Le Petit héros de papier, écrit par Martin Melkonian.
De la lecture et de lécriture, laquelle précède lautre ? Au début, y avait-il le verbe ? Au début, il y a les parents. Lorsquil parle de lécriture, Martin Melkonian les évoque avec son amour filial et les liens forts dune complicité intellectuelle qui lont conduit à lécriture et à la peinture. Retour à lenfance. Limportance de lenfance : le temps des contes et de l amour. La mort, celle du père. Labîme et encore lamour mais sans lien charnel. Les mots de lamour et lamour des mots : Les mots des êtres chers, les mots passerelles entre les âmes mortes et vivantes. " Les mots sont des êtres vivants Ils fourmillent Rêveurs, tristes, joyeux, amers, doux Les mots sont les passants mystérieux de lâme ". Hugo la si bien dit et le constat à retenir est toujours le même: Ecritum humanum est.
Lécriture a besoin de lenteur. La lenteur est le temps de ceux qui sont sur le second versant de la vie, nous dit Martin Melkonian en reprenant ce groupe de mots dans lincipit de La Divine Comédie de Dante ( nel mezzo del camin di nostra vita). Chaque voyage fait avec lenteur dans la mémoire apparaît alors comme une chance de redécouvrir et dinventer le passé à la lumière dun présent insaisissable " La mémoire : elle est rieuse, oublieuse, bigame mariée au rêve et à la réalité, écrit-il. "

La quatrième page de couverture du " petit héros de papier " explique que " Martin Melkonian puise dans sa mémoire et dans sa bibliothèque idéale. Il reprend lordre de ses souvenirs quil tient à restituer avec justesse. Cest un travail de main et de tête sur la matière du texte ". Même si tout y est littéraire, le petit héros de papier est aussi un héros de chair : lauteur. Dès les premières lignes du livre, lemploi du je et du moi le lie à la vérité romanesque de son héros, réel même dans sa fiction.
Martin Melkonian connaît la valeur des mots quelle soit esthétique ou musicale. A quatre ans, il jouait déjà avec eux : " L un après lautre, les mots irritent la gorge, saggrippent à la glotte, puis passage préparé- roulent sur la langue, patinent, virevoltent, expirent ". La langue ( française), ajoute-t-il dans le Miniaturiste, " elle se dit, elle sécoute, elle sépluche, elle se goûte ". Les mots sont loccasion de longues rêveries et de délicieux voyages. Comme Mallarmé, il leur donne une vie libérée de lusage utilitaire. Il puise dans ce quil nomme " la poésie de mémoire " et il y trouve lémotion.
Ralentir, mots-valises. !
Ralentir, impacts des mots !
Ralentir, Melkonian !
Martin Melkonian mesure le poids des mots sans surpondérer sa plume. Il nous parle dun quatuor enchanté sans ordre dentrée décelable: "lécriture, la poésie, lémotion, la mémoire. " Lécriture est dans les couleurs, les parfums, les objets, les lieux, les êtres
" Lécriture est un roman. Lécriture est partout " nous dit-il.
" Il fut papier. Voltaire " telle est la dédicace-épitaphe au début du livre. Nous avons retrouvé la suite de la citation.
Il fut papier ; cent cerveaux à l'envers
De visions à l'envi le chargèrent ;
Puis on le brûle ; il vole dans les airs,
Il est fumée aussi bien que la gloire...
Voltaire, Guerre de Genève, IV.

Lorsquil nous avait dédicacé " Le Miniaturiste " , Martin Melkonian avait écrit avec lenteur : " Ce miniaturiste ou lécriture née des cendres " (voir article précédent sur l'auteur ). Le miniaturiste avait ouvert une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.
Dans " Le petit héros de papier ", lauteur relate litinéraire de celui qui a choisi " tous les dieux, tous les textes, ceux écrits et ceux à écrire", et qui a commencé par " aimer la rêverie au dessus des uvres ". " Je rêvais, dit-il, que ma rêverie décriture était déjà de lécriture ". Et puis il sest mis à écrire " selon un mode propre, une sonorité propre. Selon sa chanson . " Une chanson où les mots forment parfois des versets rappelant le haïku contemporain. Nous avons relevé quelques passages pour exemples :
La pensée.
La précieuse.
Je subodorais sa présence.
On biffe parfois.
On caviarde parfois.
On déchire parfois
Ou encore :
Je souhaitais le rencontrer.
Javais vingt-huit ans.
Lui, soixante-trois.
Et cela nous fait adapter un haïku dIssa à lattention de lauteur :
Sur les écrans de papier
Elle fait des arabesques
Sa plume de Phénix.
Lesprit haïku est présent dans les dédicaces de lauteur. Après celle du Miniaturiste, je vous livre sa nouvelle dédicace : " Ce petit héros de papier ou la plume dun phénix ".
Au bout de notre lecture, lécriture née des cendres du petit héros de papier apparaît bien comme celle dun phénix à la plume flamboyante qui enlumine lécriture et rend la lecture jouissive.
La mémoire, avec sa part dimaginaire, est notre livre intérieur à déchiffrer Le voyage littéraire proposé par lauteur se termine par le mot " nuit " Il ne va pas jusquau bout , contrairement à celui de Céline. Le petit héros de papier nest pas une autofiction Martin Melkonian y raconte son amour et ne montre pas encore sa haine. Sortira-t-elle un jour ? Peut-être une nuit...

Et parce que la mémoire est rieuse. Posons la question : De quel papier est fait le héros ? Papier dArménie qui brûle lentement en dégageant une odeur caractéristique ? Papier décolier nostalgique ? Papier dessin de lartiste-peintre ? Papier buvard de la mémoire ? Papier sensible ? Papier de verre et non pas de vair ?
"On prépare le papier en divisant le papyrus en bandes très minces, mais aussi larges que possible ; la bande la meilleure est celle du centre de l'arbre, et ainsi de suite dans l'ordre de la division ; on appelait jadis hiératique, attendu qu'il était réservé aux livres sacrés, le papier fait avec les bandes intérieures ; lavé, il a reçu le nom d'Auguste, de même que celui de seconde qualité porte celui de Livia, sa femme ; de la sorte, l'hiératique devint papier de troisième qualité.... le ténéotique, ainsi nommé d'une localité voisine de Saïs, est fait avec des matériaux plus rapprochés de l'écorce ; il ne se vend plus à la qualité, il se vend au poids ; quant à l'emporétique, il ne peut servir à écrire ; on ne l'emploie que pour envelopper les autres papiers et emballer les marchandises, de là lui vient le nom qu'il porte (papier des marchands)." Pline, Hist. nat. XIII, 23.
Si lécriture a sa chanson, le papier aussi. Elle est de Gainsbourg et chantée par Régine. Elle dresse un inventaire à la Prévert.
Laissez parler
les p'tits papiers
A l'occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler.
Laissez brûler
Les p'tits papiers
Papier de riz
Ou d'Arménie
Qu'un soir ils puissent
Papier maïs
Vous réchauffer.
Un peu d'amour
Papier velours
Et d'esthétique
Papier musique
C'est du chagrin
Papier dessin
Avant longtemps.
Laissez glisser
Papier glacé
Les sentiments
Papier collant
Ça impressionne
Papier carbone
Mais c'est du vent.
Machin machine
Papier machine
Faut pas s'leurrer
Papier doré
Celui qui touche
Papier tue-mouches
Est moitié fou.
C'est pas brillant
Papier d'argent
C'est pas donné
Papier monnaie
Ou l'on en meurt
Papier à fleurs
Ou l'on s'en fout.
De la lecture et de lécriture, laquelle précède lautre ? Au début, y avait-il le verbe ? Au début, il y a les parents. Lorsquil parle de lécriture, Martin Melkonian les évoque avec son amour filial et les liens forts dune complicité intellectuelle qui lont conduit à lécriture et à la peinture. Retour à lenfance. Limportance de lenfance : le temps des contes et de l amour. La mort, celle du père. Labîme et encore lamour mais sans lien charnel. Les mots de lamour et lamour des mots : Les mots des êtres chers, les mots passerelles entre les âmes mortes et vivantes. " Les mots sont des êtres vivants Ils fourmillent Rêveurs, tristes, joyeux, amers, doux Les mots sont les passants mystérieux de lâme ". Hugo la si bien dit et le constat à retenir est toujours le même: Ecritum humanum est.
Lécriture a besoin de lenteur. La lenteur est le temps de ceux qui sont sur le second versant de la vie, nous dit Martin Melkonian en reprenant ce groupe de mots dans lincipit de La Divine Comédie de Dante ( nel mezzo del camin di nostra vita). Chaque voyage fait avec lenteur dans la mémoire apparaît alors comme une chance de redécouvrir et dinventer le passé à la lumière dun présent insaisissable " La mémoire : elle est rieuse, oublieuse, bigame mariée au rêve et à la réalité, écrit-il. "

La quatrième page de couverture du " petit héros de papier " explique que " Martin Melkonian puise dans sa mémoire et dans sa bibliothèque idéale. Il reprend lordre de ses souvenirs quil tient à restituer avec justesse. Cest un travail de main et de tête sur la matière du texte ". Même si tout y est littéraire, le petit héros de papier est aussi un héros de chair : lauteur. Dès les premières lignes du livre, lemploi du je et du moi le lie à la vérité romanesque de son héros, réel même dans sa fiction.
Martin Melkonian connaît la valeur des mots quelle soit esthétique ou musicale. A quatre ans, il jouait déjà avec eux : " L un après lautre, les mots irritent la gorge, saggrippent à la glotte, puis passage préparé- roulent sur la langue, patinent, virevoltent, expirent ". La langue ( française), ajoute-t-il dans le Miniaturiste, " elle se dit, elle sécoute, elle sépluche, elle se goûte ". Les mots sont loccasion de longues rêveries et de délicieux voyages. Comme Mallarmé, il leur donne une vie libérée de lusage utilitaire. Il puise dans ce quil nomme " la poésie de mémoire " et il y trouve lémotion.
Ralentir, mots-valises. !
Ralentir, impacts des mots !
Ralentir, Melkonian !
Martin Melkonian mesure le poids des mots sans surpondérer sa plume. Il nous parle dun quatuor enchanté sans ordre dentrée décelable: "lécriture, la poésie, lémotion, la mémoire. " Lécriture est dans les couleurs, les parfums, les objets, les lieux, les êtres
" Lécriture est un roman. Lécriture est partout " nous dit-il.
" Il fut papier. Voltaire " telle est la dédicace-épitaphe au début du livre. Nous avons retrouvé la suite de la citation.
Il fut papier ; cent cerveaux à l'envers
De visions à l'envi le chargèrent ;
Puis on le brûle ; il vole dans les airs,
Il est fumée aussi bien que la gloire...
Voltaire, Guerre de Genève, IV.

Lorsquil nous avait dédicacé " Le Miniaturiste " , Martin Melkonian avait écrit avec lenteur : " Ce miniaturiste ou lécriture née des cendres " (voir article précédent sur l'auteur ). Le miniaturiste avait ouvert une suite autobiographique commencée en 1984 et les autres romans ont suivi : Désobéir, Loin du Ritz, Les marches du Sacré-Cur, Monsieur Cristal et le Clairparlant.
Dans " Le petit héros de papier ", lauteur relate litinéraire de celui qui a choisi " tous les dieux, tous les textes, ceux écrits et ceux à écrire", et qui a commencé par " aimer la rêverie au dessus des uvres ". " Je rêvais, dit-il, que ma rêverie décriture était déjà de lécriture ". Et puis il sest mis à écrire " selon un mode propre, une sonorité propre. Selon sa chanson . " Une chanson où les mots forment parfois des versets rappelant le haïku contemporain. Nous avons relevé quelques passages pour exemples :
La pensée.
La précieuse.
Je subodorais sa présence.
On biffe parfois.
On caviarde parfois.
On déchire parfois
Ou encore :
Je souhaitais le rencontrer.
Javais vingt-huit ans.
Lui, soixante-trois.
Et cela nous fait adapter un haïku dIssa à lattention de lauteur :
Sur les écrans de papier
Elle fait des arabesques
Sa plume de Phénix.
Lesprit haïku est présent dans les dédicaces de lauteur. Après celle du Miniaturiste, je vous livre sa nouvelle dédicace : " Ce petit héros de papier ou la plume dun phénix ".
Au bout de notre lecture, lécriture née des cendres du petit héros de papier apparaît bien comme celle dun phénix à la plume flamboyante qui enlumine lécriture et rend la lecture jouissive.
La mémoire, avec sa part dimaginaire, est notre livre intérieur à déchiffrer Le voyage littéraire proposé par lauteur se termine par le mot " nuit " Il ne va pas jusquau bout , contrairement à celui de Céline. Le petit héros de papier nest pas une autofiction Martin Melkonian y raconte son amour et ne montre pas encore sa haine. Sortira-t-elle un jour ? Peut-être une nuit...

Et parce que la mémoire est rieuse. Posons la question : De quel papier est fait le héros ? Papier dArménie qui brûle lentement en dégageant une odeur caractéristique ? Papier décolier nostalgique ? Papier dessin de lartiste-peintre ? Papier buvard de la mémoire ? Papier sensible ? Papier de verre et non pas de vair ?
"On prépare le papier en divisant le papyrus en bandes très minces, mais aussi larges que possible ; la bande la meilleure est celle du centre de l'arbre, et ainsi de suite dans l'ordre de la division ; on appelait jadis hiératique, attendu qu'il était réservé aux livres sacrés, le papier fait avec les bandes intérieures ; lavé, il a reçu le nom d'Auguste, de même que celui de seconde qualité porte celui de Livia, sa femme ; de la sorte, l'hiératique devint papier de troisième qualité.... le ténéotique, ainsi nommé d'une localité voisine de Saïs, est fait avec des matériaux plus rapprochés de l'écorce ; il ne se vend plus à la qualité, il se vend au poids ; quant à l'emporétique, il ne peut servir à écrire ; on ne l'emploie que pour envelopper les autres papiers et emballer les marchandises, de là lui vient le nom qu'il porte (papier des marchands)." Pline, Hist. nat. XIII, 23.
Si lécriture a sa chanson, le papier aussi. Elle est de Gainsbourg et chantée par Régine. Elle dresse un inventaire à la Prévert.
Laissez parler
les p'tits papiers
A l'occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler.
Laissez brûler
Les p'tits papiers
Papier de riz
Ou d'Arménie
Qu'un soir ils puissent
Papier maïs
Vous réchauffer.
Un peu d'amour
Papier velours
Et d'esthétique
Papier musique
C'est du chagrin
Papier dessin
Avant longtemps.
Laissez glisser
Papier glacé
Les sentiments
Papier collant
Ça impressionne
Papier carbone
Mais c'est du vent.
Machin machine
Papier machine
Faut pas s'leurrer
Papier doré
Celui qui touche
Papier tue-mouches
Est moitié fou.
C'est pas brillant
Papier d'argent
C'est pas donné
Papier monnaie
Ou l'on en meurt
Papier à fleurs
Ou l'on s'en fout.

Le Miniaturiste , première édition en 1984, a été réédité en 2006 et Un petit héros de papier vient en 2007 comme un codicille, un legs littéraire à ceux qui aiment lire et écrire. Cest le remaillage dune trame individuelle : celle de lécrivain fouillant sa mémoire dans une relation réflexive.
En 2006, deux autres ouvrages de Martin Melkonian ont été publiés : Ils sont assis, Editions Parenthèses (photographies de Max Sivaslian et postface de Martin Melkonian) et Les Corps introuvables, éditions décarts.

"Etre assis", c'est ainsi qu'on désignait, littéralement, le fait d'être interné dans un camp en Union soviétique. L'expression est restée dans le langage populaire dans toutes les républiques après le démantèlement de l'empire. Le regard de Max Sivaslian, qui a photographié dans cinq prisons et centres de détention en Arménie, dont les prisons pour femmes et pour mineurs, explore avec pudeur l'intimité de l'enfermement. Au-delà des évolutions historiques, l'univers soviétique persiste et marque l'intemporalité des conditions carcérales. Ces visages devenus anonymes, qui sont finalement de nulle part, si ce n'est du lieu universel de la privation de liberté, nous renvoient à nos propres angoisses face à la misère de l'autre. Le texte de Martin Melkonian, qui vient en contrepoint, incite à voir ce que précisément nous ne voulions pas voir. Partout, quel que soit le lieu où s'exerce cet empêchement, avec une révélation de la vision qui a lieu grâce à l'énergie d'un photographe. "Le regard de Sivaslian ne compose jamais avec l'effraction. D'ailleurs, quoi prendre à qui n'a plus rien."

Leffarement, légarement et léclipse de lénergie vitale au seuil dun abîme désiré plus que tout constituent la trame des Corps introuvables. Plusieurs décors coulissent au fond dune scène imaginaire pour donner à voir ce que précisément le regard ne souhaite pas voir : des esprits qui nont pas assez dâme pour devenir des esprits, des corps qui nont pas assez dincarnation pour devenir des corps. Il en résulte des personnages électrisés, lucides, disjoints. Les mots suivants sont tatoués sur la peau de lun deux : " il va à lhomme comme à léchafaud. " Dans ce récit halluciné et dérangeant, lacuité du regard soppose à la perte, à loubli, à laveuglement par degrés ; elle soutient une lutte farouche contre lexpérience de la défiguration infligée par lhistoire.
A son tour, Martin Melkonian est entré dans la bibliothèque idéale. Nous suggérons modestement aux enseignants (aux CDI et à tous ceux qui ont pour mission de faire aimer la lecture et de pousser à lécriture) dassocier louvrage de Martin Melkonian à celui de Daniel Pennac " Comme un roman " (gallimard, janvier 1992) dans leur choix duvres à lire et à commenter
FICHE DE LECTURE : " UN PETIT HÉROS DE PAPIER " Editions du Félin, mai 2007. "
Dans la collection Fiction Félin, la première page de couverture offre une très belle illustration à signaler : Création Olivier Lauga/photo - Nicolaï Pavlovitch Tarassov : Pouchkine (détail) Musée de Noukous. C'est un livre qui donne immédiatement envie de le lire et la quatrième page de couverture pique la curiosité et suscite lintérêt.
Extrait du 1er chapitre : Les intercesseurs.
" Laction se déroule à proximité de la mer, un jour frileux de mars. Jai allumé un poêle à pétrole Baya. Jécris sur une table ovale en merisier, couverte de traces, de blessures, dindices. En face de moi, ou plutôt face au cahier sur lequel se trouvent ces premières lignes dencre, il y a un vase en verre clissé de fils de laiton. Il déborde de renoncules aux tons veloutés.
Ma plume est lente, car je suis désormais sur le second versant de la vie, inscrit dans le déclin.
Dehors, en basse continue, le vent du littoral souffle sous le chant têtu des moineaux. Je me laisse aller à une sorte de dictée rurale, inattentif à lorthographe, mais tout en éveil pour ce qui est du son des mots, des phrases, des évocations haussées jusquà ma rêverie, jusquà ce que jappellerais, avec un ravissement jaloux, la poésie de mémoire.
La mémoire : elle est trieuse, oublieuse, bigame mariée au rêve et à la réalité. Elle est sans frontières précises, faisant ici des incursions, des invasions même, et là opérant des retraits dans de vagues terrains sans atmosphère, aux configurations inquiétantes : on ne sait plus avancer. Mais la mémoire, cest aussi une fiction chaleureuse où, sous les masques provisoires du passé, chacun sinvente en dehors du temps. Cette invention est dabord verbale, et le verbe cherche toujours son commencement.
La poésie chasse lutilitaire.
Cest lheure du conte. "
Aux frontières du récit et de lessai, Un petit héros de papier nous invite à faire une incursion au pays de lécriture, c¹est-à-dire à l¹endroit même où elle se fabrique : chez lécrivain.
Louvrage est constitué de quatre parties : I. Les intercesseurs ; II. Les livres complices ; III. La table à écrire ; IV. La trousse à rêveries. Puisant dans sa mémoire comme dans sa bibliothèque idéale, l'auteur trace le chemin d'un homme pour qui les manifestations les plus heureuses de la vie passent par l¹écriture.
Que propose ce livre ?
Le style : Un petit héros de papier est une approche aiguë de la force et du mystère décrire. Le découpage en quatre parties pourrait faire penser à quatre expériences distinctes. Il nen est rien. Elles sont en miroir. Lauteur tient son texte de main de maître et nous le donne à lire d'un seul tenant : de la mémoire naît lidée, de lidée naît le mot, du mot naît lécriture. Pour peu que nous aimions lire, nous sommes séduits par la beauté dune langue juste, forte, précise à lenvi, sensible qui nous engage à rentrer dans le texte, à nous y sentir bien, à nous retrouver dans lexpérience commune du livre que nous avons dans les mains, que nous lisons ou que nous avons limpression décrire, que, de toute façon, nous ne serons pas prêts doublier.
" Le présent livre, écrit lauteur, participe d'une rêverie sur sa structure. Il y a un thème et, en même temps, des paysages, des sites, des événements pénètrent la matière de la prose. " Pour ceux qui connaissent luvre de Melkonian, nous assistons ici à lavancée d¹un auteur qui se bonifie.
Le contenu : alors que nous pouvions redouter le côté suranné des souvenirs, apparaît une dynamique où lécriture maîtrisée aboutit au partage universel : la fragilité existentielle, les expériences concernant tout le monde (lenfance, par exemple, qui nous habite à lâge adulte, nous surdétermine pour le meilleur comme pour le pire). Cest ce que Melkonian appelle lévénement d¹écriture. Cet événement opère tel un fixateur photographique.
Le cheminement : dans Un petit héros de papier, la mémoire déplie ses trésors à l'infini. Aussi comprenons-nous que lauteur veuille y mettre de lordre, trier, condenser, voire éliminer. Il se rend vite compte que pareille tâche lui est impossible, car il ne peut humainement éviter de repasser sur les points dorigine de son histoire individuelle. C¹est en acceptant de fouiller sans à priori quil progresse. Melkonian est un voyageur immobile, mais un voyageur avant tout. La succession des parties de son livre nest rien dautre que la pensée en action. Elle entraîne la main dans le geste essentiel de lécriture. Qui plus est, elle rend le lecteur complice dune enquête inédite. Lart décrire en est lenjeu. "
Nota: Le fameux art d'écrire Et, par les traits divers que notre main conduit, D'attacher au papier la parole qui fuit..." Corneille, cité dans Estarac.
Les thèmes:
1. Il y a les personnages chers à Melkonian :
- Les parents (la vie familiale dans le Paris populaire des années soixante, le père conteur oriental), les instituteurs et professeurs de l'école républicaine, formateurs et pourvoyeurs de culture ;
- Les écrivains (Voltaire, Miller, Sarraute) qui nourrissent sa propre vocation ;



2. Il y a les livres lus : ceux dune bibliothèque " animée " qui ne cesse de croître.
3. Il y a surtout la mémoire qui tend le texte à lextrême, cette " mémoire " mariée au rêve et à la réalité ". Elle convoque le présent immédiat ; elle retouche la vie ; elle prolonge le rêve qui se réfugie dans lécriture même. Elle est " une fiction chaleureuse ". Bref, la mémoire est la compagne délection.
Le petit héros de papier est un livre original et attachant écrit dans la tradition littéraire de la phrase et du bien construit. Rien à voir avec lautofiction. Tout ici est littérature.
L'AUTEUR:
Martin Melkonian est l¹auteur d¹une suite autobiographique. Ce sont Le Miniaturiste, Désobéir, Loin du Ritz, Les Marches du Sacré-C¦ur, Monsieur Cristal, Le Clairparlant, ouvrages auxquels il convient dorénavant d¹ajouter Un petit héros de papier. Ses autres livres comme, par exemple, Le Corps couché de Roland Barthes, Clara Haskil, portrait, De la boulimie et de la privation ou encore Edward Hopper luttant contre la cécité engagent un dialogue avec des figures de notre mythologie contemporaine.
Il compte vingt-cinq années de publications essentiellement orientées vers l'expression d'un regard intérieur, publications en lesquelles le " je " est aussi quelqu'un d¹autre, l'histoire individuelle devenant la caisse de résonance de l'histoire de tout un chacun. Plus que la question identitaire, c¹est le rapport à l'autre (disparu ou vivant) qui les anime.
Martin Melkonian est également peintre.
Durant plusieurs décennies, il a fait carrière dans l'édition (de correcteur d¹épreuves à secrétaire général, en passant par les postes de responsable d'un service des manuscrits et de directeur artistique). Il fut durant six ans collaborateur de Jean Malaurie pour la collection Terre humaine, chez Plon, et dirigea une collection d'essais et de littérature classique, L'Ancien et le Nouveau, chez Armand Colin.
Depuis deux ans, il donne des lectures publiques et visite des classes de collèges et lycées. Une exposition de ses uvres peintes intitulée " Calligraphies imaginaires " s'est tenue cette année (janvier-février-mars) au Musée muséum départemental de Gap.
Martin Melkonian est né à Paris en 1950. Il habite entre Avranches et Granville, au bord des grèves, à proximité du Mont-Saint-Michel.
Martin Melkonian
Bibliographie
Le Miniaturiste, Seuil, 1984 ; prix Thyde Monnier de la Société des gens de lettres, 1985 ; nouvelle édition : Parenthèses, 2006
Désobéir, Seuil, 1986
Loin du Ritz, Seuil, 1988
Département des nains, Séguier, 1988
Le Camériste et autres récits, Maurice Nadeau, 1991
De la boulimie et de la privation ou Le Magasin des troubles, Séguier, 1988 ; nouvelle édition : Armand Colin, 1993
Le Corps couché de Roland Barthes, Séguier, 1989 ; nouvelle édition : Armand Colin, 1993
Les Marches du Sacré-Coeur, Le Bois d¹Orion, 1995
Clara Haskil, portrait, Josette Lyon, 1995
Montagne froide, Passage, 1982 ; nouvelle édition : Fourbis, 1996
Monsieur Cristal. Journal 1977-1982, Le Bois d'Orion, 1997
Le Clairparlant. Journal 1997-1998, Le Bois d'Orion, 2000
Ruptures. Moments de vérité (en collaboration avec Véronique Chauveau), Autrement, 2003
Pèlerinages tibétains : le goût du sacré
(avec Pierre Crié, photographe), Autrement, 2004
Conversations au bord du vide, éditions d¹écarts, 2004
Préface à La Politique du Sultan de Victor Bérard, Le Félin, 2005
Edward Hopper luttant contre la cécité, éditions d¹écarts, 2005
Postface à l'album photographique de Max Sivaslian,
Ils sont assis, Parenthèses, 2006
Les Corps introuvables, éditions décarts, 2006
Un petit héros de papier, 2007
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