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    Dans nos deux précédentes chroniques, nous avions choisi deux auteures qui ont écrit des thrillers très différents. Elles n’en étaient pas à leur premier polar. Pour diversifier nos lectures, nous venons de lire dans la foulée  « Dérives » écrit par Nathalie Chacornac, auteure varoise d’un premier roman « Paris Bollywood » et de ce premier polar qui relate un enlèvement en donnant le premier rôle à la victime et en confiant l’enquête à un gendarme, ce qui est inhabituel dans le genre. L’intrigue a pour cadre la côte varoise : Saint Cyr sur mer et ses alentours avec la proximité de la cité phocéenne toute proche, même si elle est située dans les Bouches du Rhône. Ce n’est pas le côté balnéaire et touristique qui en fournit les éléments mais la ville provinciale avec sa bourgeoisie friquée et notamment celle issue de la vigne avec ses crus réputés. Catherine, la kidnappée,  est l’unique héritière du domaine « Château de Saint Antonin » (ce village et de bons crus existent dans la Var). Elle a épousé un bel  Italien débrouillard et aventurier, sans doute un amour dû à son penchant romanesque. Le couple a procréé. Son mari Fabio a pris en main les affaires familiales. Catherine a choisi d’abandonner l’œnologie et les affaires  à Fabio. Ses enfants ont grandi. Elle comble ses désillusions familiales en frivolités et mondanités jusqu’au retour de son premier amour…  Elle apparaît alors comme une Eugénie Grandet quadragénaire, héroïne balzacienne qui s'affranchit de tout par amour, tandis que Fabio n'est autre que le stéréotype de l’embourgeoisé qui agit par opportunisme mais qui (Chassez le naturel, il revient au galop !) garde au fond de lui-même une envie de liberté et d’infidélité.

    L’entame du récit est l’enlèvement. Ensuite un flashback présente les principaux personnages avant de revenir à l’enlèvement.  Les chapitres sont des séquences qui semblent avoir suivi un story board avec ses décors et ses dialogues. Le récit  oscille entre différents points de vue dont ceux de la victime et du lieutenant de gendarmerie Antoine Santucci, marié à Sylvie, coiffeuse de cette bourgeoisie provinciale, microcosme propice à la cupidité, la jalousie et la tromperie qui sont souvent les mobiles des crimes. Alors lorsqu’une riche héritière qui a soif d’amour et d’aventure est enlevée, quel est le bon mobile : l’argent, la jalousie,  la haine ?... Qui sont les kidnappeurs ? S’agit-il de membres de la pègre locale? Est-ce un proche, un familier qui a organisé le rapt ? Le gendarme s’interroge sur la nature crapuleuse ou sentimentale de cette affaire. Tous les moyens sont mis en œuvre sans succès pour localiser la victime pourtant toute proche. Est-elle vraiment en danger ? Elle donne au lecteur régulièrement des signes de vie dont celui, inquiétant, envoyé par son kidnappeur qui l’appelle « La Baronne »… peut-être en souvenir  de  la vieille affaire du Baron Empain qui a défrayé la chronique judiciaire en 1978.

    Nathalie Chacornac soigne ses personnages par des détails familiers qui, notamment en ce qui concerne Catherine,  ne manqueront pas de provoquer quelque empathie. Son premier roman policier sort  des sentiers battus tout en offrant une écriture plaisante, donc une lecture agréable et distrayante. Si le ton est léger, ce polar est aussi une vision réaliste de cette bourgeoisie provinciale qui a l’argent facile et tue l’ennui par quelques frasques. L’auteure l’oppose au peuple des quartiers pauvres où l’on peut trouver des hommes de main. De part et d’ autre, tous les personnages ne sont pas tout à fait mauvais. On ne tombe pas dans le manichéisme même si  le mal reste l’argent qui entretient la fracture sociale. Nous ne dévoilerons ni mobile ni la fin de cet enlèvement au bord de la Méditerranée, sous le soleil exactement. Pas à côté, pas n'importe où. Sous le soleil, sous le soleil. Exactement juste en dessous… La chaleur, un vignoble, un mari volage, une femme romanesque,  une fille qui se drogue, un fils qui découvre son homosexualité, des amis endettés jusqu’au cou, un gendarme harcelé par la presse et sa hiérarchie, une belle secrétaire, son demi-frère énigmatique, un jeune paumé sorti de prison…. La topologie du crime est un lieu où tout ce monde se connaît et s’épie.



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    Entretien avec Nathalie Chacornac :

    Tout d’abord, s’agissant d’un premier polar, cette écriture t’a-t-elle occasionné des satisfactions et des difficultés? Est-ce différent de ta première expérience littéraire avec « Paris Bollywood » ?

    Réponse :

    J’ai choisi d’écrire un roman noir parce que ce genre me semble être un espace de liberté totale : on peut être saignant, accusateur, diabolique… mais aussi sensible ou drôle ! J’étais donc comblée car je n’aime pas me sentir enfermée dans une catégorie. La difficulté réside dans la structure du roman : la trame doit être minutieusement préparée pour que tout soit cohérent. 

    C’était une expérience très différente de Paris Bollywood, qui a été pour moi un roman initiatique, avec l’aspect plus ou moins autobiographique d’un premier roman…

    Ton roman n’a pas une structure linéaire. Les chapitres sont des séquences comme dans un feuilleton. Est-ce que tu rédiges d’abord une sorte de story board que tu suis ou ne suis pas ?

    Réponse :

    Je commence par rédiger une trame très précise, chapitre par chapitre. Je dessine également le portrait physique et psychologique de mes personnages. Mais lorsque ces derniers prennent vie, ils m’entraînent parfois dans des directions que je n’avais pas envisagées au départ. Le côté « cinématographique » de DÉRIVES vient du fait que mon imagination est très visuelle : je vois le « film » du roman se dérouler sous mes yeux. Le découpage en séquence permet également de maintenir un rythme soutenu, d’éviter les temps morts.

    Qu’est-ce qui est le plus important pour toi dans un polar : le lieu, les personnages, l’intrigue ou les anecdotes ?

    Réponse :

    Le message. Ça passe bien sûr par la psychologie des personnages et par l’intrigue, mais l’objectif d’un polar me semble être de dénoncer les disfonctionnements de notre société.

    Ton roman se situe à Saint Cyr sur Mer. Pourquoi avoir choisi ce lieu (sans mettre en avant son côté « station balnéaire ») plutôt qu’une grande ville ?

    Réponse :

    Au départ, j’ai choisi Saint Cyr parce que c’est un lieu que je connais bien. Mais cela aurait pu être n’importe quelle petite ville de province. Le but était de mettre en lumière les travers de la bourgeoisie provinciale, un peu à la manière d’un film de Chabrol.

     

    Saint Cyr sur mer est en zone gendarmesque, donc les enquêteurs sont des gendarmes, ce qui n’est pas fréquent dans la littérature noire et policière même si un feuilleton télévisé met en scène une gendarme en chef. Ce choix est-il dû uniquement à la compétence territoriale ou bien as-tu voulu sortir des héros habituels que sont les policiers, les détectives et les journalistes?

    Réponse :

    J’ai clairement eu envie de sortir des héros récurrents du polar. Finalement, le véritable héros de DÉRIVES, c’est la victime : tout tourne autour d’elle. Dans mon prochain roman, c’est encore pire : ni gendarme, ni policier, le jeune homme qui mène l’enquête est jardinier.

    La topographie et la topologie de « Dérives » fait-il de ce roman un polar régional ?

    Réponse :

    Oui… mais non ! Comme je le disais tout à l’heure, l’intrigue pourrait se dérouler presque n’importe où. Le message d’un roman ne connaît pas les frontières.

    Ton héroïne m’est apparue comme une Eugénie Grandet déçue qui se réveille après plusieurs années de mariage. Son couple et ses enfants  me semblent, par certains détails, correspondre à un schéma répandu dans la bourgeoisie provinciale : le mari volage, la fille et le fils trop gâtés et, tous les deux à leur façon, en crise d’adolescence. Comme la Mathilde de ton roman « Paris Bollywood », elle trouve sa vie monotone. La décision de sortir de ce confort débilitant en héroïne romanesque (décision antérieure au rapt) explique-t-elle finalement son sang-froid pendant sa séquestration?  Peut-on parler à son sujet de syndrome de Stockholm ?

    Réponse :

    C’est une bonne analyse. Au début du roman, Catherine Cavalli s’est effectivement « réveillée » (enfin !) et décide de prendre sa vie en main. C’est pourquoi elle fait face à la situation avec lucidité et sang-froid.

    Certes, Catherine développe une certaine empathie envers Lucas, l’un de ses ravisseurs, mais ce dernier n’est qu’un pion. En revanche, elle déteste cordialement Mickey, l’autre ravisseur, le vrai « méchant ». On ne peut donc pas vraiment parler de syndrome de Stockholm.

    Pour revenir à l’héroïne de ton premier roman « Paris Bollywood » et à Catherine de « Dérives », le refus de la  monotonie semble le lien entre ces deux personnages. Le relever est-ce une indiscrétion envers l’auteure ?

    Réponse :

    Oui, mais j’assume ! Ces deux romans sont très différents, mais ils racontent tous deux la vie d’une femme qui était prisonnière de son milieu et qui décide de s’en affranchir. On a longtemps voulu me mettre dans un moule, et j’ai tout d’abord essayé de m’y conformer, comme une enfant sage. Mais c’est terminé !

    La couverture est signée par Jean-Claude Claeys, illustrateur renommé de romans noirs. Catherine de la première page est-elle conforme à l’héroïne de Dérives?

    Réponse :

    C’est une très belle couverture : bravo et merci à Monsieur Claeys. Il a laissé libre cours à son imagination. Quant à moi, j’imaginais une femme tout aussi belle, mais plus âgée !

    Parmi les personnages noirs, Lucas porte seul l’espérance en la nature humaine. Penses-tu que la prison soit l’école du crime qui contrarie toujours la réinsertion sociale des jeunes semblables à  Lucas?

    Réponse :

    La prison telle qu’elle existe à l’heure actuelle n’est pas une réponse adaptée aux problèmes de notre société, bien au contraire. Les gens y sont jetés sans distinction, les petites frappes côtoient les vrais bandits, ces derniers y font la loi, enfin LEUR loi. Cela favorise l’expansion du crime et de la violence. Sans parler de l’absence de politique de réinsertion sociale.

    Tu as choisi un lieutenant de gendarmerie dont l’identité trahit son origine corse. Bien que sa corsité n’ait aucune importance dans ton roman, pourquoi un Corse ?

    Réponse :

    Dès le début de l’histoire, je voulais que le lecteur ressente de l’empathie envers le lieutenant Antoine Santucci. J’ai donc créé un personnage à l’allure bonhomme, un peu rond, un peu grognon, qui possède quelques tics… Tout cela le rend sympathique. J’ai choisi un Corse parce que je trouvais que cela le rendrait encore plus sympa… (Voilà, ça y est, maintenant tout le monde sait que je trouve les Corses sympas !)

    De façon générale, comment profiles-tu tes personnages ? Tu peux prendre des exemples…

    Réponse :

    Je rédige des fiches très détaillées pour chacun des personnages. Cela va de la date de naissance à la couleur des yeux, je m’attarde également sur le contexte familial, le caractère, la façon de s’exprimer, les goûts (vestimentaires, culinaires…) Je n’utilise en général que la moitié de ces informations dans le roman, mais j’ai besoin de ça pour visualiser les personnages dans ma tête et ensuite les faire vivre sur le papier.

     « Moins vous êtes, plus vous avez... Ainsi, toutes les passions et toutes les activités sont englouties dans la cupidité . » Est-ce que cette citation de Karl Marx pourrait annoncer en dédicace l’intrigue de ton roman « Dérives » ?

    Réponse :

    Avoir ou Être… Oui, je suis tout à fait d’accord. J’avais également pensé à une citation qui illustre une autre facette du roman : « Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage » (Périclès)

    Une originalité de « Dérives » est la mise en avant du point de vue de la victime. Par ailleurs on y trouve une satire sociale de la bourgeoisie provinciale en opposition aux quartiers pauvres. A ton  avis, ton premier polar est-il un roman social traité à la façon d’un roman policier ou un roman policier s’attardant sur la  psychologique des personnages? 

    Réponse :

    DÉRIVES est un peu le contraire du « Canada Dry » : de prime abord, il semble doux et sucré : inoffensif. Mais lorsqu’on le goûte, il révèle des saveurs fortes... destinées à faire réfléchir le lecteur. C’est selon moi un roman social « déguisé » en roman policier classique.

    Tu tisses des intrigues amoureuses qui alimentent l’imaginaire de la lectrice de plus de quarante ans. Le sujet du roman n’est-il pas aussi « les feux de l’amour »?

    Réponse :

    Je pensais plutôt à « Dallas » (et son univers impitoya-a-a-ble…) En fait, je crois que je prends un malin plaisir à mélanger les genres. Pourquoi se cantonner à un seul genre  alors que tout co-existe dans la vraie vie ? L’amour et la haine, la violence et la douceur, le sexe, la passion, l’amitié… Je veux pouvoir aborder tous les sujets.

    Nous ne dévoilerons pas la fin mais elle nous est apparue à la fois noire dans sa chute et romanesque dans son épilogue elliptique. C’est une fin qui me semble conforme à l’atmosphère de ton opus qui traite de façon légère (par ses intrigues amoureuses) une histoire noire. Doit-on penser que tu es une auteure  pessimiste optimiste qui scrute l’âme humaine avec une pensée plutôt positive?

    Réponse :

    Pour être tout à fait honnête, je suis assez pessimiste sur l’avenir de l’humanité : certes, l’homme n’est pas forcément « mauvais » au départ, mais la société actuelle contribue largement à le corrompre. Si on continue comme ça, on fonce droit dans le mur. Mais il y a aussi de très belles choses sur terre, alors pourquoi ne pas profiter de la vie ? Tu as bien résumé mon état d’esprit : je suis une pessimiste positive !

    J’ai lu que tu es diplômée en management. Sans révéler la chute de ton roman, en tant qu’auteure, conseillerais-tu la méthode Coué aux victimes pour sortir d’un kidnapping ?

    Réponse :

    Surtout pas ! Il faut se battre et être à l’affût des failles de l’adversaire pour le faire tomber. Les personnes victimes d’enlèvement devraient toutes avoir la phrase de Thucydide en tête :  « Il faut choisir : être libre ou se reposer. »

    Tu es une lectrice de polars et  tu as été libraire. En dehors d’Agatha, de façon non exhaustive, quelles sont les lectures qui t’ont donné l’envie d’écrire des polars ?

    Réponse :

    Je suis très éclectique dans mes lectures. J’admire la maîtrise technique des auteurs de romans policiers américains, comme Stephen King, Dennis Lehane ou Elizabeth George. En revanche, je trouve que la dimension sociale est rarement abordée. Pour cela, rien ne vaut un bon polar français… Mais ne compte pas sur moi pour citer des noms ! Il y a beaucoup d’auteurs talentueux en France. Pour ce qui est du style, je préfère les auteurs qui manient l’humour, voire l’auto dérision : je reste par exemple toujours scotchée par l’écriture de René Belletto.

    Est-ce que ton troisième opus est en cours d’écriture ? Un roman ou un polar ?

    Réponse :

    Oui, je suis en train d’écrire un troisième roman, mais dans quelle catégorie le classer ? Je n’aime pas beaucoup les étiquettes. Il y a des cadavres, mais ni policier, ni gendarme. Alors disons que ce sera un « roman noir », dans lequel j’aborde plusieurs thèmes : les relations filiales, la manipulation mentale, la soif de pouvoir et la cupidité des hommes.

    Quelles sont tes prochaines dédicaces ?

    Réponse :

    Beaucoup de dédicaces sont prévues jusqu’à la fin de l’année (dates sur la page Facebook de DÉRIVES). Je serai notamment au salon des Écrivains de Provence de Fuveau le 3 septembre et aux Terrasses du Polar de Marseille les 24 et 25 septembre.

    Au plaisir de s’y rencontrer !

    Agenda de Nathalie :

    22eSalon des Ecrivains en Provence, Fuveau (13)  samedi 3 septembre

    Librairie Thieblemont, La Destrousse (13)  samedi 10 septembre

    Histoire de l’œil, Marseille (13)   samedi 17 septembre

    Les Terrasses du Polar, Marseille et Septèmes (13)  24-25 septembre

    Château de l’Aumérade, Pierrefeu (83)  samedi 1er octobre

    Librairie Fontange, Marseille (13)  samedi 8 octobre

    Salon du livre, Noves (84)  15-16 octobre

    Salon du livre, La Destrousse (13)  samedi 26 novembre

     

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  • Libri Aperti in Capicorsu

    LURI

    (Cunfraternità)

    Vendredi 19 août 2011

     

    15h-17h: Rencontre auteurs lecteurs,

    Vente de livres et dédicaces

    17-18h: Présentation de la démarche de l'Operata Culturale.

    Débat : un second souffle pour le riacquistu ?

    18h-19h: Lecture de poèmes par les auteurs présents à partir de l'ouvrage collectif "Pierres anonymes" ou de leur œuvre. Accompagnement musical au violon : Sylvie Biaggioni.

    Expositions

    - LE GOUVERNEMENT  affichera en plusieurs points de la commune de Luri.

    - Photos : Marie-Claude Cervoni

     

    19h-20h: vin d'honneur

     

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    Présentation à Luri le 19 août 2011 Pierres anonymes – Petre senza nome

    A l’initiative de l’Operata  culturale, 32 auteurs se sont prêtés au jeu du cadavre exquis auquel les surréalistes ont donné ses lettres de noblesse. Résultat aussi surprenant qu’inattendu, où les voix en français ou en corse se fondent les unes dans les autres, au point de confondre le lecteur. Et pourtant, suivant la règle du jeu, nul n’avait connaissance de ce qu’avait écrit l’autre, à l’exception des deux derniers vers, sur lesquels il devait enchaîner son propre poème, et ainsi de suite pour chacun. Ce poème collectif achevé, il a été édité en 2010 par A Fior di Carta et a été présenté officiellement au Printemps des Poètes 2011.Pour cette nouvelle rencontre du 19 août à Luri, la lecture en sera faite par Béatrice Castoriano, Elisabeth Dominici, Franck Dzikowski, Jacques Filippi, Jean-Claude Gassmann, Ivia Medori, Cécile Trojani…avec la complicité musicale deSylvie Biaggioni.

    Comment est né le mouvement « OPERATA CULTURALE ».

    Un soir de l’été 2009, animés par l’enthousiasmante volonté de favoriser la promotion de la littérature corse, nous, écrivains et artistes, nous nous sommes rassemblés, à Luri, pour en débattre, et, par delà nos expressions et voix singulières, unir nos énergies dans un combat commun sous le signe emblématique de la si bien nommée in lingua nustrale : « Operata culturale ». Un Manifeste a concrétisé notre ardent appel à une littérature inspirée par l’esprit du Lieu et ouverte sur le monde. L’Autre, Ici comme Ailleurs, est notre désir. Refusant la tentation mortifère d’un régionalisme dépassé, les clichés d’une production folklorisante imposée par la tyrannie d’un marché qui, hier comme aujourd’hui, stérilise la véritable création, nous incitons les écrivains et les artistes à libérer les forces vivifiantes de leur imaginaire.

    Le recueil que nous offrons à nos lecteurs veut témoigner de cette ambition. Il se présente comme le blason paradoxal et poétique d’une démarche révolutionnaire, illustrée par un jeu auquel les surréalistes ont donné ses lettres de noblesse : Le cadavre exquis. Au-delà de son aspect ludique, cet exercice se révèle hautement spirituel. Chaque voix originale se fond dans une symphonie. De cette nébuleuse, scintillante sous ses masques, sourd un monde authentique.

    Il y a les moments du doute et le temps de la résurrection. Les surréalistes s’opposaient au primat oppressif d’une raison totalitaire. Nous crions, nous chantons contre toutes les oppressions. La culture que l’on a voulu momifier se délivre de ses bandelettes. Le cadavre se dresse, arrache son bâillon pour dire les secrets scellés dans la pierre. Ce thème n’est pas innocent : Le poème-symbole, comme une fronde, lance ses pierres, non pour une lapidation, mais pour marquer les lieux de notre mémoire, y graver notre rêve de liberté. Comme dans la fable, cailloux et galets tracent le chemin.

     

    Ce texte est extrait de la préface de Marie-Jean Vinciguerra pour le recueil "Pierres anonymes"

     

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    hameau-des-purs

    Le Hameau des Purs est un lieu de pierres grises au sud-est du Massif central où la burle, vent glacial, s’engouffre. L’hiver venu,  les murs se referment sur ses habitants dans ce coin rude de la  région du  Vivarais-Lignon. La plupart du temps les polars se déroulent en ville. Associée à la violence et la nuit, elle est souvent héroïne éponyme des romans policiers. Elle n’est pas l’univers du  roman écrit par Sonia Delzongle. Son héros n’arpente pas son labyrinthe. Son roman n’est pas urbain.  C’est la nature qui y façonne les êtres.

    Audrey Grimaud est une jeune journaliste envoyée dans le village de feu ses grands-parents  pour faire un reportage sur des  maisons incendiées . Adulte, notre héroïne et narratrice y rencontre Frank Tiberge, le flic et, avec lui, va mener son enquête. Elle y reçoit ensuite le renfort de Mathieu Bilic, collègue journaliste. Enfant, elle y passait ses vacances : c'était « un monde où l'on vivait sans électricité ni luxe ou mots superflus. » Dans cette communauté sectaire et repliée sur elle-même, à l’écart du monde et du temps, sévissait l’empailleur, un tueur en série qui jouait le taxidermiste avec les cadavres de ses victimes. Son ombre plane toujours sur ce canton peuplé de gens arriérés et rustres.

    La narratrice nous relate d’abord son enfance comme si elle était allongée sur le divan d’un psychiatre. Dans la première partie du roman, Audrey raconte ses souvenirs, son père qui avait épousé une étrangère et qui, pour cela,  a été exclu du clan tribal. L’héritage d’exclusion et de haine qu’elle en a reçu. Pour rester partie intégrante de cette nature (omniprésente dans le roman), les Purs y ont fondé une communauté anabaptiste sur le mode de vie des Amish implantés surtout aux USA et dont la première règle amish est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ». C’est dans ce microcosme rabougri et paranoïaque que l’héroïne et narratrice passait des vacances. L’atmosphère y était pesante avec une histoire d’enfants juifs cachés pendant la dernière guerre. De naissance, Audrey est restée l’intruse, l’impure comme d’autres sont traitées de sorcières ou réputés maléfiques. Sa présence, même de courte durée, était mal tolérée par les plus radicaux dont le médecin du hameau. On découvre surtout son ami orphelin, Léman alias « Le Gars », vivant en marge des Purs, avec sa grand-mère surnommée « La crochue » et un corbeau.  Il était (pour elle) le bois, la terre, le feu, l’air chargé d’humus, le lac (Léman), les résineux, leur odeur forte, les chemins, les pierres. Le vent glacé.  Et l’auteure d’ajouter dans un pitch : « La relation trouble de Léman, autre personnage marginal et solitaire, et d’Audrey, l’héroïne du roman, est l’un des pivots de l’histoire. Le lac, profond et froid, élément important du décor, est une métaphore de l’âme noire de Léman ». Dans ce passé qui resurgit à l’occasion de ce reportage, les personnages se mettent en place en remontant à l’enfance d’Audrey que les morts dévorent de l’intérieur : le Papé, le très vieil Hyppolite et tous les autres, vivants ou défunts comme les parents de Léman. Ce passé renvoie à ce que Camus aurait appelé les « divins secrets », ceux qui,  hérités des arcanes de la nature, échappent aux sciences. A douze ans, Audrey a ses premières visions extrasensorielles. Pourquoi les gens du passé, les absents, les morts venaient-ils la trouver ? Que pouvaient-ils avoir à lui dire ? A son insu, elle pense porter un message. A quoi nous préparent ses crises médiumniques?

    Ce thriller est un huis-clos. Bien sûr il ne s’agit pas d’un assassinat dans une pièce fermée comme l’ont imaginé d’autres auteurs célèbres mais les meurtres en série sont commis dans l’enfermement psychologique d’un monde clos: un hameau, une communauté sectaire, les non-dits, les médisances, les souvenirs d’Audrey et sa schizophrénie.

    Je ne vais pas faire ici le panégyrique de chaque personnage et surtout pas celui d’Audrey en dehors de ses rapports ambigus avec la gente masculine sur laquelle elle a une vision parfois féministe et sans doute  réaliste. Je vous laisse découvrir les tréfonds de son âme tourmentée. L’originalité de ce roman est aussi dans sa deuxième partie qui vient en rupture avec la première : une cassure voulue par l’auteure qui aime surprendre le lecteur et « le violer » dit-elle dans un entretien. L’entame est le prétexte à un retour sur l’enfance. Le tueur en série est tout juste évoqué. On sent qu’il est pourtant présent et qu’il doit s’agir d’un habitant du coin mais qui? A la suite d’une partie de pèche et d’un orage, la narratrice secoue brutalement les neurones du lecteur plongé dans ses pensées. Elle joue alors avec ses nerfs avant de revenir au présent et là, s’agit-il vraiment du présent? Elle n’est pas installée dans le divan d’un psychiatre mais dans son lit d’hôtel qu’elle partage avec le flic Frank Tiberge… Le reste est une succession de coups de théâtre qui préparent peut-être votre mystification. Je ne révèlerai rien de plus si ce n’est que l’auteure vous attend au tournant. Je vous laisse donc le soin d’ouvrir cette boîte de Pandore (laissant filer dans la nature ses mystères, ses secrets… dit un personnage du roman). Vous y trouverez ce que vous cherchez dans la littérature noire et policière: comme dans le mythe, elle contient tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Misère, le Vice, la Tromperie, la Passion, la Folie...Ainsi, sera comblée votre Espérance du nec plus ultra  en matière de genre romanesque et de suspens pour lecteurs nécromanciens… en sachant que l’espérance est la plus folle de nos folies, surtout dans la littérature noire.

     

    Comme un roman s’écrit à deux, la romancière fait entrer le lecteur dans son musée imaginaire mais c’est pour mieux le surprendre. Elle met des mots sur des émotions et les mots les rendent bien. Elle construit une histoire imaginée aussi comme un jeu intellectuel et montre son ambition d’en rester le ludi magister.  Sans doute le lecteur habitué à des récits linéaires et aux fins heureuses sera-t-il un peu agacé par le nombre de revirements puis déçu par l’épilogue qui le retourne encore comme une crêpe. Toutefois le fil de l’intrigue ne casse pas parce qu’elle  dénoue quelques faux nœuds de magicien. Même celui qui n’aime pas être ballotté aura lu l’ouvrage avec , au bout, le souvenir d’images fortes et de personnages très réussis. Cela n’est pas  le cas après la lecture de certains romans dont le fil d’Ariane est trop gros, les personnages inconsistants, l’histoire banale et la fin rapidement imaginée. « Le trop estropie» dit un proverbe corse (U troppu stroppia) mais pas forcément dans un thriller.  La fiction y offre la liberté de dépasser la réalité et nous ne reprocherons pas à Sonia Delzongle la complexité de la dernière partie du récit. Le trop n’est pas toujours de trop. On n’a jamais reproché à des noms célèbres de la littérature noire et policière cette complexité littéraire et ludique qui change des récits linéaires. Si le trop est l’ennemi du bien, il est l’ami du mal, sujet central d’un thriller. L’intrigue peut être complexe lorsque le roman est bien écrit à condition que l’auteur ne se mélange pas les crayons et ce qui n’est pas le cas. Par contre Sonia Delzongle mélange les couleurs.  Artiste-peintre et plasticienne, elle utilise aussi des pinceaux. Elle sait donc  « manier la perspective et utiliser les proportions au mieux ».

     

    Née à Troyes, Sonia Delzongle vit à Lyon depuis 10 ans. Elle a des origines dans le Sud de la Serbie. Après des études de Langues et Lettres modernes, elle est sortie diplômée des Beaux-Arts de Dijon (quelques-unes de ses œuvres sont visibles sur Sonia Blog'Art). Elle est journaliste free lance et romancière. Ses précédents romans sont La journée d'un sniper (2007) et  À titre posthume (2009).

      

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    Entretien avec Sonia Delzongle

     

    La première partie de votre roman a aussi comme personnage la « nature ».C’est elle qui façonne les hommes. Pourquoi avoir choisi ce coin rude d’une campagne française, là où d’autres auteurs préfèrent le décor citadin ?

    Réponse :

    On dit bien « disparaître dans la nature » ! Ou encore « c’est la nature qui revient au galop » ! Oui, elle façonne les hommes, elle peut être un refuge, mais elle peut les perdre aussi. Et puis, je trouve que la nature, en plus d’être un décor original pour un thriller,  « fait » un personnage fascinant. Sa présence donne aux romans nordiques une profondeur et un mystère aussi intéressants qu’envoûtants, j’aime beaucoup l’atmosphère qui se dégage du Prince des marées, magnifique roman de Pat Conroy et cette nature a donné à la cavale de certains tueurs (Haulmes) ou présumés meurtriers français comme Jean-Pierre Treiber dans l’affaire Giraud-Lherbier, une dimension de véritable « road-story ». La nature, ce ne sont pas que les fleurs et les oiseaux, c’est aussi le théâtre de nos pulsions les plus obscures…

    L’héroïne principale est une journaliste citadine qui passait ses vacances dans le hameau des Purs. Elle s’était liée d’amitié avec un « bouseux » marginal et mystérieux dont le nom Leman semble une métaphore du célèbre lac. D’où vous est venue l’idée de ces deux principaux personnages, de leur enfance et de leur saga familiale? Qu’attendiez-vous d’eux ? Qu’est-ce que vous leur avez apporté ? Lorsque vous avez eu l’idée de ce roman, par quoi a-t-elle pris naissance : les personnages, le lieu ou l’intrigue ? Comment déroulez-vous vos récits?

    Réponse :

    Audrey est un petit cocktail explosif de fiction et de réalité, avec quelques ingrédients autobiographiques. Il est évident qu’une partie de mon enfance et adolescence passée à la campagne, dans le Sud de la Serbie, chez mon grand-père, sous forme de vacances –deux mois par an- a grandement influencé certaines scènes « naturalistes » du roman. Sans qu’il ait directement inspiré le personnage de Léman, le souvenir vivant du fils d’une fermière, un « bouseux » un peu voleur sur les bords, avec qui je passais mes journées à courir pieds nus, à faire du rodéo sur les moutons, pêcher et me baigner dans la Morava (une des grandes rivières de Serbie) qui coulait en bas de la maison, tirer à l’arc, mettre le feu aux bottes de foin, rouler des cigarettes, faire des batailles de bouses de vache, eh bien ce souvenir m’a aidée dans la construction des rapports complexes entre Audrey, la souris des villes, et Léman, le rat des champs.

    D’autre part, comme je l’ai précisé dans l’entretien croisé concocté par Bruno et Oncle Paul, « Leman » m’est apparu sur les bords de Saône, à Lyon où je vis, sous l’apparence d’un jeune pêcheur à vélo, son matériel de pêche sur le dos. J’ai été frappée par l’ensemble, mais aussi par sa « gueule », son allure.

    Dans la deuxième grande partie, en rupture (schizophrène pourrais-je dire) avec les souvenirs d’enfance, vous multipliez les crimes et les retournements… certains pourraient vous dire à l’excès. Personnellement, j’y vois une volonté de jouer avec le lecteur et de rester maîtresse du jeu jusqu’à la fin. Que répondez-vous au lecteur agacé par la complexité de l’intrigue et les nombreux retournements ?

    Réponse :

    J’aime jouer, oui ! Et sans lui vouloir de mal,  j’aime chahuter le lecteur, le perdre dans des univers labyrinthiques, des mondes à tiroirs, dans un jeu de miroirs. Mais ça ne plaît pas à tout le monde… Alors j’invite le lecteur agacé à se replonger avec délices dans l’œuvre d’Agatha Christie ou alors de lire autre chose que du polar.  

    L’atmosphère de l’ouvrage est créée aussi par les Purs. Vous en dressez un tableau peu reluisant et notamment par leur pratique de mariages consanguins jusqu’à l’inceste. Doit-on ranger cela dans la fiction ou peut-on parler de réalité humaine chez les Amish ?

    Réponse :

    Les origines des Purs sont à chercher du côté de l’anglicanisme. Ils forment une branche dure du Darbisme. Leurs communautés se concentrent principalement en Ardèche et en Haute-Loire. Ils vivent en totale autarcie et ne se mêlent pas aux « non Purs ». Il y a eu des cas de consanguinité, mais je précise quand même que l’écrivain joue aussi avec la réalité, à partir de laquelle il se permet de divaguer un peu. Avec l’inceste, j’ai peut-être forcé le trait, mais je ne suis pas très éloignée de la réalité si on parle d’unions entre cousins.

    Audrey, adulte, apparaît comme une jeune femme libre et plutôt féministe. Elle ne se fait aucune illusion sur la gente masculine. Je reprends quelques passages : « Leur amour viril, un peu désuet. Leur suffisance, leurs élans passionnés, ou clandestins. Leur égoïsme et l’illusion d’une générosité. Les prendre tels qu’ils sont… »… et  plus loin :  « En couchant avec un quinqua, Audrey ne pouvait pas s’attendre à palper des tablettes de chocolat ou des pectoraux granitiques. Mais au moins, elle se laissait aller à l’expérience d’un homme dont le parcours avait été émaillé de rencontres féminines très variées… »  Elle juge ensuite un confrère, jeune et beau, trop parfait et trop lisse, donc ennuyeux à mourir.  Sortons de la fiction: approuvez- vous cette perception féminine des hommes ?

    Réponse :

    Audrey est une jeune femme de notre temps. Sa perception peut correspondre en effet à une certaine vision féminine et aussi féministe, pas seulement des hommes, d’ailleurs… Mais j’évite de me laisser aller aux généralités. J’aime qu’on me surprenne.

    Audrey imagine une caricature de série policière en la personne d’un flic : « Je l’imaginais tout frais émoulu de l’école de police, propret, la raie sur le côté, sentant le chewing-gum à la chlorophylle et l’eau de toilette citronnée. »  Partagez-vous cette caricature et avez-vous quelques exemples à citer ?

    Réponse :

    Je n’ai pas croisé de tel personnage dans les séries policières que j’ai pu voir, il s’agit donc uniquement de l’image caricaturale que s’en fait Audrey et non une vision cachée de l’auteur.

    Vous êtes journaliste. Dans votre roman vous dressez le portrait d’un « journaleux » régional : le genre à vouloir se donner des airs de vieux reporter à la retraite, qui en a vu et à qui on n la fait plus, alors que son réseau se limite à la mairie du village et au Bar du centre…  Est-ce un portrait-type ou simplement celui du personnage ?

    Réponse :

    Joker… Il est décédé, depuis…

    Pour vous, le mal est-il dans la société ou dans  l’homme naturellement mauvais?

    Réponse :

    Vaste débat à caractère rousseauiste et un de mes thèmes privilégiés dans mes romans présents et à venir. Mon idée est que certains systèmes peuvent engendrer des « monstres ». Il existe indéniablement une violence nourrie par la collectivité, souvent issue d’une forme de bêtise et d’ignorance… entretenues par ledit système (je n’en citerai pas ici…).

    En revanche, tout être humain a, en lui, le germe du « mal » et je ne pense pas, comme Rousseau (je synthétise), que l’homme est naturellement bon. L’enseignement et l’éducation, tout ce qui relève de la raison et de la réflexion, permettent à un individu de faire la distinction entre le Bien et le Mal. Si, pour des raisons de vécu et de parcours personnel, l’homme n’acquiert pas ces valeurs, que ce soit par une morale religieuse ou autre, cela peut engendrer un psychopathe ou sociopathe, en tout cas un être antisocial totalement privé d’empathie. Ceci étant, le rôle de la communauté est aussi d’ériger des règles et des lois qui aident –normalement- chacun à se situer par rapport à autrui, qui sont des repères et des balises pour éviter les écarts. Mais celui qui les transgresse ou les ignore, devient  un marginal. Ce sont précisément les raisons qui en font un marginal, avec tout ce que cela induit sur le plan social, juridique et humain, qui m’intéressent.

    A ce sujet également, un thriller magistral sur la genèse d’un « monstre », Au-delà du mal, de Shane Stevens, après le Hameau des Purs, bien sûr… (rires).

    La schizophrénie et la paranoïa sont présentes dans votre roman. Un personnage apparaît comme un schizophrène devenu écrivain. Dans un entretien, vous avez dit que vous n’êtes pas une auteure schizophrène. Alors, à votre avis, si un schizophrène peut devenir auteur d’un best-seller, est-ce qu’un auteur de best-seller  peut devenir schizophrène ?

    Réponse :

    Décidément, la schizophrénie vous titille, ici… Et si je vous dis qu’à mon sens, on a tous des tendances schizoïdes en plus de notre dominante névrotique ? A priori, je ne suis pas schizophrène sur un plan médical, mais encore moins auteur de best-seller (pour l’instant…), alors je ne peux pas vraiment vous répondre… mais je suppose que oui, un auteur de best-seller peut devenir schizophrène si le succès lui monte à la tête !

    Vous avez écrit dans un pitch : « Dans un bain de sang virtuel, je suis comme un poisson dans l’eau ! » Si vous étiez ce poisson, seriez-vous un silure dont une anagramme est « liseur » ?

    Réponse :

    On peut dire que vous êtes perspicace, vous auriez fait un très bon enquêteur ! Le silure nourrit l’imaginaire, le liseur nourrit son propre imaginaire… Pourquoi pas un silure, mais je me verrais davantage en dauphin joueur, pour sa gentillesse et son goût pour les voyages…  En tout cas pas un de ces poissons morts, ventre à l’air, descendant la rivière de mon enfance en Serbie, devenue rouge après que l’usine du coin y eût déversé un produit chimique.

    Avez-vous un nouveau projet littéraire ou artistique?

    Réponse : 

    Plusieurs, plutôt littéraires.

    Yahoo!

  • Cet été, nous avons programmé la lecture de plusieurs thrillers écrits par de jeunes auteures. Depuis la naissance du roman policier, la place des femmes ne peut plus être occultée. Dans la lignée de leurs pionnières, des auteures débarquent dans les littératures noires et policières sans complexe et elles ont raison ( Mary Elizabeth Braddon, Wilkie Collins, la baronne Orczy, Ann S. Stephens, Anna Katherine, Mary Roberts Rinehart… toutes les générations de romancières américaines se sont distinguées dans ce domaine,  de Mildred Davis à Mary Higgins Clark). D’après les sondages, les femmes constituent la majorité du lectorat des littératures noires et policières. Donc il n’y a rien d’étonnant à les voir de plus en plus nombreuses à dédicacer leurs ouvrages. Elles écrivent de bons romans noirs et policiers  dans lesquels l’action et la violence sont présentes sans oublier qu’il s’agit de littérature.

    evisa-2009-merci-monsieur-belzitElena Piacentini fait partie de ces auteures à suivre. Elle a écrit trois polars publiés et le quatrième va paraître.  Son commandant Pierre-Arsène Léoni est arrivé à la PJ de Lille avec une réputation de dur-à-cuire forgée à Marseille. Dans « Un corse à Lille », la première enquête portait sur l’élimination des patrons d’entreprises locales par un tueur en série. Après avoir pris ses marques et trouvé âme sœur en Marie de Winter, arrachée au tueur, Leoni va s’initier à l’art pictural dans Art brut.  Alors que sa jeune compagne est partie sur la côte srilankaise faire œuvre humanitaire, le voilà en charge d’une affaire des plus morbides. Fred Vargas avait fait pousser un arbre en une nuit dans un jardin (Debout les morts), Elena Piacentini fait apparaître une œuvre monumentale dans la cour d’un musée lillois : une représentation du tableau « Le pape qui hurle » de Francis Bacon. « Œuf corse », l'œuvre apparaît morbide : à l’intérieur de la glaise, on découvre un cadavre sans que Gunther Von Hagens y soit pour quelque chose… Je ne donnerai pas un résumé de ce troisième opus « Vendetta chez les Chtis ». Court, il serait trop réducteur. Trop long (un bavardage en entraînant un autre), il déflorerait l’intrigue et ce serait empiéter sur le droit du lecteur à la découvrir par lui-même. Toutefois, vous pouvez aller prendre connaissance de ce que, dans le même souci, Elena Piacentini en dit sur le site Livresque du noir.

    Mes notes de lecture :

    vendetta_chtis

    « Vendetta chez les Chtis » est un bon thriller, qui, sans complaisance de ma part, n’a rien a envier à quelques best-sellers très bien vendus. Comme au cinéma,  on y trouve du suspens et de l’action. La structure en séquences relance, à chaque clap de fin des courts chapitres, la curiosité du lecteur comme un feuilleton avec ses aspects psychologiques, tout en donnant du rythme au récit. Un roman policier est le plus souvent linéaire et il lui faut un fil d’Ariane. Elena  sait échapper à cela par le nombre des personnages aux destinées parallèles, la psychologie de groupe (équipe de policiers), les séquences qui découpent l’intrigue, les nœuds du récit, les zones d’ombres, les retournements… C’est bien écrit et bien construit. L’imaginaire du lecteur est sollicité. Si l’action est nourrie par les évènements, la galerie des personnages offrent une peinture de mœurs et d’atmosphère. Au mystère et à l’aventure s’ajoutent les intrigues amoureuses du personnage principal et des réflexions humoristiques qui font mouche.

    Le commandant de police Pierre-Arsène Léoni, personnage récurrent d’une trilogie dont « Vendetta chez les Chtis » est le troisième roman,  sait déléguer à d’autres personnages qui, ainsi, prennent tous chair : son commandant adjoint Baudoin Vanberghe, géant gourmand,  le capitaine François de Saint Venant, prêtre défroqué, le Lieutenanat Thierry Muissen, alias « gueule d’ange » et sa maîtresse Eléanore Martens de la Brigade des mœurs,  le lieutenant Grégoire Parsky, ancien militaire fumeur de gitanes et sa énième femme Isabelle Capinghem, psychiatre et profileuse belge, Eliane Ducatel, la belle médecin-légiste… et tant d’autres proches ou rencontrés.  Même le serial killer n’occupe pas tout l’espace glauque en ludi magister solitaire et seule incarnation du mal. Cette fiction noire joue son rôle en racontant une affaire hors du commun, complexe mais rendue crédible par le réalisme des situations et la typologie psychologique des personnages. 

    En premier lieu, le flic corse Leoni est un héros torturé par sa conscience, notamment lorsqu’il fait usage de son arme. Il doute de lui-même. Il a besoin des autres pour enquêter et vivre. Ce n’est pas un monstre froid comme un Sherlock Holmes, ce personnage iconique que l’on nous ressert régulièrement. « Je refuse d’’être ton Watson. Si je dois enquêter avec toi, alors je serai le commissaire Montalbano... »,  s’offusque Pier Paolo, amant italien entraîné par sa maîtresse Eliane Ducatel, de Nice en Normandie, dans une enquête officieuse.  Simple clin d’œil à Andrea Camilleri ? Il semble que personne, autour du contemporain Léoni, ne veuille jouer le docteur Watson, servir de faire valoir. On a le sentiment que Leoni, antihéros,  ne le supporterait pas lui-même. Il fonctionne par empathie et se fie à ses intuitions. Il est conscient de ses propres failles. En Corse, il a ses deux anges gardiens.  « Mémé Angèle, c’est l’ancre de Leoni », nous dit Elena. C’est cette grand-mère qui l’a élevé et qui, par ubiquité affective, est  toujours près de lui. L’affari s’imbruttanu ! s’instrisicheghjanu !... Les affaires se corsent, tournent mal ! Ange, factotum de Mémé Angèle,  se rapplique… « plus qu’un ami, Ange, c’est le frère que Pierre-Arsène s’est choisi. Il y a un proverbe en Corse qui dit : Dimmi quant’è tu mi teni è micca quant’è tù mi veni (Dis moi combien tu m’aimes plutôt que notre degré de parenté) ». Il faut dire que Pierre-Arsène, flic, et Ange, voleur, ont des passés douloureux qui les ont rapprochés… des secrets dans l’ombre du non-dit. Acqua in bocca !... (« Eau en bouche ! », expression corse proche du « Motus et bouche cousue ! »). Je ne vais pas me mettre à parler autant que les livres ( Parlà quant’è i libri, l’expression corse signifie « parler autant que les livres » donc parler en abondance) . Basta cusi ! Vous avez sans doute compris que les éléments les plus importants de ce roman sont les personnages, c’est-à-dire l’humain. « Le vrai héros de l’histoire, c’est le passé », nous dit Elena. Pas la nostalgie des temps anciens, le passé humain: celui que, généalogiquement, on porte avec son enfance et, heureux ou pas, il est forcément douloureux. Leoni est rattrapé par le sien. Des épreuves professionnelles et personnelles l’attendent. La mort et ce passé qui va resurgir, va-t-il faire face au pire et l’apprivoiser ? Pourra-t-il l’assumer seul ? Il ne vous reste qu’à lire « Vendetta chez les chtis » pour tout savoir ou presque. Elena situe l’épilogue en Corse, par tropisme identitaire sans doute. Chez Leoni, sa corsité est une réalité humaine qui, revendiquée, s’assume aussi. Identité n’est pas un « gros mot » mais rime avec diversité et solidarité dans le troisième volet des enquêtes du commandant Leoni. Si ce n’est pas déjà fait, vous aurez certainement envie de lire les deux premiers ouvrages : «  Un Corse à Lille » et « Art but », en attendant la sortie du suivant : « Carrières noires ».

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    Voilà pour mes quelques impressions personnelles sur ce troisième roman d’une auteure qui, depuis le premier, en publie un par an en fidélisant un lectorat sur les deux rives de ses ancrages : Lille et la Corse.  Je ne suis pas le seul à m’être intéressé à cette romancière qui, en trois romans, s’est installée durablement dans le monde du polar. Aussi, je n’ai pas résisté à l’envie de lui poser quelques questions dans l’entretien qui suit…  

     

     

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    Entretien d’Elena Piacentini pour le blog Ile noire :

    Question : Tu es éditée dans une collection « Polars en Nord »  mais en Corse tu es considérée comme une auteure corse de polars.  Si on dresse la cartographie de « Vendetta chez les Chtis », le lecteur se promène dans plusieurs régions de France et  l’épilogue est, par tropisme (semble-t-il), en Corse. C’est ton troisième ouvrage et j’y vois une volonté d’éviter l’étiquette régionale sans renoncer à ton identité corse. Est-ce que tu envisages d’écrire un roman policier sans personnage corse et qui se passerait à Paris ou dans un autre pays que la France?

    J’assume entièrement mon identité, dont l’origine est la Corse, le point de chute, le Nord, avec, entre les deux, de nombreux va-et-vient dont l’incessant mouvement me fait parfois confondre le « quitter » et le « retrouver ». L’étiquette régionale, est, je crois, une création purement française, pour ne pas dire jacobine. Thomas Hillerman avait choisi d’inscrire ses polars dans une réserve Navajo de la région des « four corners ». Andrea Camilleri nous entraîne dans la ville imaginaire de Vigàta en Sicile. Anastasia Kamenskaïa, l’héroïne d’Alexandra Marinina, quitte rarement Moscou. Quant à Kurt Wallander, le flic dépressif imaginé par Mankell, il mène ses enquêtes dans la petite ville d’Ystad, en Scanie, au sud de la Suède… Ces auteurs sont-ils « régionaux » ? A ce compte là, tous les polars le sont, non ? Sauf peut-être les polars d’anticipation ou les polars « formatés » pour plaire au plus grand nombre et dont le rapport au réel est comparable à celui d’un décor de carton pâte. Gilles Guillon (directeur de la collection Polars en Nord), a eu l’intelligence de proposer une collection ancrée dans une région, sans pour autant la réduire à cela et la confiner dans un espace géographique restreint. Mon personnage principal est un flic Corse, basé à Lille, dont les enquêtes peuvent prendre racine et le conduire dans n’importe quel autre endroit du globe. Dans « Vendetta chez les chtis », et exception faite du premier chapitre qui s’ouvre au Brésil, toutes les régions dans lesquelles je traîne mes lecteurs sont des lieux que je connais pour y avoir vécu. Je pourrais donc écrire un polar qui se déroulerait à Paris, j’y ai engrangé 7 ans de sensations. J’aurais davantage de mal à développer une intrigue dans un pays étranger, ou alors, en chaussant les lunettes d’Usbek, le philosophe des « Lettres persanes ». Et seulement après avoir personnellement effectué une immersion réelle dans le pays concerné. C’est une question d’honnêteté. Je crois qu’une œuvre, même de pure fiction, ne peut « toucher » que si elle se nourrit de matière « vraie », de ressentis, d’expériences, d’observations personnelles. C’est cela qui permet, à certains moments, de trouver le mot juste et de le glisser à la bonne place. En tant que lecteur, c’est le moment où vous vous dites « Mais oui ! C’est exactement ça ! ». Parmi les nombreux personnages gravitant autour de Leoni, nombreux, sont ceux, qui, un jour ou l’autre pourraient tenter l’aventure en solitaire. D’ailleurs, dans Vendetta chez les chtis, Eliane Ducatel, le médecin légiste, ne s’en prive pas et elle a, je crois, les reins assez solides pour devenir l’héroïne d’une nouvelle série. Mais je ne sais pas si je réussirais à écrire un roman sans un seul personnage, même un simple figurant, qui ne soit pas Corse. Je ne crois pas être capable de résister à cette tentation. Et puis, cela ressemblerait furieusement à de l’évitement ! Donc, la réponse est oui à tes deux questions, mais pas à n’importe quel prix. Encore faut-il que cela ait un sens, au risque de m’égarer et d’y perdre ma petite musique personnelle.

    Question : A la lecture de « Vendetta chez les chtis », j’ai le sentiment que, tout en te laissant portée par les personnages et donc par ton imagination, tu sais exactement comment tu veux construire le récit. Tu as une culture littéraire du roman policier et tu dois certainement avoir une sorte de cahier des charges que tu t’imposes et/ou des pièges que tu as voulu éviter. En quoi  la lectrice que tu es restée a pu influencer la romancière que tu es devenue ?

    J’ai lu énormément, de tous horizons, pas forcément dans le bon ordre, avec encore beaucoup de lacunes et sans me souvenir de tout ce que j’ai lu… En tant que lectrice, si j’aime être surprise, c’est sans artifice grossier ni surenchère dans l’horreur. En tant qu’auteure, je ne souhaite pas « titiller » inutilement les mauvais instincts du lecteur -sadisme et voyeurisme notamment- ni lui imposer un pathos dégoulinant : cela fait partie des règles que je me suis fixées. Lorsque je cherchais ma première idée de roman, bien naïvement et de façon un peu présomptueuse, j’ai essayé d’imaginer « quelque chose » qui ne s’était encore jamais écrit. J’ai bien vite réalisé que cela risquait fort de me conduire précisément là où je ne voulais pas aller. On se focalise sur l’histoire et les personnages se mettent à son service, avec plus ou moins de bonheur et de vraisemblance au risque que l’ensemble de l’édifice paraisse, finalement, tiré par les cheveux. Dans la vraie vie, il y a d’abord les gens. Avec un passé, des rêves ou des rancunes, des remords ou des regrets, des grandes ou des petites lâchetés, des courages fulgurants ou des engagements tenaces. Pour une raison ou pour une autre - un incident, une rencontre, une injustice, une provocation - le cours normal des évènements bascule et c’est là que l’histoire commence. Ce sont les personnages qui font l’histoire, ce sont leurs motivations et leurs affects –ou leur absence d’affect- qui la tiennent et lui donnent du corps. C’est donc toujours par eux que je commence, avec une idée précise de la direction d’ensemble, mais une « structure » souple et beaucoup de liberté de manœuvre.  Le  rythme est également très important. Mes chapitres sont courts. Chacun d’entre eux est une scène dans laquelle un personnage donné tient la vedette et « dirige la caméra ». Dès le chapitre suivant, il y a changement d’angle de vue. J’ai du mal à écrire de façon linéaire, j’ai besoin de « sauts » de côté pour garder intact le plaisir d’écrire, ne pas tomber dans l’ennui. Mais rien de tout cela n’est vraiment codifié, je suis plus intuitive qu’analytique.

               

    Question : Tu as dit que les polars sont des contes de fées modernes alors que d’autres auteurs comme Daenninckx, se disent des arpenteurs du réel. Certains disent que le polar est un roman noir sans policier et que les policiers sont les héros des romans policiers qui voient le mal dans l’homme alors que le polar voit le mal dans la société. Alors tu écris des polars ou des romans policiers ?

    Ce que je voulais dire par là c’est que les polars remplissent aujourd’hui la fonction jadis dévolue aux contes de fées. Si les contes de fées étaient destinés aux enfants, c’est qu’ils avaient une fonction éducative, ils étaient porteurs d’un message. Voilà pourquoi, j’ai dit que les polars sont la version moderne des contes de fées. Ce n’est pas antinomique avec le point de vue de Daenninckx. C’est justement parce qu’ils rendent comptent d’une certaine réalité qu’ils ont un message à faire passer. Mais, le réel, chacun l’arpente à sa façon bien singulière. Le mesurons-nous ? Pour ma part, je crois plutôt qu’il m’impressionne et que le projet d’écrire débute avec l’envie de partager ces impressions. Photo couleur ou noir et blanc, touche impressionniste, tableau hyperréaliste, traitement tout en angles : chacun le dépeint selon sa sensibilité et sa « technique ». Un auteur est une personne sensible. Angle, lumière, cadrage, quelque soit le traitement, il est le résultat de la subjectivité de l’auteur. Il n’y a pas, et c’est tant mieux, qu’une seule façon de rendre compte de la réalité et de ce qu’elle peut avoir de choquant, d’injuste ou de touchant. Il y autant de réalités qu’il y a d’observateurs.

    Quelques mots sur le thème du mal qui est au polar ou au roman policier ce que la poule et l’œuf sont à la question des origines. Les liens de cause à effet, les « ou » exclusifs sont impuissant à résoudre cette énigme. Et le sujet mériterait sans doute une thèse de philo en plusieurs volumes. Dans le cadre de mon métier, je me suis intéressée à la systémique qui, en matière de comportements, permet d’envisager les systèmes dans leur globalité, en tenant compte des interactions entre les différents éléments qui les composent sans chercher à les analyser séparément. Je te réponds que le tout est dans la partie et que la partie est dans le tout. Le mal, comme le bien, font partie de l’homme. Les hommes enfantent des héros et des monstres, des modèles et des aberrations, s’organisent en sociétés, lesquelles agissent en retour sur les hommes qui les composent et n’ont de cesse de les modifier, entretenant le rêve d’une société idéale… Tu vois le bout de la pelote dans tout ça ? Et s’il y a un bout, c’est le commencement ou la fin ? Disons, pour faire simple que certains chapitres et/ou personnages évoluent davantage dans le polar, alors que d’autres trempent plutôt dans le roman policier. Des polarciers, ça pourrait se dire, tu crois ? Ce qui est sûr, c’est que pour moi, chaque individu est un sujet, même si, il faut aussi le reconnaître, certains naissent plus libres que d’autres. Dire de quelqu’un que, « s’il a agit de la sorte, c’est parce que la société l’y a contraint », c’est le ravaler au rang d’objet, lui retirer tout libre arbitre, barrer toutes les issues de secours. S’il n’y a même plus l’espoir de cela, que reste-t-il ? Je crois aussi que le système libéral s’est emballé au point de dépasser les possibilités de contrôle de ses créatures. Ses finalités sont loin d’être aussi louables qu’elles apparaissent sur le papier officiel à en-tête et, dans les faits, je déplore que la société dans laquelle nous vivons exacerbe nos plus mauvais penchants. Il suffit, pour s’en persuader, de regarder les jeux télévisés. Quelles qualités faut-il réunir pour gagner ? Tricher, mentir, tromper, dissimuler, accepter de se dégrader sous le regard de millions de téléspectateurs, voire « éliminer » son prochain. C’est de la réalité et ça fait vraiment peur.

     

    Question : Dans tes ouvrages, les personnages sont nombreux et tu sembles apporter une grande attention à chacun d’eux. Tu as dit à Ugo Pandolfi (site Corsicapolar.eu) que tu étais une empathique qui ne sait pas se soigner et tu as ajouté : « Je construis chacun de mes personnages de l’intérieur. Je m’en fais une image mentale. Lorsque je « tiens » leur psychologie, alors leurs traits m’apparaissent. Là seulement, je peux entamer le travail d’écriture. »  Leoni apparaît comme un héros qui délègue. Il n’est pas omniprésent et les autres personnages ont suffisamment d’espace pour prendre chair. Lorsque tu dis que tu les construis de l’intérieur, est-ce que cela signifie qu’ils ne sont qu’imaginaires, de purs héros de papier qui contiennent chacun un peu de toi-même, y compris les méchants?

    Oui, même les méchants contiennent un peu de moi. C’est pour cela, sans doute, que mes méchants ne sont jamais totalement monstrueux et que tu aurais tort de ne me croire que gentille ! J’essaie de me glisser dans leurs pensées, à moins qu’ils ne se glissent dans les miennes, va savoir !

    La psychologie de mes personnages, c’est un assemblage à la Frankenstein : un peu de moi, un peu de ceux que je croise, de l’imagination et, pour « cimenter » le tout, l’expérience liée à l’exercice de mon métier dans le conseil en ressources humaines.

    Par exemple le Jean-Paul Fioraventi qui traverse, moustaches au vent, Vendetta chez les chtis, c’est un peu de mon désir de solitude, de ce besoin que j’éprouve, parfois, de me retirer du monde. Mais c’est aussi une personne bien réelle, un ancien flic, dont les anecdotes ont animé en moi un théâtre imaginaire. Il a enfin la psychologie du sage qui en a trop vu pour ne pas désespérer des hommes sans que cela ne l’empêche d’agir pour tenter d’infléchir le cours des évènements, comme s’il y croyait encore. Il y a chez lui un côté « grand seigneur » dont sa moustache est le blason. J’ai beaucoup d’affection pour ce personnage.

     

    Question :Leoni est ton héros récurrent.  Tu es une jeune femme. Pourquoi ne pas avoir choisi une femme ou alors, pour rester positif,  pourquoi avoir donné le premier rôle à un héros masculin ?

    Ah ! Une tendance perverse, tu crois ? Peut-être pour disposer d’un homme sur lequel je peux exercer un pouvoir absolu…

    J’ai choisi un enquêteur dont la personnalité intègre tout de même une bonne part de féminité. Cela me paraissait intéressant à exploiter, davantage qu’une héroïne qui aurait dû doper sa masculinité pour survivre dans un tel univers ! Et puis, les femmes jouent un rôle majeur dans sa vie, que ce soit par leur absence (sa mère) ou par leur présence (sa grand-mère). Sans parler de Marie ou d’Eliane Ducatel ! Leoni respecte profondément les femmes et, s’il est parfois excessivement protecteur, c’est plus en raison d’un sens exacerbé du devoir que d’une prétendue infériorité du sexe opposé.

     

    Question : Dans Vendetta chez les chtis, parmi les personnages féminins, Eliane, médecin-légiste, mène sa propre enquête loin de Lille. Elle entretient des relations amoureuses mais distantes avec Leoni mais aussi avec un bel Italien qu’elle entraîne dans son sillage. Il y a aussi la journaliste. Sont-elles les personnages féminins qui font le contrepoids féministe au choix d’un héros masculin?

    De manière générale, dans mes trois romans, les femmes occupent une place de choix, les sentiments qu’elles suscitent, les décisions qu’elles prennent sont au cœur de mes histoires.  Certaines sont  aussi puissantes que des Parques. D’ailleurs, Eliane Ducatel a pris beaucoup d’importance au fil des enquêtes de Leoni. C’est une femme libre et imprévisible qui a gagné ses galons d’enquêtrice. Mais il n’y a pas de préméditation visant à respecter une parité dans la répartition des rôles. A ce sujet, il y a une citation de Reiser que j’aime beaucoup : « Les femmes qui veulent être les égales des hommes manquent sérieusement d’ambition. »

               

    Question : Sur le blog de Leoni, Ange questionne Leoni et Leoni questionne Ange. Une réponse n’est pas donnée… Alors, la cicatrice sur la fesse gauche de Leoni, quelle en est la cause ?

    Lorsque Leoni aura décidé de raconter cette histoire, tu seras parmi les premiers informés.

     

    Question : Si ton tueur en série t’accusait d’être sa marionnettiste, que lui répondrais-tu ?

    Je l’ai imaginé, c’est vrai. Il est ma créature. J’avoue. Mais aussitôt qu’il a pris vie et corps, j’ai perdu prise sur lui. Après le premier chapitre, je n’ai fait que le suivre à la trace, l’observer, le décrire. En tâchant de demeurer fidèle… à ce que j’avais fait de lui.

     

    Question : Chez Leoni, qu’est-ce qu’il y a de plus significatif pour toi : le fait qu’il soit flic, qu’il exerce à Lille, sa corsité… le tout ou autre chose?

    Un individu est un tout. Tu me demandes ce qui est le plus saillant chez lui ? C’est presque une autopsie, non ? Je vais quand même essayer de te répondre sans le découper en petits bouts. En tant que flic, ce qui le détermine c’est d’avoir choisi d’exercer un métier à l’opposé des activités illégales et surtout amorales de son père. Leoni est un homme pétri de principes. Il est capable d’enfreindre les lois et les règlements s’ils font entrave à sa conception de la justice. En tant qu’individu, l’absence de sa mère, le rejet du père et la présence indéfectible de mémé Angèle sont les trois piliers sur lesquels il s’est construit. D’un point de vue culturel, il est Corse, un homme presque en transit, souvent étreint par l’impulsion du retour. C’est le célèbre avocat, Vincent Moro de Giafferi qui avait déclaré « les Corses ne s’exilent pas, ils s’absentent ». Leoni s’intègre bien dans le Nord tout en étant conscient du « décalage » culturel qu’il vit. Ces différentes caractéristiques s’assemblent pour combiner le portrait d’un homme plutôt sensible mais déterminé, toujours en recherche de contrôle, parfois jusqu’à la crispation car il sait ses zones de failles. Leoni craint de ressembler à ceux qu’il pourchasse et en définitive, de ne pas valoir mieux que son père. Il a des rapports complexes avec les femmes. Il veut les protéger. Il a peur de les perdre. Ce n’est pas un vraiment un séducteur. Face à elles, il serait plutôt la proie que le chasseur. Quoique, dans ce domaine, les rapports de force peuvent s’inverser tellement vite !

     

    Question : Veux-tu nous parler de ton prochain ouvrage à paraître : Carrières noires?

    Il semblerait que sous Lezennes, une petite ville à la périphérie de Lille, un homme, sombre et tourmenté ait élu domicile dans les anciennes carrières de craies. Son domaine : un inextricable labyrinthe de salles et de galeries baignées par le noir total.

    Trois femmes ayant dépassé de cap de la cinquantaine prennent soudain conscience que leur rêve d’une retraite à l’abri du besoin dans une petite maison de La Panne (station balnéaire de Belgique) s’effrite en même temps que leur pouvoir d’achat. L’une d’elles, Josy, décide de « pendre le taureau par les cornes ».

    Lorsque Leoni retourne à Lille pour régler tout un tas de paperasseries, il n’est plus qu’un flic en disponibilité. Les membres de son ancienne équipe enquêtent sur la disparition de deux enfants. Ils n’ont aucune piste à se mettre sous la dent.

    Depuis de longues années, une richissime sénatrice tire les ficelles pour propulser son neveu jusqu’aux plus hautes fonctions de la République. Son projet est sur le point d’aboutir, le neveu en question sera bientôt désigné comme le candidat officiel de son parti et est donné gagnant de tous les sondages pour la prochaine présidentielle. (je précise que l’écriture de ce quatrième roman a été achevée bien avant les évènements « new-yorkais »).

    Voilà, j’ai souhaité faire une petite pause avant l’édition de ce quatrième opus. Cela m’a permis d’accepter le projet de participer à l’écriture d’un recueil de nouvelles au profit de l’association « Ecoute ton cœur » et de travailler, avec l’aide et les précieux conseils des eXquismen, à la création du blog de Leoni.

    Je te communiquerai, aussitôt que possible, la date exacte de la parution de Carrières Noires.

    Merci, Jean-Paul, d’avoir eu la gentillesse de m’inviter sur l’île noire.

     

     

     

     

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