Le roman « L’ami du défunt », écrit par Andrei Kourkov et traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, avait déjà été fait l’objet de publications en 2002 et en 2003. Les éditions Liana Levi l’ont réédité à nouveau dans la collection « piccolo » en avril 2012 sans doute pour qu’il soit présent au Salon du livre de l’année dernière car les organisateurs y proposaient la découverte des romanciers russes et principalement moscovites. La capitale russe était en effet la ville invitée cette année-là.
Il s’agit d’un petit roman noir bien écrit avec une intrigue proche du thriller et un personnage original qui nous livre ses pensées profondes. A Kiev, dans la Russie postsoviétique, Tolia est un jeune traducteur au chômage. A l’heure du capitalisme sauvage, pour sortir de la misère, il faut trouver des combines immorales. Tolia n’éprouve plus aucun sentiment pour son épouse qui le méprise et le trompe. Il est dans le présent, sans passé et sans futur. Son quotidien est fait de besoins primaires. Tout le reste ne l’intéresse plus. Il cogite sur son sort et cherche une issue à sa grande déprime. « Personne n'avait besoin de moi, et je n'avais besoin de personne. L'évidence de mon inutilité en ce monde m'a aiguillé vers des pensées positives: la décision que j'avais prise était la bonne ». C’est la multiplication des tueurs à gages « oiseaux de haut vol, insaisissables et invisibles » qui lui font élaborer le scénario de sa propre mort. C’est un intellectuel. Tuer ou faire tuer sa femme et son amant lui apparaît comme banal et improductif. Par contre être la victime offre à ses yeux tous les vrais avantages. On le plaindra, on reconnaîtra « sa force et ses capacités »… Etre la cible d’un tueur à gages lui donne de l’importance. C’est flatteur. Ses amis se poseront des questions sur sa vraie personnalité. Sa mort sera mystérieuse et son nom dans les journaux… peut-être aussi des livres. La postérité ! Le héros qui est tombé au dessous du zéro, il entrevoit là l’occasion d’être quelqu’un. Commanditer son propre meurtre, voilà un moyen d'en finir avec panache, de laisser une trace dans les mémoires. Il se promène dans la ville et retrouve un ami qui travaille dans une grande épicerie. Il se confie à lui en partageant des bouteilles d’alcool. L’idée de l’assassinat de son rival est abordée. Son ami lui trouvera l’élément perturbateur du récit, le tueur, sans connaître le véritable dessein suicidaire de Tolia. Pour payer le tueur, ce dernier jouera les faux témoins dans une procédure de divorce. Il récupère un joli pactole au moment où il rencontre une jeune et jolie prostituée qui devient sa maîtresse. Il reprend goût à la vie mais le tueur consciencieux ne renoncera pas à l’exécution du contrat. Comment va-t-il se sortir de l’impasse mortelle dans laquelle il s’est mis tout seul ? Qui est ce tueur dans l’ombre ? Tulia restera-t-il le maître du « je »? Le tueur va-t-il être l’arroseur arrosé ? Qui est l’ami du défunt ? Bien sûr, l’affaire aura son coup de théâtre mais le récit ne s’arrêtera pas là…
Un paumé, la femme, l’amant, l’ami, l’ombre du tueur, une jeune prostituée, la compagne du tueur, de la vodka en veux-tu en voilà et des patates pour les repas… Andreï Kourkov a su utiliser ces ingrédients pour écrire un bon roman. Lorsque la vie n’a plus de sens, on peut toujours trouver une raison de s’y accrocher. Dans un décor gris et froid, le quotidien morne de Tulia ne rend pas la lecture ennuyeuse. Celui-ci se construit une fatalité puis se révolte contre elle. Finalement, sans passer par la réflexion métaphysique, c’est sa mort programmée, ce non-sens qui donne peut-être un sens à sa vie et au besoin d’amour. L’ami du défunt est un roman noir parsemé d’humour subtil. Il ne fait que 126 pages mais elles sont denses. Nous ne dirons rien de l’épilogue. Toutefois si on pouvait tirer une leçon en marge de cette histoire, ce serait : « N’éprouvez pas de l’empathie pour votre meurtrier ! »
Andreï Kourkov est né à Saint-Pétersbourg en 1961. Il est écrivain de langue russe, chanteur, compositeur et journaliste. Il a vécu sa petite enfant à Kiev. Il parle neuf langues dont le français. Depuis 1996, il vit en partie à Londres.
Son éditeur dit de lui : « Andreï Kourkov écrit, avec son style minimaliste et son regard inquisiteur, le monde tel qu'il est : sans avenir, sans passé, sans vrai présent non plus, plus près du cauchemar que du rêve, un monde fantôme. Il place ses personnages dans des situations férocement drôles et crée un décalage où l’absurde devient normal et le sordide comique. Lui, qui fut gardien de prison, caméraman et scénariste, en a fait un polar poétique et désabusé, sous-tendu par une conscience permanente de l'absurde et cette distance inimitable que les humoristes russes prennent avec leurs états d'âme. »
Bibliographie
• Le Pingouin. Éd. originale Liana Levi, 2000/Seuil points, 2001.
• Le Caméléon. Éd. originale Liana Levi, 2001/Seuil Points, 2002.
• L’Ami du défunt. Éd. originale Liana Levi, 2002/Seuil points, 2003.
• Les Pingouins n’ont jamais froid. Éd. Liana Levi, 2004.
• Le Dernier Amour du président. Éd. Liana Levi, 2004.
• Laitier de nuit. Éd. Liana Levi, 2010.