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Sans pitié, trilogie dans la BD
« Le soleil est tragique lorsquil tombe ainsi sans pitié. » Jean Giono
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Marseille, son mistral et son soleil radieux !... Vision solsticiale de la ville phocéenne où, à son Zénith, le soleil laisse les êtres sans ombres. Un poncif sur Marseille que lon oublie dès que lon plonge dans le premier tome de lAlbum « Sans pitié » intitulé « Mistral noir ».
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Sur la couverture, un homme descend des marches. Son visage et une silhouette en haut du long escalier sont dans lombre
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De quoi évoquer quelques vers de Louis Brauquier :
« Lhomme invisible qui prend une ombre en filature,<o:p></o:p>
Et narrête à la fin que son complice obscur,<o:p></o:p>
Coups de feu échangés, et lombre tombe morte »
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En première page, un ballez piétine devant un arrêt dautobus, les mains dans son blouson de cuir, col relevé, jean, Rangers, bonnet de marin vissé sur la tête, visage typé, menton carré, pommettes saillantes. Noir cest noir, on retrouve le nervi blessé, dans un local vétuste de société fantôme. La lumière de la Lune sétire comme des rails sur le sol. Une lampe fait un halo blafard sur lhomme. Les jambes croisées, il est allongé sur un matelas jeté dans un coin qui côtoie une valise et un fusil mitrailleur
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Plus noir que noir, le livre entre ses mains : Deuil dans le coton* de Jim Thomson*. Le regard fixe et brillant, il sest arrêté sur une phrase : « Ma tête était douloureuse et mes yeux me brûlaient. Jessayai de réfléchir de décider ce que jallais faire ». Des images lui reviennent à lesprit : des flashes dopérations guerrières et un homme âgé assis sur un fauteuil roulant quil pousse vers la sortie dans un hall presque désert. Suit une vue nocturne de Marseille prise dun toit du boulevard de la liberté, avec en premier plan lEglise des Réformés. A la gauche (a sinistra) du dessin, lombre de la Bonne mère est présente mais ce ne sont pas des personnages Pagnolesques qui occuperont le premier plan.
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Manu, avec son tee shirt « No pasara » chante « Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés cest moi quon coupe et cest pas moi quon met... Sa petite amie Nawel, beauté à la peau basanée et look de cagole, tient le comptoir dun bar populaire et cosmopolite. La sur de Manu, Axelle, est une toxicomane qui est tombée entre les sales pattes de la maffia. Lui, il na plus envie de travailler sur les chantiers et ambitionne dêtre ingénieur du son. En attendant, il glande et, pour protéger sa sur, fait partie dune bande de dealers avec Frak , chef et organisateur dune rave partie* à Fos sur mer mais aussi Vince et sa coiffure rasta qui, tout en livrant la came et semant la police au volant dune grosse cylindrée, rêve dêtre le boss et se fait des lignes de poudre blanche sur sa « carte vitale »
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Les auteurs nous sortent de notre train-train quotidien et nous propulsent dans un univers où les rails de coke tracent des lignes de vie tragiques et dautant plus brèves quelles croisent des caïds, gros trafiquants dune maffia qui a infiltré la police. Dans ce monde interlope, une rave partie devient la kermesse noire de la dope et le champ de manigances mortelles. Notre nervi énigmatique y brise la nuque de Vince et fait un sourire kabyle à José, gros ventre qui joue les gros bras. Manu, lui, sest défoncé à la limite de loverdose et se réveille couvert de sang, près des deux cadavres, avant déchapper à la police conduite par Campanella, un ripou. Au petit matin, dans une chambre, laccalmie de deux corps jeunes dénudés, ceux de Manu et Nawel, et au réveil, langoisse... Les cauchemars de la nuit deviennent réalités. Une tempête a délavé le Vieux port et mis tout sans dessus dessous. Le tueur passe devant la Brasserie La Samaritaine, puis, impassible, sattable à la terrasse du Grand Comptoir de Paris, une oreillette indiscrète à loreille droite Qui est-il et qui sera sa prochaine victime ? A la fin, notre tueur énigmatique referme le roman de Jim Thomson, sur la phrase : « Parce que je savais que la seule chose au monde que je désirais vraiment serait actuellement une erreur.. » La mort violente est une cruelle banalité mise en poème par Louis Brauquier, avec justesse et, comme Izzo, jai un faible pour ce grand poète de Marseille.
« Dans une rue passe un vivant<o:p></o:p>
Avec tout son sang dedans.<o:p></o:p>
Soudain le voilà mort<o:p></o:p>
Et tout son sang est dehors »
Le spectacle continue jeu dombres entre victimes et tueurs. Point de longues tirades qui nuiraient à la vision filmique dun thriller rythmé. Les scènes daction se suffisent à elles-mêmes. Aucun commentaire superflu ne vient rompre la vision des images et le réalisme des dialogues.
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Le deuxième tome est sorti sous le titre « Coupe franche » et cest Manu qui est à laffiche Rappelez-vous sa chanson au début de Mistral noir « Je suis de la mauvaise herbe Cest pas moi quon coupe et cest pas moi quon met ». Dans Mistral noir, on peut vous le dire, Manu a été enlevé et, séquestré, il passe un sale moment. La surprise vient de celui qui le libère. Que va-t-il lui arriver dans « Coupe franche ». On va en savoir un peu plus sur le tueur solitaire. Que fait la police ? Linspecteur Cohen mène lenquête face à son collègue Campanella. Le Bien remportera-t-il son combat contre le Mal. Peut-être les deux sont-ils tellement imbriqués que, à la fin, il ny aura que des perdants. Nous attendons le troisième tome et lépilogue. Doit-on sattendre à une « happy end » ? Peu probable lorsquon revient au titre « Sans pitié » A moins quil ne soit la fausse piste dune histoire qui se terminera bien sous le soleil radieux de Marseille. A vous de découvrir cet album de BD dont les deux premiers volets sont réussis.
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Que sont les raves parties ? Avec les free parties, ce sont des rassemblements festifs à caractère musical, pouvant durer plusieurs jours au cours desquels on diffuse de la musique techno et où, parfois, circulent toutes sortes de produits illicites. Elles sont réglementées depuis la loi du 15 novembre 2001, ont fait lobjet dun premier décret du 3 mai 2002 prévoyant une déclaration préalable en Préfecture à partir de 250 participants puis dune décret plus récent du 21 mars 2006 relevant le nombre à 500. Cet ajustement est du au fait , après les rassemblements de type « Teknival » qui rassemblaient jusquà 40.000 raveurs, les chiffres des fréquentation nont cessé de baisser passant de 712 en 2001 à 208 en 20005, la majeure parties des manifestations étant donc passé à moins de 500 participants. Des médiateurs préfectoraux ont été mis en place pour ce fait de société et les Préfectures ont été appelées à recenser les terrains pouvant accueillir ces rassemblements.
Didier Daeninckx a écrit la préface de « Sans pitié » et reconnaît que « pendant des décennies, il nétait de bons crimes quà Paris La province, (comme sil ny en avait quune), était réduite à quelques accents, à quelques folklores ... Pourtant, de Casério jusquau massacre du Bar du téléphone en passant par Carbone et Spirito, le sang de la rubrique des faits divers coulait à flots sur la Canebière. Il a fallu attendre que René Merle et Jean-Claude Izzo se penchent pour y remplir les réservoirs de leurs stylos, bientôt suivis par une cohorte darpenteurs du réel »
Daccord pour Merle et Izzo, mais il ne faudrait pas oublier Philippe Carrese et des précurseurs comme Pierre Yrondy et Jean - Toussaint Samat (voir notre article du 4/7/2006 à 19 :26).
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Le roman « Deuil dans le coton » (titre original : Croppers Cabin) est sorti en 1952. Le premier roman de Jim Thomson est Now et Earth (1942), traduction littérale « Maintenant et ici-bas » ayant donné le titre « Ici et maintenant ».
Jim Thomson a été découvert en France avec la parution de son roman « 1275 âmes », n°1000 de la Série noire (titre original : Pop 1280 et adaptation cinématographique de Tavernier dans « coup de torchon »).Plusieurs de ses romans, alors quil est mort dans lindifférence aux Etats Unis, ont été adaptés au cinéma. En France, on peut citer aussi « Série noire » dAlain Corneau.
Cet auteur texan a été comparé à Céline et avait une vision apocalyptique du monde. Il a raconté sa vie dans Bad boy (1953). Il a travaillé avec Stanley Kubrick pour « Ultime razzia » et pour « Les sentiers de la gloire » (1955). On le voit apparaître dans le film « Farewell My Lovely » de Dick Richard qui lui a donné le rôle dun juge trompé par son épouse. Il a écrit dans les Pulps doù ont émergé les premiers auteurs du hard-boiled qui ont inspiré le genre noire en France et « les arpenteurs du réel » auxquels fait allusion Daeninckx, quils soient de Marseille ou dailleurs.
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Au Parc Chanot, lors de lévénement « Lire en fête », dimanche 14 octobre, larpenteur Pascal Génot navait pas assez dencre dans le réservoir de son stylo pour dédicacer les deux premiers tomes de « Sans pitié ». Il y avait foule et les albums sentassaient en attente des dédicaces trop nombreuses à donner. Un franc succès ! Pascal Génot est né à Bastia en 1975. Diplômé détudes cinématographiques, il a écrit un ouvrage : « La Corse au regard des films amateurs ». Nous lui avons soumis cinq questions
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1°/ Comment s'est formée et a fonctionné l'équipe de la trilogie?
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Bruno Pradelle, co-scénariste et coloriste de la série, est un ami de longue date, originaire comme moi de lAlta Rocca. En 1998, nous avions élaboré une première version du projet qui navait pas retenu lattention des éditeurs. En 2000, dans un studio de dessin animé marseillais, Bruno a rencontré le dessinateur Olivier Thomas. Après « Arvandor », une série dheroic-fantasy où Bruno faisait déjà les couleurs, Olivier souhaitait évoluer vers un genre
plus réaliste, plus contemporain. Il nous a proposé de reprendre le projet « Sans pitié » : léquipe était formée, et en 2004 nous avons signé avec les éditions EP. Depuis, nous travaillons par un aller-retour critique permanent : Bruno et moi faisons un premier travail décriture que nous soumettons à Olivier, puis nous établissons un synopsis très détaillé à partir duquel nous rédigeons le scénario séquence par séquence tandis quOlivier travaille un premier story-board que nous corrigeons tous ensemble. Une fois cette étape validée pour la moitié dun tome, les dialogues sont remaniés et Olivier dessine les premières planches pendant que nous terminons le scénario en tenant compte des éventuels changements opérés en amont. Nous maîtrisons lintégralité de la chaîne de création, ce qui nous permet dapporter des améliorations jusquau dernier moment de la mise en couleur. Bref, cest un vrai travail déquipe.<o:p> </o:p>
2°/ Dans le premier tome "Mistral noir", on trouve tout ce que Marseille peut évoquer de noir: bandes de jeunes désoeuvrés, caïds de la drogue, flics ripoux... Pour noircir davantage le scénario, un nervi énigmatique lit "Deuil dans le coton" de Jim Thomson et traîne ses souvenirs de la guerre d'Algérie qui n'a pas encore refermé ses plaies. Pourquoi avoir sorti, comme un fantôme, des archives algériennes et des conflits Tchadiens, cet
ancien légionnaire harki, personnage noir d'une fiction qui va crescendo?<o:p> </o:p>
Dès le départ, nous souhaitions que les motivations de lintrigue trouvent leurs origines dans lhistoire collective. Nous voulions ainsi illustrer les répercussions des conflits et des ruptures que connaissent les peuples et les nations, comme une onde de choc qui se propage au fil des générations. La guerre dAlgérie nous paraissait exemplaire de ce phénomène et depuis lactualité na eu de cesse de le confirmer. Le personnage de Ravel, cet
ancien légionnaire harki, est donc en quelque sorte à la fois le symbole et le vecteur de cette onde de choc historique. En ce sens, nous sommes proches de la tradition du polar français où les sources de conflits individuels sont souvent sociologiques et historiques.<o:p> </o:p>
3°/ Le deuxième tome "Coupe franche" confirme le rôle du nervi mystérieux et celui de Manu, jeune paumé qui arbore sur son torse le slogan "No pasaran". Que pouvez-vous nous dire de Manu, personnage central qui se débat au milieu des manigances mortelles?
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Si Ravel est le vecteur de cette violence historique à laquelle je viens de faire allusion, Manu témoigne du rapport à lhistoire dune génération qui na pas pris directement part au conflit franco-algérien, mais qui ne peut pas pour autant faire comme si cela navait jamais été. Malgré lui, Manu est concerné et il va devoir assumer sa propre place dans cette histoire. Pour autant, « Sans pitié » nest pas une bande dessinée sur la guerre dAlgérie. Disons quil sagit darticuler le lien entre deux citations : lune de lhistorien Marc Bloch qui disait que « les hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères », lautre du cinéaste Pier Paolo Pasolini qui pensait que « lhistoire, cest la passion des fils de comprendre les pères ».
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4°/ Voulez-vous nous dire quelques mots sur "Deuil dans le coton" et son auteur surnommé en France le "Céline Texan" ?
Jim Thomson est lun de nos auteurs favoris, dont nous apprécions la noirceur et lhumanité. Avec des écrivains français comme Manchette ou Daeninckx, Thompson est lune de nos principales influences. Introduire le récit par une scène où Ravel lit « Deuil dans le coton » nous permettait dancrer demblée notre histoire dans une référence explicite au noir. Le choix précis de ce roman tient aux rapports conflictuels de son personnage
principal avec son père adoptif, rapports qui présentent des similitudes avec la situation du personnage de Ravel et qui seront développés dans le denier volet de la trilogie, « Table rase ». Il y a ainsi plusieurs allusions littéraires ou cinématographiques dans « Sans pitié », dont le titre provient dailleurs dune phrase de Jean Giono : « Le soleil est tragique lorsquil tombe ainsi sans pitié. »<o:p> </o:p>
5°/ Vous êtes né à Bastia. Vous êtes diplômé en Etudes cinématographiques à l'Université de Provence. Vous avez écrit un ouvrage intitulé "La Corse au regard du film amateur". Quel regard portez-vous sur la Corse, terre de romans noirs?
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Javoue mieux connaître, de par mes travaux de recherches, la représentation de la Corse au cinéma que dans la littérature. Cependant, ce qui vaut pour le cinéma me semble lêtre pour le roman, dautant plus que lhéritage du romantisme français (dont Mérimée est avec « Colomba » le principal représentant) sest transmis aux films dès les premiers temps du cinéma et perdure encore de nos jours. Le sujet est complexe, car il fait appel au
réel comme à la fiction. Dun côté, il y a la réalité socio-historique, à savoir que la Corse est marquée par la violence et que certains corses ont joués un rôle de premier plan dans le milieu français. Dun autre côté, il y a lusage récurent dans les fictions de la figure du « bandit corse », depuis le bandit dhonneur au nationaliste clandestin daujourdhui, en passant par le voyou des grandes villes comme Paris ou Marseille. Cette
systématicité dans la représentation contribue à produire une image de la Corse comme un autre déviant, à qui lon rappelle sans cesse que sa nature est prétendument violente. Ce stéréotype devrait être remanié, travaillé avec les moyens du roman noir, mais il faut reconnaître, me semble-t-il, que la Corse ne connaît pas encore son Jean-Claude Izo ou son Didier Daeninckx. La Corse comme « terre de romans noirs » ne me semble pas avoir livré tous ses fruits : le noir est un genre où les Corses peuvent encore largement travailler leur propre image. Néanmoins, des écrivains comme Jérôme Ferrari ou Marc Biancarelli me paraissent faire une part de ce travail, même sils nécrivent pas des romans noirs au sens usuel du genre.<o:p></o:p><o:p> </o:p>