Dans un article précédent, nous avions évoqué Sarajevo. Ivo Andric, écrivain croate, a écrit un très beau texte sur cette ville bosniaque dans le recueil « Contes de la solitude » dont vous nous livrons quelques brefs extraits :
- « Vue den haut, cette ville vous parle par ses édifices, ses jardins, ses rue dessinées, inscrites sur les pentes des monts abrupts comme sur les pages dun livre entrouvert. Devant nous surgissent les fragments embrumés de son passé. »<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
- « à lentrée même du défilé montagneux au fond duquel la Miljacka se glisse, comme un fil par le chas dune aiguille La ville sélargit, embellit, surtout au cours des XVI° et XVII° siècles, tout en restant à la lisière du défile, telle une araignée devant la fissure doù elle a surgit mais ne séloigne jamais complètement »<o:p></o:p>
- « Les anciens textes religieux serbes la nomment « Sarajevo, ville donnée par Dieu, »<o:p></o:p>
- « Sarajevo possède ainsi deux aspects et deux visages, lun sombre et sévère, lautre lumineux et resplendissant »<o:p></o:p>
- « Ville aux anciennes et nobles traditions, ville de confréries artisanales, de conscience et de fierté civiques, ville commerçante où non seulement largent mais aussi le bon goût étaient respectés, ville où sest développé le sens de lordre et de la beauté, dune vie harmonieuse et heureuse »<o:p></o:p>
- « La mort ny assombrit pas la vie, la vie ny profane pas la mort. »<o:p></o:p>
- « Quelle que soit lheure du jour, quel que soit le lieu, quand vous regardez Sarajevo étendu à vos pieds, la même pensée surgit toujours, même inconsciente. Une ville est là. Une ville qui, en même temps, se transforme, agonise et renaît. »<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
Cette ville na pas encore trouvé un Jean-Claude Izzo ou un Montalbo mais, nul ne doute quelle est un lieu ou, comme Ivo Andric, les écrivains peuvent trouver une source dinspiration littéraire. Dans notre article « Voyage en Croatie », nous avions aussi évoqué lécrivain serbe Radomir Konstantinovic, notamment pour son ouvrage : « Philosophie du bourg », où il propose, par une approche philosophique, une analyse de lévolution comportementale et sociale des sociétés modernes devenues citadines.
<o:p> </o:p>
Cest cette évolution que traduit souvent la littérature et notamment la Noire dont les intrigues sont le plus souvent situées en milieu urbain. Pour illustrer ce constat, nous avons trouvé et acheté un recueil de nouvelles édité par LIBRIO. Lopus sintitule « Villes noires » et contient des nouvelles écrites par Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, Michel Quint et Jean-Bernard POUY , quatre polardeux qui ( dixit lEditeur) « se sont imposés comme les plus grands auteurs contemporains du roman noir à la française, confirmant leur passions pour les gens simples et les engagements forts. »
<o:p> </o:p>
Villes noires :<o:p></o:p>
<o:p> </o:p>
Ce voyage littéraire en quatre récits nous invite dans les ruelles de Naples, sur les canaux de Hambourg (Nous dit-on ) et face à la géométrie parfaite des immeubles dOstende.
Nous sommes avertis : « Vous ne vous promènerez plus en ville, comme avant. » Laccroche de la 4ème page de couverture est alléchante lorsque lon y lit aussi : « les capitales européennes tombent le masques et révèlent leur nature sauvage, débridée, mystérieuse » mais ne vous attendez pas à autre chose que de petites intrigues bien ficelées mettant en scène les réseaux de trafic dêtres humains, des crimes mafieux, des amours contrariés, des voyageurs sans bagages pour les grandes villes européennes, vous irez voir notamment Hambourg sur le catalogue dune agence de voyages.
<o:p> </o:p>
Dans la première nouvelle écrite par Thierry Jonquet , « Hambourg » est le nom dune péniche dont le propriétaire est originaire de cette ville où ses parents sont morts sous les bombardements alliés pendant la deuxième guerre mondiale pendant lesquels il a lui-même était blessé et a perdu une jambe. Ce sera la seule allusion à la ville, car laction se passe dabord en Chine, puis sur les canaux entre Prague et Paris. A croire que lauteur ne connaissait pas assez Hambourg pour y situer laction de sa Nouvelle et a su tourner la difficulté, mais lastuce laisse sur sa fin le lecteur attiré par le titre de louvrage et la quatrième page de couverture. Une « grande capitale européenne » ne peut être réduite à une péniche sans provoquer une certaine déception. Heureusement, Jonquet se rattrape en nous présentant des personnages intéressants : Dietrich, passeur de clandestins qui est un gros dégueulasse avec peut-être un reste dhumanité enfoui dans sa carcasse adipeuse et répugnante ; Lieu, jeune chinois à lâme pure et Ginka , une jeune prostituée paumée. Tous les trois glissent sur leau trouble des canaux. Dietrich est le maître à bord qui conduit les deux jeunes gens vers leurs noirs destins.
<o:p> </o:p>
Patrick Daeninckx est sensé nous amener à Ostende. En fait nous faisons le voyage avec les parents de la mariée en partant de Bruxelles. Le mariage est à Ostende et le père, raciste ordinaire et nostalgique des anciennes colonies belges, narrive pas à accepter que sa fille y épouse un africain du Zaïre (ex Congo belge), qui la mise enceinte. Heureusement, il peut se consoler davoir un fils Rodolphe, militaire et parachutiste belge. A Ostende, la surprise viendra de ce fils et elle est de taille pour ce père issu de la grande bourgeoisie belge. Une occasion pour lauteur de dénoncer ( encore et toujours) le racisme et le colonialisme.
<o:p> </o:p>
Comme on est arrivé à Ostende, on y reste avec Michel Quint pour la troisième nouvelle intitulée « Loiseau de la Kermesse » et dédiée à la mémoire de Ronny Couteurre*. Quint nous sert « un petit plat en prose » à laccent épicé de la Wallonie, « un hommage au noir des toiles dEnsor* et à linfernal théâtre de Ghelderode* ». Vous ne serez pas déçu par le style déjanté et le contenu, en lisant le récit de « Mieke », danseuse exotique dans un peep-show dOstende. Elle vient de perdre Voske, son vieil « imprésario », oiseau de kermesse, bâtard des lendemains de fête, fils dune amazone qui sest fait engrosser au bal du Rat mort par le peintre Ensor et le dramaturge de Guelderode. Pour apprécier la nouvelle de Quint, il faut connaître ces deux créateurs belges.
James Ensor, peintre avant-gardiste, revendiquait une place pour le laid dans la peinture. Pour lui , la vie était une farce, les visages des masques derrière lesquels on trouvait des squelettes. Cétait un artiste obsédé par la mort avec une vision pessimiste du monde mise en scène dans des fêtes et des carnavals. Il sest rendu célèbre par son tableau provocateur : « Lentrée du Christ à Bruxelles ». On peut citer aussi « Les Masques singuliers », « Ensor aux masques » ou « Les squelettes voulant se chauffer ». Il est mort en 1949 et lessentiel de son uvre est antérieur à 1915.
Michel de Ghelderode est un dramaturge belge décédé en avril 1962. Il a beaucoup écrit (60 pièces de théâtre, une centaine de contes, 20.000 lettres, des articles sur lart et le folklore). Il est le créateur dun univers noir, à la fois cruel et macabre, fantastique et grotesque. De son éducation religieuse à lInstitut Saint Louis de Bruxelles, il retiendra les rites et la magie, croyant plus au diable quà Dieu. Il a écrit sur lui-même : « Je me sens vraiment contemporain de ces gens du Moyen âge ou du pré - Renaissance. Je sais deux comme ils vivent et connais chacune de leurs occupations. Je suis familier de leur cerveau et de leur cur comme de leur logis et de leur boutique. » Ses pièces de théâtre ont été joués partout dans le monde. Bien que Flamand, il était dexpression française. Vous trouverez sa biographie et ses uvres sur le site Wikipédia.
Ronny Couteurre, on connaît sa grande et large carcasse débonnaire. Il a décidé de quitter le théâtre de la vie le 21 juin 2000 à Frétin. Il avait 48 ans et 30 ans de carrière de comédien, auteur, réalisateur et metteur en scène. Il animait une émission sur FR3 Nord Pas de calais « Ronny coup de cur ». On se souvient de lui dans « Les enfants du printemps » ou dans « Merci Bernard », « Les quatre-Vingt-Unards », « Marion et son tuteur » Il avait écrit un opéra « Les contes dun buveur de bière » et faisait des one man show. Il avait baptisé sa maison « La ferme des Hirondelles ».
<o:p> </o:p>
Nous quittons, dans un vol dhirondelle, la Belgique pour lItalie avec Jean-Pierre POUY qui nous amène à Naples pour la dernière nouvelle du recueil. Et même si une hirondelle ne fait pas le printemps, cest le 31 mai que Chantal, héroïne, fête ses trente ans. Ses copains lui offrent deux places davion pour Naples et cest Bertrand (narrateur du récit) qui est choisi au hasard pour laccompagner amicalement. La nouvelle est intitulé « Le soufre » , celui des solfatares de Pozzuoli et peut-être allusion à la sulfureuse Chantal certainement aussi à lair ambiant de cette ville : « A Naples. Le mythe. Un peu. Napoli. Le baiser de feu. Santa Lucia. Des conneries. Mais on y était » A peine descendu de lavion, Bertrand est repéré comme le pigeon voyageur, proie choisie dune arnaque bien napolitaine, donc plus folklorique que méchante. Moins folkloriques sont les fréquentations de la mystérieuse Chantal et Bertrand lapprendra à ses dépends.
<o:p> </o:p>
NOTA BENE : Si vous aimez les nouvelles noires, « Villes noires » est bien de la littérature ferroviaire qui se lit rapidement pendant un voyage entre deux gares, entre deux villes Mais si votre gare darrivée est Hambourg, Ostende ou Naples, il ne sagit pas dun guide de voyage, même si des illustrations dessinées par Olivier Balez accompagnent chaque récit. Par contre, si vous allez à Sarajevo, lisez le magnifique texte de Ivo Andric car il est bien mieux quun dépliant touristique.
<o:p> </o:p>
<o:p> </o:p>