Le Miniaturiste - L'écriture naît des cendres:
Martin Melkonian est né en 1950 à Paris. Ecrivain confirmé, il possède une bibliographie dune quinzaine douvrages et Les Editions Parenthèses, en 2006, ont édité un autre ouvrage dont il est lauteur " Ils sont assis " (cest ainsi quon désignait le fait dêtre enfermé dans un camp en Union soviétique). Il est aussi peintre et on lui doit en 2005 aux éditions décarts " Edward Hopper luttant contre la cécité ". Il expose actuellement dans une galerie à Gap (05).
Cet auteur fait partie de ces personnages pour lesquels on éprouve immédiatement de la sympathie. Il vous reçoit avec un grand sourire et, lorsquil sexcuse de sa lenteur feinte pour vous dédicacer un livre, il remplit cette lenteur de quelques mots qui sont des pistes pour votre lecture. Et puis, lorsque vous le quittez, ces mots que vous pensiez vite oublier car un salon du livre est comme une grande salle des mots perdus, ils vous reviennent Vous les redécouvrez et vous vous les appropriez. Vous avez alors lenvie décrire une apologie de la lenteur et une autre de loubli La lenteur est le temps que lon vous donne et non pas celui que lon vous vole. Loubli est une chance de redécouvrir et dinventer le passé à la lumière dun présent insaisissable. Jai attendu un peu avant douvrir le livre et de prendre connaissance de sa dédicace en forme de sous titre : " Ce miniaturiste où lécriture naît des cendres ". Son livre est une réédition. Quelle chance, je navais pas lu la première, avant de le rencontrer. " Le miniaturiste " ouvre une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.
Le Miniaturiste est un roman autobiographique situé dans le 10ème arrondissement de Paris (jadis populaire) et déjà publié au Seuil en 1984. Lauteur se souvient de son enfance au 204 du Faubourg Saint-Martin dans le minuscule appartenant atelier où il a vécu avec un père, artisan tailleur, et sa mère. Louvrage est divisé en trois chapitres importants de la vie : voir, parler et mourir.
Voir :
Le peintre va chercher ses couleurs dans la vie où rien nest figé. Lhomme veut faire durer le présent mais il est déjà dans un autre moment, un présent insaisissable qui se nourrit dun passé qui toujours séloigne. Lécrivain, spéléologue de lintime, déchiffre les hiéroglyphes de sa mémoire, sonde les cendres du passé et, pour écrire, se sert des plumes de ce Phoenix quest le temps. Sous les cendres, couvent les braises dune humanité morte et toujours renaissante. Lécriture, qui naît des cendres, enveloppe de sa chaleur le lecteur plongé dans lunivers du miniaturiste Le passé est sauvé de loubli par lécriture qui naît de ses cendres. Lécrivain est un passeur de mémoire. Limagination du lecteur, sollicitée par ce Miniaturiste, enlumine forcément ses récits. Dans notre mémoire, les êtres et les lieux de lenfance deviennent des enluminures imaginées avec les couleurs de nos propres récits intérieurs. Les récits intérieurs ainsi enluminés de Martin Melkonian soffrent, à chacun de nous, dans lintemporalité de notre imaginaire.
Parler :
" Renoncer à sa propre langue (accepter ce renoncement), cétait renoncer à bien plus, qui ne se chiffre pas, porter en soi le deuil dune inconnue, dune civilisation imaginaire qui tient dans la faculté de prononcer, cest maintenant vivre (continuer) avec un accablement sans fond et sans nom. " Nous dit lauteur.
Lécriture naît des cendres, terreau du " rhizome voyageur " qui a perdu ses racines et cherche une terre daccueil " propice à une fixation définitive à des milliers de lieux de son point dorigine, de son circonstanciel et sûrement douloureux prélèvement ". Lencre bleue est un "recouvrement archéologique " sur le papier, avec, pour repères, " la peau, peut-être aussi une mémoire cénesthésique, animale, et la volonté de créer de nouveaux talismans " et, pour dessein, laisser quelques traces dans des paysages et des lieux " jusquau seuil dun néant immobile où ne comptent que les traces de lavoir été ". Le Miniaturiste raconte son histoire individuelle " amoureusement reconquise " et cette histoire nominative, palpable, incarnée, savoureuse dun passé infinitésimal porte trace de lautre histoire " majuscule " des hommes, générique et impalpable.
Lécriture passe par la langue et lauteur sinterroge : " Pour quelle raison, mon père renonça à sa langue à notre langue et cultiva lautre, ladoptive, à lexcès ? ", toute en se réservant des échanges idiomatiques avec la mère qui " parlait un amalgame darménien, de turc, de grec et ditalien ". Sans aucun doute, par volonté dintégration. Peut-être aussi pour ne pas transmettre la lourde douleur du génocide à son fils , qui, adolescent, a souffert de la révélation de cette langue " encore vivante humectée de salive " qui, chuchotée, " remuait en lui, soulevait des nappes doublis ", cette langue dune autre rive de lui-même quil ne pouvait atteindre, " avec ses assemblages rythmiques et gutturaux ", ses trois variétés de " r " dont le félin, " ruminant, savance à mezzo voce, sans coup férir, comme si de rien nétait, puis, qui, en quelques fractions de secondes, laisse échapper un grincement chuinté, comme le chat ou le tigre, en position défensive, sur le point de griffer ou de mordre, grasseye, crache, feule ".
Il évoque ses souvenirs de " slum " (bidonville) vertical, cette pauvreté " qui blessait son regard et, dune certaine façon aveuglante, le tatouait à chaud ". Cest dans ce nid familial, sur sa terre natale constituée dun deux pièces et dun réduit de cuisine, au 204 de la rue du Faubourg Saint Martin que Martin a perdu sa " langue coupée, hachée menue comme lArménie " et quil en a conquis une autre : dans cette chambre partagée où son père (qui avait appris le français en lisant des romans policiers dans la collection Le masque) lui inventait et lui réinventait mille histoires de Cendrillon. Quelle conquête ! Quelle chance pour le lecteur!
Martin Melkonian nous offre un livre profond dans un lyrisme qui révèle sa grande sensibilité denfant arménien, fils unique dun tailleur du Faubourg Saint Martin. Cest cette partie arménienne de lui-même qui fait dire à ladulte quinquagénaire que la première langue garde toujours sa part de territoire : " il est des sentiments uniques, exclusifs, qui ne relèvent que dune ethnie spécifique, sans équivalence dune langue à lautre ". Cette langue arménienne est associée, dans la mémoire de lauteur, aux escaliers de son immeuble que son père gravissait en comptant les marches en arménien " meg, yergou, yerek " Un, deux, trois cette langue arménienne ne cesse dêtre pour le restant de ses jours un appel. Il les redescend seul dans la mélancolie, lorsquil rate une ou deux marches comme cela arrivait à son père malade
Mourir :
" Je relevais ses oreillers, je retapais son lit, je rangeais sa table de chevet, je pliais et dépliais ses jambes Je lui donnais à manger, je lui faisais la lecture, je lui caressais la main. " La mort sinstalle lentement chez le père et use les forces vitales du fils. Il prend sans doute conscience que ses gestes attentionnés et tendres sont des soins palliatifs dictés par lamour filial face à la mort hospitalière. Après, il y a la séparation, la douleur, la solitude et la nécessite de ne plus commenter ce que Martin Melkonian écrit avec cur et talent, dans une langue française dont il joue des subtilités, pour nous dévoiler son goût prononcé pour la miniature et la divination des mots.
Face à la douleur, lauteur se livre à une introspection inspirée du Bouddhisme et qui débouche sur son nirvana : lécriture.
Le pire dans un destin, cest dy laisser des pages blanches.
Martin Melkonian est né en 1950 à Paris. Ecrivain confirmé, il possède une bibliographie dune quinzaine douvrages et Les Editions Parenthèses, en 2006, ont édité un autre ouvrage dont il est lauteur " Ils sont assis " (cest ainsi quon désignait le fait dêtre enfermé dans un camp en Union soviétique). Il est aussi peintre et on lui doit en 2005 aux éditions décarts " Edward Hopper luttant contre la cécité ". Il expose actuellement dans une galerie à Gap (05).
Cet auteur fait partie de ces personnages pour lesquels on éprouve immédiatement de la sympathie. Il vous reçoit avec un grand sourire et, lorsquil sexcuse de sa lenteur feinte pour vous dédicacer un livre, il remplit cette lenteur de quelques mots qui sont des pistes pour votre lecture. Et puis, lorsque vous le quittez, ces mots que vous pensiez vite oublier car un salon du livre est comme une grande salle des mots perdus, ils vous reviennent Vous les redécouvrez et vous vous les appropriez. Vous avez alors lenvie décrire une apologie de la lenteur et une autre de loubli La lenteur est le temps que lon vous donne et non pas celui que lon vous vole. Loubli est une chance de redécouvrir et dinventer le passé à la lumière dun présent insaisissable. Jai attendu un peu avant douvrir le livre et de prendre connaissance de sa dédicace en forme de sous titre : " Ce miniaturiste où lécriture naît des cendres ". Son livre est une réédition. Quelle chance, je navais pas lu la première, avant de le rencontrer. " Le miniaturiste " ouvre une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.
Le Miniaturiste est un roman autobiographique situé dans le 10ème arrondissement de Paris (jadis populaire) et déjà publié au Seuil en 1984. Lauteur se souvient de son enfance au 204 du Faubourg Saint-Martin dans le minuscule appartenant atelier où il a vécu avec un père, artisan tailleur, et sa mère. Louvrage est divisé en trois chapitres importants de la vie : voir, parler et mourir.
Voir :
Le peintre va chercher ses couleurs dans la vie où rien nest figé. Lhomme veut faire durer le présent mais il est déjà dans un autre moment, un présent insaisissable qui se nourrit dun passé qui toujours séloigne. Lécrivain, spéléologue de lintime, déchiffre les hiéroglyphes de sa mémoire, sonde les cendres du passé et, pour écrire, se sert des plumes de ce Phoenix quest le temps. Sous les cendres, couvent les braises dune humanité morte et toujours renaissante. Lécriture, qui naît des cendres, enveloppe de sa chaleur le lecteur plongé dans lunivers du miniaturiste Le passé est sauvé de loubli par lécriture qui naît de ses cendres. Lécrivain est un passeur de mémoire. Limagination du lecteur, sollicitée par ce Miniaturiste, enlumine forcément ses récits. Dans notre mémoire, les êtres et les lieux de lenfance deviennent des enluminures imaginées avec les couleurs de nos propres récits intérieurs. Les récits intérieurs ainsi enluminés de Martin Melkonian soffrent, à chacun de nous, dans lintemporalité de notre imaginaire.
Parler :
" Renoncer à sa propre langue (accepter ce renoncement), cétait renoncer à bien plus, qui ne se chiffre pas, porter en soi le deuil dune inconnue, dune civilisation imaginaire qui tient dans la faculté de prononcer, cest maintenant vivre (continuer) avec un accablement sans fond et sans nom. " Nous dit lauteur.
Lécriture naît des cendres, terreau du " rhizome voyageur " qui a perdu ses racines et cherche une terre daccueil " propice à une fixation définitive à des milliers de lieux de son point dorigine, de son circonstanciel et sûrement douloureux prélèvement ". Lencre bleue est un "recouvrement archéologique " sur le papier, avec, pour repères, " la peau, peut-être aussi une mémoire cénesthésique, animale, et la volonté de créer de nouveaux talismans " et, pour dessein, laisser quelques traces dans des paysages et des lieux " jusquau seuil dun néant immobile où ne comptent que les traces de lavoir été ". Le Miniaturiste raconte son histoire individuelle " amoureusement reconquise " et cette histoire nominative, palpable, incarnée, savoureuse dun passé infinitésimal porte trace de lautre histoire " majuscule " des hommes, générique et impalpable.
Lécriture passe par la langue et lauteur sinterroge : " Pour quelle raison, mon père renonça à sa langue à notre langue et cultiva lautre, ladoptive, à lexcès ? ", toute en se réservant des échanges idiomatiques avec la mère qui " parlait un amalgame darménien, de turc, de grec et ditalien ". Sans aucun doute, par volonté dintégration. Peut-être aussi pour ne pas transmettre la lourde douleur du génocide à son fils , qui, adolescent, a souffert de la révélation de cette langue " encore vivante humectée de salive " qui, chuchotée, " remuait en lui, soulevait des nappes doublis ", cette langue dune autre rive de lui-même quil ne pouvait atteindre, " avec ses assemblages rythmiques et gutturaux ", ses trois variétés de " r " dont le félin, " ruminant, savance à mezzo voce, sans coup férir, comme si de rien nétait, puis, qui, en quelques fractions de secondes, laisse échapper un grincement chuinté, comme le chat ou le tigre, en position défensive, sur le point de griffer ou de mordre, grasseye, crache, feule ".
Il évoque ses souvenirs de " slum " (bidonville) vertical, cette pauvreté " qui blessait son regard et, dune certaine façon aveuglante, le tatouait à chaud ". Cest dans ce nid familial, sur sa terre natale constituée dun deux pièces et dun réduit de cuisine, au 204 de la rue du Faubourg Saint Martin que Martin a perdu sa " langue coupée, hachée menue comme lArménie " et quil en a conquis une autre : dans cette chambre partagée où son père (qui avait appris le français en lisant des romans policiers dans la collection Le masque) lui inventait et lui réinventait mille histoires de Cendrillon. Quelle conquête ! Quelle chance pour le lecteur!
Martin Melkonian nous offre un livre profond dans un lyrisme qui révèle sa grande sensibilité denfant arménien, fils unique dun tailleur du Faubourg Saint Martin. Cest cette partie arménienne de lui-même qui fait dire à ladulte quinquagénaire que la première langue garde toujours sa part de territoire : " il est des sentiments uniques, exclusifs, qui ne relèvent que dune ethnie spécifique, sans équivalence dune langue à lautre ". Cette langue arménienne est associée, dans la mémoire de lauteur, aux escaliers de son immeuble que son père gravissait en comptant les marches en arménien " meg, yergou, yerek " Un, deux, trois cette langue arménienne ne cesse dêtre pour le restant de ses jours un appel. Il les redescend seul dans la mélancolie, lorsquil rate une ou deux marches comme cela arrivait à son père malade
Mourir :
" Je relevais ses oreillers, je retapais son lit, je rangeais sa table de chevet, je pliais et dépliais ses jambes Je lui donnais à manger, je lui faisais la lecture, je lui caressais la main. " La mort sinstalle lentement chez le père et use les forces vitales du fils. Il prend sans doute conscience que ses gestes attentionnés et tendres sont des soins palliatifs dictés par lamour filial face à la mort hospitalière. Après, il y a la séparation, la douleur, la solitude et la nécessite de ne plus commenter ce que Martin Melkonian écrit avec cur et talent, dans une langue française dont il joue des subtilités, pour nous dévoiler son goût prononcé pour la miniature et la divination des mots.
Face à la douleur, lauteur se livre à une introspection inspirée du Bouddhisme et qui débouche sur son nirvana : lécriture.
Ecritum humanum est
24 décembre 2007
En cette fin de décembre, tous les fils savent-ils quun père est plus quun père Noël et que les plus beaux cadeaux ne sont pas les plus évidents ?
notamment sa tendresse et les histoires racontées avant de dormir. Il se fait surtout le passeur dune identité et de lamour des mots qui sauvent de loubli, seconde mort plus définitive. Lécriture naît des cendres
Tu es poussière et redeviendras poussière. Cest écrit dans la Bible qui, depuis les temps immémoriaux, renaît de ses cendres. Les paroles senvolent et les écrits restent. Je préfère técrire car je narrive pas à te parler
Ecrivez-nous !... Cest écrit !...Le pire dans un destin, cest dy laisser des pages blanches.
24 avril 1915........
Sagissant du peuple arménien, un génocide saccompagne souvent dautodafés des livres. Cest pour cela qu" écrire " fait partie du devoir de mémoire des survivants et de leurs descendants. Les auteurs arméniens le font avec talent.Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :