• La raison d’état a des tas de raisons que la raison ignore :

    raison_d'état.jpg "Raison d'état" ércit par Archange Morelli, Editions Meditorial

    En 1980, sort le roman médiéval de l’auteur italien Umberto Eco " Au nom de la Rose " ; En 1986, l’Allemand Patrick Suskind met son nez dans le XVIIIème siècle avec son polaromatisé " Le parfum ". En 1998, Archange Morelli a choisi la Renaissance pour son roman " Raison d’état ", édité par Méditorial. Dans la collection Misteri de cet éditeur corse en cessation d’activité, ce roman vient après " La moisson ardente " du même auteur. , " Caveau de famille " et " Comme un chien dans la ville " d’Elisabeth Millelirri, " Campus horribilis " de Dan O’Conley, " Trois jours d’engatze " de Philippe Carrese, " La séquestration " de Marie-Hélène Cotoni, et " La faute à dégun " de François Thomazeau.

    Sous le titre " Raison d’état ", Archange Morelli a proposé un récit de 78 pages qui se lisent d’une seule traite, en faisant un bond en arrière de plusieurs siècles pour se retrouver dans la Corse de la Renaissance, l’époque génoise de l’Office Saint Georges. C’est de la littérature ferroviaire, vite lue tout en recevant un petit cours d’histoire corse.

    En 1530, époque sans train, dans l’Au-delà des Monts (corse du sud ), la chute de cheval d’apparence accidentelle du Benemerito Fortebono di Leva est dénoncée par son épouse comme étant un assassinat. Dans la Corse du Nord, à Bastia (alors peuplé à 10% de Corses en grande majorité interdits de séjour intra-muros par le seul fait d’être corses), le Vicaire de l’Office St Georges, Matteo Malafuoco lit des vers de Pétrarque, et se fait servir un vin blanc ligure reçu de la Sérénissime République de Gênes. Dans les rues de Bastia que Pieter Bruegel l’Ancien, né en 1525, aurait pu peindre fourmillante de gens pris sur le vif, le petit peuple s’agite dans différentes besognes pour gagner de quoi manger des petits poissons séchés accompagnant une bouillie de Millet. Le seigneur Malafuoco n’a que du mépris pour ces petites gens et n’est jamais allé s’aventurer dans l’Au-delà des monts, considéré comme la partie la plus barbare de la Corse. La mort du Benedetto Fortebono di Leva représentant un risque de nouveaux affrontements avec les insulaires, notre Vicaire est chargé d’aller en personne mener l’enquête. Il fait le voyage sans entrain à cheval (!! ! ! !…). Sur place, il analyse les traces et indices comme le Zadig de Voltaire inspiré par les aventures des princes Sarendip (fables d’origine persane), mais avec la perspicacité plus récente d’un Sherlock Holmes ou d’un Hercule Poirot. Notre noble enquêteur a l’esprit d’un pionnier de la police scientifique : Il va oser envisager la première autopsie en Corse…

    Nous ne vous en dirons pas davantage car, si l’ouvrage offre un croquis de la Corse fait en 1528 par Benedetto Bordone et l’emblème de la famille Malafuoco, il précise aussi les alinéas 2 et 3 de l’article 41 de la Loi du 11 mars 1957 et donc que les analyses et les courtes citations sont illicites sans l’autorisation de l’auteur. Mais, nous ne portons pas atteinte à la propriété intellectuelle et nous ne dévoilons pas le secret de l’enquête en vous disant que les investigations menées permettront de " séparer le bon grain de l’ivraie", parole de berger corse…



    Le XVIe siècle est marqué par la redécouverte de l'anatomie, avec l’apport de la dissection. Parmi les savants qui osent braver le tabou, le plus connu est sans doute André Vésale de l'université de Padoue, auteur en 1543 du De humani corporis fabrica. Dans un amphithéâtre, devant des étudiants venus de l'Europe entière, il pratique de nombreuses dissections sur des suicidés ou des condamnés à mort. Souvent ces dissections publiques duraient jusqu'à ce que les chairs soient trop avariées pour permettre toute observation. C'est une véritable révolution des connaissances en anatomie qui étaient restées sclérosées depuis les travaux de Galien sur des animaux au IIème siècle. Dans le roman, l’auteur situe dans l ‘université de Lubeck une dissection à laquelle aurait assisté le Vicaire Malafuoco, vers 1526. L’idée de l’autopsie serait alors venue du chef de la police de cette ville, avant de germer dans la tête de Malafuoco… petite histoire méconnue ou anachronisme nécessaire à la vérité romanesque ?

    Si certains possèdent des éléments sur l’origine de l’autopsie, qu’ils n’hésitent pas à nous les faire partager. Lubeck ou Padoue ?


    André VESALE, De humani corporis fabrica
    anatomie.jpg 350px-Rembrandt_Harmensz._van_Rijn_007.jpg Leçon d'anatomie- Rembrandt



    En 1530, La Corse est sous le joug de la Société Saint Georges dirigée par des banquiers génois auxquels la République de Gênes avaient confié la gestion administrative et politique de l’île, après que les derniers seigneurs corses (les cinarcais) avaient été décimés avec l’aide d’alliés corses dont certains chefs de famille, comme Fortenobo Di leva, avaient reçu le titre de Benemerito avec les droits de détention et port d’armes. Le Vicaire était chargé du maintien de l’ordre avec l’appui des arbalétriers et des hallebardiers.



    Un autre roman édité en 1999 est une suite avec le titre : Le Vicaire, Les yeux de Sainte Lucie, dont nous vous livrons le résumé : Sacrilège sur fond de vendetta ! On a volé les yeux de sainte Lucie ! On a volé l'accord sacré qui réconciliait deux familles ennemies ! Déjà se rallume une haine inexpiable ! D'un côté, Marco di Brando, mercenaire qui a servi sous la bannière de François Ier avant de se vendre aux Portugais. C'est lui qui fit don à sainte Lucie de ces diamants bleus ravis dans un temple hindou... De l'autre, Juvan 'Pietro di Tenda, prêtre de Bocognano. Il avait promis de veiller sur ces joyaux. Depuis, la prospérité et la paix régnaient sur ce petit village corse. A Matteo Malafuoco, grand seigneur et vicaire de la superbe République de Gênes revient l'honneur de rendre justice ! Honneur ? Mission empoisonnée, plutôt... Il y a déjà un artiste pendu par les pieds, une jeune fille enlevée... Pas d'indice, Pas de témoin, Un tumulte précédé de violences...

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    Archange MORELLI est professeur de lettres en Corse et passionné d’histoire. On le trouve chez divers éditeurs (Méditorial -Librio -Flammarion). Sa période de prédilection est le moyen âge et la renaissance. Entre 1997 et 2005, nous avons trouvé dans sa bibliographie : " Moisson ardente " (1997) - Raison d’état, - Le Vicaire, les yeux de Sainte Lucie, - Une si longue escale - et Les idoles barbares (les deux derniers chez Albiana).

    Les idoles barbares – note de l’éditeur : Au cœur du XVIe siècle, l'Europe entre dans l'histoire moderne par le fer et l'esprit. Epoque tourmentée... les pouvoirs féodaux s'opposent et vacillent, les guerres se succèdent, les cours d'Europe s'éclairent de nouvelles lumières, tandis que les arts et le commerce fleurissent et que la découverte de nouveaux horizons aiguise les appétits. La chronique de ce monde en ébullition résonne des noms de Christophe Colomb, Hernàn Cortez, François Ier ... et dans ce théâtre de la démesure le destin des hommes, happé par les grands mouvements de l'Histoire, emprunte parfois des chemins inattendus ...Ainsi, en est-il pour Pier Giovanni di l'Alzi, rescapé des guerres de Corse, dont la vie aventureuse est mystérieusement liée à une implacable malédiction. Violente, sensuelle, passionnée, son histoire ne connaîtra son dénouement que bien plus tard et bien loin de chez lui... sur les rives d'un monde où les Idoles barbares sont de chair et d'os.

    Une si longue escale
    – note de l’éditeur : Dans une Corse à peine libérée, un aviateur américain et une jeune paysanne corse tombent éperdument amoureux. Ils se promettent un avenir radieux, un amour sans faille, mais déjà la guerre et – plus sournoise – la jalousie les rattrapent. Le bonheur se transforme alors en songe lointain, la présence de l’aimé(e) en une interminable et mortifère attente, et l’amitié d’enfance en une sourde et implacable vengeance…Un roman en rose et noir sur le poids du temps qui passe, l’érosion lente des sentiments, la prégnance d’une culture du malheur, et sur la douce amertume de la vie…



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  • Après Molto Chic , Le bar rouge d’Arlette Shleifer – Colonna Edition.


    Le Bar rouge, Il s’agit du quatrième roman d'Arlette Shleifer dans lequel on retrouve un thème récurrent : la quête de faire de sa vie une œuvre d’art authentique.

    Nous avions déjà consacré un article sur les précédents romans et en particulier Molto Chic. A l’époque Arlette Shleifer, artiste - peintre, était à Taïpei ( Taïwan) et avait annoncé la prochaine parution de son dernier ouvrage : Le bar rouge. Nous avions écrit : A nos yeux, ce qui caractérise Arlette Shleifer, c’est cette " pulsion d’errance " que l’on trouve chez d’autres auteurs comme Jack Kerouac, J.M.G Le Clesio, Kenneth White ou Ernest Sabato. J’ai choisi cette bande des quatre car on les retrouve dans un opus de l’universitaire de renom Michel Maffelosi : " Les jardins de l’errance ". Il écrit sur eux : " A la lumière de ce double héritage culturel et des nombreux espaces qu’il sous-tend, on comprend l’importance de l’errance dans la vie et dans les œuvres de ces auteurs. L’errance est envisagée comme une quête active qui renouvelle le regard du sujet sur le monde et qui enrichit sa connaissance. Dans ce cas, elle résonne comme une sorte d’éveil de l’homme contemporain au monde qui l’entoure, à sa simplicité, ses merveilles comme à ses sordides manifestations. ". Et il ajoute plus loin : " L’écriture se nourrit des mouvements du corps et des lieux traversés, élabore un espace porteur d’aventure errante. " mais aussi : " … l’errance est un déplacement fécond permettant de tisser des liens solides entre le sujet, l’espace et l’altérité. " En littérature, Arlette Shleifer poursuit son chemin, creuse l’ouverture, déplace les frontières et revient publier un nouveau roman, peut-être par tropisme, en Corse. Elle a choisi le noir de l’élégance.



    De quels pigments (ou piment) est fait le rouge ambivalent dans son dernier roman dont le fond reste noir ? Rouge diurne, couleur du sang et du feu, rouge éclatant de force, rouge provocateur, conquérant, colérique, rouge des interdits, ou bien rouge sombre mystérieux, cinabre, riz rouge de la Cité des Saules…peut-être le rouge en héraldique, rouge révolutionnaire de la Chine… sûrement le rouge à l’extrêmité du spectre visible, du spectre solaire… Un livre fait des rouges animal, végétal et minéral de la Chine ancienne mélangés aux synthétiques contemporains. Grasset a une collection " Les cahiers rouges " qui rassemble des écrivains sous la bannière de la passion : " La passion d'aimer, de voyager, la passion du crime, la passion de vivre... " écrit l’éditeur.

    La quatrième page de couverture nous dit : "Le Bar rouge" est une variation au féminin de Caïn et Abel en Asie, sur fond de trafiquants de faux tableaux, d'enlèvements et d'art contemporain. A travers ce roman d'aventure, on découvre l'Asie d'aujourd'hui, de la mondialisation aux vestiges des traditions culturelles anciennes. Entre Tiger, le bon Samaritain, Moutone, personnage étrange et Kaï, la belle rencontre, un nouvel univers, authentique, se trame, fait de métissages, si loin de la journaliste parisienne "branchée" qu'elle était. Faut-il tant de tribulations à Florence, tant d'errance pour faire un choix de vie entre deux îles, Taïwan et la Corse, à la fois si différentes, si lointaines et si proches?"

    Dans la dédicace qu’elle nous a adressée, l’auteur nous invite à un voyage entre deux îles de Beauté.

    L’héroïne Florence nous amène à Taïwan. Elle s’y rend pour remplacer, au pied levé, sa sœur Carla, courTière en art, qui devait faire une conférence sur l’art contemporain au Musée de Taïpei. Cette dernière a prétexté une grosseur au sein nécessitant des examens immédiats pour expédier sa sœur à Taïwan. Arrivée sur place, Florence devait se rendre dans un établissement " Le Bar rouge " pour y remettre une grande enveloppe au tenancier chinois. Ce qu’elle ne sait pas , c’est que sa sœur a fait certifier une petit Rubens par un expert avant d’en faire exécuter une copie livrée à l’acheteur avec le vrai certificat. Ce tableau tient dans une grande enveloppe, convoitée par des trafiquants d’art. Sur l’île de Taïwan, l’arrivée à l’aéroport Tchang Kai Chek de Taipei ne se fera pas sans encombre… L’enveloppe y est volée et notre héroïne, enlevée et maltraitée…

    Le roman commence donc comme une aventure qui tourne au thriller. Le voyage se transforme en survie puis en errance initiatique, émaillé d’images filantes des sœurs Weiss aux rapports freudiens et des rêves angoissés de Tiger au pays du Dragon. Dépouillée de ses bagages, de son argent et de tous ses papiers " dans un monde dont elle n’avait pas la clé ", Florence subit " un temps vide, un temps noir, un temps lourd : la fatalité chinoise ". " Elle n’arrivait pas à nommer la situation, le lieu n’était pas défini, et c’est à peine si elle parvenait à savoir qui elle était. Elle se situait dans l’innommable. " Florence , perdue dans cette île grande comme la Corse ( à un tiers près), le même pourcentage de montagnes, avec cent fois plus d’habitants. Là, Florence , journaliste mêlée malgré elle à un trafic de tableau, , se retrouve meurtrie, " analphabète, muette et sourde à tous mots… L’insolente solitude, sans maquillage, sans mensonge qui met la tête au milieu du miroir de soi-même et s’offre le luxe infâme d’allumer les projecteurs…" C’est le choc des cultures pour cette journaliste ayant passé son enfance en Corse et mené une vie parisienne branchée de femme libérée. De si loin, cette vie lui apparaît moderato cantabile même dans ses extravagances devenues rituelles. Elle se révolte ( une révolte romantique, va s’en dire) et vit une nouvelle naissance à Taiwan. Sur l’écran noir, le roman est un fourmillement d’images, de sensations, de sensualité et de sentiments, matières filantes de création et de découverte de soi. " Atteindre quelque chose de soi-même est la seule matière de l’art ", rappelle l’auteur en citant Chagall. C’est aussi découvrir en soi la possibilité de l’autre, éprouver que nous nous retrouvons en autrui et que nous retrouvons l’autre en nous. Il y a des sentiments qui restent implicites jusqu’au moment où apparaît l’être unique qui les éveille et ce n’est pas l’une des moindres illusions de l’amour. Il y a, dans l’amitié et dans l’amour, des affinités électives… Florence rencontre Tiger, Moutone, Stella (silhouette filante dans le récit qui " était comme une œuvre d’apparence mineure dans une grande collection, de celle dont le nom de l’artiste et le plus souvent inconnu mais qui font chanter les œuvres de maîtres " )… et Kaï avec qui le rouge devient sensualité sur une musique de Mozart. C’est une nouvelle histoire qui commence, une promesse sans fin et donc, dans l’instant, éternelle.

    Après que chacun de ses pas la conduisait là, où elle n’avait pas prévu d’aller, Florence survit. Qu’advient-il de sa sœur, Carla ? Subit-elle le sort de Caïn ?" Saré errante è vagabondu nantu à a terra ", avait dit, en Corse, le Bon dieu à ce dernier. Et oui, depuis qu’il existe une Bible bilingue Corse/ Français, on peut penser que, sans perdre son latin, le Bon Dieu savait parler le corse. Nous n’en dirons pas davantage pour laisser à chacun sa lecture, avec le plaisir de la découverte de cette œuvre au rouge, et, au bout, l’envie de voir la Corse par " d’autres yeux… Vous connaissez Elstir, ce peintre inventé par Proust?… Si vous l’avez oublié, relisez Proust, en savourant des canistrelli.



    L’auteur a fait un long séjour à Taïwan. On peut qualifier cet écrivain de peintre car elle l’est. Elle ne nous sert pas un dépliant touristique aseptisé lorsqu’elle nous décrit cette île connue d’abord sur les étiquettes de la mondialisation " made in… ". Elle nous offre un beau roman sur fond noir où le rouge s’invite de partout, même sur le nez pour des traits d’humour. Elle utilise un vocabulaire concret, précis, parfumé, coloré. Elle nous décrit l’extérieur pour révéler l’âme des lieux et des êtres. C’est aussi un roman sur l’art, sur la façon de vivre l’art et sur l’art de vivre, plein d’émotions et de sensualité. Il est rythmé et dense par les thèmes abordés sans ennui avec, en prime, un coup de gueule courageux de Florence sur l’art conceptuel : " tous ces concepts parlent à la tête, pas à l’âme ". Elle renvoie le cabinet de Duchamp à son concept originel.

    Les écrivains ont toujours été fascinés par l’art, comme Balzac, Gogol, Poe, Wilde, Zola… et des auteurs de romans noirs qui ont ancré ( ou encré ) leurs intrigues dans le monde de la peinture et des musées. Pour rester en Chine, on peut citer le roman de He Jiapong " Le mystérieux tableau ancien " (2002). Comme Arlette Shleifer, des artistes et des historiens de l’art se sont aussi risqués dans le roman noir. On doit citer lain Pears, spécialiste anglais de l’histoire de l’art et inventeur du marchand de tableaux Jonathan Argyll et du général des carabiniers Bottando, unis dans la lutte contres les contrefaçons et les vols d’œuvres d’art. Né en 1955, il a publié une dizaine d’ouvrages noirs depuis 1990. Par ailleurs, Dan Brown est l’auteur du Da Vinci Code. On se souvient aussi de la bande dessinée " Maltisse ", un trafic d'art avec Voldine Self, enquêteur déjanté. Lorenzo nous plonge dans les rouages secrets de l'Art, avec humour et dérision. Une bande dessinée-polar haute en couleur.

    Arlette Shleifer a ramené de son séjour à Taïwan la photographie " le restaurant de rue " qui illustre la couverture de son livre édité par la Maison corse Colonna Edition, Collection San Benedetto et, bien sûr, des toiles dont l’une est intitulée " Red tea ", thé rouge : rouge du cœur, de l’âme, du mûrissement et de la régénération de la femme et de l’œuvre. Cinabre chauffé dans l’Athanor ! Alchimie de la vie !… En artiste, Arlette Shleifer crée son univers personnel avec un humanisme d’esthète.



    Entretien avec Arlette Shleifer en quatre questions :


    1°/ Nous vous avions présentée dans un premier article consacré principalement à votre roman Molto Chic. C’est l’occasion avec Le Bar rouge et votre retour de Taïwan, de nous parler d’abord de vous. Quelles raisons vous font revenir vers la Corse où tous vos livres ont été édités ?

    A.Shleifer: Pourquoi la Corse ? Parce que j'ai découvert ce lieu magique en voyage de noce. Depuis j'y habite une grande partie de l'année entre deux voyages. Mon fils a épousé une petite corse....Donc que de merveilleuses raisons de venir y écrire et y peindre. Je suis très sensible aux senteurs de cette île ; je les ai cherchées partout ailleurs, en vain. Et puis il y a les amis, si importants... Taïwan a été une parenthèse qui a duré environ 18 mois. J'y étais invitée entre autres au village d'artistes de Taipei, la librairie française m'a réservée un accueil touchant (d'ailleurs la directrice et la propriétaire sont venues en vacances en Corse l'été 2006 car elles étaient impatientes de voir ce que je leur en avais dit et surtout écrit !).

    2°/ Vous êtes artiste peintre et donc je m’autorise à penser que les couleurs ont de l’importance même dans vos romans. Alors , quels pigments de rouge ont teinté votre imagination dans votre dernier roman " Le Bar rouge " ?

    A.Shleifer: Evidemment les couleurs sont un langage à part entière dans mes livres; Dans le Bar rouge j'ai sciemment voulu cette couleur "rouge". D'une part parce que le rouge est la couleur de la fête, du bonheur pour les chinois et d'autre part c'est la couleur de la passion. Une troisième raison : je parle d'un Rubens au début or ce qui caractérise la sensualité de ce maître c'est son fameux rouge qui rendait les lèvres de ses modèles si vivantes. Il la posait en touche sur la chair pour donner cette vie. Ce livre parle donc de vie, de passion et de découverte.

    3°/ Votre ouvrage commence comme un thriller. Le trafic d’œuvre d’art apparaît comme un prétexte à une errance initiatique. L’art , comme le rouge, est présent dans tout le récit. Florence quitte une société européenne avec ses rapports freudiens et au bout de son voyage, vit une rencontre difficile avec une société chinoise ignorante de Freud, avec ses propres codes indéchiffrables. Avez-vous ressenti ce choc des cultures aussi intensément que le vit votre héroïne ?

    A.Shleifer: L'art étant une quête permanente (des questions souvent aux réponses incertaines) qui nécessite de se mettre constamment en péril en abîme. Or le voyage vers une culture différente vous renvoie à vos propres questions, à une recherche de l'autre sans lunettes occultantes et sans à priori. En tentant de décoder l'autre on s'approche mieux de soi même.

    4°/ Avez-vous de nouveaux projets artistiques ou littéraires, de nouvelles errances en perspectives ?

    A.Shleifer:Actuellement je travaille à un nouvel ouvrage dans lequel pour la première fois il ne sera pas question d'art. Le voyage bien entendu sera également un personnage du livre. Après avoir travaillé et montré des toiles sur le thème des "ex voto", je vais décliner cette approche. J'ai un projet d'une exposition de photos sur le thème des traces, des fêlures et du passage.... J'attends actuellement la réponse : le lieu fait rêver.... Le Bar Rouge est un lieu très à la mode à Shanghaï. Les lieux décrits existent réellement.

    Sur son séjour à Taipei, elle a écrit :
    A propos de lumière…
    Lorsque je suis arrivée, il y a un an, àTaiwan, je savais que quelque chose se passerait dans mon travail. Le ciel atone, laiteux donnait aux couleurs une sensation de douceur, de pâleur telle une goutte de lait qui tombe dans l'ambre du thé.
    Cela me fit penser aux ‘terres de Sienne naturelle' que les Anciens mettaient dans toutes les couleurs pour les lier entre elles et donner ainsi une belle harmonie de palette.
    Un peu comme le pain est le liant d'un repas ou bien le riz.
    La retenue imposée par la lumière me poussa bien au delà de mon travail, à réfléchir et à tenter de comprendre un peu mieux [ si toutefois on peut comprendre] l'Asie.
    Arlette SHLEIFER ... Taipei , mai 2006

    En premières pages, Arlette Shleifer adresse des remerciements à Jacques Picoux (artiste connu notamment pour ses collages). Elle lui a écrit un article intitulé " Le passe-Hirondelle " sur le site de cet artiste à l’adresse ci-dessous :

    http://www.jacquespicoux.com/index.htm



    Nous saisissons l’occasion pour rappeler la parution de " Comme un besoin d’utopie ", ouvrage de Maddalena Rodriguez-Antoniotti édité chez Albiana avec le commentaire suivant :
    Le parcours du regard - Un parcours d’Art contemporain en Corse
    Le parcours du regard c’est dix années de présence estivale au cœur du village d’Oletta de nombreux artistes contemporains. Une ébullition artistique volontairement inscrite dans les lieux les plus improbables (caves, ruelles, placettes), à la recherche de cette alchimie secrète appelée " rencontre ". Rencontre avec l’Art, avec l’artiste, avec les lieux, avec les gens qui laissèrent traces et espérance. L’ouvrage est un recueil des plus belles pages de cette expérience hors du commun, première de son genre en Europe, avec à l’appui une iconographie de premier ordre complétée de témoignages des artistes en situation. Dans la catégorie Beaux-livres, Comme un besoin d’utopie est le premier à consacrer, en Corse, l’Art contemporain sous toutes ses formes.


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  • Jacques Tardi
    est né en 1946. Son grand-père, d'origine corse, militaire de carrière, a fait la guerre de 14-18. C'est à travers les récits de sa grand-mère qu'il découvre l'horreur et l'atrocité de cette guerre qui alimentera ses cauchemars d’enfants et son imagination d’auteur de Bandes dessinées. Son père a été soldat pendant la seconde guerre mondiale. À seize ans, il entre aux Beaux Arts de Lyon puis il intègre les Arts Décoratifs à Paris. Il fait ses débuts de dessinateur à 23 ans dans le célèbre hebdomadaire Pilote. Sa première histoire longue " Rumeurs sur le Rouergue " paraît en 1972, début du succès et d’une longue suite comprenant l’alliance avec.les écrivains de polar ou de roman policier. Il adapte en images leurs histoires noires prenant souvent pour cadre le Paris. Il a ainsi travaillé avec Jean - Patrick Manchette qui écrit le scénario de Griffu en 1982, avec Didier Daeninckx en 1997 sur La Der des Ders.

    "J'ai entendu parler de la Grande Guerre, à l'âge de cinq ou six ans, par ma grand-mère. J'ai très vite voulu en savoir plus. Ce qu'elle me racontait avait trait au quotidien dans les tranchées. Je faisais des cauchemars, mais j'étais proprement fasciné. Par la suite, j'ai vu des photos et mon désir de dessiner cette guerre en a été accru." Propos de Tardi recueillis par Y. Alion pour Le Journal du Polar, décembre 97.

    Jacques Tardi a adapté les aventures de Léo Malet et de Nestor Burma., Brouillard au pont de Tolbiac en 1982, puis Rue de la gare en 1988, Casse pipe à la nation en 1996 et Une gueule de bois en plomb. Il collabore avec Daniel Pennac. Il réalisera en 1988 illustration de Voyage au bout de la nuit, œuvre majeure de Louis Ferdinand Céline, puis Casse pipe en 1989 et Mort à Crédit en 1991.

    Il est l’inventeur du personnage d'Adèle Blanc-Sec, dont il a écrit lui-même les scénari des aventures extraordinaires. Il est le dessinateur d’ affiches de films, des jaquettes de CD ou d’ illustrations de couvertures de romans. En 1985, les Editions Futuropolis/Gallimard ont publié deux importants volumes: Mines de Plomb et Chiures de Gomme, qui rassemblent et recensent de façon exhaustive l'ensemble de ses travaux graphiques (couvertures de livres, affiches de films, croquis, portfolios, caricatures...) ainsi que de nombreux inédits. Il est l’auteur du roman " Rue des rebuts ", publié en 1990. Sa notoriété fait que de nombreux sites vous proposent des biographies et bibliographies.



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    Dans l’actualité, il est " l’homme de peine " de la revue " L’étrangleur " aux côtés de Nadia Gibert " femme de tête " et Guillaume Prieur " homme de cabinet ". Nous avons pu nous procurer les numéros 2 à 5 mais pas le numéros 1. Les cinq revues datées du 2 au 6 février 1959 suivent les meurtres de l’Etrangleur pendant que la Police parisienne fait grève. La première victime est l’acteur Gaston Malinguet, suivi d’un aveugle, d’un représentant en timbres –poste de collection et d’un marchand de journaux ( ancien combattant de la guerre 1914-1918 dans l’Armée d’Orient* ). Ces revues accompagnent la bande dessinée " le secret de l’Etrangleur ". Entre le 2 et le 6 février 1959, la police est en grève et, dans la capitale plongée dans le brouillard, un mystérieux étrangleur rôde en commettant d’affreux forfaits… Jacques Tardi donne sa vision d’un roman "Monsieur Cauchemar" signé Pierre SINIAC, auquel nous avons consacré un article pour un autre roman " La course du Hanneton.. " édité après que l’auteur fut mort dans la solitude et l’oubli.

    Armée d’Orient* : rappelons-le, dans cette armée, il y avait de nombreux Corses qui ne sont pas revenus de la guerre - pour mémoire, Pierre Laurent Fabiani, originaire de Monticellu est mort à l’âge de 27 ans sur le front serbe, en laissant une femme, Jeanne Ceccaldi, de Partinellu, et deux fillettes, une de 2ans et un bébé qu’il n’aura pas connu. Il est enterré au carré militaire du cimetière St Pierre à Marseille.




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    Revenons un court instant sur " Voyage au bout de la nuit " illustré par Jacques Tardi dans un beau livre grand format, texte intégral , collection Futuropolis de Gallimard. La nouvelle édition est de novembre 2006 et reprend les préfaces des deux précédentes datant de 1932 et de 1949. Dans la première préface, il est écrit : " Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il y va de la vie et de la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant, Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie ". Jacques Tardi avait déclaré à propos de son travail : " Avec Céline, je restais dans l'univers qui m'intéresse, 1914-1918, tout ça... Et c'est un très grand écrivain. Mais ses livres sont très peu dialogués, il aurait donc fallu que je coupe. C'est tout à fait possible d'adapter Céline en BD mais cela impliquait des coupes. Or j'avais moins de scrupules à les faire dans Malet que dans Céline ; c'est quand même une autre pointure ! Je l'ai donc illustré, pas adapté."
    Vous pouvez aller voir un interview complet du 17/08/05 sur le site du journal Le Monde à l’adresse ci-dessous :
    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-680761@45-1,0.html



    Note sur Voyage au bout de la nuit
    :

    " La vie c'est ça un bout de lumière qui finit dans la nuit "… " Notre vie est un voyage / Dans l'hiver et dans la Nuit / Nous cherchons notre passage / Dans le ciel où rien ne luit " – extraits du roman de Céline.

    Nous n’allons pas nous lancer dans une exégèse du roman de Celine. Simplement, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, nous pouvons écrire que Louis-Ferdinand Céline, de son vrai nom Louis - Ferdinand Destouches, publie Voyage au bout de la nuit en 1932. Le héros ,Ferdinand Bardamu raconte dans le roman sa vie et nous montre la misère du monde contemporain. À vingt ans, en 1914, il se retrouve sur le front et les atrocités de la guerre le mettent au bord de la folie. Réformé, il fuit et arrive en Afrique où il découvre le système colonial. Clandestin en Amérique, il y rencontre Molly, une prostituée ( mais Molly était dotée d'une patience angélique… un cœur infini vraiment avec du vrai sublime dedans). Finalement, il revient en France, et après des études de médecine, s’installe en banlieue.

    Céline est mort en 1961. Le 1er juillet, à 18 heures, Louis-Ferdinand Céline meurt d'une rupture d'anévrisme. Son décès ne sera annoncé par la presse que le 4, après son inhumation au cimetière de Meudon.

    " À force d'être poussé comme ça dans la nuit, on doit finir tout de même par aboutir quelque part, que je me disais. C'est la consolation. Courage, Ferdinand, que je me répétais à moi-même, pour me soutenir, à force d'être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'ils n'y vont pas eux au bout de la nuit. " extrait du roman de Céline.

    " Le livre français qui compta le plus pour nous cette année, ce fut Voyage au bout de la nuit de Céline. Nous en savions par cœur des tas de passages. Son anarchisme nous semblait proche du nôtre. Il s'attaquait à la guerre, au colonialisme, à la médiocrité, aux lieux communs, à la société, dans un style, sur un ton, qui nous enchantaient. Céline avait forgé un instrument nouveau : une écriture aussi vivante que la parole. Quelle détente, après les phrases marmoréennes de Gide, d'Alain, de Valéry ! Sartre en prit de la graine." Simone de Beauvoir, La force des choses. Paris : Gallimard, 1960.

    " Il faut relire Céline en le voyant. Céline a dit la vérité du siècle : ce qui est là est là, irréfutable, débile, monstrueux, rarement dansant et vivable." Philippe Sollers, Voyage au bout de la nuit, édition illustrée par Tardi. Paris : Futuropolis, 1988.
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