• Promenade littéraire en Corse

    Promenade à travers des extraits de textes pour en arriver à l'hospitalité et la solidarité...

    La Corse a inspiré des auteurs célèbres qui ont écrit sur l’île et ses habitants. Nous avons choisi quelques extraits… et, en dernier lieu , un texte de Pierre Bonardi sur l’hospitalité. De l’hospitalité à la solidarité, Corsicapolar annonce la parution d'un recueil de nouvelles au profit de l’association Hand 20… en juillet 2008.

          

    À partir du XIXe siècle, la Corse s'enfonce dans la misère. L'euphorie de l'industrialisation ne l'a pas effleurée. Alphonse Daudet (1840-1897), comme bien d'autres, constate ce décalage entre l'île et le continent... une île " en pleine misère italienne " selon l’auteur des lettres de mon moulin.
    La côte corse, un soir de novembre. - Nous abordons sous la grande pluie dans un pays complètement désert. Des charbonniers lucquois nous font une place à leur feu ; puis un berger indigène, une espèce de sauvage tout habillé de peau de bouc, nous invite à venir manger la polenta dans sa cabane. Nous entrons, courbés, rapetissés, dans une hutte où l'on ne peut se tenir debout. Au milieu, des brins de bois vert s'allument entre quatre pierres noires. La fumée qui s'échappe de là monte vers le trou percé à la hutte, puis se répand partout, rabattue par la pluie et le vent. Une petite lampe - le caleil provençal - ouvre un œil timide dans cet air étouffé. Une femme, des enfants apparaissent de temps en temps quand la fumée s'éclaircit, et tout au fond un porc grogne. On distingue des débris de naufrage, un banc fait avec des morceaux de navires, une caisse de bois avec des lettres de roulage, une tête de sirène en bois peint arrachée à quelque proue, toute lavée d'eau de mer.
    La polenta est affreuse. Les châtaignes mal écrasées ont un goût moisi ; on dirait qu'elles ont séjourné longtemps sous les arbres, en pleine pluie. Le bruccio (traduire en corse brocciu) national vient après, avec son goût sauvage qui fait rêver de chèvres vagabondes... Nous sommes ici en pleine misère italienne. Pas de maison, l'abri. Le climat est si beau, la vie si facile ! Rien qu'une niche pour les jours de grande pluie. Et alors qu'importe la fumée, la lampe mourante, puisqu'il est convenu que le toit, c'est la prison et qu'on ne vit bien qu'en plein soleil ? >>
      L'île de Corse a, d'une manière assez exacte, la forme d'un poisson qui aurait la queue tournée vers le nord. Une chaîne de hautes montagnes vertes en bas, neigeuses au sommet, la traverse du nord au sud, du Cap corse au détroit de Bonifacio, comme une épine dorsale gigantesque, d'où s'échappent, ainsi que des arêtes, mille petites chaînes, ramifications infinies qui vont, s'abaissant par degrés, baigner leurs derniers coteaux dans deux océans : la mer italienne et la mer espagnole.

    Pour Pierre-Alexis Ponson du Terrail, en  Corse, la notion d'appartenance est d'abord lié au village. Là sont les racines. D'un village à l'autre, d'une vallée à l'autre, d'une région à l'autre, et à plus forte raison d'une ville à l'autre, la différence est ressentie à l'extrême
    Au nord s'allonge une langue de terre couverte de vignobles, d'orangers et d'oliviers : c'est le Cap corse. Au nord-ouest s'étend une succession de riches et vertes plaines bien cultivées, fertiles, semées çà et là de villages blancs et coquets, c'est la Balagne. À l'ouest, une contrée montagneuse expose au soleil méridional ses maquis vert sombre, ses forêts chevelues et vierges, ses villages à maisons crénelées, à physionomie guerrière : ce sont les arrondissements d'Ajaccio et de Sartène, les deux cantons belliqueux de la Corse, la véritable Corse vindicative et sauvage, patriarcale et superstitieuse, religieuse et martiale. Au sud, une plaine de quelques lieues carrées, semée d'étangs malsains, de fiévreux marécages et dominée par un rocher qui supporte une ville et surplombe la mer avec une hardiesse si folle, si téméraire, qu'il semble à chaque instant que roc et ville vont s'abîmer et disparaître sous le flot qui les ronge et les fascine depuis le commencement du monde. Cette ville est Bonifacio. À l'est, entre la chaîne épinière des montagnes et la mer d'Italie, se déroulent et s'allongent des plaines immenses, fertiles comme celles du Brésil, désertes comme elles, incultes malgré leur luxuriante végétation et sillonnées à peine par de rares troupeaux de brebis noires et de pâles et hâves bergers qui tremblent de cette fièvre terrible qui règne en sombre despote sur le littoral du levant depuis Porto-Vecchio jusqu'à Aleria. C'est la côte orientale, la plus belle partie, la plus inexplorée peut-être de toute l'île.
    À l'extrémité de la côte orientale, au milieu d'une plaine non moins fertile, non moins belle, mais plus saine, on trouve la plus importante, la plus riche, la plus commerçante ville de Corse : Bastia. Mais Bastia n'est plus la Corse, Bastia est une ville continentale, italienne, corrompue et molle, luxueuse et active comme le continent ; à Bastia, point de vendetta, point de stylet affilé, de fusil menaçant, mais aussi plus de mœurs sévères, patriarcales, plus de ces costumes pittoresques et traditionnels qu'on retrouve encore à Ajaccio. Le Corse, le vrai Corse montagnard, le Corse de Corte et d'Ajaccio, retrousse dédaigneusement la lèvre en parlant de l'habitant de Bastia
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    Gustave Flaubert a 19 ans quand il entreprend, en 1840, un voyage dans les Pyrénées, le midi et la Corse en compagnie d'un chirurgien, ami de son père, de la sœur de celui-ci et d'un prêtre italien. Il vient d'être reçu bachelier et tout imprégné de culture gréco-latine, il découvre, au rythme de la randonnée, un cadre auquel le rattachent ses goûts, ses lectures.
    Nous longions le bord de la mer que le chemin suit jusqu'à l'ancienne ville de Sagone. Elle était calme, le soleil donnant dessus, éclairait son azur qui paraissait plus limpide encore; ses rayons faisaient tout autour des rochers à fleur comme des couronnes de diamant qui les auraient entourés ; elles brillaient plus vives et plus scintillantes que les étoiles. A Vico on commence à connaître ce que c'est qu'un village de la Corse. Situé sur un monticule, dans une grande vallée, il est dominé de tous les côtés par des montagnes qui l'entourent comme un entonnoir... Il ne faut point juger les mœurs de la Corse avec nos petites idées européennes. Ici un bandit est ordinairement le plus honnête homme du pays et il rencontre dans l'estime et la sympathie populaire tout ce que son exil lui a fait quitter de sécurité sociale...  J'avais éteint mon flambeau. Je me levai et je regardai la campagne, je voyais les chèvres marcher dans les sentiers du maquis et sur les collines ; ça et là les feux de bergers, j'entendais leurs chants...  Nous étions placés sur une des plus hautes montagnes de la Corse et nous voyions à nos côtés toutes les vallées et toutes les montagnes qui s'abaissaient en descendant vers la mer ; les ondulations des coteaux avaient des couleurs diversement nuancées suivant qu'ils étaient couverts de maquis, de châtaigniers, de pins, de chênes-lièges ou de prairies ; en face de nous et dans un horizon de plus de trente lieues, s'étendait la mer Tyrrhénienne comprenant l'île d'Elbe, Sainte-Christine, les îles Caprera, un coin de la Sardaigne.
    On ne saurait dire ce qui se passe en vous à de pareils spectacles ; je suis resté une demi-heure sans remuer, et regardant comme un idiot la grande ligne blanche qui s'étendait à l'horizon. J'aurais presque pleuré quand je me suis enfoncé de nouveau dans la montagne. Non, ce n'est jamais devant l'océan, devant nos mers du Nord, vertes et furieuses, que les dix mille eussent poussé le cri d'immense espoir dont parle Xénophon ; mais c'est bien devant cette mer-là, quand, avec tout son azur, elle surgit au soleil entre les fentes de rochers gris, que le cœur alors prend une immense volée pour courir sur la cime de ces flots si doux, à ces rivages aimés, où les poètes antiques ont placé toutes les beautés, à ces pays suaves où l'écume, un matin, apporta dans une coquille la Vénus endormie. Quand nous avons quitté Bastia, le temps était superbe, la mer calme. La Corse belle me disait un dernier adieu... Me voilà réinstallé dans mon fauteuil vert, auprès de mon feu qui brûle, voilà que je recommence ma vie des ans passés. Qu'ont donc les voyages de si attrayant pour qu'on les regrette à peine finis. Oh ! Je rêverai encore longtemps des forêts de pins où je me promenais il y a trois semaines, et de la Méditerranée qui était si bleue, si limpide, si éclairée de soleil il y a quinze jours ; je sens bien que cet hiver, quand la neige couvrira les toits et que le vent sifflera dans les serrures, je me surprendrai à errer dans les maquis de myrtes, le long du golfe de Liamone, ou à regarder la lune dans la baie d'Ajaccio.

     
    Guy de Maupassant a sillonné la Corse et c’est avec lui que nous avons choisi de débuter en arrivant par la mer.

    Le Bonheur :
    Mais tout à coup quelqu'un, ayant les yeux fixés au loin, s'écria :
     Oh ! Voyez, là-bas, qu'est-ce que c'est ?
    Sur la mer, au fond de l'horizon, surgissait une masse grise, énorme et confuse.
    Quelqu'un dit :
    C'est la Corse ! On l'aperçoit ainsi deux ou trois fois par an dans certaines conditions d'atmosphère exceptionnelles, quand l'air, d'une limpidité parfaite, ne la cache plus par ces brumes de vapeur d'eau qui voilent toujours les lointains.
    Alors, un vieux monsieur, qui n'avait pas encore parlé, prononça :
    - Tenez, j'ai connu dans cette île... j'ai connu un exemple admirable d'un amour constant, d'un amour invraisemblablement heureux.
    Je fis, voilà cinq ans, un voyage en Corse...
    Le conteur se tut... Et là-bas au fond de l'horizon, la Corse s'enfonçait dans la nuit, rentrait lentement dans la mer, effaçait sa grande ombre apparue comme pour raconter elle-même l'histoire des deux humbles amants qu'abritait son rivage.

    Histoire corse :
    Le mordant parfum des plantes aromatiques dont l'île est couverte emplissait l'air, semblait l'alourdir, le rendre palpable ; et la route allait, s'élevant lentement au milieu des grands replis des monts escarpés... Après avoir traversé Piana, je pénétrais soudain dans une fantastique forêt de granit rose, une forêt de pics, de colonnes, de figures surprenantes, rongées par le temps, par la pluie, par les vents, par l'écume salée de la mer. Ces étranges rochers, hauts parfois de cent mètres, minces comme des obélisques, coiffés comme des champignons ou découpés comme des plantes, ou tordus comme des troncs d'arbres, avec des aspects d'êtres, d'hommes prodigieux, d'animaux, de monuments, de fontaines, des attitudes d'humanité pétrifiée, de peuple surnaturel emprisonné dans la pierre par le vouloir séculaire de quelque génie, formaient un immense labyrinthe de formes invraisemblables, rougeâtres ou grises avec des tons bleus. On y distinguait des lions accroupis, des moines debout dans leur robe tombante, des évêques, des diables effrayants, des oiseaux démesurés, des bêtes apocalyptiques, toute la ménagerie fantastique du rêve humain qui nous hante dans nos cauchemars. Peut-être n'est-il par le monde rien de plus étrange que ces "Calanche" de Piana, rien de plus, curieusement ouvragé par le hasard.
     
    Honoré de Balzac a écrit un texte non pas sur la Corse mais sur la venue d’un Corse à Paris :
    Extrait de La Vendetta.
    […/…]L'étranger avait une de ces têtes abondantes en cheveux, larges et graves, qui se sont souvent offertes au pinceau des Carraches. Ces cheveux si noirs étaient mélangés d'une grande quantité de cheveux blancs. Quoique nobles et fiers, ses traits avaient un ton de dureté qui les gâtait. Malgré sa force et sa taille droite, il paraissait avoir plus de soixante ans. Ses vêtements délabrés annonçaient qu'il venait d'un pays étranger. Quoique la figure jadis belle et alors flétrie de la femme trahît une tristesse profonde, quand son mari la regardait, elle s'efforçait de sourire en affectant une contenance calme. La petite fille restait debout, malgré la fatigue dont les marques frappaient son jeune visage hâlé par le soleil. Elle avait une tournure italienne, de grands yeux noirs sous des sourcils bien arqués, une noblesse native, une grâce vraie. Plus d'un passant se sentait ému au seul aspect de ce groupe dont les personnages ne faisaient aucun effort pour cacher un désespoir aussi profond que l'expression en était simple ; mais la source de cette fugitive obligeance qui distingue les Parisiens se tarissait promptement. Aussitôt que l'inconnu se croyait l'objet de l'attention de quelque oisif, il le regardait d'un air si farouche, que le flâneur le plus intrépide hâtait le pas comme s'il eût marché sur un serpent. Après être demeuré longtemps indécis, tout à coup le grand étranger passa la main sur son front, il en chassa, pour ainsi dire, les pensées qui l'avaient sillonné de rides, et prit sans doute un parti désespéré. Après avoir jeté un regard perçant sur sa femme et sur sa fille, il tira de sa veste un long poignard, le tendit à sa compagne, et lui dit en italien : - Je vais voir si les Bonaparte se souviennent de nous. Et il marcha d'un pas lent et assuré vers l'entrée du palais, où il fut naturellement arrêté par un soldat de la garde consulaire avec lequel il ne put longtemps discuter. En s'apercevant de l'obstination de l'inconnu, la sentinelle lui présenta sa baïonnette en manière d’ultimatum. Le hasard voulut que l'on vînt en ce moment relever le soldat de sa faction, et le caporal indiqua fort obligeamment à l'étranger l'endroit où se tenait le commandant du poste.
    - Faites savoir à Bonaparte que Bartholoméo di Piombo voudrait lui parler, dit l'Italien au capitaine de service.
    Cet officier eut beau représenter à Bartholoméo qu'on ne voyait pas le premier consul sans lui avoir préalablement demandé par écrit une audience, l'étranger voulut absolument que le militaire allât prévenir Bonaparte. L'officier objecta les lois de la consigne, et refusa formellement d'obtempérer à l'ordre de ce singulier solliciteur. Bartholoméo fronça le sourcil, jeta sur le commandant un regard terrible, et sembla le rendre responsable des malheurs que ce refus pouvait occasionner ; puis, il garda le silence, se croisa fortement les bras sur la poitrine, et alla se placer sous le portique qui sert de communication entre la cour et le jardin des Tuileries. Les gens qui veulent fortement une chose sont presque toujours bien servis par le hasard. Au moment où Bartholoméo di Piombo s'asseyait sur une des bornes qui sont auprès de l'entrée des Tuileries, il arriva une voiture d'où descendit Lucien Bonaparte, alors ministre de l'intérieur.
    - Ah ! Loucian, il est bien heureux pour moi de te rencontrer, s'écria l'étranger.
    Ces mots, prononcés en patois corse, arrêtèrent Lucien au moment où il s'élançait sous la voûte, il regarda son compatriote et le reconnut. Au premier mot que Bartholoméo lui dit à l'oreille, il emmena le Corse avec lui chez Bonaparte.
    […/…]
     
    Prosper Mérimée a donné une image romanesque de la Corse, souvent inspirée plus par ses lectures et son imagination que par la réalité.

    Extrait de Matteo Falcone
    En sortant de Porto-Vecchio et se dirigeant au nord-ouest, vers l'intérieur de l'île, on voit le terrain s'élever assez rapidement, et après trois heures de marche par des sentiers tortueux, obstrués par de gros quartiers de rocs, et quelquefois coupés par des ravins, on se trouve sur le bord d'un maquis très étendu. Le maquis est la patrie des bergers corses et de quiconque s'est brouillé avec la justice. Il faut savoir que le laboureur corse, pour s'épargner la peine de fumer son champ, met le feu à une certaine étendue de bois : tant pis si la flamme se répand plus loin que besoin n'est ; arrive que pourra; on est sûr d'avoir une bonne récolte en semant sur cette terre fertilisée par les cendres des arbres qu'elle portait. Les épis enlevés, car on laisse la paille, qui donnerait de la peine à recueillir, les racines qui sont restées en terre sans se consumer poussent au printemps suivant des cépées épaisses qui, en peu d'années, parviennent à une hauteur de sept ou huit pieds. C'est cette manière de taillis fourré que l'on nomme maquis. Différentes espèces d'arbres et d'arbrisseaux le composent, mêlés et confondus comme il plaît à Dieu. Ce n'est que la hache à la main que l'homme s'y ouvrirait un passage, et l'on voit des maquis si épais et si touffus que les mouflons eux-mêmes ne peuvent y pénétrer.
     
    Extrait de Colomba :
    Après trois jours de navigation, on se trouva devant les Sanguinaires, et le magnifique panorama du golfe d'Ajaccio se développa aux yeux de nos voyageurs. C'est avec raison qu'on le compare à la baie de Naples ; et au moment où la goélette entrait dans le port, un maquis en feu, couvrant de fumée la Punta di Girato, rappelait le Vésuve et ajoutait à la ressemblance. (...) On ne voit, autour du golfe d'Ajaccio, que de sombres maquis, et derrière, des montagnes pelées. Pas une villa, pas une habitation. Seulement çà et là, sur les hauteurs autour de la ville, quelques constructions blanches se détachent isolées sur un fond de verdure; ce sont des chapelles funéraires, des tombeaux de famille. Tout, dans ce paysage est d'une beauté grave et triste.
    Avec Alexandre Dumas, nous abordons le sujet de l’hospitalité.
    Extrait des Frères corses
    J'avais visité Corte et Ajaccio, et je parcourais pour le moment la province de Sartène. Ce jour - là, j'allais de Sartène à Sollacaro. L’étape était courte : une dizaine de lieues peut-être, à cause des détours, et d'un contrefort de la chaîne principale qui forme l'épine dorsale de l'île, et qu'il s'agissait de traverser : aussi avais-je pris un guide, de peur de m'égarer dans le maquis. Vers les cinq heures, nous arrivâmes au sommet de la colline qui domine à la fois Olmeto et Sollacaro. Là, nous nous arrêtâmes un instant.
    - Où votre seigneurie désire-t-elle loger ? demande le guide.
    Je jetai les yeux sur le village, dans les rues duquel mon regard pouvait plonger et qui semblait presque désert : quelques femmes seulement apparaissaient rares dans les rues, encore marchaient-elles d'un pas rapide et en regardant autour d'elles. Comme en vertu des règles d'hospitalité établies, j'avais le choix entre les cent ou cent vingt maisons qui composent le village, je cherchai des yeux l'habitation qui semblait m'offrir le plus de chance d'être confortable, et je m'arrêtai à une maison carrée, bâtie en matière de forteresse, avec mâchicoulis en avant des fenêtres et au-dessus de la porte.

    Charles de la Morandière, historien, fut, au début du siècle, un explorateur du Niolu qui présente, selon lui, " l'ensemble le plus complet de la Corse physique et morale >>. En 1933 il lui a consacré un ouvrage empreint d'une grande chaleur...
       Je suis à l'entrée du village, remontant doucement la route qui forme la grande rue de Calacuccia. Sous les platanes, des hommes marchent lentement, qui s'interrompent de parler politique pour me reconnaître et me saluer en souriant. Des mulets vont devant moi de leur pas étroit, faisant sonner leurs clochettes, avec sur le dos des sacs de farine de châtaigne que maintiennent les grosses cordes en poils de chèvre ; des poules picorent dans les ruisseaux, effarouchées brusquement par l'arrivée d'une truie sombre à l'air hargneux ; sur le pas des portes, des femmes tout en noir, accroupies sur leurs talons, tricotent en surveillant des marmots ; des hommes habillés de velours devisent, adossés au mur de la poste, en fumant l'herbe corse dont l'odeur âcre parvient jusqu'à moi ; des brebis descendent avec des bêlements en soulevant un nuage de poussière, précédées d'un jeune berger qui, un gros parapluie en bandoulière, règle la marche du troupeau et porte dans ses bras les derniers-nés des agneaux.



    Enfin, plus proche de nous, Pierre Bonardi  est un écrivain disparu. Il a écrit des récits de voyage, des enquêtes, des essais, des livres d'histoire et des romans. Il nous parle des relations sociales et de l'hospitalité corse, dans cet extrait tiré de son livre "L’Ile tragique" paru en 1937.
    L'étranger sera toujours chez lui, sur le pied du maître, dans la vieille maison corse, à la seule condition qu'il se montre courtois et réservé. L'étranger et même l'ennemi s'il a été forcé d'y chercher un refuge. Les annales sont pleines de traits de ce genre. Le bandit poursuivi par les gendarmes frappe à la porte de la demeure qu'il a vidée, par le plomb, de ses plus fiers habitants. Il est reçu, protégé, caché. La vendetta ne reprend qu'après qu'il a franchi le seuil et gagné le large. L'hôte est sacré. L'hospitalité corse a été chantée même par les pires contempteurs de l’Ile et de sa race. Ces contempteurs-là auraient découvert d'autres vertus à la Corse et aux Corses s'ils avaient su se servir de ces deux clefs d'or : la discrétion et la courtoisie. Les castes, ici, ont toujours été livrées, voire fondues par le danger et la misère. "Les anciens Seigneurs de la Corse étaient bien loin de posséder l'autorité oppressive des anciens barons de la Féodalité, nota M. Valery, bibliothécaire de Charles X, c'étaient des chefs de clan qui commandaient à des égaux et non à des cerfs".
    Prosper Mérimée a fait la même observation. "Les propriétaires vivent sur leurs terres, au milieu de leurs fermiers et de leurs bergers qu'ils traitent avec beaucoup plus de politesse qu'on ne le fait en France". Le sieur Bellin, ingénieur très distingué de la Marine et collaborateur de l'abbé Prévost, non pour Manon mais pour les Voyages, a sondé les côtes et battu les sentiers de l’Ile en homme honnête et consciencieux. Il a aussi étudié les mœurs et sans indulgence, c'était vers le milieu du XVIIIe siècle, il nota : "Les Corses... exigent des politesses des étrangers et ne tiennent pas au-dessous d'eux de garder leurs bestiaux et de faire d'autres fonctions des plus vils paysans...".
    En somme, une seule aristocratie compte qui tient ni aux parchemins (déchirés ou brûlés), ni aux diplômes, ni aux marques extérieures d'une brillante situation mais à la personnalité elle-même. Or le terroir ne produit pas d'individus neutres, de sorte que tous sont des aristocrates et prétendent à la déférence ou plutôt à la gentillesse de chacun. Je dis bien tous. Quiconque témoigne quelque bonne grâce au chef ou à la patronne n'est pas pour autant dispensé de se montrer agréable à la servante ou à l'employé. Le conducteur de voiture attend le même statut que le directeur des Messageries et la servante de l'auberge veut être traitée comme une demoiselle de famille noble. Et ils y ont droit ou, si l'on préfère, ils acquittent en bonne conscience ce droit par un dévouement sans bornes envers l'inconnu qui n'a joué ni les arrogants ni les fâcheux. Avec la courtoisie, la discrétion est de rigueur. Ne jamais se mêler des affaires d'autrui, telle est la règle que justifie le corollaire : personne n'est prié de prendre parti dans les conflits où son sang, son honneur, ses intérêts ne sont pas engagés.
    On voit comme c'est simple. L'hôte ne connaît que des visages accueillants. Il lui suffit de sourire et de parler de la pluie et du beau temps. Pour ceux qui ont la langue trop vive et une haute idée de leur valeur, qu'ils s'en aillent. Ainsi Ziù Santu est toujours prêt à offrir sa maison, sa table et le vin de sa vigne et le pain de ses épis et les viandes de ses bêtes et, de surcroît, son travail et l'activité de ses familiers. Il ne demandera rien en échange que votre satisfaction. Si après cela vous allez lui dire que la Corse est un réservoir de vauriens, que la vertu de ses nièces est douteuse, voire... que certains de ses neveux ne mènent peut-être pas une existence bien régulière... il vous mettra à la porte sans façon et signalera votre inconduite à tous ses amis, à ses partisans et même aux adversaires, s'ils maintiennent chez eux la tradition.
    Pour ce qui est de l'hospitalité, ce n'est plus une anecdote mais un comprimé d'anecdotes qui me servira à éclairer un coin de ces caractères si complexes. Si vous trouvez chez Ziù Santu quelque objet dont vous vantez la beauté, cet objet vous sera aussitôt offert. C'est très arabe ; c'est très espagnol. Si au lieu d'exprimer votre admiration vous vous portez acheteur, on vous demandera vingt fois la valeur de l'objet. Le visiteur ne saurait se transformer en trafiquant sans trouver aussitôt devant lui un trafiquant bien plus âpre. C'est ligure.
    N'offrez point d'argent pour une hospitalité si large. Un billet de remerciements sera mieux apprécié. Mais si la reconnaissance est un fardeau trop lourd et que vous exigiez une note pour vous en décharger, attendez-vous à la trouver salée. Quoi qu'il en soit, nous possédons désormais les clefs d'or de l’Ile de Beauté. Ni les chèques, ni les galons, ni les broderies, ni les titres ne sauraient les remplacer... au moins tant que Ziù Santu vivra et ceux qui pensent comme lui.

    Il existe de nombreux textes sur la Corse. Des nouvelles font l’objet d’une petite anthologie réalisée par Roger Martin et publiée par Librio sous le titre de " Corse noire " où l’on retrouve des auteurs comme Prosper Mérimée, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet… mais aussi Pierre Bonardi et un écrivain corse contemporain actuel Jacques Mondoloni.

    Pierre Bonardi, originaire de Sari d’Orcinu, est né le 18 septembre 1887 à Ajaccio et décédé le 25 février 1964 à Paris. Il a passé ses douze premières années d’enfance en Corse avant d’émigrer sur le Continent. D’abord fonctionnaire colonial de 1911 à 1914, il devient ensuite journaliste et écrivain. Il collabore aux journaux A Muvra, Le Journal, Le Petit Journal, L'Intransigeant, Paris-Soir, Les Annales politiques et littéraires, L'Annu Corsu, U Muntese... Il a été Vice-président de la société des gens de Lettres, secrétaire de l’Association des écrivains coloniaux et membre de l’association de la critique littéraire. Membre du Partitu Corsu d'Azzione de Petru Rocca en 1922, il le quitte en 1926. A travers l’histoire et le roman, la Corse n’est jamais loin dans ses écrits. Il y reviendra très fréquemment tout au long de sa vie et consacrera une grande partie de son œuvre à l’île où il côtoya le "  Gouverneur de la Cirnaca ", surnom de bandit Nonce Romanetti. Auteur de  "Le Visage de la Brousse, en 1920, La Mer et le Maquis, en 1926, Les Rois du Maquis, Romanetti et Spada, en 1926, L'Imbroglio Syrien et Le Retour à Jérusalem en 1927, Napoléon Bonaparte, enfant d'Ajaccio, en 1935, L'Ile tragique, en 1937 (réédité en 2000 ), Accusé Napoléon, levez-vous ! "et La République du Niger, Naissance d'un Etat, en 1961. En 1955, à Paris, il fonde, avec Petru Rocca et d'autres, Parlemu Corsu, une Académie régionaliste et littéraire pour la défense du dialecte et des traditions corses, dont il était le président. Cette association a créé un prix littéraire à son nom.
        L'Ile Tragique - Auteur : Bonardi, Pierre - Editeur : Dcl - Genre : Litterature Francaise Romans Nouvelles Correspondance - Date de parution : 11/08/2000 -ISBN : 2911797280 - EAN13 : 9782911797286
       Les rois du maquis - Auteur : Bonardi Pierre - Editeur : André Delpeuch - Genre : Littérature ; Voyage ; Littérature - Date de parution :1926 - Référence :     17505-932

       




    Jacques Mondoloni est l’auteur de nombreux romans dont Le jeu du petit Poucet (Série noire), Corsica Blues (Atalante) et Le Marchand de torture. Ce roman noir vient d'être réédité par les Editions Mélis. Papa 1er, recueil de nouvelles SF également réédité en 2007, avait valu à Jacques Mondoloni en 1983 le Grand Prix de la Science fiction française.



    Avec lui, passons de la Corse littéraire à la Corse hospitalière et solidaire. Et comme l’hospitalité fait partie de la tradition corse, elle impose aussi le devoir de rendre la Corse hospitalière pour les handicapés en leur donnant les moyens de jouir de toutes leurs libertés.

    Aussi, Jacques Mondoloni s’est engagé à fournir une nouvelle dans le cadre d’un recueil qui sera édité sur l’initiative des associations Hand 20 (défense et aide aux handicapés) et Corsicapolar (auteurs de polars corses et ami(e)s de la Corse). Ce recueil devrait paraître début juillet 2008 à l’occasion de la 2ème édition du festival du polar corse et méditerranéen qui se déroulera à Ajaccio.

      

    Jacques Mondoloni et les autres auteurs de Corsicapolar seront présents. A l’hospitalité offerte à des auteurs méditerranéens, ils ont voulu ajouter celle due aux handicapés.

    Tous les renseignements sont en ligne sur le site:
    http://www.corsicapolar.eu

    Mais aussi sur le site de l’association mis en ligne par son Président très actif, Fabrice Albertini :
    http://www.handi20.new.fr



     
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