• Trop bienveillante!

    Drôle de bienveillance pour « Les bienveillantes » !

    « Les bienveillantes » de Jonathan Littell, un livre encensé par une presse dithyrambique qui a déjà donné le prix Goncourt au fils de Robert Littell, grand reporter à « Newsweek », spécialiste des questions du Proche-Orient, auteur américain de « La compagnie », « Les enfants d’Abraham », « Le fil rouge », « Le sphinx de Sibérie » et donc de romans d’espionnage.

    Aux Correspondances de Manosque, nous avons assisté à la prestation de Littell fils devenu « grand » écrivain chez Gallimard. Ce grand garçon de 39 ans n’a pas besoin de faire de la promo car la presse s’en charge avec ardeur. Sorti des références aux historiens célèbres, il répugne à parler de la partie fictionnelle de cet ouvrage de 900 pages qu’il a écrit en 4 mois après 1 an et demi de recherches historiques et qu’il n’a pas eu encore le temps de lire. Peu enclin donc à répondre aux questions, il dit être davantage préoccupé par son installation à Barcelone, son déménagement et la scolarité de ses enfants. Il faut rendre hommage à la patience sans faille du présentateur, Pascal Jourdana, qui, professionnel, s’était ingurgité les 900 pages pour en tirer un débat qui aurait pu être intéressant si les réponses l’avaient été. Mais, pour cet auteur peu bavard, les jeux sont faits : son livre est un succès avant d’être lu et se vend comme des petits pains bénis par l’Intelligentsia parisienne.

    Le Nouvel observateur lui avait déjà consacré les honneurs en Août dernier avec un bandeau en première page : « Le premier roman de Jonathan Littell, attention Chef d’œuvre » et quatre pages avec photographie de star, sous la plume de Jérôme GARCIN. Comme cela ne suffisait pas, on y ajoute un article de Frédéric Hernandez ( qui évoque tout de même quelques points de polèmique), pendant que, dans un petit encart, Jacques Nerson siffle avec arrogance Laurent Gaudé (Goncourt 2004) dans le style « Gaudé écrit à la truelle » ou bien « Souffrirait-il de ce trouble obsessionnel compulsif, la palilalie ; besoin incoercible de répéter ses phrases ». Cela sent le règlement de comptes bête et méchant car le dernier ouvrage de Gaudé, « El Dorado », est un beau livre sur un sujet d’actualité : l’émigration africaine.

    Jacques Nerson devrait relire l’article de son confrère Jérôme Garcin et y relevait les couches successives d’éloges à coups de truelle jusqu’à l’emphase, les réponses faites pour l’auteur qui ne dit rien, l’analyse psychologique un peu merdique du héros, lorsqu’il écrit : « Ce n’est pas qu’il ait mauvaise conscience, ô non, c’est simplement qu’il éprouve le besoin intestinal de se décharger. Il a passé la guerre à vomir ses tripes devant les charniers, il lutte aujourd’hui contre la constipation ». Est-ce un message subliminal en direction du public ? Qui le sait ?

    Dans cet article, notre nouvelle coqueluche littéraire nous donne, lorsqu’il parle, l’image d’un enfant gâté. Il dit notamment : « Les Etats-Unis manquent follement de charme. Et je ne supporte pas de ne pas pouvoir fumer en buvant mon whisky, ou de ne pas pouvoir boire en fumant mon cigarillo ». Palilalie géniale, aurait peut-être écrit un autre Nerson. Ensuite, Jérôme Garcin nous explique que Jonathan LITTELL a choisi la nationalité française qui lui est refusée par « des ronds-de-cuir coupés du monde en marche par des murs de paperasserie. Il veut être Français, si l’être, ce n’est pas dire non à l’Europe. Attention à ceux qui ont dit non, ils vont priver la France d’un génie littéraire qui, en fin d’article, voudra bien dire quelques mots sur l’Allemagne « qui a pris en charge sa culpabilité et su tirer un trait sur son passé le plus noir ( Dixit Garcin loco Littel) mais aussi sur l’histoire de France avec son passif : « … des mythes bricolés et une colonisation prédatrice, meurtrière, odieuse et jamais assumée ». Il ajoute : « Le pourrissement de la vie politique française découle de ces apories et de ces contradictions intenables. Regardez les Anglais: ils ont décolonisé avec une certaine élégance et tourné la page pour devenir une nation moderne, pluriculturelle, dynamique, ouverte, riches de toutes ses diversités… » . Et notre journaliste de conclure : « C’est au rang d’écrivain français que Jonathan Littell aspire. Avec « Les bienveillantes », son magistral premier livre, il l’est ».

    Est-ce que, coup de théâtre prémédité, le prix Goncourt pourrait être attribué à un Américain, cette année ? La question finalement de la nationalité de l’auteur ne se pose pas puisque, en général, c’est l’éditeur qui obtient le prix, à quelques exceptions prés. Donc ! Pour ce coup d’édition, bravo Gallimard spécialiste du best - seller.

    Pour notre part et malgré la réponse itérative de l’auteur « américain » à certaines questions (manque de recul sur sa propre expérience et son ouvrage), nous nous demandons encore : Pourquoi choisir un SS, nazi de la guerre 1939-45, alors que Jonathan Littell a « roulé sa bosse, parcouru le monde, nourri des affamés, essuyé des tirs de mortier… et saisi par la fièvre humanitaire, diriger des missions en Bosnie, au Nord Caucase, en Afghanistan, en Chine, en Afrique, à Sarajevo et à Mostar ( pendant la guerre), à Grozny lors de la rébellion tchétchène, à Kaboul, au Rwanda, au Tadjikistan, et en Guinée ». Pourquoi a-t-il choisi une époque vécue par son père Robert, au lieu de se servir de sa propre expérience ?

    Se référant notamment à l’ouvrage sur les bourreaux ordinaires de Browning, il aborde la question sous un angle qui pourrait laisser penser que, finalement, les Nazis étaient des gens « ordinaires », souvent cultivés et raffinés, lorsqu’il s’agissait d’officiers SS (une caricature déjà utilisée au cinéma). Le plus pernicieux dans cet ouvrage, c’est de dire que les Nazis étaient, en majorité issus des classes moyennes (petits employés de préférence) et d’en déduire que ce sont les conditions économiques et politiques de l’Allemagne Hitlérienne qui ont transformé ces petites gens étriqués dans leur vie « ordinaire » en bourreaux au service d’une idéologie dominatrice. L’idéologie nazie se serait servie d’eux pour s’en débarrasser après qu’ils aient été psychologiquement détruits par les actes barbares qu’on leur imposait de commettre. Les idéologues nazis auraient voulu fabriquer des bourreaux insensibles, froids au point de tuer sans remord, sans mémoire. On esquisse le portrait du « bourreau – victime » qui sommeille en chacun de nous ( gens ordinaires ), se réveille si les circonstances l’exigent, tuent, massacrent, « génocident » et restent humains.

    Max Aue, bourreau nazi, est né en Alsace, de mère française et de père poméranien. Il a fait ses études de droit et d’économie politique en Allemagne. Il est cultivé. Il a lu les philosophes grecques mais aussi Kant, Flaubert… avant d’être envoyé sur le front de l’Est. Il fait une carrière militaire chez les SS où il atteint le grade de Lieutenant-colonnel. Un héros nazi , aux mains sales, qui se raconte avec froideur et ne renie pas son passé génocidaire. Un monstre humain .Son récit à la première personne « Je » n’est dicté que par le besoin de se raconter. Je du destin ou Je de dupe ? Je de vérité ou Je de manipulation ?

    On s’interroge aussi sur la raison pour laquelle l’auteur ne peut donner sa propre analyse de la partie romanesque de son ouvrage ? Pour laisser sa liberté au lecteur, dit-il. Un peu court pour un débat accepté et un opus de 900 pages, fruit d’une démarche personnelle et d’une profonde réflexion. A d’autres questions, il répond qu’il s’agit de questions de forme, point final. Et puis, réponse ultime : tout est écrit dans mon livre ! Nous avons enregistré l’intégralité du débat littéraire de Manosque consacré à Jonathan Littell le 23 septembre dernier et prendrons peut-être le temps de le retranscrire pour le publier en parallèle avec certains passage de l’article de Jérôme Garcin.

    En attendant, malgré la pression médiatique, je n’ai pas acheté « Les bienveillantes » : titre, comme chacun l’ignore, tiré de la mythologie grecque. Il s’agissait de déesses persécutrices, vengeresses, hideuses qu’on nommait « bienveillantes » par crainte de prononcer leur nom « Erinyes » ou « Euménides » et d’attirer ainsi leur attention. Finalement , les « bienveillantes » du Nouvel Obs ont réveillé les Euménides de « ÏLE NOIRE », blog habituellement non agressif.

    Jonathan Littell « accueille les compliments sans broncher ». Il a 39 ans et il en parait 25 (à croire que ses missions humanitaires ne l’ont pas trop éprouvé). Il n’a pas lu Kant, ni Hegel (pour ce dernier au point de ne pas se souvenir qu’il le cite dans son ouvrage). Il aurait vécu sa jeunesse dans la région de Cannes et, après un bac passé au Lycée Fénelon de Paris, il est allé poursuivre ses études à l’Université de Yale aux Etats-Unis ( sur l’Art et la littérature française)…. Et, qu’on se le dise, « il n’est pas devenu écrivain pour entrer dans le monde littéraire, qui l’indiffère », dixit Jérôme Garcin qui ajoute : « Il a trop roulé sa bosse, parcouru le monde, nourri les affamés, essuyer des tirs de mortier, pour trouver de l’intérêt aux petites stratégies parisiennes. D’ailleurs, en pleine rentrée littéraire de septembre, cet Américain, qui a habité Moscou et Istanbul vivra à Barcelone, où il a emménagé cet été avec sa femme belge et ses deux enfants». Erreur ! Il était à Manosque le 23 septembre dernier pour sa promo. La belle indifférence ! Le désintéressement ! N’est-ce pas un peu trop, tout de même, lorsque l’on lance une telle campagne publicitaire ?

    Bienveillante ! Une certaine presse, gardienne de nouvelles dynasties et distributrice de prix avant l’heure, l’est avec les fils et les filles de… Et cette bienveillance s’accompagne souvent d’une certaine arrogance pour les autres. Bien entendu, ce livre mérite d’être lu, à moins que vous ayez déjà lu tous les auteurs qui le nourrissent. Pour ma part, j’attends qu’on me le prête ou qu’on m’en fasse cadeau.

    Le Samedi 23 septembre dernier, il y avait d’autres jeunes auteurs de talent aux « Correspondances de Manosque » et, surtout, beaucoup plus loquaces lorsqu’on leur demande de parler de leurs écrits. Ils nous ont donné envie de les lire. Il s’agit de romans moins ambitieux comme « Les doigts écorchés » de Sylvie Robic, « L’absolue perfection du crime » de Tanguy Viel... Nous avons aussi assisté à un débat débridé et plein d’humour : José Manuel Fajardo et son traducteur Claude Bleton présentaient un opus épicurien « L’eau à la bouche », avec la complicité de Pascal Jourdana qui trouvait enfin des interlocuteurs au niveau de son talent de journaliste littéraire. Et puis, si vous passez par Manosque, Jean Giono, des peintres et des poètes y sont des étoiles permanentes. Une très belle exposition sur le peintre Lucien Jacques vous y attend jusqu’au 22 octobre 2006.

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