
Cur de rocker et « doigts écorchés » :
« Les doigts écorchés », une histoire à fleur de peau. Sylvie Robic nous livre lintimité de la douleur dun deuil avec le doigté dune musicienne, le balancer et rouler dune écriture au rythme tendu qui fait ressurgir lesprit « Rock n Roll » toujours vivant dune époque pas si lointaine.
A la fin au début non à la fin non au début et à la fin du roman, un adulte suit la tournée du groupe Hoggboy (venu de Sheffield). Entre les deux, il renoue avec son passé sans savoir par où commencer. Alors, ses premiers mots sont « Il y a forcément plusieurs débuts » et le premier début simpose chronologiquement, « sétend et se dilue sur une quinzaine dannées, du milieu des années 60 au début des années 80. Il met en scène deux garçons et leur mère, en Province, au sud-est de la France, sur les contreforts du Vercors ? » . Une enfance ordinaire provinciale : « Une mère très jeune un peu débordée, des paysages de basse montagne. Les deux couleurs de ce temps là sont le vert et le blanc mais la musique aussi est une couleur, la plus brillante, la plus intense ». Cette mère était tombée amoureuse dun saisonnier au début de lété 62. Le narrateur naissait un an plus tard et, ensuite vient la naissance de son frère qui coïncide avec labandon par le père qui leur a laissé une seule chose : le goût de la musique. « Dans la maison, de la musique partout, toute le temps, pour combler son absence ». Et puis en 1978, les réunions dadolescents dans une chambre pour écouter des disques de LedZep jusquaux Sex Pistol Anarchy in the U.K ou bien No more Heroes et les Stranglers répliquant à David Bowie. Le rock emplissait la vie quand sont venues les années 80 « une ambiance beatnik revue et corrigée par le tranchant rouge, noir du punk ».
Cétait le temps de ladolescence et de sa révolte : « Heureusement quil y a les copains. Sans eux, on serait déjà mort. Parce que les couleurs, les odeurs, les conforts de lenfance ont brusquement perdu tout intérêt à nos yeux et ça sest fait dun coup, sans même quon sen aperçoive. Ce sentiment soudain insupportable de vivre dans un pot de chambre, au trou du cul du monde, sous une chape de plomb de montagnes Passer au Punk, aux Sex Pistol, aux Stranglers, aux Cash, cest passer à linsurrection, à lintensité électrique. » et « Le rock a été inventé pour sortir les petits garçons des prisons des caresses maternelles. Le rock est une guerre inévitable pour échapper à sa mère ». Limportant, cétait la musique ! Le rock qui écorchait les doigts sur les cordes dune guitare électrique. Le « tout pour la musique » des écorchés vifs de ladolescence Les vibrations de lêtre Les révoltes La guerre du Vietnam, les bombes américaines au nom de fille tueuse « Daisy Cutter », U2 devenu mythique...
Autre début : la mort de Maurice Pialat et lhommage rendu à lamour du cinéaste pour les apprentis rebelles en motocyclette. Le 11 janvier 2003, pour le narrateur, tout recommence. « Cette nuit-là, jai rêvé daccidents, daccidents de mobylette, et au réveil je nai pas pu mempêcher de songer très fort à toi. ». Flash back : la présence du frère qui voulait une mobylette. Avec sa MBK, il avait pu frimer jusquà sa mort bête, une sortie de route, un arrêt de vie . Et un « cur renversé » de rocker. Lentrée brutale dans le monde des adultes. Vingt ans « derreur, de fatigue et dexil », jusquà un concert du groupe Hoggboy. Le riff de la guitare Lesprit Rock n roll Les vibrations de lêtre Le goût proustien de la musique, Joy Division, Marquis de Sade et les autres. Mais avant , lenfance coulait ses jours. Les deux frères écoutaient la voix grave de Nico et The Velvet Underground, Gainsbourg, Birkin , Nino Ferrer et sa chanson pour Nathalie, le prénom de leur mère qui a affublé le chanteur de surnoms affectueux : « Nono Nano mon Nanounet »
Comment raconter une vie ? Doit-on commencer par le début et finir par la fin. On dit que tout commence et tout finit par des chansons. Le narrateur a raison : Il y a forcément plusieurs débuts à lhistoire dune vie. Le mot fin ne peut être que mortel Comment accepter la mort dun proche ? Le narrateur a mis vingt ans avant de dire : « Jai perdu un frère, il est mort à quinze ans dans un accident de mobylette. ». Mais ce nest pas un constat définitif. Au fond de lui, il cherche encore ce frère et reste à laffût du moindre signe dans la vie. « Il y a des signes dans la vie. Il faut y croire », derniers mots despoir dun autre début pour que rien ne soit définitif. A partir des mêmes notes, la musique parle plusieurs langues mais chacune sadresse directement à notre être le plus profond. Je me souviens du récit dune femme corse qui avait perdu son jeune garçon. Lors de la cérémonie religieuse, un cur de voix dhommes avait chanté « Diu di Salve Regina ». Cette mère a reçu ce chant sacré comme un signe de vie. Grâce à cette musique, son fils nétait plus mort mais senvolait, et cette image la apaisée. Il ny avait plus la mort entre eux. Elle ressentait à nouveau la présence de son fils devenue son protecteur. Nietzsche a exprimé son point de vue philosophique sur limportance existentielle de la musique. Le Rock n Roll et la musique populaire illustrent, en sortant de lélitisme, ce que, pianiste et mélomane pétri de grande musique, il écrivait : « La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil. »
Sylvie Robic, maître de conférences à Paris X, a été publiée pour la première fois en 1999. Il sagissait dun essai « Le salut par lexcès ». Et puis en 2003, il y a eu son premier roman « Une fille gentille » (Editions PUF). Elle a ensuite participé à une écriture collective eux Editions verticales en 2004 : « Tout sera comme avant », des nouvelles autour des chansons de Dominique A. Avec « Les doigts écorchés », elle nous a composé, avec grâce, un roman à la fois court et dense. Il sagit dune chronique intimiste de la Rock n Roll attitude qui sauve de lautisme une adolescence en rupture avec le monde de lenfance et en révolte contre les adultes : posters collés aux murs des chambres, look déjanté avec épingles à nourrice, vinyle des 45 ou 33 tours, plastic des minijupes, tournée avec les copains Dans son premier Roman, la « fille gentille » est rattrapée par un amour perdu dont le film sest estompé, ne livrant que des flashes et des images incertaines. Dans « Les doigts écorchés », le narrateur masculin renoue avec son adolescence et la mémoire de son jeune frère décédé à 15 ans. Dans les deux romans, les souvenirs hantent les héros. Le rapport avec la musique y est sensuel et charnel.