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Culture le
30 Septembre 2006 à 13:10
Drôle de bienveillance pour « Les bienveillantes » !
« Les bienveillantes » de Jonathan Littell, un livre encensé par une presse dithyrambique qui a déjà donné le prix Goncourt au fils de Robert Littell, grand reporter à « Newsweek », spécialiste des questions du Proche-Orient, auteur américain de « La compagnie », « Les enfants dAbraham », « Le fil rouge », « Le sphinx de Sibérie » et donc de romans despionnage.
Aux Correspondances de Manosque, nous avons assisté à la prestation de Littell fils devenu « grand » écrivain chez Gallimard. Ce grand garçon de 39 ans na pas besoin de faire de la promo car la presse sen charge avec ardeur. Sorti des références aux historiens célèbres, il répugne à parler de la partie fictionnelle de cet ouvrage de 900 pages quil a écrit en 4 mois après 1 an et demi de recherches historiques et quil na pas eu encore le temps de lire. Peu enclin donc à répondre aux questions, il dit être davantage préoccupé par son installation à Barcelone, son déménagement et la scolarité de ses enfants. Il faut rendre hommage à la patience sans faille du présentateur, Pascal Jourdana, qui, professionnel, sétait ingurgité les 900 pages pour en tirer un débat qui aurait pu être intéressant si les réponses lavaient été. Mais, pour cet auteur peu bavard, les jeux sont faits : son livre est un succès avant dêtre lu et se vend comme des petits pains bénis par lIntelligentsia parisienne.
Le Nouvel observateur lui avait déjà consacré les honneurs en Août dernier avec un bandeau en première page : « Le premier roman de Jonathan Littell, attention Chef duvre » et quatre pages avec photographie de star, sous la plume de Jérôme GARCIN. Comme cela ne suffisait pas, on y ajoute un article de Frédéric Hernandez ( qui évoque tout de même quelques points de polèmique), pendant que, dans un petit encart, Jacques Nerson siffle avec arrogance Laurent Gaudé (Goncourt 2004) dans le style « Gaudé écrit à la truelle » ou bien « Souffrirait-il de ce trouble obsessionnel compulsif, la palilalie ; besoin incoercible de répéter ses phrases ». Cela sent le règlement de comptes bête et méchant car le dernier ouvrage de Gaudé, « El Dorado », est un beau livre sur un sujet dactualité : lémigration africaine.
Jacques Nerson devrait relire larticle de son confrère Jérôme Garcin et y relevait les couches successives déloges à coups de truelle jusquà lemphase, les réponses faites pour lauteur qui ne dit rien, lanalyse psychologique un peu merdique du héros, lorsquil écrit : « Ce nest pas quil ait mauvaise conscience, ô non, cest simplement quil éprouve le besoin intestinal de se décharger. Il a passé la guerre à vomir ses tripes devant les charniers, il lutte aujourdhui contre la constipation ». Est-ce un message subliminal en direction du public ? Qui le sait ?
Dans cet article, notre nouvelle coqueluche littéraire nous donne, lorsquil parle, limage dun enfant gâté. Il dit notamment : « Les Etats-Unis manquent follement de charme. Et je ne supporte pas de ne pas pouvoir fumer en buvant mon whisky, ou de ne pas pouvoir boire en fumant mon cigarillo ». Palilalie géniale, aurait peut-être écrit un autre Nerson. Ensuite, Jérôme Garcin nous explique que Jonathan LITTELL a choisi la nationalité française qui lui est refusée par « des ronds-de-cuir coupés du monde en marche par des murs de paperasserie. Il veut être Français, si lêtre, ce nest pas dire non à lEurope. Attention à ceux qui ont dit non, ils vont priver la France dun génie littéraire qui, en fin darticle, voudra bien dire quelques mots sur lAllemagne « qui a pris en charge sa culpabilité et su tirer un trait sur son passé le plus noir ( Dixit Garcin loco Littel) mais aussi sur lhistoire de France avec son passif : «
des mythes bricolés et une colonisation prédatrice, meurtrière, odieuse et jamais assumée ». Il ajoute : « Le pourrissement de la vie politique française découle de ces apories et de ces contradictions intenables. Regardez les Anglais: ils ont décolonisé avec une certaine élégance et tourné la page pour devenir une nation moderne, pluriculturelle, dynamique, ouverte, riches de toutes ses diversités
» . Et notre journaliste de conclure : « Cest au rang décrivain français que Jonathan Littell aspire. Avec « Les bienveillantes », son magistral premier livre, il lest ».
Est-ce que, coup de théâtre prémédité, le prix Goncourt pourrait être attribué à un Américain, cette année ? La question finalement de la nationalité de lauteur ne se pose pas puisque, en général, cest léditeur qui obtient le prix, à quelques exceptions prés. Donc ! Pour ce coup dédition, bravo Gallimard spécialiste du best - seller.
Pour notre part et malgré la réponse itérative de lauteur « américain » à certaines questions (manque de recul sur sa propre expérience et son ouvrage), nous nous demandons encore : Pourquoi choisir un SS, nazi de la guerre 1939-45, alors que Jonathan Littell a « roulé sa bosse, parcouru le monde, nourri des affamés, essuyé des tirs de mortier
et saisi par la fièvre humanitaire, diriger des missions en Bosnie, au Nord Caucase, en Afghanistan, en Chine, en Afrique, à Sarajevo et à Mostar ( pendant la guerre), à Grozny lors de la rébellion tchétchène, à Kaboul, au Rwanda, au Tadjikistan, et en Guinée ». Pourquoi a-t-il choisi une époque vécue par son père Robert, au lieu de se servir de sa propre expérience ?
Se référant notamment à louvrage sur les bourreaux ordinaires de Browning, il aborde la question sous un angle qui pourrait laisser penser que, finalement, les Nazis étaient des gens « ordinaires », souvent cultivés et raffinés, lorsquil sagissait dofficiers SS (une caricature déjà utilisée au cinéma). Le plus pernicieux dans cet ouvrage, cest de dire que les Nazis étaient, en majorité issus des classes moyennes (petits employés de préférence) et den déduire que ce sont les conditions économiques et politiques de lAllemagne Hitlérienne qui ont transformé ces petites gens étriqués dans leur vie « ordinaire » en bourreaux au service dune idéologie dominatrice. Lidéologie nazie se serait servie deux pour sen débarrasser après quils aient été psychologiquement détruits par les actes barbares quon leur imposait de commettre. Les idéologues nazis auraient voulu fabriquer des bourreaux insensibles, froids au point de tuer sans remord, sans mémoire. On esquisse le portrait du « bourreau victime » qui sommeille en chacun de nous ( gens ordinaires ), se réveille si les circonstances lexigent, tuent, massacrent, « génocident » et restent humains.
Max Aue, bourreau nazi, est né en Alsace, de mère française et de père poméranien. Il a fait ses études de droit et déconomie politique en Allemagne. Il est cultivé. Il a lu les philosophes grecques mais aussi Kant, Flaubert
avant dêtre envoyé sur le front de lEst. Il fait une carrière militaire chez les SS où il atteint le grade de Lieutenant-colonnel. Un héros nazi , aux mains sales, qui se raconte avec froideur et ne renie pas son passé génocidaire. Un monstre humain .Son récit à la première personne « Je » nest dicté que par le besoin de se raconter. Je du destin ou Je de dupe ? Je de vérité ou Je de manipulation ?
On sinterroge aussi sur la raison pour laquelle lauteur ne peut donner sa propre analyse de la partie romanesque de son ouvrage ? Pour laisser sa liberté au lecteur, dit-il. Un peu court pour un débat accepté et un opus de 900 pages, fruit dune démarche personnelle et dune profonde réflexion. A dautres questions, il répond quil sagit de questions de forme, point final. Et puis, réponse ultime : tout est écrit dans mon livre ! Nous avons enregistré lintégralité du débat littéraire de Manosque consacré à Jonathan Littell le 23 septembre dernier et prendrons peut-être le temps de le retranscrire pour le publier en parallèle avec certains passage de larticle de Jérôme Garcin.
En attendant, malgré la pression médiatique, je nai pas acheté « Les bienveillantes » : titre, comme chacun lignore, tiré de la mythologie grecque. Il sagissait de déesses persécutrices, vengeresses, hideuses quon nommait « bienveillantes » par crainte de prononcer leur nom « Erinyes » ou « Euménides » et dattirer ainsi leur attention. Finalement , les « bienveillantes » du Nouvel Obs ont réveillé les Euménides de « ÏLE NOIRE », blog habituellement non agressif.
Jonathan Littell « accueille les compliments sans broncher ». Il a 39 ans et il en parait 25 (à croire que ses missions humanitaires ne lont pas trop éprouvé). Il na pas lu Kant, ni Hegel (pour ce dernier au point de ne pas se souvenir quil le cite dans son ouvrage). Il aurait vécu sa jeunesse dans la région de Cannes et, après un bac passé au Lycée Fénelon de Paris, il est allé poursuivre ses études à lUniversité de Yale aux Etats-Unis ( sur lArt et la littérature française)
. Et, quon se le dise, « il nest pas devenu écrivain pour entrer dans le monde littéraire, qui lindiffère », dixit Jérôme Garcin qui ajoute : « Il a trop roulé sa bosse, parcouru le monde, nourri les affamés, essuyer des tirs de mortier, pour trouver de lintérêt aux petites stratégies parisiennes. Dailleurs, en pleine rentrée littéraire de septembre, cet Américain, qui a habité Moscou et Istanbul vivra à Barcelone, où il a emménagé cet été avec sa femme belge et ses deux enfants». Erreur ! Il était à Manosque le 23 septembre dernier pour sa promo. La belle indifférence ! Le désintéressement ! Nest-ce pas un peu trop, tout de même, lorsque lon lance une telle campagne publicitaire ?
Bienveillante ! Une certaine presse, gardienne de nouvelles dynasties et distributrice de prix avant lheure, lest avec les fils et les filles de
Et cette bienveillance saccompagne souvent dune certaine arrogance pour les autres. Bien entendu, ce livre mérite dêtre lu, à moins que vous ayez déjà lu tous les auteurs qui le nourrissent. Pour ma part, jattends quon me le prête ou quon men fasse cadeau.
Le Samedi 23 septembre dernier, il y avait dautres jeunes auteurs de talent aux « Correspondances de Manosque » et, surtout, beaucoup plus loquaces lorsquon leur demande de parler de leurs écrits. Ils nous ont donné envie de les lire. Il sagit de romans moins ambitieux comme « Les doigts écorchés » de Sylvie Robic, « Labsolue perfection du crime » de Tanguy Viel... Nous avons aussi assisté à un débat débridé et plein dhumour : José Manuel Fajardo et son traducteur Claude Bleton présentaient un opus épicurien « Leau à la bouche », avec la complicité de Pascal Jourdana qui trouvait enfin des interlocuteurs au niveau de son talent de journaliste littéraire. Et puis, si vous passez par Manosque, Jean Giono, des peintres et des poètes y sont des étoiles permanentes. Une très belle exposition sur le peintre Lucien Jacques vous y attend jusquau 22 octobre 2006.