• Le roman crépusculaire d'Hervé Sard

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    Le titre est, semble-t-il, un clin d’œil à l’œuvre de Wagner « Le crépuscule des dieux », cette tragédie lyrique noire qui dénonce tout ce qu'a d'inhumain l'humanité moderne. Hervé Sard a écrit un roman crépusculaire. Des meurtres en série ont été commis par un dingue. Luigi le balafré apparaît suspect, une évidence basée sur son passé criminel et sa condition de SDF. L’auteur nous fait découvrir un lieu qui apparaitra pour certains exotique et qui se trouve pourtant dans la région parisienne : « Cinq cents mètres carrés de friches appartenant à la SNCF, en bordure C du RER… Un sous-monde, une sorte de kolkhoze à la sauce va-nu-pieds ». A l’heure où le jour chasse le crépuscule, on aperçoit parfois, le long d’une ligne de train régional, ces îlots de refuges insalubres. Nous préfèrons le plus souvent ne pas attarder notre regard sur les êtres fantomatiques qui les habitent.

    Sur le Quai des Gueux, quelques citoyens d’un sous-monde ont mis en commun leur misère. « C’était l’enfer et le paradis ». Le paradis pour ces exclus, tombés du train social sur ce quai abandonné, parce qu’il est devenu leur radeau de la méduse. Toutefois galère rime avec enfer surtout lorsque la mort rode… « Les trois mortes, c’est sûr, elles n’étaient pas inventées ».

    Evariste Blond, flic maniaco-dépressif, ne croit pas aux suicides. Pour enquêter, il est assisté de Christelle, jeune stagiaire effrontée qui, à la demande de son chef, envoie son colocataire, une jeune Gothique, infiltrer le Quai des Gueux. Bocuse, Capo, Krishna, Betty Boop et Môme y survivent. Trois mortes moins deux têtes, le compte n’y est pas et ce drame perturbe leur cour des miracles. Luigi soupçonné est parti en empruntant le Bois des Tantes, lieu de perdition. Est-il le dingue ? S’agit-il vraiment de meurtres ou bien est-ce  une succession de suicides ? Loi des séries ou meurtres en série ? Soupçons et doutes alimentent le suspens jusqu’à l’épilogue. 

    Le style est alerte et plaisant. Le parler vrai offre sa dose jargonneuse. Le suspens est maintenu jusqu’au bout même si l’énigme apparaît comme le surfilage dramatique de la trame sociale. Les anecdotes y prennent toute leur place, fragments de vies faites de bouts de ficelles.

    Dans cet ouvrage bien construit, vous aimerez les personnages attachants, leur humanisme et celui de l’auteur qui ne nous donne pas la mort en spectacle. L’énigme du thriller sous-tend le récit mais le schéma romanesque se complique dans une peinture de mœurs et d’atmosphère. Le narrateur accompagne les événements. Il témoigne. Il est en empathie avec les personnages. Notre caméra intérieure peut alors enregistrer, imaginer et projeter ses propres images, celles que nos yeux ne voulaient pas regarder. Hervé Sard tend le miroir à cette humanité en souffrance. Il en explore les zones d’ombre. Fracture sociale. Il nous tend aussi le miroir… Vous avez dit culpabilité ?

    Ce roman noir ne se réduit pas à l’histoire qu’il raconte. Il est aussi « la vraie histoire de la vie réelle », pour reprendre une expression de Claude. Roy. Même si le romancier reste juge et partie, il est ici l’historien du présent. Tout en romançant, il ne nous  parle pas d’un monde qui n’existe pas. Les personnages sont ces oubliés, invisibles parce qu’on ne les regarde plus. Vous ne trouverez pas chez eux des héros parfaits ou d’autres héros de papier à classer dans une typologie policière. Ce sont des êtres humains, de chair et d’os.  L’humour n’étant pas exclu dans le drame humain (Sur ce point le test de la page 99 est réussi ainsi que les titres de chapitres), les SDF n’en sont pas dépourvus et restent des Humains. Ils sont simplement plus vulnérables, peut-être trop humains, surement pas inhumains. Quant à nous, lecteurs,  sans aucun doute devrions-nous nous montrer plus humains à leur égard pour que le jour chasse le crépuscule. Hervé Sard prend souvent cette ligne C du RER et, lorsqu’il le pouvait, s’arrêtait et allait à leur rencontre. Imaginé à partir de divers lieux squattés, le Quai des Gueux est devenu le Quai des gueux, ce décor habité par des personnages nés de contacts humains. L’auteur pousse à la réflexion nourrie par le regard de ces « gueux » sur la société, sur leurs semblables et sur eux-mêmes. Cet opus vise l’homme, la société.

    Encore un excellent roman noir aux Editions Krakoën…  Hervé Sard a su faire, vers les SDF,  le pas qu’il nous fait emboîter. «Au loin brillent les étoiles, qui nous attendent depuis le commencement de l’univers. Il est minuit, Dr Faust! » Nous évoluerons à travers la lecture, la discussion, l’éducation et l’art… et personne ne nous en empêchera.

    Après la lecture du Crépuscule des Gueux, nous avons eu une idée de dédicace. Nous avons choisi l’auteur des Misérables et un extrait de son poème « L’aube s’allume » (recueil Les chants du crépuscule) …

    Livre salutaire
    Où le cœur s’emplit !
    Où tout sage austère
    Travaille et pâlit !
    Dont le sens rebelle
    Parfois se révèle !
    Pythagore épèle
    Et Moïse lit !

    Hervé Sard parle de son roman à l’adresse ci-dessous :

    http://www.enviedecrire.com/sinspirer-du-reel-pour-ecrire-herve-sard/

    Hervé Sard est né en 1961. Ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon, il a débuté dans la coopération en Algérie. De retour en France, il a travaillé dans l’informatique avant de s’expatrier à nouveau en Hongrie. Ses séjours à l’Etranger ne lui ont laissé que de bons souvenirs.  Actuellement cadre dans une banque française (domaine de la sécurité), il vit en région parisienne. Auteur de romans et de nouvelles, il écrit depuis 2001. Il navigue entre polar et science fiction. Il aime toutefois le calme et les grands espaces des Alpes et des Pyrénées où il peut s’adonner aux joies de la randonnée. Le crépuscule des Gueux est son cinquième roman. Il administre un blog Polarmania.

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