Polar corse et Chiame rispondi :
Le chjam'e rispondi est une joute poétique improvisée, qui requiert des interprètes d'une virtuosité exceptionnelle. Deux chanteurs improvisent successivement un court couplet avec des rimes et un nombre de vers bien précis, en se renvoyant l'un à l'autre des propos généralement satiriques. Cette forme d'expression semble menacée par le déclin de la langue corse.
Gombrowicz, grand écrivain et philosophe polonais, disait : ." Il faut abandonner lexcès de théorie et les attitudes pédantes. Le style est le véhicule pour atteindre, non les théories mais les hommes ". Il poursuivait dans ce sens en affirmant que "de nos jours, le courant de pensée le plus moderne sera celui qui saura redécouvrir lindividu"
Pour ne pas être enfermée dans le statut de littérature " minoritaire " , les auteurs corses devraient - ils partir du singulier pour en faire un modèle universel? Et, en dépoussiérant toutes les formes usées de sa littérature, en réactivant la " filastrocca " ( comptine étirée de digression en digression ), les stalbatoghji ( histoires et anecdotes plaisantes comme celles de Grossu Minutu) le Chjamrispondi et toutes les formes orales de la culture corse (Les nanne, les tribbiere, les voceri, la paghjella, le lamentu ) faire passer, en contrebande des formes anciennes, un propos neuf ? "
Le Polar Corse : Chjamè rispondi, par Joël Jegouzo.
La Corse publie. Beaucoup. La Corse invente. Beaucoup. Sans doute son insularité (géographique et culturelle) y est-elle pour quelque chose dans ce regain dinvention et dexpression qui la marque aujourdhui. Son " insularité ", ou plutôt, la prise de conscience de sa place dans le monde. Le " monde ", oui : les cinq continents. Le sentiment que sa " corsitude ", ce sentiment dappartenir à une entité historique, culturelle, que lon vit ailleurs comme menacée, justement dans ses dimensions insulaires, méditerranéennes, ne lest pas en réalité. Changeons de vocabulaire donc : laissons le mot de " corsitude ", chargé des représentations stéréotypées que le vieux continent a forgé dune île imaginaire vouée à un sot exotisme, aux dépliants touristiques et parlons plutôt de " corsité " : le fait dêtre corse, dans un monde globalisé, est une chance. Explorons cette corsité, semblent proclamer les éditeurs corses, dont lambition saffiche à hauteur dun investissement proprement militant pour que cette culture rayonne enfin, comme sils étaient persuadés que lancestrale culture corse représentait non seulement le salut pour la nation corse, mais un vrai laboratoire des mondes à venir.
Car voici que confluent brusquement de sérieux héritages pour former les conditions dun (re)surgissement exemplaire celui du fait Corse. Au point de confluence, lhéritage culturel de la diaspora corse, la culture orale corse et la volonté dêtre corse par-delà les dérives identitaires et les reniements de toutes sortes, leur tentation du moins, dans un monde culturellement aliéné à la civilisation libérale américaine.
Lhéritage de la diaspora corse tout dabord. On la dit de bien dautres nations : cest une chance de posséder une forte immigration à létranger, formant les têtes de pont dune culture vivante, exposée au défi dexister envers et contre lexil. Une diaspora donc, non seulement ambassadrice du fait corse, mais et peut-être surtout, communauté affrontée aux autres cultures, sachant mieux mesurer les défis du monde, tel quil les réorganise.
Au point de convergence, toujours, lhéritage de la culture orale corse nous y reviendrons. Enfin, la volonté dêtre corse : un corps, plutôt quun corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent dune terre mystifiée et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies. Car le mythe impose une rhétorique et une langue dont il faut semparer. Cest bien ce que les éditeurs corses ont compris, qui convoquent désormais la littérature mondiale autour du texte corse. Faisant ainsi entrer de plein pied dans la langue corse une géographie expansive quil nous est possible, enfin, dentendre, et cest ce qui importe : que léchange soit possible.
Alors prenez in fine la langue Corse, enracinée dans une forte tradition orale. Voilà qui nest pas sans évoquer la situation de lIrlande au moment où Joyce entreprend décrire : minoritaire, enfermée dans la domination britannique. Joyce nécrit pas en gaélique, mais il sait faire chanter sa langue natale dans la langue de loppresseur, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de lécrit, cest dans son roman quil va donc la faire passer, abusant de phonétique, jouant du surgissement du son dans le mot. Lisez-le à haute voix, vous lentendrez bien, allez ! Mais sil y a de lhérétique dans cette langue, cest bien que son souci dexpérimentation formelle coïncide avec une conception offensive de la vie. Le vieil irlandais si vieux et dun coup à la pointe de toute modernité Cest cela que lon entend ici et là dans le corse qui sécrit aujourdhui, au-delà du besoin ontologique dexister par la révolte, dans et par cette formidable cambriole nourrie des rapines des autres possibilités langagières, en tout premier lieu offertes par la vieille langue corse.
Mais ne poursuivons pas trop loin ce parallèle entre lIrlande de Joyce et la Corse daujourdhui. Encore que lune et lautre se soient façonnées par une construction identitaire fondée sur l'opposition à la culture qui les dominait. Ici, lépoque n'était guère propice à la liberté artistique, comme en témoignent la censure et l'exil de nombreux écrivains irlandais, de Joyce à Beckett. Ici toujours, la nation prenait ses distances avec ses repères historiques la langue gaélique, l'Église catholique, un mode de vie rural pour se réinventer dans un cadre européen et se démarquer du nationalisme violent qui sévissait dans le Nord. Cest peut-être, toute proportion gardée, ce à quoi la Corse opère aujourdhui : à revisiter son passé pour laccomplir autrement. Car voici que dans la régulation qui sopère, le passé fait de nouveau fond sur lhistoire présente. Il nest que dévoquer cette coutume corse séculaire : le Chjamè rispondi. Il y a là, sans doute, encore, une voie que les Corses contemporains nont pas fini dexplorer dans leurs uvres. (voir le très bel article de J.-P. Ceccaldi à ce sujet sur son blog : http://blog.ifrance.com/flicorse).
De quoi parlons-nous ? A lorigine dune joute verbale au cours de laquelle les participants rivalisaient avec des mots scandés a capella. On nest pas loin du Slam ou du Rap. Impromptu poétique, sur un schéma mélodique répondant à des règles précises avec un contenu ouvert aux débats de société. Nul doute que la Corse tienne là le filon des modernités à venir ! Imaginez : savoir pareillement syncoper son présent, le plier aux contraintes de lhistoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de lactualité. Faire entrer dans linsolite dune voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre quil porte, mieux quaucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjamè rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait quune rengaine exténuée.
La Corse édite donc. Selon un schéma connu : désertification rurale, migration vers les grands centres urbains. Ainsi, Ajaccio et Bastia, les métropoles, abritent-elles la quasi totalité des éditeurs actuels. Albiana, Alain Piazzola, DCL, Editions du Journal de la Corse, Lettres Sud, La Marge, Matina Latina pour la première, Mediterranea, Anima Corsa, Patrice Marzocchi, pour la seconde. Ailleurs ? Rien, sinon les éditions Le Signet, établie à Corte, lancienne capitale historique .
Joël Jégouzo.( 2006)
En 2007, une nouvelle maison dEdition est né dans le Cap corse , à Barrettali, il sagit des Editions A fior di carta, dirigées par Jean-Pierre SANTINI, écrivain corse, auteur de Corsica clandestina, Isula blues et Nimu, dans la collection Nera des Editions Albiana. Une autre est en création du côté de Porto Vecchio
Extrait de Lépistème ethno-anthropologique corse. De lobservation distanciée à la tentation d'une ethnologie de l'acteur. Peer-reviewed article | Article scientifique normé - Charlie Galibert à retrouver à ladresse :
http://www.espacestemps.net/document1185.html
" On ne compte plus les Corses : paradoxe, parabole ou mémoire, lîle est aussi laboratoire et miroir. Un archipel. Les approches en sont multiples : mythique (Lestrigons dHomère, taureau fondateur de Giovanni Della Grossa...), légendaire (Enée), touchant le merveilleux géographique antique (localisation des peuples originaires par Ptolémée), esthétique et métaphorique (Kallisté ou Kurnos des Grecs, batellu biancu du 18e siècle ou porte avion insubmersible de Dwight D.Einsenhower, tortue de Dom Jean Baptiste Gai, cétacé de Gabriel Xavier Culioli). On retrouve lîle dans le discours exotique des voyageurs (Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Prosper Mérimée, Guy de Maupassant), les approches curieuses des folkloristes, ou statistiques des enquêteurs (Marie François Robiquet, Jean Baptiste Galletti), dans la lecture structurante des sciences humaines (monographies anciennes ou récentes, travaux sur la vendetta, le clanisme ...) et les investigations de limaginaire ou du symbolique îlien ; enfin dans les essais (Anne Meistersheim, Dorothy Carrington, Nicolas Guidici) et la création littéraire (de Santu Casanova à Ghjacumu Thiers ou Aristide Nerrière...). Une véritable Corse pensée, peinte, écrite, chantée, redouble la Corse ".
Chjamè rispondi versus slam :
« Voix corses montant des profondeurs de lâme,
Perpétuez le Chjamè rispondi des temps immémoriaux,
Cette Joute des beaux parleurs au comptoir dun bistrot.
Savez- vous que, en France, on lappelle le slam »
jpC
« Slam » ? Ne cherchez pas le mot dans le dictionnaire. Avant « slang » ( qui désigne largot anglais ), vous trouverez « slalomeur et slalom».
Pour expliquer ce quest le « slam » à un Corse, il faut lui évoquer les foires et les soirées au café du village quand, dans des jeux de mots, les hommes sappellent et se répondent en termes poétiques, parfois le verre à la main. Ceux qui ignorent cette « coutume corse immémoriale » relient le slam à une compétition de « spoken words » ( = mots parlés ) venue de Chicago. Des Corses auraient-ils introduit, vers les années 80, le Chjamè rispondi à Chicago ? A lorigine, comme le chjamè rispondi, le slam est donc une joute verbale où les participants rivalisent avec des mots scandés. Il sest propagé et a maintenant ses vedettes qui slament sous des « alias », cest-à-dire déclament leurs textes. Cest du « parler - chanter » à capella mais aussi un nouveau mode dexpression des jeunes des banlieues parisiennes ( différent du Rap). Ce nest pas de la poésie mais ça lui ressemble davantage que le rap. Cest de la tchatche poétique. En un mot, si cest du slam,. il y a longtemps quil y a des slameurs en Corse. Jai entendu parler de nouveaux slameurs marseillais. Le phénomène a donc envahi le continent en venant des Amériques, alors quil navait jamais fait la traverser avec la SNCM.
Définition du Chjamè rispondi par Angèle Paoli sur le site « Terre des femmes » :
Un chjamè rispondi est un exercice vocal ( debout, face à face, sans accompagnement instrumental et en public). Il consiste en nune libre improvisation poétique très rythmé pratiquée par deux ou plusieurs poètes , sans critère dâge ou de condition sociale, à loccasion dévénements publics : fêtes, concours, foires, noces, tontes des brebis. Si la mélodie de départ du Chjamè rispondi est personnelle, le schéma musical répond, lui, à des règles constantes ( mélodie pentatonique descendante, avec suspension sur le second degré à la fin du premier vers, une fausse résolution à la fin du second vers, et un final qui sachève sur la tonique du troisième vert). Il ny a pas de thème imposé hors la poésie elle-même. Mais le contenu sappuie couramment sur les débats de société qui sont de lactualité proche ou « lair du temps ». La règle veut que, dans cette joute oratoire, lon reste dune part toujours courtois et pétillant desprit et dautre part que la réponse ( risponde) sappuie sur le sujet de départ appelé , tel quil est énoncé dans le premier couplet ( à chjama = lappel).
Site terres des femmes, cliquer :
http://terresdesfemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/05/
Définition du slam par Grand corps malade sur son site officiel:
Il y a évidemment autant de définitions du slam quil y a de slameurs et de spectateurs des scènes slam.
Pourtant il existe, paraît-il, quelques règles, quelques codes :
- les textes doivent être dits a cappella ("sinon cest plus du slam" ?)
- les textes ne doivent pas excéder 3 minutes (oui mais quand même des fois, cest 5 minutes )
- dans les scènes ouvertes, cest "un texte dit = un verre offert" (sauf quand le patron du bar nest pas daccord )
Bref, loin de toutes ces incertaines certitudes, le slam cest avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. Cest le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l'envie de jouer avec des mots.
Le slam est peut-être un art, le slam est peut-être un mouvement, le slam est sûrement un Moment Un moment découte, un moment de tolérance, un moment de rencontres, un moment de partage.
enfin bon, moi je dis ça
Grand Corps Malade
Site de Fabien alias Grandcorpsmalade: http://www.grandcorpsmalade.com
Le slam ferait-il passer, en contrebande des formes anciennes corses , un propos neuf ?...
Le chjam'e rispondi est une joute poétique improvisée, qui requiert des interprètes d'une virtuosité exceptionnelle. Deux chanteurs improvisent successivement un court couplet avec des rimes et un nombre de vers bien précis, en se renvoyant l'un à l'autre des propos généralement satiriques. Cette forme d'expression semble menacée par le déclin de la langue corse.
Gombrowicz, grand écrivain et philosophe polonais, disait : ." Il faut abandonner lexcès de théorie et les attitudes pédantes. Le style est le véhicule pour atteindre, non les théories mais les hommes ". Il poursuivait dans ce sens en affirmant que "de nos jours, le courant de pensée le plus moderne sera celui qui saura redécouvrir lindividu"
Pour ne pas être enfermée dans le statut de littérature " minoritaire " , les auteurs corses devraient - ils partir du singulier pour en faire un modèle universel? Et, en dépoussiérant toutes les formes usées de sa littérature, en réactivant la " filastrocca " ( comptine étirée de digression en digression ), les stalbatoghji ( histoires et anecdotes plaisantes comme celles de Grossu Minutu) le Chjamrispondi et toutes les formes orales de la culture corse (Les nanne, les tribbiere, les voceri, la paghjella, le lamentu ) faire passer, en contrebande des formes anciennes, un propos neuf ? "
Le Polar Corse : Chjamè rispondi, par Joël Jegouzo.
La Corse publie. Beaucoup. La Corse invente. Beaucoup. Sans doute son insularité (géographique et culturelle) y est-elle pour quelque chose dans ce regain dinvention et dexpression qui la marque aujourdhui. Son " insularité ", ou plutôt, la prise de conscience de sa place dans le monde. Le " monde ", oui : les cinq continents. Le sentiment que sa " corsitude ", ce sentiment dappartenir à une entité historique, culturelle, que lon vit ailleurs comme menacée, justement dans ses dimensions insulaires, méditerranéennes, ne lest pas en réalité. Changeons de vocabulaire donc : laissons le mot de " corsitude ", chargé des représentations stéréotypées que le vieux continent a forgé dune île imaginaire vouée à un sot exotisme, aux dépliants touristiques et parlons plutôt de " corsité " : le fait dêtre corse, dans un monde globalisé, est une chance. Explorons cette corsité, semblent proclamer les éditeurs corses, dont lambition saffiche à hauteur dun investissement proprement militant pour que cette culture rayonne enfin, comme sils étaient persuadés que lancestrale culture corse représentait non seulement le salut pour la nation corse, mais un vrai laboratoire des mondes à venir.
Car voici que confluent brusquement de sérieux héritages pour former les conditions dun (re)surgissement exemplaire celui du fait Corse. Au point de confluence, lhéritage culturel de la diaspora corse, la culture orale corse et la volonté dêtre corse par-delà les dérives identitaires et les reniements de toutes sortes, leur tentation du moins, dans un monde culturellement aliéné à la civilisation libérale américaine.
Lhéritage de la diaspora corse tout dabord. On la dit de bien dautres nations : cest une chance de posséder une forte immigration à létranger, formant les têtes de pont dune culture vivante, exposée au défi dexister envers et contre lexil. Une diaspora donc, non seulement ambassadrice du fait corse, mais et peut-être surtout, communauté affrontée aux autres cultures, sachant mieux mesurer les défis du monde, tel quil les réorganise.
Au point de convergence, toujours, lhéritage de la culture orale corse nous y reviendrons. Enfin, la volonté dêtre corse : un corps, plutôt quun corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent dune terre mystifiée et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies. Car le mythe impose une rhétorique et une langue dont il faut semparer. Cest bien ce que les éditeurs corses ont compris, qui convoquent désormais la littérature mondiale autour du texte corse. Faisant ainsi entrer de plein pied dans la langue corse une géographie expansive quil nous est possible, enfin, dentendre, et cest ce qui importe : que léchange soit possible.
Alors prenez in fine la langue Corse, enracinée dans une forte tradition orale. Voilà qui nest pas sans évoquer la situation de lIrlande au moment où Joyce entreprend décrire : minoritaire, enfermée dans la domination britannique. Joyce nécrit pas en gaélique, mais il sait faire chanter sa langue natale dans la langue de loppresseur, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de lécrit, cest dans son roman quil va donc la faire passer, abusant de phonétique, jouant du surgissement du son dans le mot. Lisez-le à haute voix, vous lentendrez bien, allez ! Mais sil y a de lhérétique dans cette langue, cest bien que son souci dexpérimentation formelle coïncide avec une conception offensive de la vie. Le vieil irlandais si vieux et dun coup à la pointe de toute modernité Cest cela que lon entend ici et là dans le corse qui sécrit aujourdhui, au-delà du besoin ontologique dexister par la révolte, dans et par cette formidable cambriole nourrie des rapines des autres possibilités langagières, en tout premier lieu offertes par la vieille langue corse.
Mais ne poursuivons pas trop loin ce parallèle entre lIrlande de Joyce et la Corse daujourdhui. Encore que lune et lautre se soient façonnées par une construction identitaire fondée sur l'opposition à la culture qui les dominait. Ici, lépoque n'était guère propice à la liberté artistique, comme en témoignent la censure et l'exil de nombreux écrivains irlandais, de Joyce à Beckett. Ici toujours, la nation prenait ses distances avec ses repères historiques la langue gaélique, l'Église catholique, un mode de vie rural pour se réinventer dans un cadre européen et se démarquer du nationalisme violent qui sévissait dans le Nord. Cest peut-être, toute proportion gardée, ce à quoi la Corse opère aujourdhui : à revisiter son passé pour laccomplir autrement. Car voici que dans la régulation qui sopère, le passé fait de nouveau fond sur lhistoire présente. Il nest que dévoquer cette coutume corse séculaire : le Chjamè rispondi. Il y a là, sans doute, encore, une voie que les Corses contemporains nont pas fini dexplorer dans leurs uvres. (voir le très bel article de J.-P. Ceccaldi à ce sujet sur son blog : http://blog.ifrance.com/flicorse).
De quoi parlons-nous ? A lorigine dune joute verbale au cours de laquelle les participants rivalisaient avec des mots scandés a capella. On nest pas loin du Slam ou du Rap. Impromptu poétique, sur un schéma mélodique répondant à des règles précises avec un contenu ouvert aux débats de société. Nul doute que la Corse tienne là le filon des modernités à venir ! Imaginez : savoir pareillement syncoper son présent, le plier aux contraintes de lhistoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de lactualité. Faire entrer dans linsolite dune voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre quil porte, mieux quaucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjamè rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait quune rengaine exténuée.
La Corse édite donc. Selon un schéma connu : désertification rurale, migration vers les grands centres urbains. Ainsi, Ajaccio et Bastia, les métropoles, abritent-elles la quasi totalité des éditeurs actuels. Albiana, Alain Piazzola, DCL, Editions du Journal de la Corse, Lettres Sud, La Marge, Matina Latina pour la première, Mediterranea, Anima Corsa, Patrice Marzocchi, pour la seconde. Ailleurs ? Rien, sinon les éditions Le Signet, établie à Corte, lancienne capitale historique .
Joël Jégouzo.( 2006)
En 2007, une nouvelle maison dEdition est né dans le Cap corse , à Barrettali, il sagit des Editions A fior di carta, dirigées par Jean-Pierre SANTINI, écrivain corse, auteur de Corsica clandestina, Isula blues et Nimu, dans la collection Nera des Editions Albiana. Une autre est en création du côté de Porto Vecchio
Extrait de Lépistème ethno-anthropologique corse. De lobservation distanciée à la tentation d'une ethnologie de l'acteur. Peer-reviewed article | Article scientifique normé - Charlie Galibert à retrouver à ladresse :
http://www.espacestemps.net/document1185.html
" On ne compte plus les Corses : paradoxe, parabole ou mémoire, lîle est aussi laboratoire et miroir. Un archipel. Les approches en sont multiples : mythique (Lestrigons dHomère, taureau fondateur de Giovanni Della Grossa...), légendaire (Enée), touchant le merveilleux géographique antique (localisation des peuples originaires par Ptolémée), esthétique et métaphorique (Kallisté ou Kurnos des Grecs, batellu biancu du 18e siècle ou porte avion insubmersible de Dwight D.Einsenhower, tortue de Dom Jean Baptiste Gai, cétacé de Gabriel Xavier Culioli). On retrouve lîle dans le discours exotique des voyageurs (Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Prosper Mérimée, Guy de Maupassant), les approches curieuses des folkloristes, ou statistiques des enquêteurs (Marie François Robiquet, Jean Baptiste Galletti), dans la lecture structurante des sciences humaines (monographies anciennes ou récentes, travaux sur la vendetta, le clanisme ...) et les investigations de limaginaire ou du symbolique îlien ; enfin dans les essais (Anne Meistersheim, Dorothy Carrington, Nicolas Guidici) et la création littéraire (de Santu Casanova à Ghjacumu Thiers ou Aristide Nerrière...). Une véritable Corse pensée, peinte, écrite, chantée, redouble la Corse ".
Chjamè rispondi versus slam :
« Voix corses montant des profondeurs de lâme,
Perpétuez le Chjamè rispondi des temps immémoriaux,
Cette Joute des beaux parleurs au comptoir dun bistrot.
Savez- vous que, en France, on lappelle le slam »
jpC
« Slam » ? Ne cherchez pas le mot dans le dictionnaire. Avant « slang » ( qui désigne largot anglais ), vous trouverez « slalomeur et slalom».
Pour expliquer ce quest le « slam » à un Corse, il faut lui évoquer les foires et les soirées au café du village quand, dans des jeux de mots, les hommes sappellent et se répondent en termes poétiques, parfois le verre à la main. Ceux qui ignorent cette « coutume corse immémoriale » relient le slam à une compétition de « spoken words » ( = mots parlés ) venue de Chicago. Des Corses auraient-ils introduit, vers les années 80, le Chjamè rispondi à Chicago ? A lorigine, comme le chjamè rispondi, le slam est donc une joute verbale où les participants rivalisent avec des mots scandés. Il sest propagé et a maintenant ses vedettes qui slament sous des « alias », cest-à-dire déclament leurs textes. Cest du « parler - chanter » à capella mais aussi un nouveau mode dexpression des jeunes des banlieues parisiennes ( différent du Rap). Ce nest pas de la poésie mais ça lui ressemble davantage que le rap. Cest de la tchatche poétique. En un mot, si cest du slam,. il y a longtemps quil y a des slameurs en Corse. Jai entendu parler de nouveaux slameurs marseillais. Le phénomène a donc envahi le continent en venant des Amériques, alors quil navait jamais fait la traverser avec la SNCM.
Définition du Chjamè rispondi par Angèle Paoli sur le site « Terre des femmes » :
Un chjamè rispondi est un exercice vocal ( debout, face à face, sans accompagnement instrumental et en public). Il consiste en nune libre improvisation poétique très rythmé pratiquée par deux ou plusieurs poètes , sans critère dâge ou de condition sociale, à loccasion dévénements publics : fêtes, concours, foires, noces, tontes des brebis. Si la mélodie de départ du Chjamè rispondi est personnelle, le schéma musical répond, lui, à des règles constantes ( mélodie pentatonique descendante, avec suspension sur le second degré à la fin du premier vers, une fausse résolution à la fin du second vers, et un final qui sachève sur la tonique du troisième vert). Il ny a pas de thème imposé hors la poésie elle-même. Mais le contenu sappuie couramment sur les débats de société qui sont de lactualité proche ou « lair du temps ». La règle veut que, dans cette joute oratoire, lon reste dune part toujours courtois et pétillant desprit et dautre part que la réponse ( risponde) sappuie sur le sujet de départ appelé , tel quil est énoncé dans le premier couplet ( à chjama = lappel).
Site terres des femmes, cliquer :
http://terresdesfemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/05/
Définition du slam par Grand corps malade sur son site officiel:
Il y a évidemment autant de définitions du slam quil y a de slameurs et de spectateurs des scènes slam.
Pourtant il existe, paraît-il, quelques règles, quelques codes :
- les textes doivent être dits a cappella ("sinon cest plus du slam" ?)
- les textes ne doivent pas excéder 3 minutes (oui mais quand même des fois, cest 5 minutes )
- dans les scènes ouvertes, cest "un texte dit = un verre offert" (sauf quand le patron du bar nest pas daccord )
Bref, loin de toutes ces incertaines certitudes, le slam cest avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. Cest le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l'envie de jouer avec des mots.
Le slam est peut-être un art, le slam est peut-être un mouvement, le slam est sûrement un Moment Un moment découte, un moment de tolérance, un moment de rencontres, un moment de partage.
enfin bon, moi je dis ça
Grand Corps Malade
Site de Fabien alias Grandcorpsmalade: http://www.grandcorpsmalade.com
Le slam ferait-il passer, en contrebande des formes anciennes corses , un propos neuf ?...
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