• Evolution du polar en France

    Evolution du roman policier en France :
     
    Le 20ème siècle, une pègre organisée s’est établie en France. Parmi les truands, des Corses mis en scène dans le décor parisien et notamment le quartier de Pigalle, qui devient le haut lieu de la drogue et de la prostitution. En France, alors qu’il devient un genre répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, le polar reste cantonné dans le giron de la capitale, Paris ou bien à l’étranger car les éditeurs choisissent le plus souvent d’éditer des traductions de romans américains.
     
    Pendant que, aux USA , le détective " hard boiled " ( dur à cuire) enquête dans le roman noir, la France se plonge dans le Milieu, le Mitan et ses truands hauts en couleurs avec leur langage argotique. C’est la belle époque des tractions avant et des gros coups, mais aussi des auteurs à succès alimentant avec leurs romans le grand écran avec des belles gueules d’acteurs : Jean Gabin, Eddy Constantine, Lino Ventura, Bernard Blier, Michel Constantin, …
     


    En 1953, Albert Simonin publie " Ne touchez pas au Grisbi ", adapté au cinéma par Jean Beckert. Ce premier roman consacré à des truands vieillissants, sera suivi de deux autres : " Le cave se rebiffe " adapté au cinéma par Gilles Grangier en 1961, et " Grisbi or not Grisbi " adapté au cinéma par Georges Lautner sous un autre titre " Les tontons flingueurs " en 1963. Simonin a initié le lecteur à l’emploi de l’argot et a même écrit un dictionnaire de mots argotiques : " Petit Simonin illustré par l’exemple " ( édité en 1968) . Son ultime roman est " L’élégant " (1973).
     


    José Giovanni est d’origine corse. Il a connu la prison. Il a été incarcéré à 22 ans, condamné à mort puis sa grace a été obtenue par son père qui l’a toujours soutenu lors de son incarcération. Il devient écrivain à 34 ans. Son premier ouvrage " Le trou ", écrit en prison, sort en 1958 et s’inspire de sa propre tentative d’évasion de la prison de la Santé. En 1960, il sera adapté au grand écran par Jacques Becker et à l’affiche, apparaissent Jean Keraudy et Michel Constantin. Le réalisateur décédera le 21 février 1960 sans assister à la sortie de ce film qui sera suivie, jusqu’en 1988, d’une longue filmographie pour le nouvel écrivain, scénariste et réalisateur, José Giovanni : Le nommé Rocca d’après le roman " L’excommunié ", La loi du survivant, Le rapace, Un aller simple, Dernier domicile connu, La Scoumoune, Deux hommes dans la ville, Le gitan, Comme un boomerang, Les égouts de Paris, Une robe noire pour un tueur, Le Ruffian, Les loups entre eux, Mon ami le traître. Dans ces films, ont joué les plus grands acteurs français du genre : Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Paul Meurisse, Marcel Bozzufi, Annie Giradot… La même année que " Le trou ", il sortait ses romans " Le deuxième souffle, Classe tous risques et l’excommunié.
    Après une adolescence agitée, José Giovanni a beaucoup écrit dans la série noire. Il a souvent décrit avec justesse et réalisme, le milieu carcéral et le monde des voyous. Il a été un auteur prolifique dans le genre policier et d’aventure dans une œuvre où est présente une dimension sociale et politique. Il s’est montré préoccupé par le devenir de la jeunesse et la délinquance. Il s’insurgeait contre toute violence " qui ne tient pas compte de la valeur d’un être humain " et considérait la pornographie comme dégradante et destructrice chez les jeunes. En 1995, il sort le roman " Il avait dans le cœur des jardins introuvables " (Chez Robert Laffont), qu’il adaptera au cinéma avec son ami Bertrand Tavernier. Le film sortira sous le titre " Mon père ". C’est l’histoire de José Giovanni et de son père, qui s’est battu pour que son dernier fils échappe à la peine capitale dans la France d’après-guerre. Il met en scène ce père qui gagne l’argent du procès en jouant par habitude, par nécessité et parce que c’est le meilleur moyen, pour lui, de gagner cet argent. Très présent dans le monde du polar, josé Giovanni participait à de nombreux évènements organisés en France. Ilest décédé le 21 avril 2004 à Lausanne. Il avait 80 ans et s’était marié avec Zazie, secrétaire de Bernard Queneau.
     


    Alphonse Boudard sait aussi de quoi il s’agit lorsqu’il parle de prison. Il a été maquisard pendant la dernière guerre et s’est reconverti ensuite dans le cambriolage, ce qui lui a valu de connaître les cellules de Fresnes. En 1962, il sort " La métamorphose des cloportes ". Une trentaine de romans suivront. Comme Simonin, il utilisera l’argot dans certains, comme " Les combattants du petit bonheur " ou " L’éducation d’Alphonse ". Il a travaillé pour le cinéma et la télévision avec de grands acteurs comme Jean Gabin, Alain Delon ou Simone Signoret.
    On peut citer aussi André Héléna (Les héros s’en foutent , Les flics ont toujours raison) , Pierre Lesou (Le doulos) et bien sûr Auguste Le Breton ( Du rififi chez les hommes, Rafles sur la ville) qui, à l’instar de Simonin, écrivit un dictionnaires " Argotez, argotez ".
     


    Le roman noir en France :
     
    " Le roman policier ne voit de mal que dans l’homme alors que le polar voit le mal dans la société " selon Jean-Patrick Manchette, né à Marseille.
     
    Deux noms vont marquer le roman noir français dans la deuxième moitié du 20ème siècle : Léo Malet avec son héros Nestor Burma et Frédéric Dard avec le commissaire San Antonio, affublé de l’inspecteur Bérurier comme faire-valoir.
     


    Léo Malet, connu comme poète surréaliste anar, a d’abord publié sous des romans populaires sous des pseudonymes (Frank Harding, Léo Latimer, Jean de Selneuves et Lional Doucet). En 1943, il sort sous son nom 120, rue de la Gare et invente le personnage de Nestor Burma, détective français inspiré de son confrère américain. Mlle Nadia Dhoukar, a fait un énorme travail sur Léo Malet chez Robert Laffont.. Elle nous dit :
    " Léo Malet (1909-1996) a toujours été passionné de mystères. Né à Montpellier d'un père employé de commerce et d'une mère couturière, il est élevé par son grand-père, tonnelier de son état, qui l'initie au socialisme de Jean Jaurès et à la littérature de Victor Hugo, de Maurice Leblanc et d'Alexandre Dumas. A huit ans, il écrit ses premiers romans ; à seize, il vit à Paris de petits boulots et de chapardage et se produit comme chansonnier au cabaret de La Vache enragée. André Breton l'introduit auprès des surréalistes et l'encourage à publier ses poèmes (Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe, 1936; L'arbre comme cabane, 1937; ...Hurle à la vie, 1939). Déporté dans un camp de travail allemand, il revient à Paris huit mois plus tard et aborde le roman policier par des chemins buissonniers, servi par une plume acérée et des penchants libertaires. Il commence à publier des " polars " à l'américaine sous les pseudonymes de Frank Harding et Léo Latimes. C'est en 1943 qu'il signe sous son vrai nom 120, rue de la Gare, la première enquête de Nestor Burma, un " détective de choc " qui lui ressemble (signes particuliers: libre et aventurier) et qui lui survivra. Léo Malet est mort le 3 mars 1996, laissant une oeuvre placée sous le double sceau de l'humour et de la poésie. Cette nouvelle édition en quatre volumes des romans de Léo Malet suit pas à pas la biographie fictive de Nestor Burma. Le lecteur découvrira en lui l'un des personnages les plus originaux de toute la littérature policière ".
     
    Léo Malet, créateur de Nestor Burma chez Robert Laffont:
    " Léo Malet est de retour. Curieux homme, vagabond, anarchiste, vendeur de journaux à la criée, surréaliste, puis inventeur de Nestor Burma, ce personnage de détective privé (signe particulier : libre et aventurier) qui lui ressemble tellement. Etrange écrivain, qui a influencé beaucoup de nos auteurs de policiers et donné un nouveau style, sensible et poétique, au roman noir. Francis Lacassin l’avait aidé pour la première publication de ses œuvres chez " Bouquins ". Aujourd’hui, c’est Nadia Dhoukar qui a veillé sur cette nouvelle édition. Elle a notamment rédigé une biographie de Léo Malet placée en début de volume et nous offre quelques textes (chansons, poèmes, nouvelles, articles) en best off… note de l’éditeur.
     


    Frédéric Dard, avec sa verve déjantée et son commissaire San Antonio, policier infaillible et tombeur de femmes, est un immense succès populaire et le nombre de sites qui lui sont dédiés est impressionnant. Il faut bien sûr citer l’inspecteur Bérurier, boulimique, gros, crasseux, libidineux, vulgaire et fort en gueule, mais virtuose du calembour, son épouse monumentale, Berthe, et son collègue Pinuche, minuscule, oublié et décalé. Dard fils a bien essayé de prendre la relève de Frédéric père en continuant à exploiter le filon paternel mais le charme est rompu. San Antonio restera orphelin. Frédéric Dard a su conquérir un large lectorat par un mélange subtil de burlesque jusqu’à l’extravagance et de rigueur dans l’intrigue dans des récits sûrs se déroulant sans détours inutiles et ménageant le suspense.
    Nous vous signalons un site à la fois très personnel et très documenté sur la bibliographie des San Antonio:  http://www.crescenzo.nom.fr/san-antonio.html
     

     
    Pierre Boileau et Thomas Narcejac sont connus comme théoriciens du genre, notamment dans l’opus commun " Le roman policier " ou bien " Esthétique du roman policier et une machine à lire : le roman policier " de Narcejac seul. Ils ont collaboré avec succès en écrivant L’ombre et la proie (sous le pseudonyme de Allain Bouccarèje). Le film " Les diaboliques " réalisé par Henri -Georges Clouzot est une adaptation de leur roman " Celle qui n’était plus " sorti en 1952. Hitchcock a adapté un autre roman intitulé " D’entre les morts " en lui donnant le titre Vertigo/Sueurs froides. On peut citer " Les louves " mais aussi " Les victimes " qui, au début de l’intrigue, donne davantage d’importance à la victime.
     


    On peut citer aussi Jean Meckert qui a écrit, sous le pseudo de Jean Amila, dans la série noire : Y a pas de bon dieu en 1950, Le loups dans la bergerie, Noces de soufre, jusqu’à plus soif et langes radieux, La lune d’Omaha (Il y règle ses comptes avec la guerre). Après 1968, il invente le personnage d’un flic hippie surnommé Géronimo qui est " au service des victimes et pas au service des puissance " : Le grillon enragé, la nef des dingues, Contest-flic... Alain Demouzon écrit des romans utilisant le jargon du quidam (Quidam est un de ses livres paru en 1980) dans des atmosphères grises et pluvieuses. Après avoir abordé le genre noir avec son titre " Un coup pourri " et son héros le détective Placard , il écrit, en 1978, Adieu ma jolla, en hommage à Chandler… Georges J. Arnaud qui signe " ne tirez pas sur l’inspecteur " sous le pseudo de Saint-Gilles (1954), puis continue à écrire des romans noirs sous son nom dont " Le coucou " en 1978… Raf Valet avec Mort d’un pourri et Adieu Poulet…
     


    Un arrêt sur Pierre Siniac :
    Pierre SINIAC est né le 15 juin 1928 à Paris. Il a donc connu les deux guerres. C’était un auteur prolifique. Le grand public a pu faire sa connaissance avec l’adaptation cinématographique de son roman " Les Morfalous ", qui traitait déjà de l’héroïsme en temps de guerre. Il a obtenu le grand prix de la Littérature policière en 1981. De cet auteur, on peut citer " Illégitime défense ", son premier roman en 1958, " Monsieur cauchemar " en 1960, " L’unijambiste de la côte 284 ", " reflets changeants sur marre de sang ", " Femmes blafardes ", " Aime le maudit ", " Des amis dans la police ", " Le mystère de la sombre Zone " …. Il a inventé aussi les personnages étonnants de Luj Infernan et la Cloducque.
    Pierre SINIAC est mort dans l’indifférence et l’anonymat en mars 2002. On a découvert son corps le 11avril 2002 dans son HLM d’Aubergenville (Yvelines).
    Il a écrit " la course du hanneton dans une ville détruite " (ou " Corvée de soupe " ) en 1994. Ce livre sera édité 4 ans après son décès. (Rivages/noir). Résumé : Juillet 1994, un manoir normand est en vente. Il recèle des tombes de FTP et de soldats de la dernière guerre. Une dalle tombale n’a aucune inscription et dessous repose Barbara ROUSSET, morte dans sa vingt sixième année. " C’était une fille de l’Est. Père inconnu. Enfin , on racontait que sa mère, une serveuse d’auberge dans la Meuse, l’avait eue avec un soldat américain, en 17-18, pendant l’autre guerre ; ce qui expliquerait le prénom. En 40, par ici, on a eu des réfugiés. Des Lorrains, des Alsaciens. Barbara était dans le lot… " Et nous voilà projetés en plein débarquement des Alliés dans ce Manoir où Barbara se retrouve seule avec huit orphelins à protéger et nourrir. Elle a , à sa disposition , un véhicule prestigieux : la Delage D8, modèle 1937 de couleur prune. Elle tente une première sortie, avec tous les enfants : " Et la voiture de tourner sans trêve, comme sous la coupe d’une mécanique devenue folle, prise dans ce malstrom de feux et d’acier, avec sur les neuf têtes enfermées dans le véhicule un ciel livré à un feu d’artifice démentiel ". Retour au manoir et puis, elle repart seule au volant du véhicule criblé d’impacts de balles pour la " corvée de soupe ", tel un hanneton qui cherche maladroitement son chemin au milieu des ruines.. Il s’en suit une épopée cauchemardesque, celle d’une jeune femme dont le courage n’a d’égal que la maladresse. Cette chronique d’une mort annoncée montre les horreurs et les dégâts collatéraux de la guerre. Barbara, pacifiste par nature, se retrouve en première ligne. Elle livre son propre combat au milieu du fracas des bombes. Pour le personnage de l’héroïne malgré elle, SINIAC s’est inspiré d’une histoire qui lui a été racontée à Canisy où l’écrivain passait ses vacances. Dans le roman, le narrateur est un certain Tiercelin, qui fait visiter le Manoir aux acheteurs.

    Prochainement le neo polar ... à suivre!
     
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