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Corse noire

... soeur de vos nuits blanches...


C'est quoi la philo? polar de René MERLE

Publié par Difrade sur 17 Décembre 2006, 21:57pm

Comment choisit-on un livre ? Il y a plusieurs façons, me direz-vous. Alors, je vais vous raconter comment j’ai choisi " C’est quoi la Philo ? " de René Merle aux Editions L’écailler du Sud. D’abord, je regarde toujours les parutions de cet éditeur, comme celles de quelques autres. Et puis le titre m’a interpellé. Ensuite, j’ai pris le livre dans les mains et j’ai lu la quatrième page de couverture : " Ses ennemis le surnomme le " PPE ", le présumé Philosophe et Ecrivain. Et des ennemis, Abailard en a… Le héros était donc Abailard ! La référence au Pierre Abailard ( ou Abélard ) , né en 1079 et mort en 1142, philosophe et théologien, fondateur de la méthode scolastique avec Alexandre de Hales ne pouvait être fortuite, sachant que René Merle est historien. S’agissant d’un polar, quel allait être le destin d’un Abailard des temps modernes ? Allait-il rencontrer une belle Héloïse ? Qu’adviendra-t-il de sa virilité ? J’ai donc payé le prix de ma curiosité : 7 euros. Je n’ai pas été déçu par ce petit polar dense avec une intrigue bien construite et le discours savamment dosé.

Abailard est le nom du narrateur et avant lui , c’était le pseudonyme de son père communiste dans la résistance, pendant l’Occupation. Notre Abailard se raconte en commençant par son " sale rêve " : dans le midi, devant la porte d’une usine voisinant la mer, à 13h30, la sirène appelle à la reprise du travail…. " Le bruit de la barre de fer sur le crâne du type. Et puis le silence ". Il se réveille. De la fenêtre de sa chambre d’hôtel, il voit la Croisette. Dans son lit, Ornella Muti… non pas l’actrice, une inconnue qui lui ressemble. Mais lui ressemble-t-elle vraiment ou est-ce l’aveu d’un fantasme érotique? Abailard aime trouver des ressemblances avec des personnalités.

Quand il ne dort pas, Abailard écrit et fait la promo de son dernier roman " Le Mal court ", titre déjà utilisé par Audiberti, précise-t-il. Notre écrivain revendique le sobriquet dont on l’a affublé : PPE (Présumé Philosophe et Ecrivain). Philosophe autoproclamée et médiatique, il s’enorgueillit de dispenser le blâme et l’éloge sur le monde comme il va, assumant d’être un donneur de leçons. Il anime une émission télévisée " C’est quoi la philo ? " Pour faire comme tout le monde, il a commis quelques polars et il " s’honore (sans fausse modestie) d’être de ceux qui ont sorti le polar du ghetto de la sous - culture pour le hisser, comme on dit, au niveau de la littérature. En tout cas, à défaut des journalistes spécialisés, c’est ce qu’on dit les pages " Livres " de nos deux quotidiens, et les chroniques de tous les magazines. Et je me garde, ajoute-il, de participer au cirque itinérant et dominical, qui parcourt l’hexagone. Cirque cruellement baptisé la grande famille des polareux, ou je ne tiens pas à avoir une place. On ne semble pas d’ailleurs me la proposer. " On comprends que Abailard n’a pas peur de se faire des ennemis, même chez les " polareux ". Car si le titre du dernier polar d’Abailard contemporain niçois est " Le Mal court ", c’est son " Historia calamitatum " qu’il raconte pour reprendre le titre de l’œuvre monastique de son illustre homonyme médiéval et breton.

Il ne s’agit pas de reprendre la querelle des universaux, ni de nominalisme ou de conceptualisme. René Merle a écrit un roman noir avec un personnage central original. Notre Abailard des temps modernes… "Internationaliste à vingt ans, jet society humanitariste à cinquante… l’âge de son prédécesseur lorsqu’il écrit, vers l’An 1129, "l’ Histoire de mes malheurs ". Et ses malheurs, notre Abailard contemporain les rencontre en revenant dans la région de Nice pour un festival littéraire. D’abord apparaît Eloïsa qui ressemble à Ornella Mutti, et ensuite deux membres de ce qu’il appelle son ancien " Groupe " (révolutionnaire d’extrême – gauche s’entend) : la pulpeuse Reparata, fille de notable encanaillée, et l’énigmatique Tchoco, plébéien auréolé d’un passé de guérillero révolutionnaire et aigri dans un présent de journaliste local… C’est ce dernier, auteur d’un livre de cuisine, qui va entraîner Abailard dans une salade niçoise avec une aubergine. Mais qui est ce Légume niçois auquel Tchoco fait allusion dans un poème ; " Ode à celui que nous avons massacré " ? … Qui sera le mort, puisque, dans un polar, il y a toujours au moins un cadavre et souvent davantage ? Est-ce que notre philosophe donneur de leçon n’aurait pas quelque mauvaise action dans un passé qui le rattrape ? Quel va être le destin de Abailard le niçois et Eloïsa, la Piémontaise ? Vont-ils nous fabriquer un petit Astrolabe… De quoi réveiller un mort, lorsque l’on sait que Gaston Leroux est enterré à Nice.

Au fait , Abailard, c’est quoi la philo ? – " Mais au réveil , j’avais senti dans mon caleçon une présence bienvenue. La vie était belle. C’est quoi la philo ? Des choses assez simples en définitive… " et pourquoi philosopher ? pour atteindre une vérité sur moi-même ,… " le point d’équilibre à partir duquel on peut considérer le monde, les autres, et soi-même, je ne dirais pas en toute sérénité, mais en toute justesse. Bref, ce que les philosophes ont cherché depuis que la philo existe. Et qu’ils n’ont probablement jamais trouvé. "

Abailard Pierre, philosophe et théologien de l’époque médiévale : l’orthographe de son nom est variable Abailard, Abeilard ou Abélard., mais son vrai nom est Beranger. Il est né en 1079 à la seigneurie du Pallet, près de Nantes. Son père était un noble guerrier qui voulait que ses enfants soient instruits et façonnés au métier des armes. Pierre était l’aîné d’une nombreuse fratrie. Il renonça à son droit d’aînesse et à son héritage en refusant les armes au profit de la culture des sciences, en premier lieu la dialectique. Il s’opposa à l’un de ses maîtres, Guillaume de Champeaux, archidiacre de Notre Dame et premier dialecticien de son temps, notamment dans ce que l’on a appelé la querelle des universaux. Il enseigna dans une école créée sur la Montagne Sainte Geneviève, aux portes de Paris.

Et il y a sa liaison avec son élève Héloïse, belle et intelligente! Abélard se met en pension chez l’oncle de la belle, le chanoine Fulbert, la met enceinte puis l’enlève. En Bretagne, ils ont un fils, Astrolabius et se marient. Mais l’oncle envoie à Abélard des hommes de mains qui le castrent. Les hommes de mains le paieront de leurs propres virilités plus les yeux en prime. Le chanoine Fulbert est suspendu de ses fonctions. Le mal est fait. Héloïse entre au couvent et échangera avec son mari une correspondance publiée sous le titre " Lettres d’Abélard et d’Héloïse " vers 1130. René Merle s’est inspiré de ces trois personnages, car si vous trouvez dans " C’est quoi la Philo ? ", Abailard et Eloïsa… cette dernière a aussi un oncle Fulberto.



En marge, nous avons relevé dans le roman de René Merle , deux intrusions allusives, presque subliminales aux Corses. La première lorsqu’ Abailard se souvient que, dans sa jeunesse, il avait enlevé la piémontaise Reparata à " un étudiant corse assez remuant " et la deuxième lorsqu’il se trouve face à deux individus " assez jeunes, lunettes de soleil, cheveux très courts, vestes d’été manches retroussées, jeans. Le F.L.N.C ou les flics. J’avais souvent dit du mal des nationalistes corses dans mes chroniques, mais j’ai opté pour les flics et j’avais raison…"

A ce sujet, l’auteur nous a gentiment confié : "  Mon héros est étudiant dans les années 70, et son groupe gaucho mao niçois, qui s'affronte à l'UEC et à d'autres groupes gauchistes, ne sait pas comment se situer par rapport aux étudiants corses nationalistes, alliances de circonstances et parfois affrontements. D'où le lien ambigu avec le type à qui il enlève Reparata. Plus tard, mon philosophe devient, genre Finkielkraut, ennemi de tous les communautarismes, autonomismes, etc… et écrit des articles entre autres sur la Corse. Il développe une paranoïa de la persécution et a effectivement peur de se faire coincer un jour par ceux qu'il a critiqués. D'où sa réaction stéréotypée devant le look des flics. Je vous parlais de "Treize reste raide". Je ne sais pas si vous connaissez ce Série noire publié en 1997 et 1998. La trame est un aller retour entre le Marseille des années 1930 et Marseille présent, à travers le destin d'un groupe de militants communistes du quartier du Panier, tous d'origine corse et travaillant sur le port, déchirés par leur engagement politique et leur fidélité à celui qui les y avait poussé, Sabiani, passé ensuite à d'autres engagements diamétralement opposés. Je n'écrivais qu'à travers de ce que je savais, c'est-à-dire ce que m'avaient dit tant de vieux, aux termes de leur vie, et je ne voulais en rien vilipender les Corses. Je pense que la plupart des lecteurs ne s'y sont pas trompés. Il s'agissait, à travers l'intrigue imaginée, d'évoquer, en sympathie humaine et en proximité, cette émigration corse dans un Marseille "rouge", et parfois "brun". Il n'empêche : J'ai eu droit à une volée de bois vert de la part de certains écorchés vifs ".

Donc ceux qui, ajoutant un commentaire sur les Corses qui en ont marre d'être toujours présentés comme des bandits, pensaient que René Merle avait voulu les agresser, n'avaient pas dû lire le bouquin et l’auteur d’ajouter : "  Autre volée de bois vert : lorsque je présente le voyage en Corse de mon enquêteur, le Cicérone est le prototype de mon "étudiant corse remuant" de "C'est quoi la philo", à savoir étudiant nationaliste à Nice devenu militant indépendantiste. Cet engagement n'est pas la tasse de thé de mon enquêteur, mais des liens humains ont été tissés... Bref, je me suis fait taper sur les doigts de diverses façons : tu cautionnes l'indépendantisme, tu agresses l'indépendantisme... "



René MERLE est né en 1936 . Il est agrégé d’Histoire, Docteur es Lettres. Il a enseigne toute sa vie. Il dit de lui-même : " J’ai toujours eu une sensibilité patrimoniale, occitaniste… J’ai été embarqué dans ce monde occitaniste très varié qui va des nationalistes persuadés qu’il existe une nation occitane jusqu’au félibre avec sa cigale. Il écrit des textes poétiques en occitan et traduits en Français par lui-même. Après une rencontre avec Patrick Raynal, il s’est mis au polar en 2001 avec " Treize reste raide " édité par Galimard , Série noire.Pour mieux le connaître, vous pouvez aller sur son site : http://www.rene-merle.com

Vous y trouverez un entretien à l’occasion de la sortie de son premier polar dont nous vous donnons un accès direct : http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=293

4ème page de couverture de " Treize reste raide " :
"À Marseille, une étrange série de meurtres décime les pépés. Pas vraiment des pépés ordinaires. À travers le Marseille d’aujourd’hui, le journaliste Laurent Laugier découvre une sale histoire commencée dans les années trente, quand l’alliance des armateurs, des truands et de l’extrême droite avait su ratisser pour prendre la ville. Treize reste raide, comme on dit aux boules. Une vieille histoire marseillaise qui résonne aujourd’hui dangereusement sur fond de racisme et d’obsession sécuritaire".

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