Corsité versus corsitude
Dilemme, roman de Pierre LEPIDI
La corsitude est faite de liens charnels, passionnels et intellectuels. Cest ce sentiment dappartenance à une famille, une histoire, une terre et une culture qui légitime la revendication de la corsité. En Corse, lenracinement est aussi celui dun arbre généalogique qui unit les générations au-delà de la mort. En refermant " Dilemne ", me sont venus les quelques vers du refrain de la chanson Rivecu écrite par Jacques FUSINA et chantée par I Muvrini.
En préambule Jean - François Bernardini nous dit : " Quand les chansons se souviennent de la première pierre, du premier pas, elles ramènent nos voix vers un petit village de Haute-Corse : Tagliu Isulaccia. Là, encore enfant, autour dun établi de menuisier, mon père nous apprenait son chant, son chant damour, mais, ce chant ne se dit pas RIVECU !... et nous vous livrons le refrain :
Le soleil sest couché......................................................U sole shè ciuttatu
Il y a longtemps déjà.......................................................Chhè une pezzu ad avà
Mais quelque chose demeure.......................................... Ma shè vivu li fiatu
Où je tentends parler......................................................E ti senti parlà
Mais quelque chose demeure...........................................Ma shè vivu li fiatu
Où je te revois mon père ..............................................Et ti rivecu ô Bà
Cest ce "quelque chose " qui fait tout. Cest ce quelque chose qui explique la communion charnelle et intellectuelle dun Corse avec son île peuplée de vivants et de morts. Cest ce "quelque chose " qui fait vivre chez le fils ce quil y avait de meilleur chez le père. Cest ce "quelquee chose " qui déterminera son humanité par héritage. Cest ce "quelque chose " qui fait de nous, de père en fils, des passeurs. Dans le roman de Pierre LEPIDI. C'est ce "quelque chose " qui créera le dilemme et forcera au choix.
Notre héros débarque donc à Paris en stage chez "grands reporter " et fait dabord équipe avec un jeune aristocrate pour trouver un scoop qui leur permet dobtenir les deux seuls CDD offerts aux stagiaires par le journal, juste avant le départ à la retraite dun vieux journaliste et ainsi la promesse dun CDI pour lun deux. Les deux journalistes en herbe entrent alors en concurrence. Pendant que laristo prend de lavance, notre Corse ségare dans lérotisme et les produits illicites avec la sulfureuse Nathalie, plutôt nympho et adepte du piercing. Cest un premier amour dadulte et un moyen déchapper à la Cursità, ce mal du pays qui rend lexil douloureux. Cest aussi une débauche parisienne qui, moderne, léloigne de la Corse. " Jestimais, dit-il, que lécart entre le monde people et déjanté de Nathalie et celui de mon petit village était bien trop grand ". Et puis, son père décède et cest par devoir de mémoire quil va se battre pour évincer laristo et obtenir le poste bientôt libre. Pour cela, il lui faut un scoop et un renseignement lentraîne à Nice où un truand (qui finit toutes ses phrases par " denculé ! ") lui remet des fausses factures relatives à des malversations municipales Malheureusement un entrepreneur proche de son père est trempé jusquau cou dans ces magouilles.
Notre journaliste doit-il aller jusquau bout ou renoncer à cette enquête journalistique prometteuse ? Quelle est la bonne réponse au dilemme qui sinstalle en lui ? Lauteur nous parle de cette fracture existentielle qui peut être ressentie par un jeune Corse exilé, tiraillé entre sa culture et son avenir professionnel sur le continent, entre la modernité du monde et les valeurs ancestrales de la Corse. Et puis ce sentiment parfois dêtre fautif lorsquun ami lâche : " Tu es devenu pinz ou quoi ? ". Ce reproche est devenu une réalité pour les Corses de la diaspora lorsquils ont découvert dans la bouche de leurs compatriotes le terme dempinzzudés (signifiant francisés) employé à leur égard.
Extrait : " Quand je rédigeais un papier ou une enquête dans les colonnes de Grands reporters, je pensais à mon père. Je le faisais pour lui. Parce que je savais quallongé dans sa mansarde, au milieu de son univers fait de livres et de timbres, il me lirait. Je limaginais, tournant lentement les pages de sa revue favorite à la recherche dun article signé de ma main. En écrivant face à mon écran dordinateur, je le voyais en train desquisser un sourire, de chausser ses lunettes puis de plisser son front avant de commencer la lecture "
Dilemme a fait lobjet dun entretien de lauteur avec Joël Jegouzo dans un article consacré aux Editions Albiana sur le site Noircommepolar.
Pierre LEPIDI a dit (redondance involontaire et qui aurait eu un effet ludique sil se prénommait Jacques) : " Pour ce qui est de Dilemme, je rêverais quil sorte en langue corse Les thèmes qui y sont abordés sont ceux de lexil, de la passion amoureuse et des choix difficiles que nous impose parfois la vie. Ils sont donc universels. Si le livre pouvait un jour être également traduit en wolof, en allemand ou en arabe hassanya : je serai vraiment très fier. "
Pierre LEPIDI est un ancien élève de lInstitut des Médias ISCPA de Paris. Journaliste, il travaille depuis 1995 au service des sports du quotidien national LE MONDE. Voyageur et passionné du continent africain, il a publié des récits de voyages : Les carnets dAfrique en 2004 chez Polymédia (intégralement au profit de lassociation Frères de foot quil préside) et Nouakchott Nouadhibou en 2005 chez Ibis Press (illustré par des photographies de Philippe Freund). Avec un autre photographe, Clément Saccomani, il a participé à une exposition de photographies et de reportages sur lArménie qui a eu lieu à linstitut français de Budapest du 26 octobre au 30 novembre dernier.
Invitation au trépas, traduction du premier polar en langue corse :
" Saïonara ! U salutu di a morte "
écrit par Jean Marie COMITI
Invitation au Trépas est le premier polar de Jean-Marie COMITI dans la collection Nera des Editions Albiana. Il lavait écrit en langue corse sous le titre " Saïonara. U salutu di a morte " et signé sous son identité corse Ghjuvan Maria Comiti, chez le même éditeur en 2002, avant la création de la collection Nera qui remonte à 2004. Le titre de ce premier polar en langue corse est accompagné de " Saïonara " et on retrouve ce salut nippon pour la traduction " Invitation au Trépas "." Saïonara ! U salutu di a morte "
écrit par Jean Marie COMITI
Si je regarde lévolution du héros du polar, lorsquil est policier, en France et plus généralement en Europe, il a la cinquantaine : lâge des bilans et de la prise de recul sur soi-même et sur la société. Il est désabusé mais adepte, faute de bonheur possible, de petits plaisirs culinaires ou autres, fatigué mais tenace, mais sans illusion. Cette lucidité désenchantée le conduit à la solitude. Il est aussi un homme de devoir se jouant des peaux de banane et des pressions hiérarchiques et politiques. Il peut être mélomane, philosophe ou lettré. Il a des fêlures dans sa vie privée. Les héros du polar daujourdhui sont plus dans la lignée dun Maigret que dun San-antonio mort avec son créateur. Ce sont des flics encore plus nonchalants que leur prédécesseur (Maigret). On pense bien entendu à Fabio Montale mais aussi à Pépé Carvalho ou au commissaire Montalbano qui vieillit dans la fiction. Aujourdhui, on pourrait parler de " Tortue attitude " chez larchétype du flic dans le polar européen. Cest sans doute du à un besoin inconscient de cette lenteur que nous refuse le modernisme.
Le héros de Jean-Marie Comiti, linspecteur sicilien Cordilione est dans cette lignée européenne. La belle cinquantaine grisonnante, habité dune force tranquille, il vient dêtre blessé par balle lors de sa dernière enquête. Sa blessure le fait boiter. A la mairie de Palerme, il reçoit une décoration sollicitée, pour lui, par le commissaire Desantis, un homme autoritaire, considéré comme droit et honnête, un chef de service pragmatique et attentionné avec ses subordonnés.
Notre inspecteur "cur de lion " na rien dun super flic. Il a ses phobies et notamment celle des ascenseurs, des bateaux, des ordinateurs Il a sa fracture intime : un divorce qui a laissé une profonde amertume sur son passé amoureux. Toutefois ses faiblesses nempêchent en rien sa pugnacité et sa ténacité lorsquil sagit de mener à son terme une enquête euclidienne. " Cordilione se fiait toujours à son intuition et lorsquil ressentait ce picotement qui partait du bas des reins et remontait jusquà la nuque, il se disait alors quil fallait dérouler le fil et se laisser conduire. Cest ce quil fit ". Dans tous les cas, il enfourche sa vielle Lambretta capricieuse entre deux réparations chez son garagiste.
Le récit commence par le comportement fou dun certain Denis Benediri, avionneur sicilien fortuné qui agresse un vigile de sa propre banque et se fait descendre en présence de celle qui devient sa jeune veuve. Notre inspecteur Cordilione est chargé de lenquête au cur des secrets dune société sicilienne troublante. Laffaire se complique par lenlèvement du fils de feu Benediri avec une demande de rançon et apparaît de plus en plus machiavélique lorsque le fils est découvert mort chez un détective privé devenu introuvable. Et puis, au milieu de tout cela, notre Cordilione ne chevauche plus seulement sa vieille Lambretta et succombe à la croupe de sa provocante collègue Lydia. Bien sûr, nous ne dévoilerons pas lépilogue de cette intrigue digne dun Hercule Poirot. La recherche de la vérité conduira notre fin limier sicilien dans les îles voisines, Sardaigne et Corse.
Une particularité dans le récit : une voix -off moqueuse (sexprimant en vieux français) y est une présence fantomatique du bon sens et de lhumour aux côtés de linspecteur Cordilione.
Une âm errante hanterait-elle notr héros ?
La question valait bien un alexandrin boiteux.
Extraits : " Cordilione exerçait son métier avec passion. Plus les choses étaient compliquées, plus il y trouvait du plaisir. Il se raccrochait au moindre élément dun problème, lexaminait sous tous les angles, essayait den tirer un quelconque indice jusquà ce quil lui donne un sens et rende compréhensible une situation Pour lui, le regard en disait toujours plus que les mots sur la personne et cétait cela quil observait avant tout. "
Jean-Marie COMITI écrit aussi des nouvelles et des essais. Chercheur en linguistique, sociolinguistique et sciences de léducation, maître de conférence, il enseigne à luniversité de Corte. A ce titre, il sest totalement impliqué dans lenseignement de la langue corse depuis plusieurs années. Il a écrit notamment un ouvrage sur le sujet en 2005, " La langue corse entre chien et loup " préfacé par le poète Jacques FUSINA, aux Editions LHarmattan. Il y analyse les causes multiples de la disparition des idiomes de la langue corse. Ses observations ont donné lieu à de nombreux débats insulaires sur des thèmes récurrents : origines de la langue corse, sa place dans la famille romane, son statut scolaire, sa place dans les médias et la société
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