Approche du polar régional et du polar corse.

Cest Manuel Vasquez Montalban (mort à Bangkok en 2003) qui, avec sa ville Barcelone, en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est linventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché lapparition dune vague dauteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville, leur pays dorigine En premier lieu en France et en Italie.

En Italie, Andrea Camilleri ( 82 ans ) va même appeler son héros récurrent " Montalbano " en hommage à lauteur catalan et en France, Jean-Claude Izzo ( décédé le 26 janvier 2000 à Marseille) va sinspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban). Depuis lors dautres auteurs ont émergé en Europe comme Petros Markaris en Grèce mais aussi, autour de la Méditerranée jusquau Maghreb comme lAlgérien Yasmina Khadra en Algérie, le Marocain Driss Chraïbi ( décédé en avril 2007 en France, à Crest dans la Drôme).
Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Son auteur na jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors quil signait encore sous le nom de Georges Sim et quil était publié par un bimensuel italien, découvrant une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien, le flic de Simenon est devenu un modèle pour lui. Montalbano est devenu le modèle pour des auteurs insulaires comme Camilleri.
Le polar sest alors glissé dans les littératures régionales que Mlle Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes, a défini dans un mémoire de thèse dont nous avons relevé des extraits:
Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la "littérature régionale " nen fait pas partie. Pourtant, il sagit bien dune forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit lâme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guère employées dans la littérature dite "généraliste ". De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.
La littérature corse résulte des pratiques ancestrales dune littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par lalphabétisation et lapparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourdhui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Evidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, lAlsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.
Garante de la conservation et de la protection dun patrimoine culturel, la "littérature régionale " devrait être au cur de certaines préoccupations. En effet, à lheure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions dune unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance dune littérature régionale en tant que telle sinscrit dans le contexte actuel de conservation de lidentité des minorités culturelles.
Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la "littérature régionale " est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande dun public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.
" Cest au moment fort dune prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté dun groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ". La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe quelle représente, "vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ".
" Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci. Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, lauteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il sinspire, ni forcément y écrire, pour lutiliser à des fins littéraires. Dans lobjet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional lauteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui ny sy réfère jamais. Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu daction romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour lauteur mais aussi pour le lecteur. Lintervention dun folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de "régionaliser " son ouvrage tout comme lutilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, jentends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie ", conclue Mlle Elodie Charbonnier.
Le polar corse :
Mantalban, Camilleri et Izzo ont ouvert la voie du succès au polar régional. Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par linsularité partagée sur des îles aux histoires parallèles.
Le roman est un genre qui a eu du mal à senraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les uvres circulaient sur lîle, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.
La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues dItalie géographiquement proche. La littérature orale insulaire sest donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.
L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et lécrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjamé rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de lhistoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de lactualité. Faire entrer dans linsolite dune voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre quil porte, mieux quaucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjamè rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait quune rengaine exténuée.
Le polar corse existe Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, lécologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme mais aussi les particularités : lomerta, lhonneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend lexil, douloureux, cette nostalgie hors de lîle bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie lhumour Lhumour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie la macagna plus caustique et lautodérision. Il y a surtout la volonté dêtre corse : un corps, plutôt quun corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent dune terre mystifiée et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.
Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : " Cette universalité société, police, crime, nature humaine permet davancer que le genre policier, quil soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, sabreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient dajouter celles propre au génie et à lhistoire de chaque peuple "
En France, alors que le polar devenait un genre littéraire répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, il restait cantonné dans la capitale ou bien à létranger car les éditeurs choisissaient de traduire les grands auteurs anglo-saxons. Dans ce contexte jacobin, un Corse, José Giovanni va devenir un auteur et un cinéaste célèbre. Ancien taulard, il va exceller dans le genre après un premier succès littéraire « Le trou » adapté par la suite au cinéma. Il deviendra un cinéaste et un romancier célèbre. Giovanni a écrit sans référence avec ses origines insulaires. Pourtant la Corse est une terre de romans noirs et de polars. En 2006, un hebdomadaire publiait un article "Terreur sur Ajaccio " sous-titre " Le gang qui fait trembler la Corse ". La première phrase est " Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires " Ny a-t-il pas là le titre et le début dun polar bien noir avec des héros hard boiled ? On y trouve même des idées de dialogue : " Hep, salut ! Je taurais bien offert un café - Vaut mieux pas sattarder aux terrasses de bistrot en ce moment, cest trop risqué !... " La suite de larticle qui relate la réalité dune série dassassinats qui serait la suite dune lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur " semi -retraite " ( Le point , du 19 octobre 2006 ).
Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, sétaient inspirés de la " légende noire de la criminalité insulaire ". Librio a publié un recueil où lon retrouve Mérimée, Balzac, Flaubert, Saint Hilaire, Gaston Leroux et deux Corses : Pierre Bonardi et Jacques Mondoloni, connu dans la Science-fiction. Depuis quelques années, on a vu émerger le polar régional. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté limaginaire de bon nombre dauteurs et de cinéastes, il faudra donc attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris.


A la même époque, en Corse, un Editeur ajaccien avait créé une "collection Misteri " qui a fait découvrir, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourdhui des auteurs de polars connus. " Les trois jours dengatse " de Philippe Carrese a été dabord édité dans la collection " Mistéri " en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais ), puis réédité au " Fleuve noir " en 1995. François Thomazeau est lauteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, " Lécailler du Sud ", éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau dans la collection Misteri ont été réédités par Librio. Léditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.
Le pionnier de la Noire made in Corsica est donc Paul-André Bungelmi avec sa maison dédition Méditorial et la Collection Misteri. Il a découvert et édité dexcellents polars commis par des auteur(e)s ayant pour la plupart fait leur chemin. A lépoque, jai lu des ouvrages « Misteri »:
- Comme un chien dans la vigne et caveau de famille, écrits par Elisabeth Milleliri
- La moisson ardente et raison détat, écrits par Archange Morelli
- Trois jours dengatze, écrit par Philippe Carrese
- La faute à Déguin et Qui a tué monsieur cul, écrits par Philippe Thomazeau.
« A lépoque (1992), dit Philippe Carrese, jai envoyé le manuscrit à plus de trente maisons dédition, y compris "Fleuve Noir". Tous lont refusé. Jai croisé Paul André Bungelmi, en corse, un type adorable qui me la pris mais qui a été dépassé par le succès du livre. Fleuve Noir a repris la suite en moins de quinze jours. Paul André est un vrai méditerranéen, il a tout de suite tout compris, tout mon coté "sudiste" que pas mal de parisiens ont encore beaucoup de mal à cerner ».
Et François Thomazeau ajoute : « Je ne connaissais Carrese que de nom et j'ai atterri chez Méditorial parce que ma mère avait vu un reportage sur "Trois jours d'engatse" sur France 3 Marseille. C'est elle qui m'a forcé à envoyer le manuscrit de Dégun à Méditorial. Comme Carrese, je ne rendrai jamais assez hommage au patron de cette maison, Paul-André Bungelmi, un honnête homme comme on n'en fait plus. Il a arrêté l'édition faute d'argent et tient un bar de nuit extrêmement sympa à Ajaccio. On amène sa bouffe, y a une cheminée au fond pour faire cuire le rata, et lui fait payer le vin."
Après la cessation dactivité de Méditorial, si quelques auteurs de polars corses ont été édités, il nexistait plus de série noire insulaire. A partir de 2003, des auteurs corses se ré approprient la Corse noire et des éditions corses les éditent. Dabord Les Editions La marge avec La chèvre de Coti Chiavari de Jean-Pierre Orsi, ouvrage repris par Les Editions du Journal de la Corse après la cessation dactivité des Editions La marge. A la même époque Pur Porc de Jean-Paul Brighelli est édité hors de Corse chez Ramsay. Jean-Pierre Orsi a écrit deux suites chez le même éditeur où lont rejoint Louis Dominici et Jean-Paul Ceccaldi. En 2004, les Editions Albiana lancent la collection Néra qui a publié, à ce jour, une douzaine de romans noirs écrits par sept auteurs : Jean-Pierre Santini, Okuba Kentaro, Paul Milleliri, Pierre Lepidi, Alexandre Dominati, Jean-Marc Comiti et Jean-Pierre Larminier. N'oublions pas les femmes. Nous avons parlé dElisabeth Milleliri et de Marie-Hélène Cotoni. Il faut citer aussi Daniele Piani ( Lécume des Brocci), Arlette Shleiffer ( Molto chic et Bar rouge) et Marie-Hélène Ferrari avec le commissaire Pierruci qui en est à sa quatrième pérégrination policière en Corse. Tous et toutes sont édités sur lîle. Dautres auteurs corses ont des éditeurs continentaux comme Jean-Louis Andréani, journaliste au Monde, avec son héroïne Delphine Mailly ou bien Francis Zamponi célèbre pour son best-seller « Le colonel » adapté au cinéma par Costa Gavras et qui est lauteur de La vendetta corsa. Denis Blémont-Cerli, originaire de Lama, a écrit en 2007 son premier polar « Marseille-Corse, aller simple ». En Corse, Olivier Collard auto-édite ses polars corses.
Aujourdhui, sur l'île, des auteurs se sont regroupés dans une association et sur un site Corsicapolar. Le Webmaster du site Corsicapolar est Ugo Pandolfi, auteur de La vendetta de Sherlock Holmes. Il sest mis, aujourdhui, à la pointe de lédition en ligne pour son dernier opus « Du texte clos à la menace infinie » sorti chez « lulu.com ».

Un festival du polar corse et méditerranéen a ouvert à Ajaccio en juillet 2007 et sa deuxième édition est programmée du 4 au 6 juillet 2008. Ils y ont invité des auteurs méditerranéens et des animations sont déjà prévues. A loccasion ils présenteront leurs nouveaux ouvrages et un recueil collectif de nouvelles : des Noirs de Corse, «Piccule fictions» écrites au profit de lassociation corse Handi 20 crée en faveur des handicapés.
Vous pouvez retrouver tous les auteur(e)s corses et leurs ami(e)s sur le site Corsicapolar à ladresse suivante : http://www.corsicapolar.eu

Cest Manuel Vasquez Montalban (mort à Bangkok en 2003) qui, avec sa ville Barcelone, en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est linventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché lapparition dune vague dauteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville, leur pays dorigine En premier lieu en France et en Italie.

En Italie, Andrea Camilleri ( 82 ans ) va même appeler son héros récurrent " Montalbano " en hommage à lauteur catalan et en France, Jean-Claude Izzo ( décédé le 26 janvier 2000 à Marseille) va sinspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban). Depuis lors dautres auteurs ont émergé en Europe comme Petros Markaris en Grèce mais aussi, autour de la Méditerranée jusquau Maghreb comme lAlgérien Yasmina Khadra en Algérie, le Marocain Driss Chraïbi ( décédé en avril 2007 en France, à Crest dans la Drôme).
Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Son auteur na jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors quil signait encore sous le nom de Georges Sim et quil était publié par un bimensuel italien, découvrant une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien, le flic de Simenon est devenu un modèle pour lui. Montalbano est devenu le modèle pour des auteurs insulaires comme Camilleri.
Le polar sest alors glissé dans les littératures régionales que Mlle Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes, a défini dans un mémoire de thèse dont nous avons relevé des extraits:
Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la "littérature régionale " nen fait pas partie. Pourtant, il sagit bien dune forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit lâme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guère employées dans la littérature dite "généraliste ". De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.
La littérature corse résulte des pratiques ancestrales dune littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par lalphabétisation et lapparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourdhui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Evidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, lAlsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.
Garante de la conservation et de la protection dun patrimoine culturel, la "littérature régionale " devrait être au cur de certaines préoccupations. En effet, à lheure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions dune unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance dune littérature régionale en tant que telle sinscrit dans le contexte actuel de conservation de lidentité des minorités culturelles.
Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la "littérature régionale " est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande dun public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.
" Cest au moment fort dune prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté dun groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ". La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe quelle représente, "vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ".
" Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci. Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, lauteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il sinspire, ni forcément y écrire, pour lutiliser à des fins littéraires. Dans lobjet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional lauteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui ny sy réfère jamais. Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu daction romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour lauteur mais aussi pour le lecteur. Lintervention dun folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de "régionaliser " son ouvrage tout comme lutilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, jentends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie ", conclue Mlle Elodie Charbonnier.
Le polar corse :
Mantalban, Camilleri et Izzo ont ouvert la voie du succès au polar régional. Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par linsularité partagée sur des îles aux histoires parallèles.
Le roman est un genre qui a eu du mal à senraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les uvres circulaient sur lîle, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.
La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues dItalie géographiquement proche. La littérature orale insulaire sest donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.
L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et lécrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjamé rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de lhistoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de lactualité. Faire entrer dans linsolite dune voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre quil porte, mieux quaucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjamè rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait quune rengaine exténuée.
Le polar corse existe Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, lécologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme mais aussi les particularités : lomerta, lhonneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend lexil, douloureux, cette nostalgie hors de lîle bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie lhumour Lhumour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie la macagna plus caustique et lautodérision. Il y a surtout la volonté dêtre corse : un corps, plutôt quun corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent dune terre mystifiée et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.
Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : " Cette universalité société, police, crime, nature humaine permet davancer que le genre policier, quil soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, sabreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient dajouter celles propre au génie et à lhistoire de chaque peuple "
En France, alors que le polar devenait un genre littéraire répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, il restait cantonné dans la capitale ou bien à létranger car les éditeurs choisissaient de traduire les grands auteurs anglo-saxons. Dans ce contexte jacobin, un Corse, José Giovanni va devenir un auteur et un cinéaste célèbre. Ancien taulard, il va exceller dans le genre après un premier succès littéraire « Le trou » adapté par la suite au cinéma. Il deviendra un cinéaste et un romancier célèbre. Giovanni a écrit sans référence avec ses origines insulaires. Pourtant la Corse est une terre de romans noirs et de polars. En 2006, un hebdomadaire publiait un article "Terreur sur Ajaccio " sous-titre " Le gang qui fait trembler la Corse ". La première phrase est " Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires " Ny a-t-il pas là le titre et le début dun polar bien noir avec des héros hard boiled ? On y trouve même des idées de dialogue : " Hep, salut ! Je taurais bien offert un café - Vaut mieux pas sattarder aux terrasses de bistrot en ce moment, cest trop risqué !... " La suite de larticle qui relate la réalité dune série dassassinats qui serait la suite dune lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur " semi -retraite " ( Le point , du 19 octobre 2006 ).
Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, sétaient inspirés de la " légende noire de la criminalité insulaire ". Librio a publié un recueil où lon retrouve Mérimée, Balzac, Flaubert, Saint Hilaire, Gaston Leroux et deux Corses : Pierre Bonardi et Jacques Mondoloni, connu dans la Science-fiction. Depuis quelques années, on a vu émerger le polar régional. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté limaginaire de bon nombre dauteurs et de cinéastes, il faudra donc attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris.

A la même époque, en Corse, un Editeur ajaccien avait créé une "collection Misteri " qui a fait découvrir, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourdhui des auteurs de polars connus. " Les trois jours dengatse " de Philippe Carrese a été dabord édité dans la collection " Mistéri " en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais ), puis réédité au " Fleuve noir " en 1995. François Thomazeau est lauteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, " Lécailler du Sud ", éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau dans la collection Misteri ont été réédités par Librio. Léditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.
Le pionnier de la Noire made in Corsica est donc Paul-André Bungelmi avec sa maison dédition Méditorial et la Collection Misteri. Il a découvert et édité dexcellents polars commis par des auteur(e)s ayant pour la plupart fait leur chemin. A lépoque, jai lu des ouvrages « Misteri »:
- Comme un chien dans la vigne et caveau de famille, écrits par Elisabeth Milleliri
- La moisson ardente et raison détat, écrits par Archange Morelli
- Trois jours dengatze, écrit par Philippe Carrese
- La faute à Déguin et Qui a tué monsieur cul, écrits par Philippe Thomazeau.
« A lépoque (1992), dit Philippe Carrese, jai envoyé le manuscrit à plus de trente maisons dédition, y compris "Fleuve Noir". Tous lont refusé. Jai croisé Paul André Bungelmi, en corse, un type adorable qui me la pris mais qui a été dépassé par le succès du livre. Fleuve Noir a repris la suite en moins de quinze jours. Paul André est un vrai méditerranéen, il a tout de suite tout compris, tout mon coté "sudiste" que pas mal de parisiens ont encore beaucoup de mal à cerner ».
Et François Thomazeau ajoute : « Je ne connaissais Carrese que de nom et j'ai atterri chez Méditorial parce que ma mère avait vu un reportage sur "Trois jours d'engatse" sur France 3 Marseille. C'est elle qui m'a forcé à envoyer le manuscrit de Dégun à Méditorial. Comme Carrese, je ne rendrai jamais assez hommage au patron de cette maison, Paul-André Bungelmi, un honnête homme comme on n'en fait plus. Il a arrêté l'édition faute d'argent et tient un bar de nuit extrêmement sympa à Ajaccio. On amène sa bouffe, y a une cheminée au fond pour faire cuire le rata, et lui fait payer le vin."
Après la cessation dactivité de Méditorial, si quelques auteurs de polars corses ont été édités, il nexistait plus de série noire insulaire. A partir de 2003, des auteurs corses se ré approprient la Corse noire et des éditions corses les éditent. Dabord Les Editions La marge avec La chèvre de Coti Chiavari de Jean-Pierre Orsi, ouvrage repris par Les Editions du Journal de la Corse après la cessation dactivité des Editions La marge. A la même époque Pur Porc de Jean-Paul Brighelli est édité hors de Corse chez Ramsay. Jean-Pierre Orsi a écrit deux suites chez le même éditeur où lont rejoint Louis Dominici et Jean-Paul Ceccaldi. En 2004, les Editions Albiana lancent la collection Néra qui a publié, à ce jour, une douzaine de romans noirs écrits par sept auteurs : Jean-Pierre Santini, Okuba Kentaro, Paul Milleliri, Pierre Lepidi, Alexandre Dominati, Jean-Marc Comiti et Jean-Pierre Larminier. N'oublions pas les femmes. Nous avons parlé dElisabeth Milleliri et de Marie-Hélène Cotoni. Il faut citer aussi Daniele Piani ( Lécume des Brocci), Arlette Shleiffer ( Molto chic et Bar rouge) et Marie-Hélène Ferrari avec le commissaire Pierruci qui en est à sa quatrième pérégrination policière en Corse. Tous et toutes sont édités sur lîle. Dautres auteurs corses ont des éditeurs continentaux comme Jean-Louis Andréani, journaliste au Monde, avec son héroïne Delphine Mailly ou bien Francis Zamponi célèbre pour son best-seller « Le colonel » adapté au cinéma par Costa Gavras et qui est lauteur de La vendetta corsa. Denis Blémont-Cerli, originaire de Lama, a écrit en 2007 son premier polar « Marseille-Corse, aller simple ». En Corse, Olivier Collard auto-édite ses polars corses.
Aujourdhui, sur l'île, des auteurs se sont regroupés dans une association et sur un site Corsicapolar. Le Webmaster du site Corsicapolar est Ugo Pandolfi, auteur de La vendetta de Sherlock Holmes. Il sest mis, aujourdhui, à la pointe de lédition en ligne pour son dernier opus « Du texte clos à la menace infinie » sorti chez « lulu.com ».

Un festival du polar corse et méditerranéen a ouvert à Ajaccio en juillet 2007 et sa deuxième édition est programmée du 4 au 6 juillet 2008. Ils y ont invité des auteurs méditerranéens et des animations sont déjà prévues. A loccasion ils présenteront leurs nouveaux ouvrages et un recueil collectif de nouvelles : des Noirs de Corse, «Piccule fictions» écrites au profit de lassociation corse Handi 20 crée en faveur des handicapés.
Vous pouvez retrouver tous les auteur(e)s corses et leurs ami(e)s sur le site Corsicapolar à ladresse suivante : http://www.corsicapolar.eu
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