• Eléments sur l'histoire du polar

    Eléments de l’histoire du polar - 1ère partie jusqu’aux années 1930.

    Le genre policier fait l’objet de controverses sur sa définition même, sur sa valeur littéraire et sur ses origines. Toutefois, il s’agit d’un genre qui, sans se renier, est en perpétuellement évolution avec ses variantes dont les auteurs ont un seul but « capturer le lecteur jusqu’à la dernière ligne ».



    On peut faire remonter l’origine du genre aux temps bibliques. Powel s’adressant au bon dieu, lui dit : «Seigneur, tu n’es pas contre l’assassinat, la Bible est pleine d’assassinats… ». J’en ai pour exemple les anecdotes de Daniel et les prêtres, de Suzanne et les vieillards, de Dalila trahissant Samson … On peut citer des tragédies antiques comme Œdipe, Les mille et une nuits, et les grands auteurs grecs ou latins : Esope, Archimède, Pline le jeune ou Cicéron, avec une mention spéciale pour Hérodote et son ouvrage «Les fils de l’architecte » considéré par certains comme la pierre angulaire du genre policier. Un mystère de chambre close en 1237 avant J-C et, comme ingrédients : vols mystérieux, corps sans tête, maison de débauche, bras coupé à un cadavre… Originaire de Carie, un état en Asie mineure conquis par les colons qui massacrèrent les hommes pour épouser les femmes, Hérodote était l’enfant d’un métissage entre l’Asie et l’Europe, d’une double appartenance identitaire. Il est considéré comme un géographe, un sociologue, un ethnographe et un reporter. Il a voyagé beaucoup, remplissant ce qu’il appelait des carnets « d’enquête » qui correspond au mot grec « historia » aux sens de documentation, exploration, découverte. Il racontait surtout les batailles et s’intéressait aux adversaires des Grecs, à leurs us et coutumes notamment. Allant toujours plus loin dans le détail de ses récits, il faisait de nombreuses digressions sur des anecdotes et des petites histoires qu’on lui racontait.

    Plus près de nous, on peut évoquer le cours de médecine légale dans la tragédie de Shakespeare, Henri IV, ou bien les épisodes du « Cheval du roi » et de « L’épagneule de la reine », dans Zadig de Voltaire, la gaieté de l’amateur français de Beaumarchais et même le Barbier de Séville. On trouve dans ces récits des passages dignes de Sherlock Homes.



    Le roman policier est un ouvrage littéraire qui met en scène principalement des personnages policiers ou détectives professionnels ou amateurs, en lutte contre des gangsters ou des criminels. Sur la base de cette définition liminaire et sans remonter aux chalandes grecques, c’est au 19ème siècle, celui de l’industrialisation et de l’urbanisation, que le genre policier va émerger, en même temps qu’évolue la police. Son inspiration va se trouver dans des biographies de bandits et des récits de meurtres étranges, vendus de porte en porte par des colporteurs. Des personnages deviennent des mythes comme Vidocq. Balzac est considéré, par certains, comme l’auteur des premiers romans noirs avec « La grande Bretèche » en 1832 et « Une ténébreuse affaire » en 1841 (enlèvement du Sénateur Clément de Ris. Mais c’est Edgar Allan Poe en 1841 avec «Double assassinat de la rue Morgue » (première traduction faite par Charles Baudelaire) qui va être considéré comme le père du roman policier. Ce jeune américain a choisi Paris comme cadre de ses premiers romans et pensait avoir découvert une technique de raisonnement applicable à la fiction et fondé sur la détection d’indices. Il explique sa méthode dans « genèse d’un poème ».

    Dans l’hexagone, le roman policier va garder sa spécificité française jusque vers 1918. On part de la découverte d’un crime pour remonter jusqu’aux causes (les mobiles) : un crime, un problème, une enquête. L’archétype du détective (raisonneur et psychologue) naît avec le chevalier Dupin.
    Le premier disciple de POE est Emile Gaboriau, journaliste (C’est un métier qui, comme flic, donnera beaucoup de polardeux) il publie en 1866 « L’affaire Lerouge » avec un personnage dans la filiation de Dupin, c’est le Père Tabaret alias Tirauclair. Ensuite il invente le personnage de l’Inspecteur Lecocq qui , comme Sherlock Holmes plus tard, utilise la déduction et les moyens scientifiques dans ses enquêtes : relevés d’indices matériels, moulage d’empreintes. Les auteurs utilisent les techniques du roman populaire ou les péripéties l’emportent sur la déduction. On peut citer « Le coup d’œil de Monsieur Piédouche » de Fortuné du Boisgobey, « Maximilien Heller » de Henry Cauvin (publié en 1886 dont le héros ressemble à Sherlock Homes qui n’apparaîtra qu’un an plus tard et certains parleront de plagiat en direction de Conan Doyle) ou encore « La chambre du crime » d’ Eugène Chavette.
     
    Après 1918, les auteurs français vont suivre le modèle anglais en privilégiant l’analyse, la déduction. Jusqu’à la première guerre mondiale (1914-18) le récit policier est surtout distribué par des mensuels. Il entre dans l’édition après guerre, avec l’apparition de deux collections prépondérantes : « L’empreinte » et « Le masque », fondée en 1927 par Albert Pigasse. On passe des nouvelles composées d’une cinquantaine de pages aux livres plus étoffés. Il faut noter que, sur les 60 premières parutions de l’Edition «Le masque », trois seulement étaient françaises.



     Les historiens de polar définissent deux écoles :
    - la française avec Gaboriau qui s’est développée dans la veine des feuilletons alors très en vogue et qui met en scène un policier scientifique et professionnel, tout en préservant l’aspect romanesque du récit.

    - L’anglo-saxonne avec Edgar Poe qui privilégie le déroulement de l’enquête et la figure du détective amateur. Deux ans avant la parution de « double assassinat de la rue Morgue », Thomas de Quincey avait écrit un essai noir « De l’assassinat considéré comme l’un des beaux-arts »

    Si Edgar Poe et Emile Gaboriau apparaissent comme les précurseurs d’un genre qui a ses codes, les historiographes comme Claude Mesplède ( surnommé « Le pape du polar » par ses amis polardeux en hommage à sa connaissance encyclopédique du genre), citent ensuite les pères fondateurs, inventeurs de héros : Conan Doyle, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Pierre Souvestre et Marcel Allain, Arthur Bermède (Belphégor) ; Jacques Norbert (Docteur Mabuse), Maurice Renard ( Le mystère du masque et le bracelet d’émeraude) et Gustave Lerouge (Voleur de visages, Le mystérieux docteur Cornélius, Todd Marvel).



    En 1887, Conan Doyle livre les premières aventures de Sherlock Homes avec, en premier lieu, « Une étude en rouge ». Sans doute dépassé par le succès de son héros affublé de son compagnon fidèle, le Docteur Watson, il le tue en 1893 dans « Le dernier problème », pour le ressusciter 10 ans plus tard sous la pression de son lectorat. Entre cette date et 1927, il écrira 4 romans et 56 nouvelles. C’est l’ère du QQOCP qui s’ouvre comme le cri du poulet à l’aube de chaque enquête : Quoi ? Un meurtre. Qui ? Une victime et un coupable. Où ? Découverte du cadavre dans un lieu insolite ou familier. Comment ? Les moyens sont multiples et variés… Pourquoi ? Par vengeance, par cupidité, par sadisme, par folie pure….
    Sherlock a eu une suite récente en Corse; La vendetta de Sherlock Holmes de Jean Pandolfi - Crozie ( témoignage de son arrière grand-oncle Ugo Pandolfi)

    En 1905, Maurice Leblanc livre les premières aventures d’Arsen Lupin, le gentleman cambrioleur, avec « L’arrestation d’Arsen Lupin ». En 1907, Gaston Leroux est l’inventeur de « Rouletabille », Joseph Joséphin, reporter – détective. On peut citer « Le mystère de la chambre jaune » et « Le parfum de la dame en noir». En 1911, les journalistes Pierre Souvestre et Marcel Allain composent l’anti-Lupin qu’est Fantômas, qui est « personne mais cependant quelqu’un » et « Il fait peur ».


    Maurice Leblanc et Arsène Lupin par Nadia Dhoukar :
    « Arsène Lupin est un personnage de la Belle Epoque, empreint du positivisme et de la frivolité ambiante du moment. Il se divertit sans cesse, n'agit que par goût du jeu ; c'est un individu léger qui aime l'art, le défi et les jolies femmes. A l'instar de Sherlock Holmes, il fait rire et sourire et entraîne son lecteur dans un univers qui se moque des lois et des convenances, et cela, toujours avec intelligence et finesse. Mais surtout, plus que ses homologues tels Holmes ou encore Fantômas, Lupin n'est pas hiératique dans le sens où il prend corps au fil des aventures, change, se remet en question, éprouve des sentiments humains et s'avère plus proche du lecteur anonyme que d'un détective infaillible. La réunion de tous ces éléments a fait de Lupin un personnage qui a plu et qui plaît encore. En effet, Poirot par exemple et son esprit déductif a fait sensation au moment de son apparition, il plaît encore aujourd'hui mais son talent est quelque peu désuet parce qu'il puise la solution de l'énigme dans une analyse psychologique qui apparaît aujourd'hui comme schématique, réductrice et rudimentaire. Lupin lui, illustre une légèreté et une désinvolture qui plaisent de tout temps parce qu'il se joue des limites que les hommes ont tracées, limites qui, si elles se transforment, existent et existeront toujours. De ce fait Lupin possède un caractère qui relève de l'universel : celui du défi. Nous verrons d'abord en quoi Arsène Lupin n'est personne, ensuite de quelle manière, à travers la quête et le duel, il devient quelqu'un ».



    Un peu d’histoire de la police : 1790, création du corps des commissaires de police qui remplacent les commissaires enquêteurs –examinateurs. 1791, Antoine Waldec de Lessart est le premier ministre de l’intérieur, gardien de la légalité, garant de la paix publique et de la sécurité des personnes et des biens, tuteur et responsable de l’administration territoriale. 1795, distinction entre police judiciaire et police administrative. 1800, création des commissariats et de le Préfecture de police, et organisation de la police urbaine en Province. 1829, première police en tenue d’uniforme, les sergents de ville. 1854-1856, mise en place de l’îlotage. 1870, remplacement des sergents de ville par les gardiens de la paix. 1879-1882, mise en place de l’anthropométrie inventée par Bertillon, adoptée en 1887 par la Préfecture de police puis répandue dans toute l’Europe. 1888, premières photographies métriques. 1902, Les services de l’Identité judiciaire relèvent et utilisent les empreintes digitales. 1907, création par Clemenceau des Brigades du Tigre qui deviendront les Services régionaux de police judiciaire. 1912, création de le Brigade criminelle. 1920, le commissariats sont équipés de camionnettes de police secours (surnommées par la suite « Les paniers à salades »). 1941, étatisation de la police et création de la police nationale…



    Dans la lignée de ce que l’on appelle l’école anglaise, le roman est construit de façon rationnelle et scientifique. Il s’agit d’un puzzle dont chaque indice est une pièce ou pas. Le lecteur -détective doit faire appel à son esprit d’observation et de déduction pour découvrir la clef de l’énigme avant l’épilogue. C’est Agatha Christie, avec ses héros Hercule Poirot et Miss Marple, qui donnera au roman de détection ( à énigme ) sa marque de fabrique« Made in British ». En 1924, Austin Freeman, médecin et auteur, publie à 62 ans son essai : « L’art du roman policier ». On lui a reproché son approche trop scientifique, sa police de laboratoire qui déconcertait les lecteurs, malgré ses efforts de vulgarisation. Il a écrit de nombreux romans à problème dont : L’œil d’Osiris, L’os chantant, Le singe en argile, le mystère de la rue Jacob… Il est l’inventeur du personnage du policier Thorndyke, raisonneur et pragmatique.


    En 1928, S.S. Van Dine se posera comme le théoricien du genre avec son opus énumérant les « Vingt règles pour le crime d’auteur ». Il est l’inventeur du détective Philo Vance, cultivé et fin psychologue. Pour résumer les règles de Van Dine, dans le roman policier, il doit pas y avoir d’intrigue amoureuse ; le coupable ne doit pas être un détective ou un policier, ni un domestique et il ne doit y en avoir qu’un même si les assassinats sont multiples ; Il doit bien sûr y avoir au moins un cadavre ( et plus ce cadavre est mort mieux ça vaut) et un seul détective ; le coupable doit avoir joué un rôle important dans le récit et l’épilogue doit y transparaître pour un lecteur suffisamment perspicace ; enfin, il faut proscrire les longs passages descriptifs, les analyses trop subtiles et de préoccupation d’atmosphère.

    A la même époque la collection Le Masque ouvre une autre voie, celle des auteurs francophones avec une prépondérance des auteurs français et belges, des romans classiques qui sortent des règles de Van Dine. Dans cette veine, on peut citer Pierre Very, qui voulait « rénover la littérature policière en la rendant poétique et humoristique ». Il invente le personnage de Maître Prosper Lepicq avocat qui traque les criminels pour en faire ses clients. Le belge S.A Steeman invente le personnage d’un ancien policier installé à son compte M. Wens et un précurseur de Maigret, Aima Malaise. Charles Exbrayat entre dans le genre policier à l’âge de 51 ans avec un premier roman « Elle avait trop de mémoire » en 1957 suivi rapidement de deux autres en 1958 « La nuit de Santa Cruz » et « Vous souvenez-vous de Paco ? » pour devenir l’auteur vedette de la collection Le Masque et produite, par la suite, une centaine de titres. Mais l’auteur phare de cette école franco-belge est Georges Simenon, père du Commissaire Maigret, avec 400 livres et des centaines de millions d’exemplaires vendus dans le Monde. Il consacrera au commissaire Maigret, qui naît avec « Pietr le Letton » en 1929, 76 romans ou nouvelles avec la devise de son héros : « comprendre et ne pas juger ».

    Le roman noir connaîtra son âge d’or dans les années 30-40 d’abord aux Etats-Unis, dans le contexte de la crise économique de 1929 et d’une société violente, avec Dashiel Hammet et la génération de ceux que l’on a surnommés les « fouille-merde » (Muckrakers). Ce sont les américains qui ont sorti le polar des salons feutrés anglo-saxons et ont mis au goût du jour le Thriller, découvert et apprécié en France dans les années 1950. Gallimard crée la collection prestigieuse « Série noire » après avoir créé en 1936 celle « Le scarabée d’or ». Aujourd’hui, en coup de chapeau à la Série noire, une collection « Suite noire » a été créée récemment par Jean-Pierre Pouy, auteur et éditeur qui fait partie de l’aventure du Poulpe.

    Avec Hammet, c’est donc les américains qui ont inspiré le roman noir français. Dans la suite, Raymond Chandler disait que Hammet « a arraché le meurtre du vase vénitien et l’a jeté dans la rue ». Pour Hammet, un détective devait « être un type dur et rusé, capable de se tirer de toutes les situations ».

    A suivre… prochainement Le roman noir américain.
     
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