• Une petite chose: moment ordinaire en Corse.

    Un moment ordinaire à Ajaccio

     

    Il y a des moments ordinaires à Ajaccio qui valent d’être vécus et le petit déjeuner à la terrasse d’un café en fait partie.  L’autre jour, attablé, je prenais mon café près du marché en profitant de la fraîcheur matinale. La terrasse était occupée par des Ajacciens et sont venus prendre leur petit déjeuner des clients d’origine maghrébine ainsi que deux marchands ambulants africains. Ils ont été accueillis chaleureusement et ont pris paisiblement leurs consommations avec des croissants dans une ambiance amicale.  Un moment ordinaire aux antipodes des accusations  ordinaires de racisme dont les Corses font l’objet  lorsque quelques troublions viennent inscrire sur les murs des slogans racistes.

    J’ai quitté cette terrasse satisfait de cette réalité humaine  qu’offre la Corse en réglant mon café avec verre d’eau  servi aimablement en terrasse pour le prix de 1€20. A ce tarif, j’ai fait la tournée des bars et je vous ai ramené une photo d’un établissement qui , pour le même prix, vous offre les canistrelli.

     

     

     

     

     

                                              La parution de  « U cosu »  écrit par Michel Moretti et  publié sur le site Corsicapolar.eu offre l’occasion aussi de revenir sur la lecture de "La Nausée" de Jean-Paul Sartre…

     

      

     

     

    U cosu, la chose de la nausée...

    La philosophie ne peut évacuer la question du sens. Alors, si le monde n'est pas absurde, peut-on donner un sens à ce monde à travers le roman de Sartre ? En écrivant La nausée, Sartre voulait donner à penser à travers un récit. Il disait lui-même que la philosophie à la quelle il croyait, les vérités qu'il atteindrait s'exprimaient dans ce roman, son ambition étant d'être à la fois Spinoza et Stendhal. En 1938, dans ce roman, il exprime en 250 pages ce qu'il développera en plus de 800 pages dans son ouvrage L'être et le néant édité en 1943. La nausée est le journal de bord d'un homme, Antoine Roquentin, qui se découvre lui-même alors qu'il écrit l'histoire d'un illustre inconnu, le Marquis de Rollebon. Roquentin va être saisi à la gorge par le non-sens, découvrir l’inexistence de Dieu, l'effrayante et obscène nudité de l'univers... La nausée lui tombe dessus et lui ouvre les yeux sur son existence. "La chose, qui attendait, s'est alertée, elle a fondu sur moi, elle se coule en moi, j'en suis plein.- Ce n'est rien: la chose, c'est moi. L'existence, libérée, dégagée, reflue sur moi. J'existe..."La nausée, qui commence par des mots qui manquent, va lui apparaître comme une porte ouverte. Nous sommes condamnés à être libres par le Tribunal de la vie. A partir de là, Roquentin fait sa révolution copernicienne. Sartre déroule un récit à portée philosophique et qui supporte d'autres lectures : psychanalytique, biographique, culturelle, émotionnelle... Roquentin (ou Sartre, le jeu est subtil) nous relate ses ballades dans le réel d'un monde où les choses, en perdant leurs fonctions, deviennent innommables et les hommes jouent les imbéciles ou les salauds... Parmi ses imbéciles et ses salauds, un personnage passe inaperçu : "le Corse".

     

    Le Corse de La nausée...

    Dans ce roman, Jean-Paul Sartre utilise des sobriquets. L'action se situe à Bouville, en vérité Le Havre. L'Autodidacte est le sobriquet d'un personnage humaniste qui se révèle aussi pédéraste. C'est le Corse qui va le prendre la main dans le panier d'un jeune lycéen et qui va lui donner deux coups de poing au visage, en l'humiliant puis le chassant de la bibliothèque. Le Corse va être lui-même humilié par Roquentin. Le Corse est gardien de la bibliothèque de Bouville et son épouse en est la concierge. Dans l'Edition "Folio", à la page 113, on trouve une description du Corse : " Le gardien venait vers nous : c'est un petit Corse rageur, avec des moustaches de tambour-major. Il se promène des heures entières entres les tables en claquant des talons. L'hiver, il crache dans des mouchoirs qu'il fait ensuite sécher contre le poêle..." Ensuite de la page 233 à 236, Roquentin relate l'incident dans la bibliothèque. On apprend que le Corse se nomme Paoli lorsque le jeune sous-bibliothècaire (qu'il terrorise aussi) l'appelle par son nom. Après que Paoli a frappé l'Autodidacte avec un "gémissement voluptueux", Roquentin le prend par le cou et le soulève de terre "tout gigotant"... "il était devenu bleu et se débattait, cherchait à me griffer ; mais ses bras courts n'atteignaient pas mon visage. Je ne disais mot, mais je voulais lui taper sur le nez et le défigurer. Il le comprit, il leva le coude pour protéger sa face : j'étais content parce que je voyais qu'il avait peur..."et il ajoute plus loin : " Autrefois, je ne l'aurais pas laissé sans lui avoir brisé les dents..."

     

    Pourquoi avoir choisi le sobriquet " le Corse ", pour un personnage petit et rageur qui prend plaisir à jouer les gros bras et se fait humilier par plus fort que lui ? On peut se poser la question lorsque l'on constate qu'il s'agit, dans La nausée, du seul sobriquet évoquant des origines. Peut-être faut-il passer sous silence ce personnage pour éviter de sortir de l'essentiel de l’œuvre et ouvrir un débat sur ce choix inspiré par le racisme anticorse alimenté par des caricatures tenaces. A chacun de se faire une idée, en relisant une œuvre majeure de Sartre où la seule caricature identitaire tombe encore sur un Corse.

     

    Nous n’allons pas tomber dans un discours victimaire mais l’anecdote est là. Une fois encore, elle témoigne de l’attention particulière portée aux Corses. Si un Corse est un petit personnage rageur, c’est parce qu’il est corse alors qu’un Périgourdin ou un Franc- comtois " petit et rageur " sera désigné uniquement comme étant " petit et rageur ". On peut être un grand philosophe et avoir ses préjugés "dans un monde où les choses, en perdant leurs fonctions, deviennent innommables et les hommes jouent les imbéciles ou les salauds. "

     

    Dans un livre " Ma belle Marseille " écrit par Carlo Rim en 1934, je citerai simplement les paroles d’un personnage, le Commandant Orlandi, qui sur le Cyrnos, ressemblait à Neptune et disait à Carlo Rim , journaliste : " C’est la première fois que vous allez en Corse. Bien entendu, vous n’y resterez que quatre jours, vous photographierez la chaise à porteurs de Laetitia Bonaparte et les Calanques de Piana. Vous interrogerez une jeune paysanne de Palmeca que vous appellerez Colomba et un jeune chasseur de Monte d’Oro que vous prendrez pour Matteo Falcone ou pour Spada. Et puis, vous écrirez un article définitif "

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