• Un écrivain corse a obtenu le prix Goncourt qui n’a pas été attribué pour la énième fois aux éditions Gallimard ou Grasset mais pour la deuxième à Actes sud. Un prix qui a fait plaisir au lectorat corse, le premier à s’être intéressé à cet auteur, prof de philo en Corse nouvellement affecté comme conseiller pédagogique dans un émirat arabe où il puisera sans doute des éléments d’un prochain opus.

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    Revenons à son roman « Le sermon sur la chute de Rome » prix Goncourt 2012! Ce roman serait le prolongement littéraire d’un scénario de court-métrage écrit par l’auteur et réalisé par Frédéric Farrucci. « Suis-je le gardien de mon frère ?» est programmé le 29 novembre 2012 à 0H30 par FR3 Corse. Le synopsis présente le film ainsi: « Antoine tient le bar du village. Joseph, assez fruste, vit de l’élevage. L’hiver, ils chassent le sanglier et trinquent le soir avec leurs compagnons. L’été, le village se remplit. Le bar d’Antoine se transforme en endroit à la mode, fréquenté par la jeunesse. Jean-Baptiste, un jeune coq originaire du village, cherche à se mesurer à Antoine et pour le provoquer, s’en prend au naïf Joseph qui devient un sujet de moquerie. Les limites sont franchies, la tragédie se noue et éclate au petit matin… » On retrouve une partie du scénario dans le roman et notamment la raison du drame qui se joue entre Jean-Baptiste et Antoine (qui devient Libero dans le roman).

    Un article du Monde a fait une très courte synthèse du roman : « Le livre emporte le lecteur dans la montagne corse. Un vieil habitant, Marcel Antonetti, est rentré au village ruminer ses échecs. A la surprise générale, son petit-fils Matthieu renonce à de brillantes études de philo pour y devenir patron de bar du village, avec son ami d'enfance, Libero. Leur ambition ? Transformer ce modeste troquet en "meilleur des mondes possibles". Les débuts sont prometteurs. Mais bientôt l'utopie vire au cauchemar. Les ex-apprentis philosophes sont frappés par la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient. » La presse en assure largement la promotion méritée, des lecteurs corses ne tarissent pas d’éloges sur l’auteur, nous nous réjouissons, à notre tour, de son succès, car nous aimons cette littérature noire, cet ouvrage nous a personnellement plu parce qu’il est justement noir comme les premiers livres de Jérôme Ferrari déjà publiés chez Actes sud, cependant il ne fait pas l’unanimité chez des lecteurs avec qui nous en avons discuté, même si tous reconnaissent qu’il est bien écrit et que l’exercice de style proustien (qui consiste à faire de très longues phrases) est réussi dans la mesure où le lecteur arrive jusqu’au bout de ces longues périodes sans difficulté de lecture, le seul bémol apporté par les uns est que ce n’est pas toujours justifié par le contenu et que la répétition tourne parfois à l’exagération, d’autres ont en outre trouvé que l’intrique romanesque n’est pas crédible, ainsi une lectrice amie nous dit : je n’ai pas cru à ces deux Corses intelligents et imprégnés de  philosophie qui reprennent un bar de village pour faire d’abord du fric, s’en amusent et deviennent des commerçants patentés jusqu’à en oublier leur intelligence et leurs études…  Reprenez votre souffle !... Faire de longues phrases, n’est-ce pas le moyen de ne pas être interrompu ?

    Certes la référence à Saint Augustin et la formation philosophique de l’auteur ne peuvent échapper au lecteur qui ne néglige pas la lecture à plusieurs niveaux d’un ouvrage qui veut laisser à penser. Toutefois le prix Goncourt permet de vendre des milliers d’exemplaires. Il nous est apparu que, si un lecteur corse peut saisir les nuances de ce récit très noir  et si d’autres y trouvent avant tout une réflexion métaphysique, il n’en est pas de même chez la majorité populaire des « pinzutti ». Ces derniers, comme cela a été le cas avec des grands classiques de la littérature, risquent de ne retenir que les aspects largement négatifs : une société corse organisée autour d’un bar, théâtre de toutes ses turpitudes, la jeunesse corse instruite ou non aurait, comme idéal, de gagner de l’argent en faisant la bringue, une famille corse, sans être un nœud de vipères, fait du non-dit son mode de communication, enfin le village reste  un lieu d’enterrement et de désœuvrement propice à la frustration et aux conflits. Si la Corse est une île où drame et humour se côtoient, dans le récit de Jérôme Ferrari tout est noir même l’humour… Nous n’y avons décelé aucune réelle joie. Cette façon de maintenir le lecteur dans la noirceur toujours présente marque bien la volonté de ne montrer que le côté obscur des êtres et ne doit pas être compris comme la caractéristique d’un archétype corse déjà trop caricaturé. Le récit apparaît d’autant plus ancré dans la Corse attitude que les deux héros sont sujet à la cursita loin de l’île et n’envisage pas leur avenir loin de leur village, même s’il s’agit d’un roman à portée philosophique donc universelle comme d’autres auteurs en ont écrit et, parmi les plus célèbres, citons Albert Camus et Jean-Paul Sartre. En cette période de grande criminalité insulaire, il ne faut donc pas perdre de vue qu’on y trouve un côté théâtral avec tout ce que cet adjectif peut suggérer lorsque l’on parle de mise en scène qui, lorsqu’il s’agit de la Corse, peut donner raison aux amalgames médiatiques entretenus notamment sur le caractère violent des insulaires. Un épisode du roman met en scène cette violence et, malheureusement, comme les faits divers, pourrait alimenter les poncifs sur un prétendu atavisme corse.

    Sortons du contexte corse et retenons le questionnement métaphysique ! Lorsque l’on demande à l’auteur « Quelle est votre définition de la notion de monde ?”,  il répond: “Chez moi, elle est totalement métaphysique.. C’est ma manière ­d’intégrer de la philosophie dans mes fictions sans faire de la philosophie… Ce que je tente dans le Sermon, c’est de donner une réponse de roman à la question : « Qu’est-ce qu’un monde ? J’essaie de la laisser percevoir à plusieurs niveaux, en reprenant Leibniz : dans chaque monde, il y a une infinité d’éléments. Et, dans chacun de ces éléments, il y a une infinité de mondes. Un monde, ce peut être Rome et son empire, un bar de village avec douze personnes ou le corps du grand-père hypocondriaque… Comment naît-il, croît-il, meurt-il ? J’ai vraiment pris au sérieux la phrase de Saint Augustin. Le roman est construit ainsi : il y a la naissance d’un monde, l’acmé et la chute, pour chaque personnage, et à plusieurs niveaux. J’ai fait en sorte que l’histoire évolue autour de ressorts qui ne sont absolument pas psychologiques. Le roman fonctionne selon une cohérence mécanique, une logique de cycles. C’est une mécanique aveugle, qui broie.»...( entretien sur le site La Vie à l’adresse ci-après:

    http://www.lavie.fr/culture/livres/jerome-ferrari-c-est-la-lecture-de-saint-augustin-qui-m-a-permis-d-ecrire-ce-livre-07-11-2012-33053_30.php )

     

    Ce livre donne-t-il à penser ? Avant la naissance, il y a un monde disparu et après la mort, notre monde disparaît. Le roman se termine par le constat que témoignage de la fin et témoignage des origines ne font qu’un.  Entre les deux, rien ou du moins rien qui en vaudrait vraiment la peine puisque tout est mécanique et a une fin? Que doit-on retenir ? Doit-on renoncer à l’illusion de l’éternité que donne la jeunesse ? Est-il vain de vivre le présent comme une éternité ? La vie n’est-elle qu’une pantomime tragique dans laquelle tous les scénarii se valent ? Quelle leçon tirée de l’échec d’un petit monde meilleur voulu par les deux héros ? Ce que Mathieu et Libero sont devenus valait-il la peine de renoncer aux intellectuels qu’ils auraient dû rester? Faut-il, comme Aurélie, ne jamais aller au bout d’un bonheur pour ne pas le perdre ? Le malheur est-il inexorable? La vie a-t-elle un sens ? La mort est-elle un non-sens ?... etc. Les questions pourraient s’aligner longuement et alimenter un débat philosophique sur le roman de Jérôme Ferrari. N’oublions pas que l’auteur est professeur de philo… La philosophie, si elle fait douter de la nature humaine, ne fait que nous renvoyer à nous-mêmes,  « parce qu’elle explique tout ce qui se passe dans ce bas-monde, elle répond à tout et elle ne répond à rien. » pour reprendre un passage de l’ouvrage « 1275 âmes », écrit par Jim Thomson, grand écrivain de littérature noire. Entre ce tout et ce rien qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti. Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir (quelque) apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin?"(Blaise Pascal, Les pensées).

    Avant le clap de fin, le dernier chapitre du Sermon sur la chute de Rome est particulièrement beau et nous garderons en mémoire, comme Saint Augustin à l’heure de sa mort, l’étrange sourire mouillé de larmes que lui a jadis offert la candeur d’une jeune femme inconnue…

    Se questionner est une bonne chose en gardant à l’esprit que la noblesse de la littérature est son inutilité. Elle est un jeu de l’esprit qui peut être métaphysique et l’ouvrage de Jérôme Ferrari a, malgré sa noirceur, cet aspect ludique et inutile qui nous plaît. Le déluge des louanges peut parfois desservir une œuvre davantage qu’une sotte critique. Pour cela nous n’en avons pas fait et n’en ferons pas un abus outrancier.  

    Tout en conseillant la lecture de ce roman primé à ceux qui ne l’auraient pas encore lu, nous leur disons d’abord qu’il s’agit d’une fiction comme le fut « Colomba » ou « Mateo Falcone » écrits par Prosper Mérimée et d’autres romans ayant mis en scène une mythologie corse. L’auteur est corse, il aime la Corse, ses héros de papier sont des Corses, l’intrigue se passe en Corse… mais il s’agit de littérature. Jérôme Ferrari a toujours refusé d’être catalogué dans une littérature corse. Il n’est donc pas le passeur de la culture corse mais un romancier. A la question de la littérature corse, en juin 2009, il répondait d’ailleurs lui-même dans un entretien sur le site « L’or des livres » : « La question serait plus facile s’il était possible de savoir avec précision ce que signifie littérature « corse ». Il est d’ailleurs tout aussi délicat de savoir de quoi on parle quand on se réfère à la littérature « française ». S’il s’agissait d’une simple question de localisation, il n’y aurait pas de problèmes mais ce n’est bien sûr pas le cas. L’adjectif « corse » a généralement, en Corse comme sur le Continent, des connotations qui me déplaisent et qui, bien que sans rapport avec un projet littéraire, peuvent lui nuire énormément en le faisant disparaître sous des controverses idéologiques sans intérêt. Il m’est arrivé de souhaiter être Albanais ou Bouriate. D’un autre côté, je ne peux pas faire comme si la Corse n’était pas un élément constitutif de mes romans. Mais je refuse l’alternative qui consisterait soit à ne plus se référer à la Corse, soit à vouloir faire de la littérature régionale. L’idée même de littérature régionale me paraît grotesque. Tout roman naît dans une région particulière, il le faut bien, mais son monde est, en droit, celui de la littérature tout court, sans adjectif. C’est là, et là seulement, qu’il doit être jugé. Je souscris totalement aux analyses de Milan Kundera sur ce point. J’ai traduit la plupart des œuvres de Marco Biancarelli non parce qu’il est Corse mais parce que la brutalité et la puissance de son style me paraissent uniques. Voici donc mon désir: que les romans soient lus pour ce qu’ils sont. Si tel était le cas, je suis certain que la littérature prendrait naturellement en compte certains écrivains corses et j’en serais ravi. Mais je crains de ne pas être exaucé avant longtemps ».

    Des commentateurs ont cité Proust à propos de son écriture, Jérôme Ferrari n’a cessé de rappeler ce qu'il doit à l'écrivain italien Giosuè Calaciura et à son livre Malacarne en tout particulièrement. Ce livre a changé ma manière d'écrire déclare Jérôme Ferrari.qui a consacré un article de Jérôme Ferrari sur cet auteur dans le Magazine Littéraire. Il écrivait : « En ouvrant Malacarne, j’ai éprouvé à nouveau la stupéfaction qui m’avait saisi, bien des années auparavant, lorsque j’ai découvert Thomas Bernhard. Dès les premières phrases, on est submergé par la présence d’une langue, une langue impossible, unique, radicalement étrangère, qui impose pourtant par sa seule autorité la nécessité de son existence. Sa puissance objective est telle que la question de savoir si on l’apprécie ou pas devient soudain hors de propos ». Il ajoute : « il (Giosuè Calaciura) invente cette langue impossible, pleine de métaphores somptueuses et de poésie, cette langue de prophète de l’apocalypse qui n’édulcore cependant rien de l’horreur de son récit et n’en dissimule ni la bassesse ni la vulgarité. Cela, c’est un tour de force presque miraculeux qui met ce texte à l’abri du reproche d’esthétisme qu’on aurait pu lui faire s’il n’était si souverainement réussi » L’article est consultable à l’adresse ci-après :

    http://magazine-litteraire.com/content/homepage/article?id=22163

     

    Jérôme Ferrari est le premier auteur corse récompensé par le Goncourt. Rappelons qu’un autre écrivain contemporain d’origine corse avait obtenu le prix Renaudot en 2007, il s’agit de Daniel Pennac qui est né en 1944, dans une famille corse, d'un père officier de l'armée coloniale. Nous aimons, lorsqu’il s’agit de lecture, rappeler son livre « Comme un roman, » et le passage qui suit :

    «Le verbe lire ne supporte pas l’impératif. Aversion qu’il partage avec quelques autres : le verbe “aimer”... le verbe “rêver”...

    On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : “Aime-moi ! ” “Rêve !” “Lis !” “Lis ! Mais lis donc, bon sang, je t’ordonne de lire !” ».

    Et cet essai se termine par une explication de ce que Pennac nomme: LE QU’EN-LIRA-T-ON (ou les droits imprescriptibles du lecteur) :

    Le droit de ne pas lire

    Le droit de sauter des pages

    Le droit de ne pas finir un livre

    Le droit de relire

    Le droit de lire n’importe quoi

    Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible)

    Le droit de lire n’importe où

    Le droit de grappiller

    Le droit de lire à haute voix

    Le droit de nous taire

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  • ScarelifeScarelife… Scars of life !… Les cicatrices de la vie sont plus profondes chez David Goodis que les balafres de Scarface., pour entrer directement dans la référence cinématographique. Max Obione nous enfonce dans un univers où s’agitent des héros brisés par la vie mais qui essaient de s’en sortir. Mosley, personnage goodesien à l’âme noire, entame sa longue marche contre le destin avec une vie déchirée au bout du chemin. Sorti de prison, ce scénariste vivote en écrivant pour les enfants, mais il vient de signer un contrat pour un film sur la vie de David Goodis. Un projet qui lui va comme un gant. On reproche aux moralistes  kantiens de n’avoir pas de mains, notre héros a des mains rongées par un eczéma purulent et une conviction pas franchement morale : « Dieu punit toujours les enfoirés mais il faut l’aider ». Il a  les mains sales jusqu'aux coudes.  Il aime les plonger dans la merde et dans le sang… au moins de façon métaphorique.

    C’est une lettre à l’encre bleue qui bouscule sa vie terne depuis sa dernière sortie de prison, un bleu qui ne le renvoie pas à la pureté du ciel mais symboliquement à la couleur des veines, de l’ombre et de la nuit. Il faut dire que nous sommes en terre anglo-saxonne où l’expression « Blue devils » signifie « idées noires ».

    Dans le monde réel du polar, Walter Mosley est aussi le nom d’un’auteur noir de romans noirs, écrivain favori du Président Clinton. Il a écrit notamment « Le diable en robe bleue ».

    Bleu ! Coïncidence ou pas, revenons à notre Mosley de Scarelife!  Le blues n’est-il pas un état de mélancolie avec sa musique qui va si bien au roman noir, d’autant plus que nous nous trouvons  dans le Montana et que la lettre manuscrite à l’encre bleue pousse notre héros à se rendre en Louisiane. Il ne sera pas étonnant qu’il soit sensible à la recherche de la note bleue, lorsqu’il écoute « In the sunny side of the street » ou « Night in Tunisa ».

    Qui donc lui a écrit à l’encre bleue ? Son salaud de père qui « vient retouiller la merde, la merde noire de sa vie »… Mosley est, par certains côtés, un personnage proche de Jean Mardet, tueur inventé et joué par Jean-Pierre Mocky dans son film « La bête de miséricorde ». Mardet tue les malheureux pour abréger leur souffrance. Mosley justifie toujours ses crimes. Il ne fait que hâter des passages dans l’au-delà, dit-il. Par d’autres côtés, lorsqu’il rencontre Cody, on est tenté de le rapprocher de Scarface. Peut-être y a-t-il un peu des deux en lui…

    Analepse (ou flashback en langage cinématographique)  dans le récit lorsqu’Herbie entre en scène!... Il faut préciser que, dans la première partie, c’est Mosley qui se raconte. Le texte est donc d’abord à la première personne dans un style épuré avec les phrases courtes adaptées à ce personnage froid, ce psychopathe renfermé qui porte son regard cynique sur les autres. La narration est au présent pour qu’on le suive pas à pas, hic et nunc. L’entrée en scène d’Herbie, détective surnommé Minicop par les uns et  le Nain par les autres,  est un retour en arrière, donc l’imparfait de narration s’impose avec une voix off qui raconte ce qui s’est passé après le départ de Mosley. Il n’a pas digéré la libération de ce dernier pour bonne conduite. Il le soupçonne d’être un dangereux criminel. Il en a fait une affaire personnelle.  Les nouveaux meurtres le mettent sur la trace de cet étrange scénariste… L’imparfait est le temps de l’enquête avec son côté fictionnel, le présent celui de Mosley et de ses crimes. Le détective Herbie a toujours un temps de retard sur le tueur.  Arrivera-t-il à prendre un temps d’avance et à le confondre ? Ou alors son enquête restera-t-elle une fiction imparfaite, les crimes étant les seules réalités parfaites? Est-ce dans un double « je », même si Herbie est traité à la troisième personne par l’auteur, que va se jouer le sort de Mosley ? Du moins le croit-on avant de connaître l’épilogue de ce roadmovie forcément fatal…

     

    4èmepage de couverture : « Libéré sur parole après avoir purgé dix ans de pénitencier, Mosley J. Varell coule des jours ternes dans un coin reculé du Montana. Il vivote en écrivant des scénarios de dessins-animés. Gougou le kangourou, c’est lui. Astreint à pondre des histoires à décerveler les mômes, on vient cependant de lui commander le scénario d’un biopic sur le romancier David Goodis. Un matin, il reçoit une lettre postée de Louisiane. Il a reconnu l’écriture, c’est celle de son père qu’il hait depuis toujours. Mais pourquoi Mosley décide-t-il de partir le retrouver ? Ayant la phobie de l’avion, il entame une grande diagonale routière. La fatalité, un temps en sommeil, l’entraînera à ponctuer son périple de meurtres comme autant de cailloux blancs que Le Nain, un détective teigneux lancé à ses trousses, saura ramasser…

    Présentation de l’auteur  par son éditeur : Max Obione fait le noir, le noir profond, sans rémission et sans lueur rédemptrice ; dans un roadmovie paroxystique et crépusculaire, il conjugue « no future » à tous les temps de l’imparfait de l’existence.

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    Max Obione aime le roman noir et sa liberté d’écriture, tout en jouant avec un langage parfois cru qui n’exclut pas les effets de style. Dans cet ouvrage, l’âme de David Goodis l’a sans doute accompagné. A chaque étape de la course de hanneton faite par le meurtrier, le scénario imaginaire « Goodis, Ad vitam » est livré par bribes au gré des idées noires de Mosley. Dans une suite d’épisodes, le voyage de Mosley s’égrène, comme un feuilleton avec des nouvelles noires comme celles qui ont fait le succès des Pulps. Vous y rencontrerez quelques personnages secondaires hauts en couleur comme Cody qui nettoie des vespasiennes mais ce n’est qu’une couverture pour ses activités de nervi professionnel. Jazzman occasionnel, il joue My funny Valentine comme un dieu. Mais la vedette du roman reste  Mosley, scénariste goodesien, héros de papier inventé par Max Obione. Imprégné par l’univers glauque de Goodis,  l’auteur de Scarelife rend  un fin hommage à son confrère de Philadelphie et au cinéma inspiré par le roman noir né dans le sillage d’Hammet et de Chandler.

    Il faut révéler que Max Obione a un projet de court-métrage « Jean & Nelly » dont le synopsis retient déjà notre intérêt : « Le Havre. Le patron du café « Le quai des brumes » prétend être le fils de Jean (Gabin) le héros du film de Marcel Carné… Un soir, une fille rentre dans le café, elle a des yeux magnifiques qui évoquent ceux de Nelly (Michèle Morgan)… » Après Goodis l’Amerloque, serait-ce un hommage au roman noir français et à Pierre Mac Orlan dont le roman a été adapté par Marcel Carné dans un film où Jean Gabin et Michèle Morgan excellent ?... Le premier clap serait pour bientôt. Nous n’avons pas trouvé de bar à l’enseigne « Quai des brumes » au Havre mais il en existe un à Paris…

     

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    « Dunes froides » est le cadre choisi d’un drame… Que dis-je un drame : une tragédie ! D’emblée, l’auteur nous met devant une exécution par pendaison… mais on ignore qui est le pendu et si son tueur ira jusqu’au bout de son œuvre. Une vengeance ? L’acte d’un justicier ? Un règlement de compte ?... On s’interroge. Il faudra aller jusqu’à l’épilogue pour le savoir. Entre temps, un autre homicide viendra encombrer la vie paisible d’un couple mal assorti. Il est vieux et  professeur d’université. L’homme a profité de son veuvage providentiel pour s’installer au bord de l’océan avec sa jeune élève devenue sa maîtresse. Elle est  jeune et belle. Sa rousseur a déclenché les feux de l’amour, y compris chez un journaliste dont le voyeurisme maladif a détruit la carrière. « Les histoires d’amour finissent mal en général … », chantent les Rita Mitsouko et reprend, en exergue de son roman, Jeanne Desaubry. Nous sommes à la croisée des chemins entre des personnages complexes dans un récit hitchcockien. Chaque personnage a ses fêlures et certains cachent peut-être des cadavres dans leurs placards. Aucun n’est, semble-t-il, totalement innocent. Lorsque l’on évoque le voyeurisme, on pense à « Fenêtre sur cour », film d'après la nouvelle It Had to Be Murder de Cornell Woolrich (pseudonyme : William Irish). Toutefois, dans « Dunes froides », le voyeur est bien différent du photographe handicapé joué par James Stewart. Toutefois l’élément perturbateur du récit sera un repris de justice retrouvé égorgé dans les filets d’un marin pêcheur. A ce moment-là, le lecteur connaît les circonstances de cet homicide et l’enfoiré qu’est la victime. Que fait la police ? Rien car c’est la gendarmerie qui est en charge de l’affaire… Les pandores y mettent les grands moyens. Un labo mobile et la capitaine Adèle Joussaume sont dépêchés sur les lieux pour percer les zones d’ombres dans ces Dunes froides. Sans doute cette dernière, fleuron de la gendarmerie nationale,  a-t-elle en tête  la théorie de Kehlweiler trouvée dans un roman de Fred Vargas. Notre gendarme sait que le trop de preuves conduit souvent à trop de certitude et à l’erreur judiciaire mais se heurte à leur absence qui empêche souvent de confondre les vrais coupables. Contrairement à un de ses collègues, elle n’aime pas qu’on lui serve la vérité sur un plateau. Ici, tous les suspects ont de bonnes raisons de tuer… de bonnes raisons pour eux-mêmes bien sûr. A la fin de cet ouvrage,  seule « Petite », une chatte est une victime innocente qui nous paraît digne de compassion. Dans le fracas des brisants, les goélands restent indifférents aux drames humains qu’ils ont accompagnés de leur cris angoissants « Tchikleuss, tchikleuss ». Contrairement aux hommes, les animaux ne tuent que par instinct.

    4èmede couverture : « Le sale temps de l’hiver a redonné aux immenses plages du Nord leur aspect de désert marin, glacial et mouillé. Le vent souffle, le sable cingle. Les villas sont closes. Toutes sauf une, cachée au milieu des dunes, occupée par un couple insolite. Victor Markievicz, la soixantaine passée, et Martha, trop jeune, trop fragile. Lune de miel atypique ou cavale ? Leur présence intrigue et excite le voyeurisme d’un personnage énigmatique. Après la découverte d’un cadavre rejeté sur le rivage, les relations perverses entretenues par le trio iront crescendo vers un dénouement aussi inattendu que dramatique. »

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    Présentation de l’éditeur : Jeanne Desaubry installe un climat angoissant nourri de petits riens, disséquant les amours pathologiques d’un couple en crise. Etonnant récit à contre-pied où la comédie des sentiments est résolument pessimiste. Une écriture épurée, maîtrisée, un thriller sentimental très noir.

    « Dunes froides » est un roman noir bien construit et bien écrit… comme nous les concoctent souvent les femmes dans leurs romans. Leur lignée est maintenant longue dans la littérature policière. Jeanne Desaubry en fait partie. Elle  n’en est pas à son premier roman aux Editions Krakoën qui nous ont habitués à la qualité de leur production. Je souhaite aux futurs lecteurs de trouver le même plaisir intellectuel que j’ai eu à lire « Dune froides ». Mais prenez garde ! C’est Jeanne Desaubry qui me l’a dit : «  se promener dans ces dunes-là n’est pas sans risque. » Avant d’ouvrir le livre, éteignez la climatisation ou montez le chauffage pour ne pas frissonner d’angoisse. Et puis en le refermant, oubliant qu’il existe une justice immanente, ne vous mettez pas en tête que vous pourriez avoir de bonnes raisons de tuer sans penser que, autour de vous, d’autres pourraient penser de même.  

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  • ultimu1

    «  L'Ultimu » est un roman baroque, hybride, ouvert à tous les genres qui, pour l’auteur, sont poreux : roman d’anticipation, roman d’espionnage, roman historique, roman noir… Le récit n’est pas linéaire et tant mieux. A ce propos, Xavier Casanova écrit sur son site Isularama : « L’Ultimu rassemble, sous d’infimes variations matérielles, des textes supposant une multitude d’énonciateurs, parfois réels pour les textes cités, parfois fictifs pour les propos attribués aux personnages convoqués au roman, parfois semi fictifs pour qui aurait capacité à lire certains passages comme un texte à clef. S’y ajoutent ces énonciateurs particuliers qui viennent superposer au texte ses titres, parfois de manière lointaine et systématique, parfois au plus près du fragment qu’ils annoncent ». La forme est originale comme le discours dont le fil d’Ariane est l’humanisme de l’auteur qui a digéré intellectuellement son expérience de militant culturel et politique. La lecture en est d’autant plus agréable qu’elle met le lecteur en empathie avec le personnage principal. L’intrigue scénarisée par un Big Brother omniprésent et omniscient donne la tension nécessaire en facilitant la lecture. On savoure de beaux passages et des anecdotes parfois finement teintés d’un humour caustique et dont, parfois, nous pourrions dire, ce qu’Ignaziu Colombani a écrit sur Simon Dary, en ajoutant que l’humour n’exclut pas la sensibilité dans une œuvre fine et prenante où le sourire est voilé, parfois, d’un regret attristé.
     

    Charlie Galibert ( Prix des sciences au palmarès du festival d'Ouessant 2012, avec son opus  "L'île diserte"(Albiana), en lecteur pointu, a donné son avis sur Facebook : « Il y a dans cette mise en abyme de la littérature , jeux entre l'auteur et son personnage, entre Andria Costa, Julien Costa, Samuel Romani et JP Santini ; cette idée d'un destin tissé par des parques "extraterrestres" sur fond du parc humain de Slodenjick, l'allégorie des menhirs, la fable de l'écriture, les bandere, la mémoire, le militantisme, le consumérisme contemporain, la fin d'un (du ?) monde - quelque chose qui certes n'est pas habituel et n'a pas de résonance dans la littérature corse contemporaine. Mais il y a également là un plaisir (bonheur égoïste ?) de trouver exprimés par un autre ses propres interrogations, ses propres doutes, son cheminement, l'aboutissement d'une écriture, surtout lorsque l'on se rêve soi-même écrivain… Les allusions «savantes» (Baudelaire, Foucault, Slotendjick) dispersées au fil de votre texte laissent entendre des lectures qui dépassent largement la simple littérature et font références à des champs disciplinaires des sciences - humaines ou plus dures - qui ne me sont pas étrangères. Vous ne doutez certainement pas que les lectures qui vont être faites de votre texte vont être extrêmement diverses, les unes vantant le lyrisme, le travail ou l'exploit de mise en abyme, d'autres se gaussant de votre prétention à vous mettre en scène et à vous poser comme l'ultime représentant du peuple corse mais, personnellement, je préfère retenir la beauté grave et profonde de votre écriture lorsqu'elle touche à la vie et à la mort. »Nous avons notre lecture de cet ouvrage qui nous ramène à l’ensemble d’une œuvre littéraire et humaine. Des extraits dans des ouvrages antérieurs pourraient servir de dédicaces à ce nouvel opus qu’est ULTIMU…

    Corsica clandestina :

    " On ne dira jamais assez la fragilité du monde et ici plus qu’ailleurs sur les îles dérivantes bercées de sels et de lumières. La lenteur du temps donne des poètes égarés, des leaders charismatiques, des politiciens véreux et des foules infatigables sensibles aux mythes obscurs de la nation. "

    Isula blues

    Cette île est un pays sans retour. Restent les chemins de terre où les pas se font rares et des maisons qui ferment les unes après les autres. Alors, les regards se tournent vers l’intérieur".
    " Dominique craint parfois que la vie de son fils ne soit à l’image de la sienne. C’est que le pays est fermé. Mais ceux qui prennent le risque de l’évasion n’y reviennent jamais intacts. Ils continuent de voyager. Dans l’absence. Comme des touristes que la lumière dissipe aux marches de l’été. Ceux qui restent s’exercent à la mélancolie sans jamais s’émouvoir de leur sort. Quand on est d’ici, l’orgueil commande. On apprend à vivre seul, à exister seul, à se battre seul, à ne jamais aimer s’il le faut puisqu’il n’y a plus personne. "

    Dans L'Ultimu, le récit se déroule à Imiza,  village du Cap Corse déjà baptisé « Imiza » par l’auteur dans son précédent roman d’anticipation Nimu. Un  constat des années de militantisme culturel et identitaire y apparaissait dans l’extrait suivant : … ce pays (la Corse) n’a jamais écrit sa propre histoire. Il a appris à résister à celle que ses envahisseurs successifs ont voulu lui imposer. C’est comme une histoire en négatif, qui, à une exception près, assez brève, n’a jamais pu se révéler et permettre aux Corses de se révéler à eux-mêmes. Dès lors, l’affaiblissement constant de l’affirmation identitaire était trop souvent compensé par une exacerbation nationaliste de plus en plus vide de sens. En ce temps-là, On vivait une ère d’errance. Les uns passaient à proximité immédiate des autres comme des objets mobiles, extraordinairement neutres, glissant en orbites lentes dans une sorte de nomadisme intersidéral. Il semblait que l’on se fut lassé de tout et des mots par-dessus tout. Depuis bien longtemps d’ailleurs, il n’y avait plus de littérature. La communication sociale en était réduite à quelques consignes utiles…. Ainsi était-il devenu habituel de découvrir des gens fermés sur eux-mêmes, clos comme des huîtres, impossible d’ailleurs à déplier tant leur crâne était plongé entre leurs bras, tant leurs bras étaient noués autour de leurs jambes, tant la mort avait raidi leur nuque et leurs membres, interdisant que l’on pût revoir leur visage et moins encore leurs yeux. Ils prenaient ainsi la forme d’une poire, exagérément alourdis aux fesses comme si tous les organes, les lymphes et les sucs du corps y étaient descendus…Une étrange odeur de lilas s’en dégageait. Sur la 4èmede couverture, on peut lire : Personne ne peut y échapper… " Echapper à quoi ? Au vertige de la mise en abîme de cette Corse à la dérive "

    Jean-Pierre Santini, selonJoël Jegouzo de NCP et K-LIBRE, "travaille au corps une société en perdition", invente des histoires qui ressemblent à la vie plus que la vie elle-même, sans doute parce qu’il est un arpenteur du réel mais aussi un poète. 

    Dans L'Ultimu, le recours au roman d’anticipation permet la mise en abyme de l’époque contemporaine surtout lorsque le travail de mémoire se fait dans un contexte politique et social imaginé. A Imiza, en 2050, les gens ne meurent plus mais disparaissent en laissant ouvertes les portes des  maisons vides. Sous la domination d’un Big Brother, le monde est entré dans une ère obscure. La tribu résiduelle de ce village se compose de treize habitants âgés de 58 à 107 ans. L’entame du récit est un conseil municipal réuni pour la mise en œuvre les décrets d’une nouvelle loi organique ordonnant la translation du cimetière, c’est-à-dire sa destruction… Est-ce le dernier acte de la mort du peuple corse ? La Corse sera-t-elle en 2050 une île sans mémoire, sans passé humain? Andria Costa, l’Ultimu (le dernier) placé à titre expérimental dans une tour peuplé d’hologrammes fantômatiques, rassemble ses souvenirs, creuse sa mémoire, fouille la généalogie du mouvement de libération de la Corse. Alors qu’il est sous contrôle jusque dans ses pensées, il échappe à l’observation dans ses moments de contemplation, notamment face au bleu… entendez la couleur du ciel et de l'eau. Le bleu symbolise l'infini, le divin, le spirituel. Il invite au rêve et à l'évasion spirituelle, facultés intellectuelles perdues dans un monde soumis à la tyrannie de la raison et des sciences.

    Fiction d’un regard sur des fragments d’une histoire individuelle et collective commentée par Xavier Casanova… « Chacun son fragment. Son attache. Son engagement. Son histoire. Sa vérité. Son parcours. Son destin. Sa Corse. Pour certains, protégée par la rêverie solitaire. Pour d’autres exposée dans les manigances publiques. Et pour quelques uns consommée dans les errements de l’action violente, ou exaltée dans les fastes de la délinquance réussie. La littérature de fragment sied bien à cette histoire là, qui raconte non pas la fin de l’histoire et son éclatement global, mais son ébullition diffuse, permanente et si bien partagée que tous la portent. Tant bien que mal. Envers et contre tout. Jusqu’au dernier. Comme un fardeau. Comme un flambeau. »

    « Eclatement du récit. Dislocation du puzzle, partiel, bancal, inachevé dont certains avaient entrepris la construction, par la voie de la révolte — pure et lyrique ou dure et dramatique —, en espérant être à la fois l’attracteur rassemblant les pièces, la raison les aboutant les unes aux autres et le ciment conférant sa solidité à l’image finale. » commente encore Xavier Casanova.

    Entre Jean-Pierre Santini, Andria Costa (l’Ultimu), Julien Costa et Samuel Romani, il existe sans aucun doute une communauté de pensée, voire l’univocité d’une identité. En se projetant dans un avenir imaginé, Jean-Pierre Santini prend de la distance, de façon littéraire, avec son propre témoignage sur la grande et la petite histoire insulaire. C’est cette distance qui le rapproche de l’âme corse dans ce qu’elle a aussi d’universel. C’est sa fibre poétique qui donne du lyrisme à son discours et nous offre de très beaux passages. Lorsqu’il dresse des portraits parfois volontairement caricaturés, il force peut-être le trait sur des comportements et non sur des individus. Dérision et autodérision servent à montrer des dérives extra et intra-muros dans la responsabilité d’une mort annoncée : celle du peuple corse en train de perdre sa mémoire généalogique, son passé humain. Ce passé humain prend des noms de personnages historiques comme bien sûr l’illustre Pascal Paoli mais aussi des moins connus comme Circinellu, curé de Guagnu qui avait pris les armes et dont on chante encore le courage. Ils sont nombreux à hanter ce musée imaginaire. Ils ne sont pas tous vertueux. Jean-Pierre Santini nous fait entrer dans un labyrinthe « humain, inhumain, trop humain ». Dans son cheminement guidé par Andria Costa, le lecteur rencontrera l’engagement de Samuel Romani dans une œuvre collective et sa détermination à construire pierre par pierre son œuvre dans un avenir utopique menacé par les ronces et la mondialisation. L’histoire collective se déroule en parallèle avec chaque histoire individuelle. Chacun porte alors  la mémoire collective qui est un chant polyphonique. Chaque Corse, même le plus cartésien, entretient un dialogue passionnel avec son île et  le cimetière de sa mémoire. Il y trouve toute sa vertu, au sens spinozien du terme. « Dans ce monde dévasté où l'impossibilité de connaitre est démontrée, où le néant paraît la seule réalité, le désespoir sans recours, la seule attitude, il tente de retrouver le fil d'Ariane qui mène aux divins secrets. » Pour reprendre ce passage dans  Le mythe de Sisyphe écrit par Albert Camus, peut-être Jean-Pierre Santini suit-il son fil d’Ariane ?

    Extrait : « Chacun est au commencement et à la fin, premier et dernier. Chacun porte en soi, avec soi, les paroles les rêves et les actes de la communauté humaine où il a pris racine, dont il s'est nourri et qui fait obligation de résister à l'oubli quand vient le terme du temps.

    Le dernier (L'Ultimu) fera donc l'inventaire de sa vie en puisant au fleuve des souvenirs, à la source des êtres rencontrés et, sur ce nouveau territoire où l'espace se resserre, il s'appliquera sans contrainte, guidé par une intuition naturelle, à recomposer dans les mots, les écritures, les actes, les postures ou les mîmes, le parcours qui l'a conduit jusque là. »

    On pourrait reprendre après Jean-Claude Loueilh (dans un article sur Nimu) une citation d’Arturo Perez-Reverte (Le Peintre de batailles) : « Notre monde ne fabrique plus de ruines mais des décombres, et, dès qu’il le peut, il envoie un bulldozer qui balaye tout pour laisser la place à l’oubli. Les ruines gênent, elles incommodent. Et ainsi, sans livres de pierre pour lire l’avenir, nous ne sommes pas longs à nous voir sur la rive, un pied dans la barque, et sans monnaie en poche pour Charon » (Selon le rite funéraire grec, Charon est le nocher des Enfers dont la fonction était de faire franchir le Styx aux âmes qui devaient payer par une obole leur passage).

    Autre extrait d’Ultimu : « On ne sait pas qui décide de ralentir ou d’accélérer le cours du destin, mais de toute évidence, dans les hautes sphères comme au cœur des populations assistées du consumérisme, on supportait de plus en plus mal l’idéalisation mortifère du passé. Que la vie fut réduite à l’instant présent suffisait à enchanter le monde. C’est sans doute la raison pour laquelle l’auteur anonyme des législations, réglementations, décrets et autres arrêtés, décida de supprimer toute trace de mort sur la terre des hommes attendu que l’absence ne saurait être représentée et que les monuments consacrées depuis des millénaires aux trépassés n’empêchaient pas l’oubli. Le papier des archives ou les bases de données modernes sur ordinateur suffiraient dès lors à recenser le peuple des disparus. Les mots franchissent le temps plus facilement que les marbres compacts et les mausolées somptueux. Parce qu’ils sont nommés, les morts ne sont pas tout à fait morts. Ils étaient des personnes, ils deviennent des personnages exactement comme ceux que l’on imagine de ce côté-ci du miroir pour en exorciser l’envers. La vérité romanesque est au mensonge de l’existence, ce que la vie est à la mort : un paradoxe sombre et lumineux ». L'histoire est un roman qui a été.Le roman est de l'histoire qui aurait pu être. (Edmond et Jules de Goncourt). L'ULTIMU, le dernier Corse sur l'île de la Giraglia, est sans doute  une histoire qui aurait pu être sur un roman qui a été. D’aucuns pourraient n’y voir que le désenchantement d’un intellectuel, militant politique. Une analyse plus profonde décèle l’aboutissement d’une réflexion qui a amené l’auteur, à l’instar de son personnage de Petru Paghjola, à l’écriture comme propice à la rédemption et donc à la prise de conscience. Et lorsque l’on dit rédemption, le mot contient aussi celui de libération. Ses convictions apparaissent intactes et l’intellectuel trouve son efficacité dans la guerre des signes et des mots chère au sous-commandant Marcos dont l’un des messages dit : « Nous voulons faire partie de l'Histoire nouvelle, de l'Histoire du monde ; nous avons quelque chose à dire et nous ne sommes pas disposés à être ce que vous voulez que nous soyons. Nous ne voulons pas nous transformer en sujets dont la valeur sur l'échelle sociale serait déterminée par le pouvoir d'achat et le pouvoir de production". Peut-être que l’auteur de Nimu et de l’Ultimu a voulu nous dire « Dans ce pays tout le monde rêve, il est temps de se réveiller ». Du moins c’est ce que nous entendons.

    Nous avons aimé et souvent savouré cette randonnée littéraire et historique avec, en refermant le livre, en mémoire un autre constat fait par Andria Costa sur l’histoire humaine de la Corse: « …/… Somme toute, une fiction. Que les hommes se jouent l’histoire, on est toujours dans l’imaginaire… Des icônes antiques aux hologrammes modernes, il s’agit bien de représentations, de reconstitutions. S’évader de l’instant, ça aide peut-être à en supporter le déséquilibre douloureux, ce désenchantement où la vie et la mort font ensemble leur chemin ». Acteur et témoin, double Je ?… Jean-Pierre Santini joue par anticipation avec son histoire et celle de la lutte pour la libération de la Corse sans en être dupe, donc avec lucidité.

    Le sous-titre d’Ultimu est « Populu corsu hè sunatu u mortariu ? » La mort du peuple corse ? Pour donner une réponse de lecteur à la question, je citerai Albert Camus : « Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort — et je refuse le suicide. »

    L'Ultimu est édité chez A fior di carta et  distribué par DCL en Corse. Si vous ne le trouvez pas chez votre libraire, vous pouvez vous adresser à l'Editeur:
    Adresse :
    À Fior di Carta
    20228 Barrettali
    Pour plus d'info
    Tel. 04 95 35 11 17

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  • tuminu

     Rendez-vous  dans le Cap corse dimanche 22 juillet 2012 à 16 Heures.

    Venez faire le  voyage à Tuminu, à la rencontre des auteurs de l’Operata culturale qui publie, après leur recueil  « Pierres anonymes » ( Petre senza nome ), leur nouveau recueil…

     

     
    A Cerca ou Le voyage à Tuminu,

    L’Operata culturale a pour but la promotion des œuvres littéraires et artistiques témoignant d’une sensibilité ou d’un rapport direct à la Corse, écrites et/ou éditées et réalisées dans l’île ou ailleurs.

    Ce collectif a déjà publié un recueil dans lequel il avait contribué à un long poème « Pierres anonymes » (Petre senza nome) né d’un cadavre exquis dont le maître du jeu est le langage avec ses ressources infinies.

    Les mots ont fondé et ont mis en mouvement  l’Operata culturale mais ce n’est pas seulement un déplacement dans l’espace que raconte le deuxième recueil : « A Cerca ou le voyage à Tuminu ». Interrogeant le « nous », chaque auteur y fait pirouetter le « je » dans des textes libres.

    L’ancrage dans le réel est celui d’un petit village du Cap corse.  Paroles fragiles, la démarche est poétique car, pour reprendre Ossip Mandelstam, la poésie est davantage une bouteille à la mer qu’une bouée de sauvetage. Les textes versifiés ou en prose ont la fragilité de la parole qui respire l’air du temps qui passe.

    L’écriture est une forme de résistance. Acteurs incertains dans le maquis des mots, les écrivains cherchent solitairement des signes d’espérance ou de désespérance pour une communauté de destin dans l’opacité d’une révolte quotidienne. Ils écoutent les bruits du temps (Mandelstam encore) et restent ouverts à son chaos tragique. Ce sont ces bruits qui rendent impossible le retrait du monde à Tuminu, petit village sous les embruns méditerranéens.

    Le recueil est tourné vers ce lecteur que Mandelstam nomme " l’interprète ", au sens rigoureux pris par ce mot dans la musique. Dans un Occident dévoyé par ses soucis d’efficacité économique, Occident cartésien, le poète garde une "conception hellénistique du monde " dont il cherche à retrouver le fonds dionysiaque, irrationnel. L’Opérata culturale apparaît  comme une sorte d’arche de Noé devant une table d'orientation ouverte sur la mer... Œuvre solitaire et solidaire, ce sont ses mots que chaque pèlerin sort de sa besace pour les partager dans ce rendez-vous polyphonique… Mais est-ce le début ou la fin du voyage ?

    Ce voyage (avec ses étapes sous les signes respectifs de la Terre, de l'Eau, de l'Air, du Feu et de la Quintessence)  nous permet aussi une pensée pour le philosophe Jean-Toussaint Desanti qui voyait une filiation  entre humus (la terre) et humanus.Autrement dit, l'humain pourrait simplement se rapporter à ce qui vient de la terre ! Le philosophe nous invite à prendre «les mots par leur peau, par ce qui les isole», par «l'enveloppe sensible, sonore ou visuelle qui, au voisinage d'un corps vivant, fait signe vers du sens».

    Si le premier recueil a été bâti sur la pierre anonyme, le second ouvrage collectif «  A cerca » apparaît dionysiaque dans un monde apollinien.  Entre la tendance à la démesure, la fantaisie, la passion, le déchirement d’une part et d’autre part l’exercice de la retenue, la sobriété, les apparences rigoureuses… chacun a joué sa partition sur un thème commun, avec la liberté indispensable à l’imaginaire. Entre le passé et le présent, entre la vie finie et la quête de l’infini, chacun a choisi la construction de son récit, ses mots, son ambiance, ses sentiments…

    Les auteurs de cette quête solitairement solidaire (et réciproquement) sont Ugo Pandolfi, Lucia Santucci, Francesca Weber Zucconi,Jean-Pierre Santini Anna Albertini, Marianghjula Antonetti-Orsoni, Jean-Paul Ceccaldi, Guidu Benigni, Helene Mamberti etNorbert Paganell.

    Face à la mer,  puissent leurs pierres précieuses faire des ricochets…

    Le recueil est merveilleusement illustré par les sanguines de Dominique Cazaux. Il sera présenté à Tuminu (Cap corse) le 22 juillet 2012. Son avant-propos est écrit par Ghjacumu Fusina. Le  préfacier en  est Marie-Jean Vinciguerra et la quatrième page de couverture est extraite de la préface..

     

    4ème de couverture:

    A Cerca ou Le voyage à Tuminu a été imaginé par une étrange confrérie, cette Operata, qui, par la miraculeuse juxtaposition d'aventures spirituelles singulières, de créations libres, signe une oeuvre collective, bien indivis d'une communauté de poètes et d'artistes. Déjà, il y a deux ans, sous le signe emblématique des surréalistes Cadavres exquis et d'un merveilleux poème de Tristan Cabral, La Saint-Jean, le souffle de l'inspiration individuelle s'était fondu dans l'ample respiration d'un poème polyphonique chanté en corse et en français, Pierres anonymes, Petre senza nome.

    Cette fois, l'Operata se met en marche, à l'extrême bout d'une terre, vers des lieux familiers, pourtant lourds de secrets: un village face à la mer, Tuminu, un tombeau, une source, un lavoir, une oliveraie, une église. … Quel sens donner à cette signalétique qui pouvait laisser croire à quelque jeu de piste ou aux étapes programmées d'un pèlerinage de ringraziamentu ? Voici, au terme de cette exploration, l'Operata, ces textes ex-votos, qui, dans l'expression même de leurs révoltes, sont autant d'actions de grâce : double hommage à l'Île et à la Poésie.

     

    tuminu

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