caressais la main. " La mort sinstalle lentement chez le père et use les forces vitales du fils. Il prend sans doute conscience que ses gestes attentionnés et tendres sont des soins palliatifs dictés par lamour filial face à la mort hospitalière. Après, il y a la séparation, la douleur, la solitude et la nécessite de ne plus commenter ce que Martin Melkonian écrit avec cur et talent, dans une langue française dont il joue des subtilités, pour nous dévoiler son goût prononcé pour la miniature et la divination des mots.
Face à la douleur, lauteur se livre à une introspection inspirée du Bouddhisme et qui débouche sur son nirvana : lécriture.
Ecritum humanum est24 décembre 2007En cette fin de décembre, tous les fils savent-ils quun père est plus quun père Noël et que les plus beaux cadeaux ne sont pas les plus évidents ? notamment sa tendresse et les histoires racontées avant de dormir. Il se fait surtout le passeur dune identité et de lamour des mots qui sauvent de loubli, seconde mort plus définitive. Lécriture naît des cendres Tu es poussière et redeviendras poussière. Cest écrit dans la Bible qui, depuis les temps immémoriaux, renaît de ses cendres. Les paroles senvolent et les écrits restent. Je préfère técrire car je narrive pas à te parler Ecrivez-nous !... Cest écrit !...
Le pire dans un destin, cest dy laisser des pages blanches.24 avril 1915........Sagissant du peuple arménien, un génocide saccompagne souvent dautodafés des livres. Cest pour cela qu" écrire " fait partie du devoir de mémoire des survivants et de leurs descendants. Les auteurs arméniens le font avec talent.
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Par Difrade le 22 Décembre 2006 à 21:23BABEL, film du réalisateur mexicain Alejandro Gonzàlez Inàrritu, prix de la mise en scène au 59ème festival de Cannes et prix du jury cuménique, sorti en 2006. Principaux acteurs : Brad Spitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal et Kôji Yakusho.
Babel serait le nom hébreu de Babylone, ou un mot akkadien " Bab-ili " la Porte de Dieu, ou encore " Bab-el " la cité de dieu. La tour de Babel a été dabord évoquée par les Sumériens. Puis, selon la Genèse, les descendants de Noé représentaient lhumanité entière et parlaient la même langue adamique, jusquà lédification de cette tour qui déclencha lire céleste. Dieu " brouilla les langues ". Les hommes ne se comprirent plus et ne purent plus faire uvre commune. La tour de Babel resta inachevée et lhumanité se dispersa sur la terre avec de multiples idiomes et dialectes. Cette parabole biblique met en garde les hommes qui défient le pouvoir céleste de Dieu et, par exégèse, met en évidence la nécessiter de se parler, de communiquer et de se comprendre pour mener à terme un grand projet. Il nest pas étonnant que la tour de Babel reste une source dinspiration pour nombre dauteurs.
Babel, cest le titre du dernier volet de la trilogie réalisée par Alejandro Gonzalèz Inàrritu , après " Amours chiennes " ( Amores perros) en 2000 et " 21 grammes " en 2004. Lauteur fait une nouvelle mise en scène des destins de plusieurs personnages, avec laccumulation de faits contingents qui deviennent les rouages du drame humain. Dans chacun de ses trois films, les destins se nouent de façon accidentelle. Se servant de la nature humaine comme métier à tisser les fils disparates des vies de ses personnages, Inàrritu cherche une trame commune. Cest une grande ambition et un vaste champ dinvestigation dans lequel les thèmes sont nombreux.
Donc rien à voir avec le Babel de Gérard Pullicino qui, en 1999, avait réalisé, avec ce même titre, un film fantastique. En choisissant ce titre de Babel, Alejandro Gonzalèz Inàrritu a voulu " englober toute lidée de la communication humaine, ses ambitions, sa beauté et ses problèmes, en un seul mot ". Il y déroule des vies totalement indépendantes qui vont se rejoindre à la suite dun coup de feu dans le désert marocain. Ce sont deux jeunes marocains qui ont le fusil et qui ont appuyé sur la détente en déclenchant un drame accidentel qui va être le théâtre dun choc des cultures entre des destins, jouets de malentendus. Le drame apparaît alors comme la conséquence dun enfermement obsessionnel, dun repli intra-muros des individus, murés dans lincompréhension et la méfiance de lautre. Dès lors, quels points communs peuvent exister entre deux jeunes chevriers marocains, un couple de touristes américains en proie à leur crise conjugale, une nourrice mexicaine avec deux enfants américains et une jeune sourde muette japonaise révoltée dont le père est poursuivi par les policiers de Tokyo ? La solitude et la douleur.
Les êtres sont condamnés au malentendu dêtre autre. Entretenu pour que lhomme ne défie plus Dieu, ce malentendu éloigne du ciel les hommes qui, tout en se référant à des valeurs religieuses, ne se sont jamais montrés aussi peu solidaires. Privée de tour de Babel, lhumanité creuse des tunnels de solitudes. La multiplication et les progrès des moyens de communication devraient favoriser leur solidarité alors quils se laissent guider par la paranoïa collective, telle quon a pu la ressentir après des attentats terroristes spectaculaires. Inàrritu explique que " chaque empire a tendance à avoir un regard sur lautre Généralement lincompréhension engendre la paranoïa, tout le monde dès lors est un terroriste en puissance. Cette idée est devenue obsessionnelle aux Etats-Unis ".
Si le constat est solipsiste et communautaire, Alejandro Gonzalez Inàrritu nous parle aussi de notre destin individuel lié à celui de lhumanité, de la douleur mais aussi des amours et des sentiments dans ce XXIème siècle qui voit sinstaller la méfiance. " On est extrêmement vulnérable à travers les êtres que nous aimons, dit-il " et il ajoute, sur les personnages du film quils " souffrent de leur incapacité à entrer en contact avec autrui : époux, enfants ou frontières tout tourne autour de ce besoin dêtre touché lorsque les mots ne fonctionnent plus. " Il nous entraîne sur des pistes humaines dans le désert marocain. A la croisée humaine de trois continents, il recherche ce qui peut se trouver duniversel dans lintime. Il scénarise des réactions en chaîne humaine et nous fait entendre des échos dans le désert. Pour lui, " il sagit dun film sur les êtres humains et non sur les Marocains, les Mexicains ou les Américains ".
Babel versus Babel : Un humanité pluriculturelle ou rien ?
Pour revenir à la Tour de Babel, que peut-on trouver dautre dans cette parabole ? Ne serait-elle pas aussi une mise en garde contre la pensée unique, lintégrisme, leugénisme et plus généralement toute hégémonie ? Si lhomme, dans son unité perdue, na pas atteint le ciel, cet échec navait-il pas pour but de lui montrer une autre voie, celle de son humanité ? Lhumanité réduite à un seul peuple et une seule langue ? Ce projet fou ne vous rappelle rien ?... Donc, plus jamais ça !
La tour de Babel serait-elle, à rebours de ce que montre le film dInàrritu, le symbole de ce que lhumanité ne doit plus être, car la voie de cette humanité en devenir devrait se trouver dans la pluralité. Le premier but à atteindre ne serait pas le ciel mais la solidarité dans la diversité. Cette solidarité ne peut pas être une fin en soi mais le ciment de notre humanité dans la mesure où tout projet commun sinscrit dans des perspectives humanitaire et humaniste, en commençant par porter un autre regard sur lautre.
Enfin, faut-il parler la même langue pour faire uvre commune ? Pour Inàrritu : " Ce nest pas un problème ; une langue peut être en effet vite apprise. En revanche, je pense que le problème concerne ces idées reçues qui maintiennent une séparation entre les peuples " et il ajoute : " Jai voulu explorer la contradiction entre limpression que le monde est devenu tout petit en raison de tous les outils de communication dont nous disposons, et le sentiment que les humains sont toujours incapable de sexprimer et de communiquer les uns avec les autres au niveau fondamental... "
Chaque culture, chaque civilisation qui disparaît est un appauvrissement pour lensemble de lhumanité. Les langues sont des facteurs identitaires de première importance. Elles permettent la survie et le prolongement de cultures minoritaires. " Interdire lusage de sa langue à des peuples conquis " était la première mesure inique prise par leurs colonisateurs pour les intégrer de force. Lavenir, ce nest pas un seul peuple et une seule langue mais des peuples polyglottes.
Les langues ont des passerelles : les traductions. Si on prend pour exemple la littérature qui se nourrit de mots et transfuse la langue, les éditeurs shonoreraient à proposer davantage de textes en éditions bilingues lorsquil sagit de sauver un patrimoine culturel et promouvoir une culture dans ce quelle a de vivant.
Enfin, il ne faudrait pas que, sous leffet dune hégémonie linguistique, des langues ne participent plus aux babils des enfants qui, plus tard, seront à la recherche archéologique et généalogique dune identité perdue. La langue est un outil de pouvoir et de domination. Si les minorités sont aujourdhui menacées, quen sera-t-il de certaines grandes nations demain ? Quelles soient culturelles, économiques, politiques etc , toutes les Babélisations ne sont pas bonnes à suivre ! Cest Dieu qui le fait comprendre si on tient compte de lexégèse.
Exrtait de la genèse 11 de la Bible " la ville et la tour de Babel " , en français
" Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots Allons bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. LEternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et lEternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et cest là à ce quils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce quils auraient projeté. Allons ! Descendons, et là, confondons leur langage, enfin quils nentendent plus la langue, les uns des autres. Et lEternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville. Cest pourquoi on lappela du nom de Babel, car cest là que lEternel confondit le langage de toute la terre, et cest là que lEternel les dispersa sur la face de toute la terre. "
et en Corse : A Bibbia - Genesi 11
" Tutta a terra avia una sola lingua è e listesse parolle . Aio ! custruimuci una cità è una torra chi a cima tocchi u celu, è fèmuci un nome, affinchi no un siamu spargugliati nantu à a fàccia di tutta a terra. LEternu falo per vede a cità è a torra chelli costruianu i figlioli di lomi. E lEternu disse : Eccu, formanu un solu populu è hanu tutti a listessa lingua, è ghjè quessa chelli hanu intrapresu ; avà nunda limpédiciaria di fà tuttu cio chelli avarianu prughjittatu. Aio ! falemu, è cunfundimu u so linguàgiu, affinchi luni un capiscanu piu u linguàgiu di laltri. E u Signore i sparguglio luntanu da culà nantu à a faccia di tutta a terra ; è cissonu di custruisce a cità. Hè per quessa chella fu chjamata Babele, perchè ghjè quà chi u Signore cunfuse u linguàgiu di tutta a terra, è ghjè da quà chi u Signore i spagliuglio nantu à a faccia di tutta a terra. "
Nous nous excusons auprès des puristes pour labsence de nombreux accents toniques, absence due à de " pures " raisons techniques
Note : La belle édition bilingue de La Bible ( A Bibbia ) date de 2005. Nous la devons aux Editions DCL avec le soutien de la Collectivité Territoriale Corse. La traduction corse est de Christian Dubois en collaboration avec Ghjuseppe Maria Antone Rabazzani. Il sagit dune édition cuménique réalisée sous la direction de Gabriel Xavier Culioli.
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