• ScarelifeScarelife… Scars of life !… Les cicatrices de la vie sont plus profondes chez David Goodis que les balafres de Scarface., pour entrer directement dans la référence cinématographique. Max Obione nous enfonce dans un univers où s’agitent des héros brisés par la vie mais qui essaient de s’en sortir. Mosley, personnage goodesien à l’âme noire, entame sa longue marche contre le destin avec une vie déchirée au bout du chemin. Sorti de prison, ce scénariste vivote en écrivant pour les enfants, mais il vient de signer un contrat pour un film sur la vie de David Goodis. Un projet qui lui va comme un gant. On reproche aux moralistes  kantiens de n’avoir pas de mains, notre héros a des mains rongées par un eczéma purulent et une conviction pas franchement morale : « Dieu punit toujours les enfoirés mais il faut l’aider ». Il a  les mains sales jusqu'aux coudes.  Il aime les plonger dans la merde et dans le sang… au moins de façon métaphorique.

    C’est une lettre à l’encre bleue qui bouscule sa vie terne depuis sa dernière sortie de prison, un bleu qui ne le renvoie pas à la pureté du ciel mais symboliquement à la couleur des veines, de l’ombre et de la nuit. Il faut dire que nous sommes en terre anglo-saxonne où l’expression « Blue devils » signifie « idées noires ».

    Dans le monde réel du polar, Walter Mosley est aussi le nom d’un’auteur noir de romans noirs, écrivain favori du Président Clinton. Il a écrit notamment « Le diable en robe bleue ».

    Bleu ! Coïncidence ou pas, revenons à notre Mosley de Scarelife!  Le blues n’est-il pas un état de mélancolie avec sa musique qui va si bien au roman noir, d’autant plus que nous nous trouvons  dans le Montana et que la lettre manuscrite à l’encre bleue pousse notre héros à se rendre en Louisiane. Il ne sera pas étonnant qu’il soit sensible à la recherche de la note bleue, lorsqu’il écoute « In the sunny side of the street » ou « Night in Tunisa ».

    Qui donc lui a écrit à l’encre bleue ? Son salaud de père qui « vient retouiller la merde, la merde noire de sa vie »… Mosley est, par certains côtés, un personnage proche de Jean Mardet, tueur inventé et joué par Jean-Pierre Mocky dans son film « La bête de miséricorde ». Mardet tue les malheureux pour abréger leur souffrance. Mosley justifie toujours ses crimes. Il ne fait que hâter des passages dans l’au-delà, dit-il. Par d’autres côtés, lorsqu’il rencontre Cody, on est tenté de le rapprocher de Scarface. Peut-être y a-t-il un peu des deux en lui…

    Analepse (ou flashback en langage cinématographique)  dans le récit lorsqu’Herbie entre en scène!... Il faut préciser que, dans la première partie, c’est Mosley qui se raconte. Le texte est donc d’abord à la première personne dans un style épuré avec les phrases courtes adaptées à ce personnage froid, ce psychopathe renfermé qui porte son regard cynique sur les autres. La narration est au présent pour qu’on le suive pas à pas, hic et nunc. L’entrée en scène d’Herbie, détective surnommé Minicop par les uns et  le Nain par les autres,  est un retour en arrière, donc l’imparfait de narration s’impose avec une voix off qui raconte ce qui s’est passé après le départ de Mosley. Il n’a pas digéré la libération de ce dernier pour bonne conduite. Il le soupçonne d’être un dangereux criminel. Il en a fait une affaire personnelle.  Les nouveaux meurtres le mettent sur la trace de cet étrange scénariste… L’imparfait est le temps de l’enquête avec son côté fictionnel, le présent celui de Mosley et de ses crimes. Le détective Herbie a toujours un temps de retard sur le tueur.  Arrivera-t-il à prendre un temps d’avance et à le confondre ? Ou alors son enquête restera-t-elle une fiction imparfaite, les crimes étant les seules réalités parfaites? Est-ce dans un double « je », même si Herbie est traité à la troisième personne par l’auteur, que va se jouer le sort de Mosley ? Du moins le croit-on avant de connaître l’épilogue de ce roadmovie forcément fatal…

     

    4èmepage de couverture : « Libéré sur parole après avoir purgé dix ans de pénitencier, Mosley J. Varell coule des jours ternes dans un coin reculé du Montana. Il vivote en écrivant des scénarios de dessins-animés. Gougou le kangourou, c’est lui. Astreint à pondre des histoires à décerveler les mômes, on vient cependant de lui commander le scénario d’un biopic sur le romancier David Goodis. Un matin, il reçoit une lettre postée de Louisiane. Il a reconnu l’écriture, c’est celle de son père qu’il hait depuis toujours. Mais pourquoi Mosley décide-t-il de partir le retrouver ? Ayant la phobie de l’avion, il entame une grande diagonale routière. La fatalité, un temps en sommeil, l’entraînera à ponctuer son périple de meurtres comme autant de cailloux blancs que Le Nain, un détective teigneux lancé à ses trousses, saura ramasser…

    Présentation de l’auteur  par son éditeur : Max Obione fait le noir, le noir profond, sans rémission et sans lueur rédemptrice ; dans un roadmovie paroxystique et crépusculaire, il conjugue « no future » à tous les temps de l’imparfait de l’existence.

    max_obione

    Max Obione aime le roman noir et sa liberté d’écriture, tout en jouant avec un langage parfois cru qui n’exclut pas les effets de style. Dans cet ouvrage, l’âme de David Goodis l’a sans doute accompagné. A chaque étape de la course de hanneton faite par le meurtrier, le scénario imaginaire « Goodis, Ad vitam » est livré par bribes au gré des idées noires de Mosley. Dans une suite d’épisodes, le voyage de Mosley s’égrène, comme un feuilleton avec des nouvelles noires comme celles qui ont fait le succès des Pulps. Vous y rencontrerez quelques personnages secondaires hauts en couleur comme Cody qui nettoie des vespasiennes mais ce n’est qu’une couverture pour ses activités de nervi professionnel. Jazzman occasionnel, il joue My funny Valentine comme un dieu. Mais la vedette du roman reste  Mosley, scénariste goodesien, héros de papier inventé par Max Obione. Imprégné par l’univers glauque de Goodis,  l’auteur de Scarelife rend  un fin hommage à son confrère de Philadelphie et au cinéma inspiré par le roman noir né dans le sillage d’Hammet et de Chandler.

    Il faut révéler que Max Obione a un projet de court-métrage « Jean & Nelly » dont le synopsis retient déjà notre intérêt : « Le Havre. Le patron du café « Le quai des brumes » prétend être le fils de Jean (Gabin) le héros du film de Marcel Carné… Un soir, une fille rentre dans le café, elle a des yeux magnifiques qui évoquent ceux de Nelly (Michèle Morgan)… » Après Goodis l’Amerloque, serait-ce un hommage au roman noir français et à Pierre Mac Orlan dont le roman a été adapté par Marcel Carné dans un film où Jean Gabin et Michèle Morgan excellent ?... Le premier clap serait pour bientôt. Nous n’avons pas trouvé de bar à l’enseigne « Quai des brumes » au Havre mais il en existe un à Paris…

     

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    « Dunes froides » est le cadre choisi d’un drame… Que dis-je un drame : une tragédie ! D’emblée, l’auteur nous met devant une exécution par pendaison… mais on ignore qui est le pendu et si son tueur ira jusqu’au bout de son œuvre. Une vengeance ? L’acte d’un justicier ? Un règlement de compte ?... On s’interroge. Il faudra aller jusqu’à l’épilogue pour le savoir. Entre temps, un autre homicide viendra encombrer la vie paisible d’un couple mal assorti. Il est vieux et  professeur d’université. L’homme a profité de son veuvage providentiel pour s’installer au bord de l’océan avec sa jeune élève devenue sa maîtresse. Elle est  jeune et belle. Sa rousseur a déclenché les feux de l’amour, y compris chez un journaliste dont le voyeurisme maladif a détruit la carrière. « Les histoires d’amour finissent mal en général … », chantent les Rita Mitsouko et reprend, en exergue de son roman, Jeanne Desaubry. Nous sommes à la croisée des chemins entre des personnages complexes dans un récit hitchcockien. Chaque personnage a ses fêlures et certains cachent peut-être des cadavres dans leurs placards. Aucun n’est, semble-t-il, totalement innocent. Lorsque l’on évoque le voyeurisme, on pense à « Fenêtre sur cour », film d'après la nouvelle It Had to Be Murder de Cornell Woolrich (pseudonyme : William Irish). Toutefois, dans « Dunes froides », le voyeur est bien différent du photographe handicapé joué par James Stewart. Toutefois l’élément perturbateur du récit sera un repris de justice retrouvé égorgé dans les filets d’un marin pêcheur. A ce moment-là, le lecteur connaît les circonstances de cet homicide et l’enfoiré qu’est la victime. Que fait la police ? Rien car c’est la gendarmerie qui est en charge de l’affaire… Les pandores y mettent les grands moyens. Un labo mobile et la capitaine Adèle Joussaume sont dépêchés sur les lieux pour percer les zones d’ombres dans ces Dunes froides. Sans doute cette dernière, fleuron de la gendarmerie nationale,  a-t-elle en tête  la théorie de Kehlweiler trouvée dans un roman de Fred Vargas. Notre gendarme sait que le trop de preuves conduit souvent à trop de certitude et à l’erreur judiciaire mais se heurte à leur absence qui empêche souvent de confondre les vrais coupables. Contrairement à un de ses collègues, elle n’aime pas qu’on lui serve la vérité sur un plateau. Ici, tous les suspects ont de bonnes raisons de tuer… de bonnes raisons pour eux-mêmes bien sûr. A la fin de cet ouvrage,  seule « Petite », une chatte est une victime innocente qui nous paraît digne de compassion. Dans le fracas des brisants, les goélands restent indifférents aux drames humains qu’ils ont accompagnés de leur cris angoissants « Tchikleuss, tchikleuss ». Contrairement aux hommes, les animaux ne tuent que par instinct.

    4èmede couverture : « Le sale temps de l’hiver a redonné aux immenses plages du Nord leur aspect de désert marin, glacial et mouillé. Le vent souffle, le sable cingle. Les villas sont closes. Toutes sauf une, cachée au milieu des dunes, occupée par un couple insolite. Victor Markievicz, la soixantaine passée, et Martha, trop jeune, trop fragile. Lune de miel atypique ou cavale ? Leur présence intrigue et excite le voyeurisme d’un personnage énigmatique. Après la découverte d’un cadavre rejeté sur le rivage, les relations perverses entretenues par le trio iront crescendo vers un dénouement aussi inattendu que dramatique. »

    Jeanne_desaubry

    Présentation de l’éditeur : Jeanne Desaubry installe un climat angoissant nourri de petits riens, disséquant les amours pathologiques d’un couple en crise. Etonnant récit à contre-pied où la comédie des sentiments est résolument pessimiste. Une écriture épurée, maîtrisée, un thriller sentimental très noir.

    « Dunes froides » est un roman noir bien construit et bien écrit… comme nous les concoctent souvent les femmes dans leurs romans. Leur lignée est maintenant longue dans la littérature policière. Jeanne Desaubry en fait partie. Elle  n’en est pas à son premier roman aux Editions Krakoën qui nous ont habitués à la qualité de leur production. Je souhaite aux futurs lecteurs de trouver le même plaisir intellectuel que j’ai eu à lire « Dune froides ». Mais prenez garde ! C’est Jeanne Desaubry qui me l’a dit : «  se promener dans ces dunes-là n’est pas sans risque. » Avant d’ouvrir le livre, éteignez la climatisation ou montez le chauffage pour ne pas frissonner d’angoisse. Et puis en le refermant, oubliant qu’il existe une justice immanente, ne vous mettez pas en tête que vous pourriez avoir de bonnes raisons de tuer sans penser que, autour de vous, d’autres pourraient penser de même.  

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