• Mr et Mme Rêve... insolite et drôle!

     

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    A chaque ballet du couple Pietragalla/Derouault, on mesure de quels talents l’Opéra de Marseille voulait nous priver. Qu’ils restent recroquevillés sur eux-mêmes dans leur académisme figé, leur clanisme et leur politique du copinage. C’est tant mieux pour le Théâtre Toursky qui a sauté sur l’aubaine en leur ouvrant sa porte pour le plaisir des spectateurs. Hier,  avec « Mr et Mme Rêve » Ils ont dansé à guichet fermé. Salle comble, le succès était immense !


    Lorsque l’on parle du théâtre d’Eugène Ionesco, on utilise l’expression « théâtre de l’absurde » alors qu’il préférait celle de « théâtre insolite ». « Je tâche de projeter sur scène un drame intérieur. . . Je ne veux que traduire l'invraisemblable et l'insolite, mon univers », écrit-il dans Notes et contre-notes. Sans aucun doute Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, dans un ballet librement inspiré de l’œuvre de l’auteur, ont respecté son esprit, en suscitant effroi et émerveillement.

    La danse est un langage universel. Pour le rester, elle doit puiser à toutes ses sources. Tout langage finit par s'userinsistait Ionesco. Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault ont compris le message. C’est du nouveau qu’ils proposent. Ils utilisent mime, danse africaine, hip hop, Mickael Jakson… le burlesque pour dire notamment cette usure dans leur domaine : la danse.  Le lac du Cygne est parodié jusqu’à vous tirer des rires. C’est toutefois plus nostalgique que méchant. Des tableaux offrent des plages sonores de belle musique (Wagner, Mozart) et une chanson de Bashung qui sont des entractes à la musique de Laurent Garnier, DJ créateur de la French touch, une musique contemporaine adaptée à l’esprit de cette création.

    Monsieur et Madame Rêve, le titre est emprunté à une chanson de l’insolite Alain Bashung. Sans aucun doute, un choix personnel et artistique des deux créateurs. « On a voulu, avec Julien, partir de l'univers d'Ionesco pour créer notre propre histoire », explique à l'AFP Marie-Claude Pietragalla  et elle ajoute: «  Nos deux personnages, M. et Mme Rêve, sont orphelins de l'auteur, qui ne vient pas, et, en même temps, ont leur propre histoire, avec des références à plusieurs de ses pièces de théâtre ». Avec son partenaire, elle commente : « Nous avons choisi de pénétrer dans l’œuvre d’Eugène Ionesco comme on plonge du haut de la falaise et de nous y installer. Poser nos valises chez Jacques, embrasser le vieux et la vieille, s’enquérir de la santé du Roi Bérenger, croiser un troupeau de rhinocéros subventionnés : voilà ce monde théâtral devenant notre bestiaire, notre inspiration ».

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    Les deux personnages imaginaires sont projetés dans  l’univers d’Eugène Ionesco. Le premier tableau s’ouvre dans un appartement cossu, entr’autres choses, une tête empaillée de rhinocéros décore un mur…  La rhinocérite va-t-elle se propager. Il faudra attendre le dernier tableau pour le savoir.

    Un homme aux cheveux blancs frémit, s’anime et danse... Une femme à son image entre en scène. Elle l’ignore avant que  tous les deux miment, dans une chorégraphie,  les gestes du quotidien. D’abord maîtrisés, les mouvements se cassent et, avec le décor, les gestes se disloquent, deviennent mécaniques jusqu’à la frénésietapisseries qui tombent, éclairs dans le ciel encadré par une fenêtre à vitraux, murs qui s’abattent…délires à deux,  gestesinsolites dans des tableaux qui se succèdent parfois rythmés par les saisons et d’autres fois projetés dans l’onirique, voire la science fiction… Dans une ville ressemblant à New York,  défilés interminable d’hommes sans visage sous leurs chapeaux comme sur des tableaux de Magritte net à contre sens l’homme aux valises qui marche constamment dans ses propres pas et revient en arrière comme Sisyphe, l’homme seul, comme un aveugle dans un univers chaotique et tragiquement indifférent.

    On assiste à un foisonnement d’idées, de références, de clins d’œil... Tout se bouscule et donne le vertige. Impossible de tout digérer !  Lyrique, beau, burlesque, merveilleux, obscur…  autant de moments qui  jalonnent le drame humain.  

    Tout ce que nous rêvons est réalisabledisait Ionesco. Nous n’allons pas décrire tous les tableaux. Il y a celui où la femme vomit l’alphabet et les lettres  s’éparpillent puis dansent avec elle. A la légèreté des lettres  livrées à des courants d’air et  de la danse, on peut opposer le poids des mots, leur lourdeur.  Vidés de leur sens, ils ne sont que des « écorces sonores ». La parole est donné à Julien Derouault qui, entouré de clones virtuels, déclame une tirade de « Jacques ou la soumission », ce personnage dont la révolte n’est pas simplement œdipienne mais plutôt métaphysique…

    Après des tableaux sur le quotidien, les saisons qui passent par le jeu des lumières… Un personnage, poupon sans visage, bras et jambes coupés, enfle, enfle, jusqu'à occuper tout l'espace et faire exploser les murs...Comme chez M. et Mme Smith de la Cantatrice chauve, on sonne à la porte de M. et Mme Rêve, et comme chez M. et Mme Smith, il n'y a personne derrière la porte de M. et Mme Rêve… Un tableau onirique nous fait entrer dans la  quatrième dimension. L’homme, avec de ridicules ailes blanches, danse sur un air de concerto pour piano de Mozartet saute d’un nuage à l’autre comme sur les pierres d’un torrent de comètes avant de crever le mur du quotidien. Les ailes pulvérisées, il se débarrasse des plumes encombrantes.  Dans le final, le rhinocéros est de retour. Grâce à la 3D, ils sont légions à danser derrière M. et Mme Rêve, brandissant leur parapluie sur la Chevauchée des Walkyries, référence au Dictateur de Charlie Chaplin.

    Il s’agit d’une mise en abyme de la société et le ballet nous fait plonger dans l’œuvre d’Eugène Ionesco, le vide existentiel et le trop-plein des corps, l’opacité humaine, l’ironie de ce monde absurde… Le drame côtoie la dérision dans un déluge d’effets visuels dus à l’utilisation d’images virtuelles et de la technique en 3D.  

     Chaque décor ouvre un nouveau monde. Les cloisons s’effondrent. Il n’y a plus de limite entre la réalité et le virtuel grâce à la prouesse technique et les deux danseurs en jouent à merveille. Les décors plongent les spectateurs dans ce monde qui n’est pas à l’image du monde mais est l’image du monde.

    Un grand bravo  aux techniciens et à  Gabriel Perrin qui a conçu et réalisé l’habillage graphique et 3D des décors virtuels du spectacle: du mystérieux No Face au final avec la danse des rhinocéros.

    Comme il s’agit d’Eugène Ionesco, nous terminerons en lui rendant la parole : « Je pensais qu'il était bizarre de considérer qu'il est anormal de vivre ainsi continuellement à se demander ce que c'est que l'univers, ce qu'est ma condition, ce que je viens faire ici, s'il y a vraiment quelque chose à faire. Il me semblait qu'il est anormal au contraire que les gens n'y pensent pas, qu'ils se laissent vivre dans une sorte d'inconscience. Ils ont peut-être, tous les autres, une confiance non formulée, irrationnelle, que tout se dévoilera un jour. Il y aura peut-être un matin de grâce pour l'humanité. Il y aura peut-être un matin de grâce pour moi. » (Le solitaire)

     

    Hier, nous avons eu notre soir de grâce avec le baller « Mr et Mme Rêve ». Ne ratez pas ce moment de grâce !

    A Paris, M. et Mme Rêve sera à l'affiche du Grand Rex, à compter du 12 mars 2014 jusqu’au 24.

    Le 13 mars au Théâtre municipal de Grenoble.

    A l'étranger proche, le spectacle sera ensuite présenté en Suisse, notamment les 21 et 22 mars à Genève.

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