• Sanguine, roman de Jean-Pierre Santini

    sanguine_uneNous avons lu le roman « Sanguine » de Jean-Pierre Santini et nous avons trouvé un commentaire pertinent d’une lectrice. Nous vous le livrons : « Oui! le personnage du dernier roman de JP Santini est bien un cérébral! En effet, la tête, y tient une place fondamentale mais pas que...sans jeu de mot grivois car il s'agit d'un récit érotique "crépusculaire" (voire policier dans les dernières pages) dans lequel le narrateur fait un grand ménage allégorique afin de se retrouver in fine avec sa solitude et surtout son amour premier , celui qu'il porte pour celle qui l'a conçu. Les plus belles pages de ce roman sont à mes yeux celles qui concernent sa mère avec le petit carnet bleu ainsi que la page finale dans laquelle l'auteur qui maitrise avec aisance l'art de la métaphore nous offre deux magnifiques images d'amour maternel, dans l'excipit. Ses derniers mots, comme une injonction que l'on pourrait/ devrait faire sienne.... Auparavant JP Santini nous traîne dans une aventure amoureuse charnelle mais aussi duelle, le duo féminin Nathalie-Suzanne n'étant à mes yeux que son propre reflet dans un miroir virtuel où il se condamne à une sorte de no life alors que " Dehors, il faisait beau"... On pourrait développer encore de nombreuses symboliques et philosopher sur l'être et l'avoir à partir de "Sanguine", comme nous invite d'emblée le titre lui- même. Ainsi, avec ses différents niveaux de lecture, ce récit se lit avec intérêt de la première à la dernière page. Les pages de capture de la souris ainsi que celles sur les objets usuels et le ménage devraient faire date ! »

    Pour les lectrices et lecteurs (de JP Santini) qui ont lu Nimu, Ultimu et Commando FNLC, il semble qu’il y ait un fil entre ces romans et « Le sentier lumineux » signé par Andria Costa. Le fil visible est le personnage d’un Corse qui, de passion politique en passion amoureuse, entre peu à peu en solitude dans une Corse crépusculaire. Et il y a un autre fil invisible entre « Le sentier lumineux » et « Sanguine » : les amours clandestines.

    Dans « Le sentier lumineux », Samuel Romani, personnage récurrent présent dans l’Ultimu et commando FNLC, évolue entre les amours cachées et les opérations politiques secrètes. Les amours cachées, c’est Jade, personnage d’une passion amoureuse en marge de l’engagement politique et d’une lutte nationaliste toujours larvée dans une Corse en proie à ses démons. Dans « Sanguine », le militantisme politique est mis de côté. Nathalie est le personnage central de la narration. Elle vient à la peinture après avoir essayé d’autres occupations salutaires pour cette femme qui veut vivre intensément. Artiste dans l’âme, elle choisit d’apprendre la technique des Sanguines et son apprentissage se fait sur le nu. Le couple, nous le découvrons par le narrateur dans le rôle de l’amant qui, contrairement à Samuel, ne parle que d’amour. Il s’agit donc de son vécu d’homme ayant dépassé la soixantaine et qui entretient  une passion avec la belle Nathalie  qui sait se faire désirer. Elle est mariée et, comme Jade, ne se décide jamais à quitter son mari. On se demande, au fil de notre lecture, si le narrateur croit en cette passion ou fait semblant d’y croire, s’il y a cru et fini par ne plus y croire, ou encore feint de ne plus y croire mais veut encore y croire. Il donne l’impression d’évaluer la valeur sentimentale qu’il peut encore donner aux choses et aux êtres. S’agit-il d’une attirance purement charnelle et du réel projet d’un bonheur à deux ? Est-il réellement jaloux du mari ? Ses soupçons sont-ils fondés en ce qui concerne le professeur de dessin qui enseigne les Sanguines à Nathalie ? Un jour, il décide de faire un grand ménage dans sa maison et c’est de cela dont parle la lectrice dans son commentaire. Il a commencé par la cuisine et  nous avons pensé à un ouvrage de François Dagognet : « Les Dieux sont dans la cuisine : philosophie des objets et objets de la philosophie »  (Le Plessis-Robinson : Synthélabo, 1996. - Les empêcheurs de penser en rond).

    Des couverts, des assiettes, des verres, une louche, une passoire, des torchons, des serviettes, trois casseroles, une poêle, un seau en plastique bleu, une serpillère… Jean-Pierre Santini nous dresse un inventaire à la Prévert des accumulations que l’on trouve dans toutes les cuisines. Il en arrive ensuite à une brosse à dent électrique que le narrateur n’utilise plus, faute de brossettes adéquates qu’il n’a plus commandées. Il se dit alors et nous dit : «  Certes le sourire est plus éclatant qu’avec un brossage à la main, mais, comme je suis seul la plupart du temps, je ne souris presque jamais, sauf là, imperceptiblement quand j’ai déposé l’objet futile au fond d’un sac-poubelle. Pris d’une sorte de frénésie, je me suis aussi débarrassé de la louche (je ne consomme jamais de soupe), de sept couverts sur dix, de cinq assiettes sur huit et de huit verres sur douze (Je ne reçois jamais personne)… » Solitude et organisation du quotidien, mais aussi l’occasion de remettre en ordre le passé lorsque le rangement concerne des photographies. Inévitablement le spectre de la mort règne dans « ce monde immobile, baroque et poussiéreux ».

    Les objets ont, pour point commun, de répondre à un usage, généralement humain et de ne pas être vivants. Ils ont une valeur financière et parfois affective, voire esthétique comme les photos et les Sanguines. Le narrateur, contrairement à un roman de Georges Perec (Les Choses) ne veut pas, semble-t-il, que les objets prennent trop d’importance.  « L’ennui vient de l’excès d’attention qu’on leur porte », dit-il lorsqu’il s’interroge sur l’être et l’avoir. En serait-il de même pour Nathalie ? Prend-elle trop d’importance comme lui suggère une amie bonifacienne, Suzanne, avec qui il entretient une relation platonique à distance ou du moins « inaboutie ».

    Peut-on faire le ménage dans sa vie amoureuse comme dans sa cuisine ? L’amour serait  un jeu « à qui supplantera l’autre » ? Qui serait alors l’objet sexuel ? La femme ou l’homme ? Les deux ? Le narrateur doit se poser toutes ces questions lorsque Nathalie le dessine par morceaux avec un gros plan sur son sexe, pièce maîtresse du puzzle corporel qu’elle emporte chez elle. Elle ne lui laisse que sa tête, à Lui, le cérébral en conflit avec son âme d’esthète qui veut profiter du simple et du beau. Jean-Pierre Santini ne boude pas l’allégorie et la métaphore dans « Sanguine » et c’est tant mieux pour que la lecture ne soit pas passive. L’auteur force le lecteur à pendre partie en interprétant des dires mais aussi des signes et des non-dits.

    L’univers tient assemblé alors que tout en lui est disparate. On se demande comment les choses tiennent entre elles. Il en est de même pour les humains. Comment deux êtres peuvent-ils s’assembler, se mêler alors que tout les sépare et les en empêche, en premier lieu eux-mêmes ? Le narrateur n’a pas de colle ontologique pour assembler son univers avec Nathalie qui a organisé le sien et qui est « sans doute un peu volage ». Il souffre de cet amour tronqué, vécu par intermittence. Il veut rester lucide, même si, comme le dit la 4ème de couverture, l’amour constitue un point de fuite inespéré dans sa solitude.  Dans un moment de ménage sentimental, il ne veut garder que le corps de Nathalie sur une photo découpée. Le souvenir d’un grand amour, pour lui, serait charnel, voire esthétique mais aurait perdu sa valeur sentimentale. Parfois, qui trop embrasse mal étreint, comme le dit le proverbe. Nous ne raconterons pas l’épisode de la souris et la référence à Steinbeck.  Nous vous le laissons découvrir. En filagramme dans le récit, le narrateur a sans aucun doute une souffrance qui le ramène à sa mère et à la mort de son père. « Les plus belles pages de ce roman sont à mes yeux celles qui concernent sa mère avec le petit carnet bleu ainsi que la page finale dans laquelle l'auteur qui maitrise avec aisance l'art de la métaphore nous offre deux magnifiques images d'amour maternel, dans l'excipit ». C’est aussi notre avis.

    Comme l’a compris la lectrice évoquée, Sanguine est un ouvrage à plusieurs niveaux de lecture, y compris celui philosophique. Jean-Pierre Santini doit se souvenir avec émotion d’un lecteur assidu, professeur de philosophie.  Jean-Claude Loueilh est décédé le 19 novembre 2011 mais, vivant, aurait-il sans doute commenté son roman comme il l’a fait dans le passé ? Il aurait su résumer le récit et peut-être lui trouver un prolongement prophétique vers un chaos guidé par l'Amour Fou et une passion effrénée pour la Vie.

    Dans « Sanguine », on trouve aussi une part d’imaginaire, de magie qui échappe à la raison et aux sciences pour ceux qui croient aux envoutements plutôt qu’aux coïncidences. Peut-il y avoir une correspondance secrète entre les objets et la vie ? La fin laisse cette part au lecteur lorsque le modèle nu dessiné par Nathalie, un SDF, est découvert mort. Nous n’irons pas plus loin pour ne pas déflorer l’histoire et empêcher le futur lecteur de faire librement son propre commentaire. On peut rajouter que, dans le roman précédent « Le Sentier lumineux »,  Samuel Romani, cet homme sans espérance, arrivé en fin de jeunesse car il ne croit plus au renouveau des jours, prépare et rumine sa fin, qui coïncide avec la fin de son aventure avec Jade, son dernier amour. Revenu à Imiza, l’endroit où il a sa maison et ses racines, Samuel tente de retrouver les souvenirs du bonheur, mais en vain. Jade, une femme mariée, n’a pu se libérer des chaînes conjugales, elle lui a laissé, dérisoire signe de présence, ou preuve irréfutable de l’absence, un numéro de téléphone portable qui ne répond plus. En est-il de même pour le narrateur dans Sanguine ? Renoncera-t-il à son point de fuite qu’est l’Amour ?

    Jean-Pierre Santini aime mêler les genres littéraires, Il nous a livré un « journal intime » érotique, psychanalytique, philosophique et surtout humain. Comme il le termine dans l’atmosphère noir du polar, nous citerons Simenon en disant que « reste la matière vivante, reste l’homme tout nu et tout habillé, l’homme de partout ou l’homme de quelque part ».

    Voici la 4ème de couverture, qui vous propose une présentation officielle mais courte d’un ouvrage dense…

    sanguibn_4Dans la solitude d’un village de Corse, alors que l’heure de la retraite a sonné et que la vie, nonchalante, se partage entre activités intellectuelles, remise en ordre du passé et organisation du quotidien, l’amour constitue un point de fuite inespéré. La femme qui l’a suscité incarne une dernière chance de bonheur dans l’existence du narrateur. Elle est son «â€¯beau souci » et sait se faire désirer.

    Nathalie a une âme d’artiste. Lui, d’esthète.

    Elle veut vivre intensément, de tous ses pores, quitte à tromper son mari. Lui, lucide plus que désabusé, veut désormais profiter du simple et du beau… et l’ambiguïté de leur relation lui pèse.

    Sanguine, elle l’est. Désirante et obstinée. Sans doute un peu volage. Lui, le cérébral, sait bien que le destin des amours clandestines est de finir un jour… Cinq ans déjà ont passé depuis leur première rencontre. Rien ne poudroie plus au loin, il l’a compris.

    Mais l’amour…?

    Difrade

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