• Polar, pigment noir et piment rouge?

    Délire noir et rouge sur le polar…



    Le polar ? Le roman noir ? … terminologie d’une même littérature :  " la Noire " avec toute la symbolique de la couleur qui ouvre de nombreux horizons. En première définition, le noir est la couleur la plus obscure, la plus privée de lumière. Elle tend vers les ténèbres et on l’associe à la nuit, aux enfers, à la mélancolie, au deuil, au désespoir, mais aussi au mystère, à l’inconnu. Dans son ouvrage " Le noir " ( paru en 2006), Gérard-Georges Lemaire, historien et critique d’art, nous décrit l’extraordinaire fortune culturelle et symbolique du noir en Occident , de l’Antiquité à nos jours. Pour l’auteur , l’histoire du noir se tient toujours dans un paradoxe : d’un côté la nuit, la mort… de l’autre une certaine lumière, un luxe , une élégance… pour aboutir au " siècle du noir ", le 20ème où " c’est surtout dans le domaine de l’art abstrait que le noir va jouer un rôle clef, des œuvres de Malevitch et de Rottchenko à Soulages ". Le noir, couleur néfaste ? C’est vrai dans la théologie et dans la philosophie. Dans les croyances populaires, ce n’est jamais bon signe : " jeter un regard noir, être sur la liste noire, être le mouton noir… De nos jours, depuis la banalisation de la couleur, il s’est créé une esthétique du noir et blanc dans la photographie, le cinéma, comme dans la mode vestimentaire ou la publicité. Pour Soulages le noir serait l’expression suprême de la lumière.
    En littérature, le noir renvoie à des genres bien particuliers : le romantisme noir en Angleterre et en Allemagne à la fin du XVIIIème siècle, puis le roman noir, qui désignent des intrigues policières ou un suspense dans un récit dramatique, pessimiste, tragique. Chez les auteurs, comme dans son histoire, le noir est plus complexe et nuancé, ce qui explique les innombrables sous-genres : flic ou voyou, espionnage, suspense , policier, hard-boiled, historique, régional … jusqu’à créer le genre " inclassable ". Le genre noir contient tous les ingrédients de la symbolique de la couleur : le mystère, l’inconnu ( ce qui est caché ), l’occulte, la menace, la révolte ( l’anarchie), l’autorité, la puissance, la dignité, le pouvoir, l’austérité, le négatif, le néfaste, la tristesse, le désespoir, la peur… le mal, la mort et même jusqu’à l’élégance, la sobriété, le raffinement. Dans l’Egypte antique, on trouve la symbolique positive du mot " kem " dans la langue des Pharaons. Tiré du noir, ce mot se traduit par " mener à bien, s’élever à, accomplir, payer, compléter, servir à " , mais encore " être noir ". " Kem " signifie aussi " complet, parfait, obligation, devoir ".

    Qui sont les auteurs de polars? Daeninckx parle d’arpenteurs du réel. Qu’est-ce qu’un roman noir ? Jean – Bernard Pouy met dans son noir la douleur individuelle et sociale, en bannissant la police et toute description morbide… Avant lui, des textes noirs ont supprimé toute anecdote policière pour ne conserver que l’aspect véritablement sombre du genre : " Le Requiem des innocents " de Louis Calaferte, en 1952, " Le Festival ", " La Croque au sel ", de Maurice Raphaël, en 1950 et 1952. De cette littérature en marge, s’inspireront des textes modernes comme, notamment, " La Gana ", de Jean Douassot, ou " tombeau pour 500.000 soldats ", de Pierre Guyotat.

    A chacun son noir car il n’appartient à personne. Le polar est sans consigne littéraire. Le noir est un symbole fort avec ses paradoxes, ses réalités et ses chimères. Il peut même faire des mariages comme celui stendhalien avec le rouge… noirceur de la nature humaine et de la mort, rouge de la passion et du sang. L’édition Fleuve noir a sa Zone rouge. Grasset a une collection " Les cahiers rouges " qui rassemble des écrivains sous la bannière de la passion : " La passion d'aimer, de voyager, la passion du crime, la passion de vivre... " écrit l’éditeur. "Le rouge et le noir ne s'épousent-ils pas..." chantait Jacques Brel.



    Au rouge des armes, Julien Sorel préférera le noir des ordres. En littérature, la préférence donnée par un auteur au noir n’est pas un sacerdoce mais surtout l’affirmation d’une totale liberté d’écriture. Chaque auteur de polar a le choix et peut ajouter du rouge, avec ses tonalités et son ambivalence. Amarant(h)e, andrinople, carmin, garance, pourpre, rubis, sang... rouge pompéien... rouge Carpaccio, Titien... rouge Ferrari, opéra, pompier... érubescent, roux, rubicond... croix, planète, tapis rouge... La Butte rouge... Julie la Rousse, le Petit Chaperon rouge... le rouge en héraldique, rouge révolutionnaire … et bien d'autres mots et expressions défilent… rouges récents ou très anciens, vestiges de la longue histoire du rouge et témoignages de l'intérêt porté à cette couleur dès l'aube de l'humanité...






    Des auteurs ont mis du rouge dans leur titre :

    Émile Gaboriau, l'Affaire Lerouge,
    Conan Doyle, Une étude en rouge,
    Austin Freeman, l'Empreinte rouge,
    Dashiel Hammet, Rouge Moisson,
    Jean Vautrin, A Bulletins rouges
    Hervé Jaouen, la Mariée rouge
    Maurice G. Dantec, La Sirène rouge
    Paco Ignacio Taibo II : du drapeau rouge au roman noir
    Olivier Descosse, Le pacte rouge,
    François Muratet, Le pied rouge,
    Cook Robin, Quand se lève le brouillard rouge
    Roswell, Alerte rouge,
    Dean R Koontz, La porte rouge,
    Fréderic Castaing, Rouges cendres,
    Jean-Paul Bourre, L’élu du serpent rouge,
    Arlette Shleifer, Le bar rouge ….



    Sur le site l’Ours noir , nous avons trouvé un texte  " Octobre rouge et noir " par Pierre Cherruau, et nous vous livrons l’entame : " Lorsqu'un avion m'a déposé sur le tarmac de l'aéroport de Lagos, la plus grande ville d'Afrique connaissait une journée ordinaire d'octobre. Un octobre rouge et noir. Rouge sang du sol de latérite. Noir d'un ciel lesté de nuages gorgés d'encre. Comme à l'accoutumée, les quinze millions de Lagosiens s'étaient réveillés avec une angoisse existentielle au creux de l'estomac. Allaient-ils manger à leur faim ? Allaient-ils échapper aux multiples pièges de cette ville mante religieuses ? Allaient-ils rester en vie ? Echapper à la violence urbaine, à son cortège de cadavres journaliers…. " pour la suite aller à l’adresse :
    http://patangel.free.fr/ours-polar/2001/lagos13.php


    L’occasion de rappeler que le " rouge et le noir " , c’est aussi l’Afrique où des massacres se perpétuent sans que rien ne les arrêtent comme au Darfour où ils ont pris l’ampleur d’un génocide. " Briser le silence pour ne pas être complice d’un autre génocide ", c’est le mot d’ordre du collectif Urgence Darfour qui s’est créé à Paris. Sur le modèle du collectif américain " Save Darfour " animé par le journaliste américain Nick Clooney et son fils, l’acteur George Clooney, Urgence Darfour veut mobiliser l’opinion européenne pour la cause du Darfour. Faites un petit geste en allant signer la pétition sur le site officiel du collectif : http://www.urgencedarfour.info



    Le rouge est une couleur orgueilleuse, pétrie d'ambitions et assoiffée de pouvoir, une couleur qui veut se faire voir et qui est bien décidée à en imposer à toutes les autres. En dépit de cette insolence, son passé, pourtant, n'a pas toujours été glorieux. Il y a une face cachée du rouge, un mauvais rouge (comme on dit d'un mauvais sang) qui a fait des ravages au fil du temps, un méchant héritage plein de violences et de fureurs, de crimes et de péchés. Cette double personnalité du rouge est décrite par l'historien du symbolisme Michel Pastoureau :
    " Dans l'Antiquité déjà, on l'admire et on lui confie les attributs du pouvoir, c'est-à-dire ceux de la religion et de la guerre. Le dieu Mars, les centurions romains, certains prêtres… tous sont vêtus de rouge. Cette couleur va s'imposer parce qu'elle renvoie à deux éléments, omniprésents dans toute son histoire : le feu et le sang. On peut les considérer soit positivement soit négativement, ce qui nous donne quatre pôles autour desquels le christianisme primitif a formalisé une symbolique si forte qu'elle perdure aujourd'hui. Le rouge feu, c'est la vie, l'Esprit saint de la Pentecôte, les langues de feu régénératrices qui descendent sur les apôtres ; mais c'est aussi la mort, l'enfer, les flammes de Satan qui consument et anéantissent. Le rouge sang, c'est celui versé par le Christ, la force du sauveur qui purifie et sanctifie ; mais c'est aussi la chair souillée, les crimes (de sang), le péché et les impuretés des tabous bibliques. "
    Michel Pastoureau - Dictionnaire des couleurs de notre temps ; Paris, Christine Bonneton, 1999 ; 255 pages ; Collection Symbolique et société.


    Tout est ambivalent dans le monde des symboles, et particulièrement des couleurs ! Lisez l'Ancien Testament : le rouge y est associé tantôt à la faute et à l'interdit, tantôt à la puissance et à l'amour. La dualité symbolique est déjà en place.

    Site sur le " rouge " à l’adresse :
    http://expositions.bnf.fr/rouge/rencontres/02.htm


    Dans son ouvrage " Le Miniaturiste " , Martin Melkonian ( voir notre article du …. ) nous offre un magnifique passage sur la couleur et nous avons relevé ces extraits :
    - "  La civilité corrompt nos impressions premières : nous découvrons, en un plaisir décadent, chrétien s’il en est, le sentiment derrière le rouge du sacrifice ( jamais nous n’avouerons que nous aimons pour lui-même le rouge du sang qui s’écoule de la poitrine de l’innocent, ces ruisselets carminés qui tachent et strient l’habit des anciens sacrificateurs)… "
    - "  Moi-même la couleur me disperse, m’engloutit – mais non pas à la façon d’un cataclysme : c’est une prise totale, un harponnage, une succion… "
    - "  Je vois dans chaque couleur un retour luciférien de la flamme. La couleur bouge ( seul l’imprimé nous donne une illusion de fixité ; ne dit-on pas d’ailleurs, ce qui est un non-sens, qu’une couleur imprimé se doit d’être égale). La couleur bouge en même temps que tu bouges. Si tu t’arrêtes pour la considérer un tant soit peu, elle bouge encore. Si tu te recueilles en elle, dans l’attitude de quelqu’un qui médite devant un mandala, elle te revendique, s’attache à toi, te tache, cède à la plus légère pression mentale, se répand, t’emporte. Elle te tutoie maintenant, te fait des avances, avance, te veut… "



    Après la révolution russe de 1917, Les constructivistes n'emploient que des formes géométriques ou presque. A ces formes ils attribuent trois couleurs, le noir, le rouge et le blanc. Le noir symbolise le clergé et les capitalistes. Le rouge est la couleur du communisme, du sang des travailleurs. C'est la couleur la plus puissante, celle qui excite le plus le cône de l’œil humain et celle qui se voit le plus avec le rouge orangé.Le blanc est la couleur du papier. Ou bien, le noir sert de fond et le blanc symbolise les russes blancs, les tsaristes. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, nous vous conseillons un site excellent " La boîte à images " à l’adresse : http://laboiteaimages.hautetfort.com/



    Patrick Raynal se souvient :"On avait tous un petit livre rouge dans une poche et un roman de Dashiell Hammet dans l’autre ". Le polar ou le roman noir ? Le gros rouge ou le petit noir ? Voilà du grain à moudre : quelle est la bonne couleur ?



    Au petit matin, le noir du café vous rappelle à quel point votre corps était absent sans infrarouge , dissous comme du sucre par la nuit noire. Quelque part en France ou ailleurs, un auteur de polars, à la dérive, vit aussi des instants en rouge et noir. Il est assis dans un bar enfumé près d’un boulevard dans la grisaille d’une ville tentaculaire. Homme de lettres oublié, il porte à ses lèvres son café noir déjà froid. La tasse posée sur le zinc, l’homme fixe un feu rouge. Sans mot, sans geste, il pense. Le regard vide, il attend, son stylo à la main... Au comptoir, un auteur de romans noirs s’abîme dans le gros rouge avec délectation, car il est son frère de sang….



    Petit noir ou gros rouge ? Une question qui ne mérite pas que l’on se creuse la cafetière. En France, on peut vous servir un menu " polar ", café et vin rouge compris…

     
    De façon consensuelle ( en un seul mot), nous vous proposons la recette simple et originale du " vin de café " :
    Ingrédients : 20 g de café instantané, 1 à 1,5 kg de sucre, 5 l d'eau, 2 citrons (jus), Levure universelle, Sels nutritifs
    Préparation : Mettre le café et le sucre dans un récipient.- Verser dessus les 5 litres d'eau bouillantes. Remuer.- Laisser tiédir et ajouter la levure, le jus des citrons et les sels nutritifs.- Mettre en place chaude couvrir avec une étamine de façon à laisser passer l'air pour la fermentation mais pas les poussières.- Quand la fermentation a démarré, tamiser et mettre en tourie (grosse bouteille en verre) entre 20 et 29 degrés.- 24 heures plus tard mettre le barboteur*.
    - le barboteur n’a rien à voir avec le barbeau. Le barboteur est un instrument faisant passer un gaz dans un liquide alors que le barbeau ( souteneur) est un gazier qui ne prend que du liquide… Heureusement, il ne suffit pas de barboter dans l’eau pour être accusé de proxénétisme.
    - Ne pas oublier la levure " universelle ".
    Nous vous conseillons ce breuvage … a las cinco de la tarde… à cinq heures de l’après-midi : " Il était juste cinq heures de l’après-midi, le glas commença à sonner et tout le reste n’était que mort… " extrait du poème de Fédérico Garcia Lorca qui raconte une corrida et la mise à mort d’un torero.

    Et ça sert à quoi un vin de café ?… Encore un machin inutile ?… Si tout est vain , c’est fort du café ! Non ?… Pas étonnant que les héros de polars soient le plus souvent désespérés dans leurs villes noires.



    Bonus " noir et rouge " pour les amateurs de Rugby : Claude Nougaro chantait Toulouse : "Malgré ton rouge et noir, on te dit Ville rose… ". Pourquoi le rouge et le noir du Rugby Club du Stade toulousain ? Il s’agirait en fait d’une référence aux capitouls, en raison de la couleur des manteaux qu’enfilaient les magistrats municipaux à leur prise de fonction jusqu’en 1789. A moins que cela fasse référence au roman de Stendhal... Toulouse, ville rose, a son mystère en noir et rouge.



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