• Voyage en Arménie, Avis de recherche, La huitième colline

    "Voyage en Arménie", un film qui touchera les cœurs des filles et des fils corses.

    Au cinéma Bonneveine de Marseille, le 7 juin dernier, nous avons assisté à la première séance publique du dernier film de Robert Guédiguian " Voyage en Arménie ". Le réalisateur, accompagné de l’acteur Gérard Meylan, a expliqué la genèse de ce film : ses premiers voyages en Arménie et puis un coup de fil de son actrice fétiche, Ariane Ascaride, qui venait de visiter la belle boutique d’un artisan arménien à Lyon… coup de fil pour le fil conducteur du voyage initiatique d’une femme qui retrouve son " arménité " en ressentant, en elle-même, cet humanisme identitaire qu'elle refusait d'exprimer. Un film sur la double identité et sur la diaspora.


    La trame :
    Barsam (joué par Marcel Bluwal), père arménien gravement malade, fugue de Marseille, pour aller mourir en Arménie, laissant des indices derrière lui, poussant sa fille, Anna ( Ariane Ascaride), à le rechercher en faisant, avec nous, ce " Voyage en Arménie ". A cette occasion, elle découvre aussi le doute sur sa vie de médecin cardiologue marseillaise, sur ses amours, sur la personnalité complexe d’un père qu’elle n’avait jamais vraiment cherché à connaître. Plus rien ne sera, pour elle, comme avant, car elle touche des yeux la profondeur de sa " chair " arménienne.
    Commentaire :
    Guédiguian montre, avec lyrisme, l’âme arménienne lorsque, notamment à la fin de film, Manouk (joué par Roman Avinian), un vieux chauffeur de taxi arménien, s’arrête face au mont Ararat, pour dire, les larmes aux yeux, que cette montagne aride (et sans gisement précieux) représente le rêve arménien. . On a envie de dire aux Turcs : commencez par rendre aux arméniens ce symbole fort, " le Mont Ararat ", tant qu’il reste encore des survivants du génocide ! On voit cette belle montagne dont le sommet enneigé fait comme un nuage au dessus d’un paysage incertain d’où s’élance une grue, témoignage de la reconstruction d’un pays tout juste sorti du Soviétisme.
    Le voyage de cette jeune femme se déroule sur fond de polar, avec le personnage de Sarkis (joué par Simon Abkarian), arménien né en Turquie et membre d’une mafia jeune et sans scrupule, qui considère que tout est busissness : le sexe, la santé, la vie… Dans ce business crapuleux, un autre personnage: Yervanth (joué par Gérard Meylan), truand (ex-cagoulard de l'organisation secrète Asala) condamné par contumace à perpétuité pour un braquage à Marseille et héros énigmatique de l’armée arménienne, traîne son réalisme et sa nostalgie.
    Guédiguian manie, avec justesse, les contrastes des personnages et des images, sur fond de vestiges rappelant une grande civilisation détruite par des invasions et un génocide, puis murée par le Soviétisme remplacé, aujourd’hui, par une mafia qui a créé sa propre économie de marché dans ce " petit morceau restant de pays " où se côtoient le luxe nauséabond et la pauvreté exploitée, avec leur rêve occidental. Dans ce contexte trouble, Guédiguian met subtilement en scène une âme collective " forte des épreuves subies " mais aussi sa blessure profonde: le génocide. Ce n’est pas l’objet du film mais l’histoire du peuple arménien sous-tend l’histoire d’un film pétri d’humanisme identitaire parce que généalogiquement marqué par le drame.
    On ne peut rester indifférent à la trame du film : la relation fille – père (on peut élargir à enfants – parents). Anna ne s’est jamais vraiment intéressé à son père, jusqu’à cette fugue. C’est son mari ( joué par Jean-Pierre Darroussin) qui la pousse à rechercher ce père en Arménie, exprimant son regret d’avoir perdu le sien trop tôt, sans lui dire son amour filial. Il y a surtout cette distance que, enfant, l’on met avec son père. Comment combler ce trou abyssal dans notre mémoire ? Comment vivre avec une partie de nous enfouie et laissée sans réponse? C’est une prise de conscience pour ceux qui ont encore un père. Il ne faut pas laisser passer l’occasion de connaître nos parents qui nous rattachent généalogiquement à cette partie d’humanité identitaire. Père et mère sont cette chair qui nous relie à la mémoire collective sans laquelle " humanisme " est un mot dans le désert d’un passé humain sans mémoire.

    Il faut évoquer aussi:
    - Le personnage d'une jeune fille arménienne, coiffeuse le jour - danseuse nue la nuit, qui abandonne le rêve de s'expatrier en France lorsqu'elle comprend son attachement à son peuple en croisant le regard d'un beau jeune homme arménien.
    - La sagesse de Vanig ( joué par Serge Avédikian), pour qui la seule richesse acceptable vient de la terre arménienne qu'il travaille.
    - L'hospitalité comme tissu social...

    Quelques mots sur un acteur : Roman Avinian
    Point besoin de présenter les plus connus ! Nous citerons la performance d’un vieil acteur arménien, Roman Avinian, dans le rôle de Manouk, vieux dandy sociable et chauffeur de touristes mais aussi porteur de l’âme arménienne pure et meurtrie. Cet acteur nous avait déjà touché dans un autre film " Vodka lemon " de Hiner Saleem, remarqué à sa sortie en 2003
    ( à voir ou à revoir en DVD).
    Et sur le réalisateur : Robert Guédiguian :
    Robert Guédiguian nous a habitué à l’excellence et à son intégrité morale. Il n’a pas dérogé. Je ne dirai pas qu’il est au sommet de son art car ce serait lui nier toute marge de progression. Une chose est sûre : il s’agit bien d’Art cinématographique et d'humanisme lorsque l’on va voir l’un de ses films. Ames sensibles, ne pas s'abstenir...

    Ne manquez pas " Voyage en Arménie "!

    Vous pouvez aller consulter la fiche du producteur "Diaphana" en cliquant à l’adresse:
    http://www.diaphana.fr/fiche.php?pkfilms=141
    et en profiter pour consulter le catalogue intéressant des films produits dont plusieurs réalisés par Robert Guédiguian mais aussi d'autres de qualité comme "Carnets de voyages", "Les virtuoses".... Rapelons que Diaphana est le producteur de " La raison du plus faible " de Belvaux, film auquel nous avons consacré un article.

    Année de l'Arménie:

    Les Editions Parenthèses viennent d'éditer, dans la collection "Diasporales", une très belle anthologie de la poésie arménienne contemporaine sous le titre "Avis de Recherche". Vous y découvrirez vingt poètes qui participent à la modernité poétique avec vingt tonalités singulières qui affirment l'appartenance complexe à une identité culturelle confrontée au monde contemporain. EXTRAIT TRADUIT d'un poème de Véhanoush Tékian:
    "Il y a des aigles
    Pétrifiés
    Dans les ruines,
    Et un peuple au cœur duquel
    Il y a des tombes muettes dans l'abîme"

    Par ailleurs, Louis CARZOU a publié son premier roman " La huitième colline " L’auteur utilise le genre romanesque et donc la fiction à partir d’un fait historique majeur dans le cours fragile de l’humanité. Il fait appel à l’empathie du lecteur et, par là, nous donne à ressentir, par la lecture et donc l’imaginaire, ce que les Arméniens ont vécu dans leur chair. Dans une famille turque, une grand-mère révèle, au seuil de sa mort, qu’elle est arménienne, enfant sauvé et adopté par un médecin turc. Ce choix révèle que, en 1915, tous les Turcs n’ont pas participé ou approuvé le génocide, de même que, de nos jours, des Turcs le reconnaissent avec tous les risques encourus. L’auteur met en scène des femmes arméniennes dans une histoire romancée à la fois tragique et belle par les émotions qu’elle suscite. Les personnages sont porteurs de vérités historiques et contemporaines. L’écriture est subtile et leur donne chair.
    Ce premier  roman est écrit tout en finesse, sans haine, sur un sujet qui concerne Louis CARZOU, puisqu’il a une origine arménienne. Il est édité aux Editions Liana Levi… à découvrir sans attendre la fin de l’ « année de l’Arménie ». En France, des évènements culturels sont organisés dans de nombreuses villes et offrent l’occasion de découvrir un peuple martyrisé, issu d’une grande civilisation, et porteur de richesses  pour le patrimoine de l’Humanité.
    La reconnaissance du génocide arménien concerne en premier lieu les Arméniens et les Turcs. Elle est aussi un symbole fort de la communauté internationale pour toutes les minorités intégrées ou non dans une grande nation. Elle touche à leur droit de survie et de sauvegarder un patrimoine identitaire, humaniste et culturel lié à leur histoire ancestrale. Elle est la condamnation des comportements hégémoniques qui refusent l’idée que l’on peut vivre en harmonie dans une nation, en respectant des règles constitutionnelles, civiles ou pénales, mais sans renier son appartenance identitaire plus ancienne. Elle condamne la pensée et  la religion unique qui fondent, sur la haine de l’autre, des dictatures et des communautarismes.
    Pour finir en poème, dans « vô lu mondu » chanté par les Muvrini et dont un couplet est interprété par le chanteur arménien du groupe Bratch, nous avons relevé ces passages…
    U ventu dice un tu nome  
    Da rompe a chjostra di tu campa…
    Calvacu mari è corgu mondi…
    Les mers défilent au long du voyage
    Pour découvrir la liberté
    Ma vie s’arrime à tant de peuples
    Tantôt en lutte ou en prière
    A tant d’attente, à tant d’espoir
    Pour la lumière qui reviendra...
    E vo lu mondu… »

     
     
     
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