• Jours tranquilles à AlgerAdlène Meddi était venu en Corse à l’occasion du 4ème Festival de polar corse et méditerranéen. Il y avait  présenté, en juillet 2010, son excellent roman « La Prière du Maure » (édité chez Jigal).

    La Prière du Maure est un récit au style incisif, avec son « départ dans l’affection et le bruit neufs »  selon l’expression rimbaldienne des « Illuminations ». Sans discours consensuel, l’écriture a du souffle et ne sombre jamais dans un continuum Jours tranquilles à Algergrammatical et psychologique ; elle s’échappe dans la poésie noire qui surgit et donne une vision onirique de la ville qui révèle sa nature sauvage, débridée, mystérieuse. Fermez les yeux sur Alger avec ses escaliers fleuris et ses lampions ! Une écriture volontiers poétique, sinon apocalyptique… écrivait Joël Jegouzo dans sa chronique du site K-Libre… Il ajoutait : « Un texte d'une audace immense, écrit par un journaliste – enfin un vrai journaliste d'investigation - servi par une plume pertinente et courageuse. Un journaliste livrant une œuvre littéraire ambitieuse tant sur le plan du fond que de la forme... Un événement. Un roman stupéfiant, d'une intensité inouïe. » 

    Jours tranquilles à AlgerAlger est le «personnage principal» d’un nouvel opus écrit à deux  par Adlène Meddi et Mélanie Matarese,  journalistes dans la capitale algérienne  qui n’est plus Alger la Blanche  et plus Alger la Noire lorsqu’on lit « Jours tranquilles à Alger » (aux éditions Riveneuve). Adlène Meddi et Mélanie Matarese nous livrent un « double je », masculin et féminin, algérien de naissance et algérienne de cœur, jeu subtil de deux visions contemporaines d’une ville mal connue et qui condense toute l’histoire de cette contemporanéité avec un passé tragique et un horizon incertain fait de défis. Alger la blanche n’est qu’une nostalgie.

    La ville n’est plus aussi celle des années noires du journalisme algérien décrites par Brahim Hadj Slimane, celle du traumatisme de la guerre civile des années 1990. Brahim Hadj Slimane avait refusé l’exil de l’intelligentsia algérienne et choisi de rester malgré les événements. Son livre parle du traumatisme de la guerre civile et de la violence multiforme des effets du libéralisme sauvage durant cette même décennie. Adlène Meddi et Mélanie Malatese s’inscrivent dans le présent précurseur d’un avenir qu’ils ont choisi de vivre en Algérie. Leurs textes courts sont datés de 2007 à nos jours. Si certaines chroniques nous parlent des traumas du peuple algérien, les auteurs ne tombent jamais dans le pathos. Nous sommes dans les années Bouteflika et les deux témoins, privilégiés par leur profession commune, racontent l’actualité algéroise et algérienne dans une série de chroniques riches en anecdotes, en personnages rencontrés et en descriptions bien écrites.

    Adlène et Mélanie sont des littéraires et leurs récits sont servis par des styles d’écriture qui ne laissent pas indifférents le lecteur. L’ensemble est cohérent. Il s’agit tout à la fois d’une œuvre journalistique et littéraire qui se lit comme un roman. La quatrième page de couverture décrit bien cet ouvrage : « Au jour le jour, ils retracent heures sombres et moments de grâce, et surtout leur tendresse pour cette nation jeune, riche d’histoire et, finalement, si méconnue ». De rencontres en aventures, ils nous promènent dans cette Algérie « fascinante comme une planète », ainsi perçue par Kamel Daoud qui a rédigé la préface et ajoute : « Elle manque d’exotisme mais pas de secrets, elle n’a pas de mystères mais des étrangetés, elle n’est pas un orient mais elle n’est pas un occident ». C’est vrai : Alger est un roman !

    Adlène et Mélanie nous servent de guides dans une cartographie journalière pour nous montrer l’essentiel qui n’est pas évident sous nos yeux, pour nous conduire dans un labyrinthe et faire surgir le réel de l’apparence. La vérité est dans l’ombre. D’Alger, nous faisons des incursions dans différents lieux : Tikdjda, Rélizane, Oran, Bou Saâda, Constantine, Annaba (d’où partent les harraga pour la Sardaigne), Tébessa ,  en descendant vers le sud, Ghardaïa, Ouargla, In Salah, Bord Badji Mokhtar, enfin Tamanrasset.  Ne vous y trompez pas, c’est le roman de deux humanistes qui s’interrogent aussi sur le passé et l’avenir de l’Algérie. A ce propos, nous citerons encore Kamel Daoud : « Alger est donc ce roman sous forme de plusieurs textes, dialogues, descriptions. L’intrigue y est celle : « Qui a tué ce pays ? ». On y a le cadavre, les présumés coupables, les témoins éparpillés, le verbe et le doute. Sous le soleil,  entre une plage et un désert ». 

    « Jours tranquilles à Alger » ! Le titre pourrait être un clin d’œil au roman d’Henry Miller « Jours tranquilles à Clichy » mais vous n’y trouverez pas de scènes de sexe. On peut toutefois faire un petit rapprochement avec la première chronique « De l’autre côté de la nuit » en évoquant un Alger « qui promettait à tous ceux qui ne veulent pas dormir de passer de l’autre côté de la nuit », capitale semblable au Paris de Miller, un peu glauque dans les années 1930, sa foule de gens souvent étranges et ses femmes renversantes! Les promenades à pied, la fréquentation des cafés parisiens, mais aussi des gargotes sans noms de Clichy, d'Aubervilliers et de certaines banlieues du nord de Paris.  

    Chaque texte court de « Jours tranquille à Alger » porte un titre, parfois en clin d’œil. L’ouvrage contient les sédiments d’un pays qui se construit malgré les conservatismes politiques et économiques. Le plus grand défi est la sortie de la rente des hydrocarbures pour développer des savoir-faire et relancer les activités agro-pastorales.  Le dernier texte est d’Adlène Meddi. Il s’agit d’un rêve qui le projette en 2062 dans une vision utopique de l’Algérie à laquelle il aspire : une Algérie florissante, une identité algérienne ouverte sur le monde. La conclusion d’abord allégorique s’avère remplie de doute et commence par cette phrase « Si seulement scruter l’horizon pouvait apporter des réponses pour l’avenir ». Alors à Adlène Meddi et Mélanie Matarese, nous répétons ce qu’Albert Jacquart avait écrit : « Une utopie qui se borne à décrire un rêve irréalisable est plus néfaste qu'utile ; le fossé entre le réel vécu dans l'instant et le souhaitable imaginé pour plus tard apparaît définitivement infranchissable. Tous les abandons sont alors justifiés, tous les projets se heurtent à la lâcheté des À quoi bon ?. Elle peut être au contraire un facteur de renouveau, être à l'origine d'une dynamique, si elle est reçue en suscitant un Pourquoi pas ? »

    Oscar Wilde avait raison : « Une carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d'Utopie ne mérite pas le moindre coup d'œil ». L’Algérie mérite un coup d’œil sur les « Jours tranquilles à Alger », un ouvrage humaniste qui offre deux regards et un discours neuf contre les poncifs et les préjugés. Il ouvre aussi une espérance, un autre choix possible que l’émigration ou la misère,  pour ce peuple que l’Histoire n’a pas épargné.

     

     

    jpC  

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