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Harraga, les exilés sans retour...
Par
Difrade dans
Polar le
25 Mars 2008 à 21:59
Harraga ou "Ceux qui brûlent" sous-entendu leurs papiers d'identité:
Harraga, collection Latinoir Editions LEcailler du SudFévrier 2008 ISBN 978-2-35299-024-6 Antonio Lozano est le quatrième auteur de la collection Latinoir dont le directeur Jacques Aubergy veut maintenir un label de qualité défini par Paco Ignacio Taïbo II.
Quatre romans écrits par quatre auteurs de talent : pour nous qui les
avons lus, cest un sans faute car Harraga mérite votre lecture.Antonio Lozano,
né à Tanger en 1956, est professeur de français à Agüimes aux Canaries
où il dirige depuis 1988 un festival international consacré au conte et
à la créativité théâtrale. Il a été finaliste et lauréat de nombreux
prix littéraires dans son pays et a reçu, les éloges de Manuel Vázquez
Montalbán. Lauréat du prestigieux prix littéraire NOVELPOL, Harraga est
son premier roman.Le Colombien Nicolas Buenaventura Vidal, conteur, homme de théâtre et cinéaste, a écrit la préface. On peut y lire : « Cest
un livre fleuve, un livre transit, entre deux temps, deux mondes qui
ont un passé commun et qui malgré les distances interposées, malgré les
frontières, malgré les murs, sappartiennent, indéfectiblement ».
Et il explique que le récit de Khaled raconté par Antonio Lozano nest
pas autobiographique mais il aurait pu être le sien à un point tel que
la propre mère de lauteur, après avoir lu Harraga, parlait du héros
Khaled comme si elle parlait de son fils. Et Nicolas Buenaventura Vidal
commente en parlant de lauteur : « Ce que je trouve fascinant cest que ce livre a fait vivre ou revivre une vie autre que la sienne mais tout aussi réelle »Harraga
est un roman de lexil et du trouble de lidentité
Quel choix soffre
à ceux qui entrent clandestinement dans un pays où ils sont exploités
puis expulsés sans humanité ? A partir du jour où ils embarquent sur un
de ces rafiots affrétés par des criminels sans foi ni loi, ceux qui
survivent deviennent les éternels passagers clandestins de lhumanité,
condamnés à vivre en marge de cette humanité, soit dans la misère soit
dans la délinquance. Cest cette fatalité inexorable qui est prégnante.
Un extrait : « Cétait déjà trop tard pour eux. Leur argent
était dans les mains du marin qui me le remit enveloppé dans un papier
gris. Le paiement se faisait toujours à lavance. Largent ne voyageait
jamais dans le bateau. Eux seuls couraient le danger que représentaient
la mer et la police, mais jamais les billets qui servaient à payer leur
voyage. Pendant une demi-heure nous avons passé en revue tous les
gestes à faire, les précautions à prendre. Je me suis assuré quaucun
deux navait de papiers. Cétait des Harraga, ceux qui brûlent leurs
papiers didentité pour quitter le pays sans laisser de trace. Nous
leur avons expliqué que cétait pour les protéger. Comme ça, on ne
pourrait pas les renvoyer dans leur pays dorigine quils ne devraient
jamais avouer. En réalité, cétait une organisation qui tirait le
bénéfice de cette situation. Une fois quon les avait mis au travail,
ils nosaient plus sortir sans papiers ni abandonner leur travail, ou,
sil y en avait qui voulaient repartir, aller demander de laide au
consulat. » « JE FERME LES YEUX
» Khaled, héros et
narrateur, entre en scène par cette phrase car il est incarcéré à
Tanger. Il est sur sa paillasse et regarde le plafond de ce lieu où on
la enfermé ». Cest la même phrase qui marque les changements de
chapitre lorsque, métaphoriquement venus des fissures du plafond, les
souvenirs et les fantômes viennent hanter sa mémoire. Et chacune de ces
fissures est celle de la vie méprisable de Khaled qui, pour ce rêve
dEl Dorado commun aux pays pauvres, a choisi la porte du crime, celle
de ceux que son ami et corrupteur Hamid appelle «la famille ».
Traduisez la mafia. Comme le Harraga, le trafiquant dêtres humains
nest pas mettre de son destin. Il ne peut plus revenir sur ses pas.
Lorsque Khaled le réalise, il est trop tard car « un seul monde
existe avec pour uniques limites, la naissance et la mort. Cest dans
ce monde-là que nous devons chercher le bonheur et le sol où nous
mettions les pieds navait aucune importance». Harraga ( Ceux qui brûlent),
cest le mot qui désigne au Maroc, ceux qui mettent le feu à leurs
papiers avant dentreprendre le grand voyage. Khaled, un jeune garçon
de café du Café de Paris à Tanger, rêve de terres plus heureuses. Il
part à leur recherche, guidé par un ami établi à Grenade, et son
périple lamène à naviguer dans des courants deaux troubles quil ne
pourra jamais remonter. Dans lengrenage criminel, la prise de
conscience ne pousse pas à la rédemption mais à la vengeance. Khaled
est un héros dune littérature noire dans laquelle le manichéisme se
fissure comme le plafond de sa cellule. Entre allers et
retours dune rive à lautre, trafic de drogues et dêtre humains, le
talent dun écrivain se révèle en même temps que la radiographie
implacable des réseaux de la corruption et des mafias dans les deux
pays du Détroit de Gibraltar.Ecrit pour donner une vision de
lémigrant, le roman veut montrer le visage humain de tous ceux qui
prennent leur terrible décision individuelle face à lindifférence
globalisée et intéressée du discours officiel. Mais il y a aussi dans
ce livre une étude de murs subtile et réaliste qui présente la
situation des femmes dans la société marocaine avec lévocation des
mouvements quelles amorcent pour tenir leur rôle dans la société.Ce
roman, qui vient dêtre traduit en français, a fait lobjet dune
première édition en 2002 aux Editions Zoela Ediciones Cleccion Negrura.
Il est donc antérieur, comme me la fait remarquer le Directeur de la
collection LAtinoir, à celui de lauteur algérien Boualem Sansal portant le même titre et paru en 2005 chez Gallimard. Présentation de l'éditeur :Une
maison que le temps ronge comme à regret. Des fantômes et de vieux
souvenirs que l'on voit apparaître et disparaître. Une ville erratique
qui se déglingue par ennui, par laisser-aller, par peur de la vie. Un
quartier, Rampe Valée, qui semble ne plus avoir de raison d'être. Et
partout dans les rues houleuses d'Alger des islamistes, des gouvernants
prêts à tout, et des lâches qui les soutiennent au péril de leur âme.
Des hommes surtout, les femmes n'ayant pas le droit d'avoir de
sentiment ni de se promener. Des jeunes, absents jusqu'à l'insolence,
qui rêvent, dos aux murs, de la Terre promise. C'est l'univers excessif
et affreusement banal dans lequel vit Lamia, avec pour quotidien
solitude et folie douce. Mais voilà qu'une jeune écervelée, arrivée
d'un autre monde, vient frapper à sa porte. Elle dit s'appeler Chérifa,
s'installe, sème la pagaille et bon gré mal gré va lui donner à penser,
à se rebeller, à aimer, à croire en cette vie que Lamia avait finie par
oublier et haïr.Cela mamène à évoquer aussi Kamel Khelif et la bande dessinée «Les exilées ». Les dessins sont de Kamel Khelif et le récit de Nabile Farès (Amok Editions)Synopsis
: A Alger en juillet 1968, un homme, par sa fenêtre, regarde la ville.
A sa mémoire reviennent des images des manifestations de mai 1968 et
d'octobre 1961 à Paris. Il sent que le pays change. Il pressent les
luttes, les douleurs et les espoirs que symbolise Leïla Fatma, une
femme qu'il retrouvera en 1989 sur les quais de Marseille. D'une ville
à l'autre, d'Alger à Marseille en passant par Paris, les histoires
s'entrelacent.Kamel Khelif dessine à lencre et au fusain.
Kamel Khelif a dessiné mais aussi écrit un autre ouvrage paru en 2003,
toujours sur le thème de limmigration algérienne : « Ce Pays qui est le vôtre » ( Editions FRMK - collection Octave)Sur le site Frémok, il avait présenté cet ouvrage :Extrait de linterview : « Tout
est écrit et peut-être lu selon plusieurs sens. Pour le titre, on ne
sait finalement pas de quel pays il s'agit, ni à qui il s'adresse. Ça
fonctionne à double sens, soit il s'agit de la France, soit de
l'Algérie. Quand j'écris "
je marche vers vous comme quelqu'un qui
revient sur ses pas
" ou "
me ramener loin d'ici
", ce type de
contradiction, c'est toute l'ambiguïté de cette génération de premiers
immigrés en France, comme moi, être de là-bas et vivre ici. C'est une
question qui se pose très concrètement par exemple au moment de la
mort, pour choisir l'endroit où tu vas être enterré.Cette femme
morte pendant sa détention, cest très grave. Cest complètement
injuste. Et on se demande pourquoi depuis des siècles et des siècles ça
a très peu changé, pourquoi ?Jai raconté cette histoire à la
troisième personne parce que cest une histoire pour tous ceux qui ont
vécu ou qui vivent cette situation. Ce nest pas réservé à une certaine
catégorie de gens. Je ne parle pas de racisme même si cela existe aussi
en justice. Mais cest une histoire qui touche tout le monde, qui nest
pas réservée à une race, mais plutôt à une classe sociale. Parce que
notre justice n'est plutôt pas pour les pauvres. Concrètement,
quelquun qui na jamais eu affaire à la justice, comment peut-il avoir
un avocat dès la première heure ? Quand il est pris, la loi dit quil
peut donner un coup de fil à sa famille, dans la réalité cest faux.
Quand on sait que le prévenu ne peut pas prévenir ses parents, cest
peut-être dautres catégories sociales qui bénéficient de cela ».Interview sur le site Frémok :http://www.fremok.org/entretiens/kamelcepays.html Nous
terminerons notre article en recommandant la revue « Fora ! La Corse
vers le monde » dont la deuxième parution porte le titre : Corse et
Maghreb, côte à côte. Un titre rappelant les paroles du philosophe corse, Jean-Toussaint Desanti : « effacer la mer qui nous sépare et nous engloutit ».
Cette revue, au delà des différences, met la culture corse au miroir
dautres cultures en montrant quil existe aussi des ressemblances.
Chaque culture doit regarder l'Ailleurs pour mieux voir ce quelle est,
comparer, admirer, échanger, partager et, au besoin, un peu copier ou
disons sinspirer