• Approche du polar régional et du polar corse.






    C’est Manuel Vasquez Montalban (mort à Bangkok en 2003) qui, avec sa ville Barcelone, en a ouvert la voie dans les années 1970. Il est l’inventeur de Pépé Carvalho, personnage représentatif de la capitale catalane espagnole. Il a déclenché l’apparition d’une vague d’auteurs revendiquant leur identité, leur culture, leur ville, leur pays d’origine… En premier lieu en France et en Italie.



    En Italie, Andrea Camilleri ( 82 ans ) va même appeler son héros récurrent " Montalbano " en hommage à l’auteur catalan et en France, Jean-Claude Izzo ( décédé le 26 janvier 2000 à Marseille) va s’inspirer de Pépé Carvalho pour inventer Fabio Montale (Montale comme Montalban). Depuis lors d’autres auteurs ont émergé en Europe comme Petros Markaris en Grèce mais aussi, autour de la Méditerranée jusqu’au Maghreb comme l’Algérien Yasmina Khadra en Algérie, le Marocain Driss Chraïbi ( décédé en avril 2007 en France, à Crest dans la Drôme).

    Andréa Camilleri est l'auteur le plus lu en Italie. Son héros le commissaire Montalbano est un sicilien acharné à faire toute la lumière au bout de ses enquêtes. Son auteur n’a jamais caché que, depuis son enfance, il vouait un culte particulier au Commissaire Jules Maigret. Il a lu Simenon alors qu’il signait encore sous le nom de Georges Sim et qu’il était publié par un bimensuel italien, découvrant une série complète des Maigret éditée par Mondadori, éditeur italien, le flic de Simenon est devenu un modèle pour lui. Montalbano est devenu le modèle pour des auteurs insulaires comme Camilleri.

    Le polar s’est alors glissé dans les littératures régionales que Mlle Elodie Charbonnier, docteur es Lettres modernes, a défini dans un mémoire de thèse dont nous avons relevé des extraits:

    Si la littérature se décline en plusieurs genres reconnus, la "littérature régionale " n’en fait pas partie. Pourtant, il s’agit bien d’une forme littéraire particulière se distinguant du roman ou de la nouvelle généraliste. Présente au cœur de nos terres, cette littérature porte en elle une culture et retranscrit l’âme de sa région. Certes, notre étude ne portera pas sur les langues régionales mais il est indéniable que cette littérature contient des particularismes linguistiques propres au régionalisme. Ainsi, les nombreuses expressions linguistiques régionales ne sont guère employées dans la littérature dite "généraliste ". De fait, il ne faut pas ignorer les spécificités propres à chacune de ces régions pour les englober dans une unicité nationale.

    La littérature corse résulte des pratiques ancestrales d’une littérature orale. Ayant subi des transformations constantes par l’alphabétisation et l’apparition de supports écrits ou audiovisuels, elle conserve encore aujourd’hui les traces de son histoire. Ainsi, certaines pratiques des littératures orales se sont donc transformées en littératures écrites ou même chantées. Evidemment, toutes les régions françaises ne revendiquent pas autant les questions identitaires que la Corse, l’Alsace ou bien la Bretagne. Néanmoins, toutes les régions possèdent une identité, une histoire et des particularismes propres parfaitement représentés par la littérature régionale.

    Garante de la conservation et de la protection d’un patrimoine culturel, la "littérature régionale " devrait être au cœur de certaines préoccupations. En effet, à l’heure de la mondialisation, nombreuses sont les entreprises réalisées pour préserver les régions d’une unicité nationale ôtant toutes les spécificités locales. Ainsi, la démarche de reconnaissance d’une littérature régionale en tant que telle s’inscrit dans le contexte actuel de conservation de l’identité des minorités culturelles.

    Souvent jugée péjorativement et réduite au simple folklore local, la "littérature régionale " est pourtant un genre abondant qui concerne de nombreux acteurs du livre. Il répond ainsi à une demande d’un public soucieux de se rapprocher de sa région, de sa culture.

    " C’est au moment fort d’une prise de conscience que la littérature régionale émerge de par la volonté d’un groupe qui la voit comme un bien collectif important à revendiquer et à développer ". La littérature régionale, liée au développement et à la survie du groupe qu’elle représente, "vivra plus ou moins dans la mesure où elle accompagnera ce groupe dans son cheminement historique ".

    " Je considère comme littérature régionale tout ouvrage littéraire de langue française affichant un rapport à sa région et édité dans celle-ci. Le choix des auteurs régionaux est le premier critère de sélection des ouvrages. Selon moi, l’auteur ne doit pas nécessairement être issu de la région dont il s’inspire, ni forcément y écrire, pour l’utiliser à des fins littéraires. Dans l’objet de ma problématique, il semble moins intéressant de considérer comme écrivain régional l’auteur qui possède ses racines en région, qui y écrit et y est édité mais qui n’y s’y réfère jamais. Différentes thématiques permettent de situer les ouvrages littéraires régionaux. Utiliser la région comme lieu d’action romanesque est une première possibilité ; ainsi, elle apparaît comme un repère géographique et culturel pour l’auteur mais aussi pour le lecteur. L’intervention d’un folklore régional incluant contes et légendes populaires est un autre moyen de "régionaliser " son ouvrage tout comme l’utilisation de la mémoire collective ; par cette dernière, j’entends parler des ouvrages littéraires liés à une histoire locale touchant des événements comme la Résistance en Alsace au cours de la seconde Guerre Mondiale ou le Débarquement en Normandie ", conclue Mlle Elodie Charbonnier.


    Le polar corse :

    Mantalban, Camilleri et Izzo ont ouvert la voie du succès au polar régional. Le Sicilien Andréa Camilleri a forcément une influence particulière sur des auteurs corses de polars, par l’insularité partagée sur des îles aux histoires parallèles.

    Le roman est un genre qui a eu du mal à s’enraciner en Corse ou la culture est de tradition orale, donc plus tournée vers la poésie et le théâtre. La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les œuvres circulaient sur l’île, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche.

    La diffusion de la littérature orale n'a pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues d’Italie géographiquement proche. La littérature orale insulaire s’est donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères.

    L'influence des diverses idéologies et des divers phénomènes culturels du bassin méditerranéen est indéniablement ressentie au travers de la littérature populaire corse. Le polar est une littérature populaire qui fait la suture entre le parlé et l’écrit. Imagine ! me disait Joël Jegouzo (du site Noir comme polar). Savoir, comme dans un chjam’é rispondi, syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour toutes les raisons déjà données à son sujet dans ce numéro et pour cette autre qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.

    Le polar corse existe… Les thèmes imaginaires ou réels inspirent les auteurs corses dans une île noire et rouge sur fond de bleu marin et azuréen. On peut en dresser un inventaire en vrac et non exhaustif : la politique, les autonomistes, les barbouzes, les révoltes, la musique et les chants, l’écologie, la désertification, la pauvreté, le chômage, le huis clos, les mythes, les légendes, le banditisme… mais aussi les particularités : l’omerta, l’honneur, le clanisme, la cursita (ce mal du pays qui rend l’exil, douloureux, cette nostalgie hors de l’île bien particulière apparentée à la " saudade " brésilienne et portugaise. En Corse, le tragique côtoie l’humour… L’humour y plusieurs formes ; le taroccu fait de malice et de mélancolie… la macagna plus caustique et l’autodérision. Il y a surtout la volonté d’être corse : un corps, plutôt qu’un corpus à ressasser. Et donc la nécessité de rompre avec une représentation véhiculée par le vieux continent d’une terre mystifiée — et par mystification, entendons toutes les dérives intra et extra muros que la Corse a connues ou subies.

    Dans une anthologie présentée par Roger Martin, on peut lire au sujet du genre policier comme étant universel : " Cette universalité –société, police, crime, nature humaine – permet d’avancer que le genre policier, qu’il soit français, anglais, espagnol, russe ou japonais, s’abreuve à des sources communes, auxquelles bien entendu, il convient d’ajouter celles propre au génie et à l’histoire de chaque peuple "

    En France, alors que le polar devenait un genre littéraire répandu chez les lecteurs, les auteurs et les éditeurs, il restait cantonné dans la capitale ou bien à l’étranger car les éditeurs choisissaient de traduire les grands auteurs anglo-saxons. Dans ce contexte jacobin, un Corse, José Giovanni va devenir un auteur et un cinéaste célèbre. Ancien taulard, il va exceller dans le genre après un premier succès littéraire « Le trou » adapté par la suite au cinéma. Il deviendra un cinéaste et un romancier célèbre. Giovanni a écrit sans référence avec ses origines insulaires. Pourtant la Corse est une terre de romans noirs et de polars. En 2006, un hebdomadaire publiait un article "Terreur sur Ajaccio " sous-titre " Le gang qui fait trembler la Corse ". La première phrase est " Ils sont tous des enfants du cru et forment le noyau dur de la bande du Petit bar. Des tueurs sanguinaires… " N’y a-t-il pas là le titre et le début d’un polar bien noir avec des héros hard boiled ? On y trouve même des idées de dialogue : " Hep, salut ! Je t’aurais bien offert un café… - Vaut mieux pas s’attarder aux terrasses de bistrot en ce moment, c’est trop risqué !... " La suite de l’article qui relate la réalité d’une série d’assassinats qui serait la suite d’une lutte sanglante entre bandes rivales venant déranger les vieux truands jusque dans leur " semi -retraite " ( Le point , du 19 octobre 2006 ).

    Des auteurs de nouvelles, précurseurs du polar et du roman noir, s’étaient inspirés de la " légende noire de la criminalité insulaire ". Librio a publié un recueil où l’on retrouve Mérimée, Balzac, Flaubert, Saint Hilaire, Gaston Leroux et deux Corses : Pierre Bonardi et Jacques Mondoloni, connu dans la Science-fiction. Depuis quelques années, on a vu émerger le polar régional. Alors que Marseille et la Corse ont alimenté l’imaginaire de bon nombre d’auteurs et de cinéastes, il faudra donc attendre 1995 et Jean-Claude Izzo pour consacrer le polar marseillais en le faisant connaître à Paris.



    A la même époque, en Corse, un Editeur ajaccien avait créé une "collection Misteri " qui a fait découvrir, entre autres, Philippe Carrese et François Thomazeau. Tous les deux font partie aujourd’hui des auteurs de polars connus. " Les trois jours d’engatse " de Philippe Carrese a été d’abord édité dans la collection " Mistéri " en 1994 (un an avant Total Kéops qui a fait émerger le polar marseillais ), puis réédité au " Fleuve noir " en 1995. François Thomazeau est l’auteur de plusieurs polars édités dans la collection Misteri et a créé, avec deux autres auteurs, " L’écailler du Sud ", éditeur marseillais qui obtient un réel succès. Les premiers polars de Thomazeau dans la collection Misteri ont été réédités par Librio. L’éditeur ajaccien Méditorial a fait connaître aussi des auteurs corses comme Ange Morelli, Elisabeth Milleliri et Marie-Hélène Cotoni.

    Le pionnier de la Noire made in Corsica est donc Paul-André Bungelmi avec sa maison d’édition Méditorial et la Collection Misteri. Il a découvert et édité d’excellents polars commis par des auteur(e)s ayant pour la plupart fait leur chemin. A l’époque, j’ai lu des ouvrages « Misteri »:
    - Comme un chien dans la vigne et caveau de famille, écrits par Elisabeth Milleliri
    - La moisson ardente et raison d’état, écrits par Archange Morelli
    - Trois jours d’engatze, écrit par Philippe Carrese
    - La faute à Déguin et Qui a tué monsieur cul, écrits par Philippe Thomazeau.

    « A l’époque (1992), dit Philippe Carrese, j’ai envoyé le manuscrit à plus de trente maisons d’édition, y compris "Fleuve Noir". Tous l’ont refusé. J’ai croisé Paul André Bungelmi, en corse, un type adorable qui me l’a pris mais qui a été dépassé par le succès du livre. Fleuve Noir a repris la suite en moins de quinze jours. Paul André est un vrai méditerranéen, il a tout de suite tout compris, tout mon coté "sudiste" que pas mal de parisiens ont encore beaucoup de mal à cerner ».

    Et François Thomazeau ajoute : « Je ne connaissais Carrese que de nom et j'ai atterri chez Méditorial parce que ma mère avait vu un reportage sur "Trois jours d'engatse" sur France 3 Marseille. C'est elle qui m'a forcé à envoyer le manuscrit de Dégun à Méditorial. Comme Carrese, je ne rendrai jamais assez hommage au patron de cette maison, Paul-André Bungelmi, un honnête homme comme on n'en fait plus. Il a arrêté l'édition faute d'argent et tient un bar de nuit extrêmement sympa à Ajaccio. On amène sa bouffe, y a une cheminée au fond pour faire cuire le rata, et lui fait payer le vin."

    Après la cessation d’activité de Méditorial, si quelques auteurs de polars corses ont été édités, il n’existait plus de série noire insulaire. A partir de 2003, des auteurs corses se ré –approprient la Corse noire et des éditions corses les éditent. D’abord Les Editions La marge avec La chèvre de Coti Chiavari de Jean-Pierre Orsi, ouvrage repris par Les Editions du Journal de la Corse après la cessation d’activité des Editions La marge. A la même époque Pur Porc de Jean-Paul Brighelli est édité hors de Corse chez Ramsay. Jean-Pierre Orsi a écrit deux suites chez le même éditeur où l’ont rejoint Louis Dominici et Jean-Paul Ceccaldi. En 2004, les Editions Albiana lancent la collection Néra qui a publié, à ce jour, une douzaine de romans noirs écrits par sept auteurs : Jean-Pierre Santini, Okuba Kentaro, Paul Milleliri, Pierre Lepidi, Alexandre Dominati, Jean-Marc Comiti et Jean-Pierre Larminier. N'oublions pas les femmes. Nous avons parlé d’Elisabeth Milleliri et de Marie-Hélène Cotoni. Il faut citer aussi Daniele Piani ( L’écume des Brocci), Arlette Shleiffer ( Molto chic et Bar rouge) et Marie-Hélène Ferrari avec le commissaire Pierruci qui en est à sa quatrième pérégrination policière en Corse. Tous et toutes sont édités sur l’île. D’autres auteurs corses ont des éditeurs continentaux comme Jean-Louis Andréani, journaliste au Monde, avec son héroïne Delphine Mailly ou bien Francis Zamponi célèbre pour son best-seller « Le colonel » adapté au cinéma par Costa Gavras et qui est l’auteur de La vendetta corsa. Denis Blémont-Cerli, originaire de Lama, a écrit en 2007 son premier polar « Marseille-Corse, aller simple ». En Corse, Olivier Collard auto-édite ses polars corses.

    Aujourd’hui, sur l'île, des auteurs se sont regroupés dans une association et sur un site Corsicapolar. Le Webmaster du site Corsicapolar est Ugo Pandolfi, auteur de La vendetta de Sherlock Holmes. Il s’est mis, aujourd’hui, à la pointe de l’édition en ligne pour son dernier opus « Du texte clos à la menace infinie » sorti chez « lulu.com ».



    Un festival du polar corse et méditerranéen a ouvert à Ajaccio en juillet 2007 et sa deuxième édition est programmée du 4 au 6 juillet 2008. Ils y ont invité des auteurs méditerranéens et des animations sont déjà prévues. A l’occasion ils présenteront leurs nouveaux ouvrages et un recueil collectif de nouvelles : des Noirs de Corse, «Piccule fictions» écrites au profit de l’association corse Handi 20 crée en faveur des handicapés.

    Vous pouvez retrouver tous les auteur(e)s corses et leurs ami(e)s sur le site Corsicapolar à l’adresse suivante : http://www.corsicapolar.eu



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  • Un spectacle fraternellement fou, intelligent et drôle .

    Voilà comment est annoncé le monologue de «  La révolte des fous » écrit par Henri-Frédéric Blanc, auteur d'origine corse que nous avons déjà présenté dans un article précédent.


    Création théâtrale au Théâtre Toursky - Marseille-

    Le 25 avril 2008, c’était la première au Théâtre Toursky et la salle comble a pu assister à une performance d’acteur dont Richard Martin est passé maître depuis longtemps mais qui, à chaque représentation, garde toute sa fraîcheur. Les habitués l’avaient déjà vu dans Réception du Diable, un précédant monologue décapant où il incarnait un personnage audacieux et plein de verve. C’est une photo de cette pièce qui a servi de première affiche pour « La révolte des fous ».

    Richard Martin est un Directeur de Théâtre combatif et émérite mais aussi un comédien hors pair. Il prend tous les risques et, hier, bien que malade, il a occupé toute la scène de sa présence et toute la salle de sa voix. Il nous revient dans une nouvelle création de Henri-Frédéric Blanc . Il incarne un directeur d'hôpital psychiatrique à trois mois de la retraite. Ce psychiatre, chef de service portant nœud papillon sous sa blouse blanche, philosophe sur le présent et le passé en proie à ses démons - notamment à un calamar qui ne cesse de le hanter et qui est pour lui l'image du néant, un néant agressif, glouton et virulent, contre lequel il a lutté toute sa vie et qui, malgré le succès de sa carrière, ne désarme pas. 

    A la retraite, il tournera le dos au présent où il n’a plus sa place pour se tourner vers le passé, pour mettre son nez dans « l ’Histoire avec grand H. Ou plutôt une grande hache  ». Des mots lâchés, apparemment anodins comme le nez au milieu de la figure, sont l’occasion de tirades où la verve farcesque, satirique et philosophique de Henri-Frédéric Blanc se donne libre cours. Chez le personnage, le feu sacré menace de s'éteindre sous la routine du bon sens, et il cherche désespérément de quoi l'entretenir.

    «  Considérons ma vie, nous dit-il. Version positive. Je suis bien portant, à peine quelques petites douleurs de reins. J’ai une famille qui ne me donne que des satisfactions. Mon fils et ma fille sont tout à fait normaux. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas pires que les autres. C’est déjà pas mal. Le chien et le chat s’entendent bien. Ils ne vont pas jusqu’à se parler mais s’entendent bien. Mes parents sont morts sans problème, après une vie sans histoire. Je ne manque de rien. De quoi ai-je besoin ? Je cherche… Je ne trouve pas…  » Ce médecin-chef au gouvernail d’un hôpital psychiatrique «  à affronter les tempêtes de la folie  » retrouve ensuite ses semblables, «gens ordinaires, certifiés conformes, des personnes dont l’esprit ne déborde jamais » . Devant ce constat, le discours commence à dérailler à la pensée du comptable de l’hôpital, «  inquisiteur à cravate raide, pisse-chiffres exonéré de cerveau, Moloch de couloir, casse-pied professionnel…  » et ce n’est pas tout mais nous nous arrêtons là.



    On sent chez le psychiatre la révolte intérieure sourdre puis monter en puissance mais d’autres, ses patients sans patience, ont une folie d’avance sur lui. Qui soignera qui. De quoi est-on malade ? De la raison ou de la folie ?… Où est notre liberté ? Du côté de la raison ou de la folie ?… L’auteur use avec finesse du rire, un rire provocateur, un rire de résistance et porteur d’autodérision et de propos qui refuse la part trop belle donnée à la raison. Dans cette pièce, la folie est la métaphore de la poésie, de l'imagination, de notre génie à tous enfermé dans nos oubliettes intérieures. La folie fleurit au-dehors mais aussi au-dedans. Celui qui s'approche de la vérité est aussi menacé de l'intérieur.


    La révolte des fous était prévue pour deux représentations les 25 et 26 avril 2008. Nous espérons qu’elle donnera lieu à d’autres et à de nouvelles créations d’Henri-Frédéric Blanc dont nous ne connaissions que les œuvres romanesques dont la dernière a pour titre «  La théorie de la paella générale  » aux Editions du Rocher.

    Pour ceux qui connaissent le Théâtre Toursky , c’est aussi un lieu de culture où l’on est jamais déçu et aussi de rencontre. Vous y êtes reçus non pas comme des clients mais en ami(e)s. Vous pouvez, en réservant, y manger en côtoyant la famille Martin. De vraies soirées qui ne vous laissent que du bonheur. A tous les spectacles, le stand de la Revue des Archers est ouvert. Nous y avons trouve le texte de La révolte des fous dans l’édition semestrielle n°12 de Juin 2007 contenant d’autres textes et de la poésie.

    Dans le hall, vendredi soir, l’auteur dédicaçait ses ouvrages parmi lesquels des romans noirs ou inclassables avec, toujours, cet humour noir déjanté, corrosif mais aussi, à rebours, porteur d’humanisme.
     
    Plan d’accès au théâtre Toursky : http:/www.toursky.org/2007-2008/pagesite/plan.htm

    Programme de l’année : http:/www.toursky.org/2007-2008/pagesite/programme.htm

    Catalogue Revue des Archers : http:/www.toursky.org/2007-2008/pagesite/archers.htm

    Le numéro 12 de la revue des Archers présente plusieurs textes et des poèmes. Nous y avons relevé la présence de Maryse Rossi, poétesse corse vivant à Marseille qui a écrit aussi un recueil de poésie " Vers le silence des questions" paru ches L'Harmattan en mars 2007. Guy Bedos y a écrit un court texte intitulé  "Rire, résistance"... deux mots qui s'entendent très bien d'Aristophane à Dario Fo en passant par Molière, Chaplin, Lenny Bruce et quelques autres, dit-il.

    Dans la continuité de la révolte des fous, Jean-Pierre Cramoisan a fourni un texte "Impasse des caroubiers"  dans lequel à la fin il interpelle le lecteur: " Tu attends de ma plume un autre jus d'encre, un assaisonnement convenable, ni trop piquant, ni trop douceâtre, rien de plus, de quoi rndre un peu moins fade ta compréhension borgnesse. Tu voudrais disputer de ma prose à la croque  au sel, peinard que tu es, retriré dans  ton silence, livré à la musique des vers à bois qui  bouffent inlassablement ton vieux fauteuil de propriétaire. Dommage, c'était pourtant bien parti, mais ma plume, lecteur, tu sais où je te la mets..."


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  • Etienne Meloni, un sportif humaniste


    Si les jeux olympiques ne promènent qu’une flamme à laquelle se consume l’esprit olympique, Etienne Meloni, sportif corse, traversera l’Ile de beauté en courant avec cette flamme intérieure qu’il veut rallumer chez les autres. Il fait partie de ces vrais sportifs qui voient dans le sport un moyen de se surpasser, de se conquérir, de devenir meilleur pour que le monde le devienne aussi.

    Qu’est-ce qui fait courir Etienne Meloni ?


    Courir 246 kilomètres non stop. Aucun homme, aucun sportif dans le monde, n’a jamais osé courir aussi longtemps, 30 heures pour relier la Pointe du Cap Corse à son sud le plus extrême, Bonifacio, en une seule traite, sans arrêt. Les mois de préparation, qu’il pleuve ou qu’il vente ne suffiront pas à lui permettre d’aller jusqu’au bout de cet incroyable défi. Il faudra qu’il trouve de nouvelles ressources pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : relier Ersa à Bonifacio en courant. Le challenge est immense et il faudra à Etienne pour réussir, puiser largement au-delà des limites de ses forces.

    Après Calvi / Nice à la nage, direction pour un Nouveau type de défi pour Etienne qui s’explique :

    Je cours et lance des défis pour aller au bout de moi-même et y découvrir le meilleur de l’homme que je suis… afin d’être prêt pour l’enseigner Dans tout homme il y a de la force, de la capacité à se surpasser pour être meilleur. Ce meilleur n’est pas uniquement dans le dépassement de ses limites physiques. C’est le mental qui est chaque fois sollicité et c’est dans le mental que se puise et se trouve l’énergie vitale. Je cours pour démontrer que les buts que l’on se fixe sont à notre portée : sport, travail, etc…Pour les atteindre il suffit uniquement d’en fixer clairement les objectifs et d’en connaître l’enjeu. En toute chose il y a un prix à payer, la réussite passe par là ! L’effort bien sûr, le travail, la constance… Car tout n’arrive pas tout seul. C’est ici que se trouve le véritable challenge, dans notre capacité à tout mettre en oeuvre pour réussir…Et évidemment cela dépend d’abord de soi.

    Je cours pour l’exemplarité, la promotion, la valorisation et les bienfaits du sport, qui seront dans les années à venir un enjeu capital de société. École de la vie, école du travail, du respect de la fraternité. » Tout va vite dans ce monde et on a parfois l’impression d’être dépassé. Alors si le monde est complexe et toujours plus complexe il nous appartient d’y remettre un peu de l’humain. Que vaut une société si elle n’est plus capable de respecter le vivant. Pour moi ce qu’il y a de plus vivant c’est bien sur la qualité d’humain, celle qui porte les valeurs de la vie et du respect de l’autre. Pour accomplir un tel challenge il faut être une équipe. Je cours seul, je suis un compétiteur de l’extrême. C’est contre moi, contre les éléments, contre mes faiblesses que je lutte. Je peux le faire car avec moi il y a des amis, une équipe : coach, médecin, assistant qui de bout en bout m’accompagnent.

    Etienne Meloni se dit Créateur et challengeur. Depuis 20 ans il se dépasse, surpasse ses propres limites, accomplit des défis chaque fois plus difficiles.

    Son parcours

    1970 > 1980 Licencié foot

    1980 Licencié Boxe Française / Natation / CHASSE sous marine

    1982 > 1984 3 Championnats de France Universitaire de Rugby

    1998 > 2003 Marathon de PARIS /NICE/ MARSEILE

    Courses Régionales / Licencié en athlétisme & natation

    2004 Sélection pour l’émission de REALTV sur TF1

    (Les aventuriers de KOH LANTA)

    2004 L es 3 Tours de Corse

    650 kms de course non stop

    500 kms de crawl non stop

    650 kms de vélo non stop

    2005 Té léthon

    24 heures de crawl non stop

    en piscine de 25 m soit 3800 A/R

    2006 TR ANSMEDITERANEE

    calvi / nice à la nage en 52 heures

    2008 prochainement « A SFIDA » , 246 km de course non stop de l’extrême Nord à l’extrême Sud de la Corse.

    Le 23 mai 2008 , départ à 8 h de Méria (Pointe Nord du Cap Corse) et le 24 mai 2008, arrivée vers14 h à Bonifacio. C’est long 246 km, C’est loin Bonifacio… Venez soutenir ETIENNE , en courant quelques mètres ou quelques kilomètres avec lui. Prenez à votre compte un peu de cet incroyable défi.

    Etienne est un homme de convictions. Au cours de ce défi, les fonds recueillis sur les étapes entre Méria et Bonifacio, seront reversés à l’Association pour une Fondation de Corse de Jean-François Bernardini ( chanteur vedette du groupe I Muvrini ).

    Tous les renseignements à l’adresse ci-dessous :

    http:/www.meloni.tv/page/defi.htm

     

     

     

     

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  • Approche du roman noir de l'après Mai 1968:




    Didier Daeninckx a donné sa définition du roman policier : " un type de roman dont l’objet se situe avant la première page " ; et celle du roman noir : " Un roman de la ville et des corps en souffrance ".





    C’est Jean-Patrick Manchette qui a inventé l’étiquette « Neo-polar ». Il  est entré dans la Série noire en 1971 avec un roman signé sous le nom de Jean-Pierre Bastide " Laissez bronzer les cadavres ". La même année, L’Affaire N’Gustro de Manchette et en 1972, La Nuit des grands chiens malades écrit par A.D.G  seront les deux romans les plus novateurs de ce que les critiques ont considéré comme une nouvelle école du polar.



    Aujourd’hui le terme néo-polar est une référence historique qui marque la rupture sociale de Mai 1968 et la rupture littéraire avec le roman policier. C’est le début de ce que l’on a appelé aussi le roman noir social. C’est Manchette qui avait inventé cette étiquette de néo-polar pour démarquer le roman noir social du roman policier et du Thriller. On peut considérer que, sous l’influence de hard boiled, en France le roman noir a évolué en roman social baptisé « Néo-polar ». c’est le roman de la vigilance ! De la résistance ! De la transgression!
     


    A la suite de Manchette, les " barons " du roman noir sont Jean Vautrin ( A bulletins rouges, Billy Ze Kick, Boody Mary, Groom, Canicule), Marc Villard ( Légitime démence, Nès pour Perdre, Corvette de nuit…) , Frédéric H Fajardie (Tueurs de flics, Le souffle court, Clause de style, La théorie du 1%), Hervé Prudon ( Mardi gris, Tarzan malade, Banquise…), Joseph Bialot (Le salon du prêt à saigner ; Le sentier, Babel ville…), Sébastien Japrisot ( Compartiment tueurs, La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil) qui est devenu scénariste pour le grand écran ( Le passager de la pluie, La course du lièvre à travers les champs…) ou encore Jean-François Coatmeur, Hervé Jaouen, Hugues Pagan, Jean-Hugues Opel, Tonino Benaquista…

    En 1979, les collections " Engrenage " et " Sanguine " furent créées pour ce nouveau genre. Les auteurs et les éditeurs de ce que Manchette a étiqueté du terme « néo-polar »  ont voulu vendre des bouquins bon marché et c’est toujours dans cet esprit que fonctionnent certaines collections.

    Dans les années 1980, des auteurs réalisent et scénarisent une série policière «Néo polar », anthologie d’histoires inspirées  de romans du néo-polar français. Sept épisodes ont été diffusés sur Canal+ en 1984 et FR3 en 1985. Dans la distribution, Michel Beaune, Dominique Blanc, Jean-Pierre Léaud, Vincent Lindon, Claude Nougaro, Florent Pagny. Parmi les scénaristes, on trouve Férédric Fajardié, Hervé Jaouen et Marc Villard entre autres ; et parmi les réalisateurs , Jean-Pierre Bastid, Michel Andrieu, Patrick Jamain… Quelques titres d’épisodes : Shangaï Skipper, La Théorie du 1%, Salut ma puce, Des choses qui arrivent, La Mariée rouge, L'Amour en gâchette et Un père anonyme.
    On voit apparaître des néo- polars dans des collections grands formats.

    http://www.evene.fr/info/guide-livres-ete-2006/portrait-interview.php?id=366



    Manchette disait que le polar était une littérature ferroviaire et d’insomniaque. Jean Bernard Pouy sera surnommé " l’homme des trains " après avoir écrit un premier roman ferroviaire " La vie duraille " cosigné avec Daniel Pennac et Patrick Raynal. On lui doit aussi  « Train perdu, wagon mort ». Il a multiplié les romans avec des titres évocateurs  comme Spinoza encule Hegel et, après l’introduction, la pénétrance… le deuxième volet : A sec ! (Spinoza encule Hegel : le retour) dans lequel il écrit tout le bien qu’il pense du foot-ball. Le «Hegel 4 » du néo-polar ( Hegel four et non pas Eagle 4 dont traduction : Il gueule fort !) s’affiche donc spinozien ». Il a son idée sur le polar et l’évolution du polar. Il l’a exprimée sur le site Noircommepolar où il déroule un feuilleton « Les compagnons du veau d’or » et tient une chronique. On a pu y lire  : « Parce que ça fait un paquet de temps et de textes que le roman noir a gagné. Le roman policier est à enfoncer dans les poubelles de l’Histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. Et ça depuis Sophocle, Dostoeivski ou Gadda….Ces putains de polars accompagnent efficacement la mondialisation (pour le plus grand nombre) et l’Internationalisme trotskiste (pour les plus "radicaux"). Faire gaffe, quand même, à ce mot : polar, qui, s’il rime pauvrement avec soixante-huitard, rime aussi avec vicelard, ringard, connard, faiblard, etc… "

    Propos " couillus " sur le polar qui rime aussi avec " Jean-Bernard », leader du néo-polar canal historique,  et lorsque l’on dit « couillus », c’est qu’il y a  dans les formules du poil à gratter. L’intégralité est sur le site Noir Comme Polar à l’adresse ci-dessous :
    http://www.noircommepolar.com/f/actu_archives.php

    Jean-Bernard Pouy s’est intéressé à la « polémique » sur l’origine du roman policier. Il aurait trouvé (dit-il… ! ! ! ? ? ? ) une pièce inachevée de Pierre Corneille (17ème siècle) qui pourrait être considérée comme une ébauche de mise en scène policière. Il en donne un extrait à l’adresse ci-dessous :
    http://www.noircommepolar.com/ktml2/images/uploads/pdf/brocante.pdf
    Nota : Une étude graphologique a été demandée pour établir l’authenticité du document.




    Jean-Bernard Pouy est à l’origine de l’aventure de Gabriel Lecouvreur, alias Le poulpe à cause de ses longs bras. C’est une collection de romans inaugurée en 1995 par Jean Bernard Pouy avec « La Petite écuyère a cafté ». À partir de sa fiche identitaire, ce personnage a vécu sous la plume de nombreux polardeux revendiquant leur opinions de gauche et anti- Front national. Les petits polars du Poulpe sont édités par les Editions La Baleine au premier petit prix de 39 francs. " Qu’est-ce qui fait courir Gabriel le juste ? L’injustice, surtout si elle est pratiquée par un patron sans scrupules, un intégriste vachard, des néo-nazis pédophiles, des trafiquants de cassettes porno et des politiciens véreux. Défenseur d’une gauche orpheline de ses promesses évanouies, Lecouvreur va, court, vole et nous venge… " – extrait de l’article " La pieuvre est faite " écrit par Emmanuel Laurentin dans Télérama n°2508 du 7 février 1998 dans une rubrique " La rage et le noir : le polar " pages 10 à 18.

    On peut citer parmi les bons récits du poulpe, celui de Patrick Raynal "Arrêtez le carrelage ". Les Éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse», fabriquée en Bretagne. Le groupe punk Zampano a réalisé en collaboration avec les écrivains Jean Bernard Pouy et Jean-Christophe Pinpin Le bruit des boucliers (Bakalao Producto), 6 titres consacrés au Poulpe.

    Après des difficultés financières et son rachat par Les Editions Seuil, la Baleine est toujours vivante au sein du groupe La Martinière. Lecouvreur, dégingandé, continue de déambuler dans des récits écrits par des auteurs différents.

    L'idée de ce type de héros récurrent que s'approprient des auteurs différents a été copiée avec plus ou moins de bonheur. Citons :
    - "Alias" au Fleuve noir (1997-1998 : six titres),
    - "Le Furet enquête" chez Albin Michel jeunesse (1998-2001 : 32 titres),
    - "Le Polar du Routard" aux Éditions Hachette Tourisme (1999-2001, 13 titres),
    - "Moulard" aux Éditions de l'Aube (en 2000, 6 titres).

    Les Éditions Baleine ont cherché à "publier une littérature accessible à tous, produite par des auteurs sensibles à la notion de roman populaire et de gare". Baleine a permis à de nombreux auteurs de publier leur premier roman. En 2007, cet éditeur s’est enrichi de deux collections « Baleine noire » et « Club Van Helsing ». Dans la collection "Le Poulpe", trois nouveaux romans publiés entre septembre et décembre 2007 : Lalie Walker : L'Appel du barge, Jean-Marc Ligny : La Ballade des perdus et Francis Mizio : Sans Temps de latitude. À noter que les éditions Baleine ont commercialisé une bière, « La Poulpeuse », fabriquée en Bretagne. Antoine de Kerversau, fondateur des Editions  Baleine,  a créé en 2003 une nouvelle maison d'édition, Les Contrebandiers éditeurs - ADK, proche de l’esprit Baleine par les auteurs qu’il publie : Bénédicte Heim, Jean-Bernard Pouy, Yves Bulteau, Gérard Alle, Jean-Paul Jody, Pierre Filoche…

    En 2006, Jean-Bernard Pouy a créé une nouvelle édition « Suite noire » sur le format des premières séries noires. Il a été interviewé à ce sujet sur le site Evene. Vous pouvez  lire l’entretien à l’adresse :
    http://www.evene.fr/info/guide-livres-ete-2006/portrait-interview.php?id=366

    Les     auteurs de la Noire française ont écrit et écrivent beaucoup, souvent des textes courts et incisifs dans lesquels, parfois par  la dérision, la déjante et le sourire jusqu’au rire,  ils dénoncent l’ordre établi d’une société ultra-libérale « … un monstre qui avale de la chair et chie du pognon » pour reprendre une phrase dans le roman « Cloaque » de Henri-Frédéric Blanc, un auteur qui  ne devrait pas tarder à écrire un Poulpe car il a le sens de la formule:  "Vous verrez, quand tout sera à vendre, la vie ne vaudra plus rien", dit aussi son héros Chris dans Cloaque.



    Dans l’Editorial de la collection L’atinoir des Editions L’écailler, Paco Ignacio Taïbo II, ecrivain mexicain de renommée internationale, écrivait au début 2007 : « Les genres littéraires se redéfinissent à force d’écriture et de réécriture. Poussés jusqu’à leurs extrêmes, ils finissent par exploser. Au cours de  ces dernières années, le littérature policière a connu la mode et la facilité dont elle a trop longtemps profité. Je me souviens de Manchette qui me disait : «  Nous sommes devenus trop respectables ».   Le regard subversif qui, à l’origine du courant neo-polar, remettait en cause la loi et l’ordre, appelait vaux ruptures avec toutes les conventions, savait trouver des expérimentations formelles, une richesse linguistique, l’originalité des trames, s’est peu à peu détourné et fond doucement dans la réitération. Nous mettions à nu en les révélant des faits et des histoires, et aujourd’hui nous courons le risque de devenir de simples chroniqueurs…. »

    Les sous-genres et les genres sont devenus poreux. Des auteurs écrivent des romans hybrides en s’appropriant le roman d’espionnage, le roman historique, le roman d’aventure, la science-fiction... Dans ce qui a fait l’universalité du polar «  meurtre, flic, victime, criminel, société », on peut trouver des flics cyniques, brutaux, malhonnêtes… des victimes qui sont de vrais salauds et des criminels sympathiques dans une société qui favorise la domestication et l’exclusion. Dans le roman noir social, le flic ( ou plus généralement celui qui mène l’enquête) peut n’être qu’un personnage secondaire ou ne pas être présent. Le héros en est alors le criminel. Il n’y a plus d’enquête mais l’intrigue reste le noyau dur.

    Le roman noir français décrypte le présent, stigmatise l’ordre établi, revisite des trous noirs de l’histoire….



    Didier Daeninckx  revient sur des dénis historiques,  notamment la répression sanglante du 17 octobre 1961 et la politique colonialiste de la France au début du XXème siècle.  L’arpenteur du réel Didier Daeninckx fait resurgir dans le présent les ombres noires de l’histoire de la France et notamment son passé colonial. Pour cela, il imbrique dans ses récits le présent et le passé, la réalité et la fiction. Tel un archéologue, il fait resurgir les dessous de l’histoire pour éclairer le présent à la lumière de ce passé  mis un temps sous l’éteignoir.

    Meurtre pour mémoire, roman qui revient sur la répression sanglante, le 17 octobre 1961, par la police parisienne d’une manifestation de ressortissants algériens. Parmi les mort : Thibaud. S’agissait-il d’une bavure policière ou d’un meurtre ? C’est son fils, en 1981, est tué à son tour, après avoir consulté les archives de la Préfecture de Police. L’inspecteur Cadin mène l’enquête qui va l’amener à s’intéresser à un certain André Veuillot, fonctionnaire compromis sous le régime de Vichy en 1942.

    Le retour d’Altaï : Il s’agit de la suite donnée par l’auteur à son excellent roman " Cannibale ". Vous y retrouverez Gocéné, trois quarts de siècle plus tard, qui revient en France sur les traces d’un kanak tué 124 ans plus tôt en Nouvelle Calédonie. De quoi sortir du formol des spectres historiques et parler aussi de la culture des kanaks, de leur humanité. La piste du repentir passe par le musée de l’homme, dans cet opus de 114 pages. Avec le retour d’Altaï, Gocéné nous donne une belle leçon de ce repentir généalogique et le chef de la tribu de Kowale peut lui accorder un pardon collectif. A méditer….Question extraite : " Vous tous qui dites " hommes de couleur ", seriez-vous donc des hommes sans couleur ?"

    Didier Daeninckx a écrit, pour Shangaï express, un feuilleton " l’inspecteur L’entraille ", qui sifflote des refrains de Maurice Chevalier. Des meurtres sous le régime de Vichy et l’occupation allemande. Le décor historique est planté. Le coéquipier de l’inspecteur L’entraille est un certain " Verdier ". Justement, notre auteur a publié un recueil aux Editions Verdier. Il s’agit du titre : " Les cités perdus "…. à lire et un livre également sous le régime de Vichy, au titre annonciateur: Itinéraire d'un salaud ordinaire!

    Daeninckx a écrit  dans la série du Poulpe. A l’époque,  Il avait déclenché une querelle interne, lorsqu’il avait révélé que Serge Quadrupani, auteur du n°2 du Poulpe, aurait fréquenté les milieux révisionnistes. On a reproché à Daeninckx d’avoir lancé une fatwa  sur Quadrippani et il avait  même du faire face à des " broncas " non littéraires notamment lors d’un salon du Polar, place de la Bastille à Paris.

    Une collection " Polarchives " a été crée , avec la Baleine, en 2002 par Gérard Streiff. Il s’agissait de mêler une intrigue policière à un événement historique. Si des polars mêlent encore intrigues et faits historiques, cette collection s’est mise en sommeil après quelques titres comme, pour exemples, Les caves de la Goutte d’or écrit par Gérard Streiff ou L’inconnu du Paris – Rome, écrit par Gilda Piersanti. Elle a été reprise un temps par Les Editions du Passage.

    La liste est longue des auteurs contemporains de la Noire: " De Dominique Manotti à Thierry Jonquet en passant par Dennis Lahane ou Cesare Battisti et Paco Ignacio Taïbo II, les écrivains témoignent de leur temps et s’ancrent dans le réel. Même si l’imaginaire et l’efficacité de l’intrigue restent le pivot de ces fictions, la description de milieux particuliers, de marges interdites ou de professions singulières leur confère une valeur documentaire. " Christian Barbault dans un article de Valeurs mutualistes n°236 Mars/Avril 2005 – article " Le polar, une passion contemporaine ". Sans oublier les femmes :Depuis 1990, des femmes se sont affirmées dans le genre avec notamment : Andréa H.Japp ( La Bostonienne), Brigitte Aubert ( Les quatre fils du Docteur March), Maud Tabachnik (Un été pourri ), Fred Vargas ( Debout les morts) , Claude Amoz ( Le Caveau ) Catherine Fradier ( Camino 999) … puis s’y sont maintenues, comme leur homologues anglo-saxonnes.


    Lorsque Daeninckx parle d’un « roman de ville et des corps en souffrance »,  il définit ce que d’autres ont nommé le « Polarville ». Jean-Noël Blanc, sociologue, a publié en 1991 aux P.U.F une étude sur les rapports entre le roman policier et l’espace urbain défini comme : «  cet univers complexe, contradictoire et non- maîtrisable que représente la ville dans les sociétés industrialisées ».  Dans le roman noir, des couples écrivain- ville se sont formés : Hammet- San Francisco, Chandler – Los Angéles, Goodis – Philadelphie… Montalban – Barcelonne, Izzo – Marseille.

    Il y a le couple Malet – Paris et puis, dans la région parisienne, la ville c’est aussi la banlieue. Daeninckx décrit la sienne documentée, où les tours, les barres, les centres commerciaux, les bistrots… côtoient les usines, les friches industrielles mais aussi les îlots pavillonnaires.  Au milieu de ce décors, des voleurs, des camés , des agents de sécurité mais aussi des syndicalistes, des militants d’associations de proximité, des clandestins… C’est une banlieue bien différente de celle « stylisée », presque abstraite d’un Vautrin. Ce sont des banlieusards bien plus ordinaires et non des personnages pittoresques ou déjantés évoluant dans des récits picaresques. Daeninckx parle des conflits sociaux, du racisme, des sans-abris sans-papier  et des magouilles immobilières.

    De la ville à la région :







    Le Barcelonnais Montalban et le Belge Simenon ont ouvert la voix au sicilien Andréa Camilleri. C’est sans aucun doute le sicilien Camilleri et le Marseillais Jean-Claude Izzo qui ont fait connaître le polar régional, en lui donnant sa place au sein de la littérature policière et noire. Le polar s’hybride. Il est en perpétuelle évolution parce qu’il offre une grande liberté d’écriture en permettant la suture entre le parlé et l’écrit… Une offre  que, après le Sicilien Camilleri, les Bretons, les Catalans, les Corses, les Sardes et d’autres écrivains enracinés ne pouvaient ignorer. Toutes ces régions ont vu apparaître des auteurs mais aussi des éditeurs.

    Yahoo!

  • Jean-Pierre SANTINI, dans l'actualité littéraire en 2008.



    Jean-Pierre Santini se décrit comme un militant parmi les autres. Il avait situé l’intrigue de son premier roman noir  « Isula Blues » dans son village natal, Barretali (un village mourant, déplore-t-il) où il était revenu vivre, après trente ans d’absence. Il y décrit la Corse qu’il a retrouvée : une île abandonnée dans sa désolation et ses habitants dans leur solitude. " Ici les hivers sont blancs ", dit-il. Alors lui, pour noircir les pages hivernales, il décrit ce désert humain et cette identité corse qui se désintègre. Pour lui "les romans naissent des faillites de l’histoire ". Après des années de militantisme engagé qui a commencé avec la création du FNLC, il a écrit un livre intitulé " Front de Libération Nazionale, de l’ombre à la lumière ". et " Nimu ", troisième roman noir dans la collection Nera des Editions Albiana.

    Jean-Pierre Santini  écrit sur les Corses parce qu’il s’est engagé dans la survie de son peuple. Il nous offre des passages au lyrisme inspiré et donne chair à des personnages désespérés ou désespérants. Ses ouvrages recèlent la pensée sans concession d’un militantisme qui pousse à la réflexion. Dans Nimu, le constat est amer : "… ce pays (la Corse) n’a jamais écrit sa propre histoire. Il a appris à résister à celle que ses envahisseurs successifs ont voulu lui imposer. C’est comme une histoire en négatif, qui, à une exception près, assez brève, n’a jamais pu se révéler et permettre aux Corses de se révéler à eux-mêmes. Dès lors, l’affaiblissement constant de l’affirmation identitaire était trop souvent compensé par une exacerbation nationaliste de plus en plus vide de sens. "

    Cet auteur corse est publié depuis 1967, avec son premier roman "le non-lieu " aux Editions Mercure de France. Nous avons cité son ouvrage sur le FNLC publié en 2000 chez l’Harmattan. Entre 2001 et 2003, cinq ouvrages ont été édités par l’Editeur Lacour : Corse, un froid au cœur, Petite anthologie du racisme anti-corse, Pour une assemblée nationale provisoire, Un petit commerce de nuit (roman), Indipendenza : Pour une Corse libre, démocratique et sociale.

    Dans un article de Joël Jegouzo (NCP), J.P Santini  avait été interviewé et s’était un peu livré, se définissant comme "un militant parmi les autres ". Depuis la création de la collection Nera, il a écrit trois ouvrages : Corsica Clandestina (2004), Isula Blues (2005) et Nimu (2006). Le militant est un écrivain à suivre ou à découvrir. En 2007, il  a créé une maison d’édition « A fior di carta »

    Il  est à l’origine d’un événement littéraire qui s’est déroulé dans son village Barretali  début août 2007.  Il apparaît comme  un touche à tout des genres littéraires, avec une prédilection dans ses lectures  pour la poésie ( par laquelle tout commence, dit-il ), ce  qui explique le lyrisme souvent présent dans sa prose.

    Nous attendons la sortie d’un ouvrage où il fait côtoyer plusieurs genres littéraires, comme les strates de sa vie d’écrivain…  Il nous en avait parlé en octobre 2007 et nous avait dit au sujet de ce manuscrit en cours d’écriture :
    « Il s'agit en fait d'une histoire déclinée, ou plutôt fragmentée, en plusieurs genres ( même si les frontières sont poreuses entre les genres littéraires) ».  Le titre étant provisoire, l’auteur ne nous l’a pas révélé… Il nous donnait toutefois quelques précisions alléchantes sur cet opus en quatre déclinaisons soit :
    Un « pré-histoire » plus qu’un avant-propos, qui sera une entame poétique car tout commence avec le verbe.
    Un Roman noir "Le sentier lumineux" ... pas celui du Pérou !
    Une nouvelle  «  Les cercles du silence »
    Et avant de baisser le rideau, une pièce de théâtre….
    Nous n’en savons pas davantage et  nous avons contacté Jean-¨Pierre Santini qui nous a annoncé que  son ouvrage est chez son éditeur. Il ne s’est pas arrêté là puisque deux autres parutions sont déjà prévues aux Editions Clémentine dont un roman noir.



    Jean-Pierre Santini sera présent au Festival de polar corse et méditerranéen lors de sa deuxième édition prévue du 4 au 6 juillet prochain. Il a participé avec l’association Corsicapolar à un recueil de nouvelles « Noirs de Corses » qui sortira à l’occasion du festival. Il y a écrit une nouvelle dont le héros est surnommé "Le pommadé". Cet ouvrage réunissant 26 auteurs fait l’objet d’une souscription et sera vendu au profit de l’association corse d’aide aux handicapés, Handi 20.
       
    Nous reparlerons de ces ouvrages après publication. En attendons, revenons sur les trois romans noirs parus aux Editions Albiana.


    Présentation des trois polars déjà édités chez Albiana :
     
    Corsica Clandestina (2004):



    Corsica clandestina vient un an après la publication du livre " indipendenza " : pour une corse libre, démocratique et sociale " et un deuxième roman "un petit commerce de nuit " en 2003. Son premier roman "Le non-lieu " a été édité en 1967. Le titre de "Corse clandestine " situe le contexte de l’intrigue.

    La réalité corse :
    Le 5 mai 1992, à 20 h 20, la tribune nord du stade de Furiani, montée en moins de quinze jours pour accueillir un maximum de spectateurs lors de la demi-finale de la coupe de France de football entre l'Olympique de Marseille et le Sporting Club de Bastia, s'effondre. La catastrophe fait 16 morts et 2 326 blessés, dont une quinzaine très lourdement handicapés.
    Un militant nationaliste, Robert Sozzi, dénonce publiquement l'attitude des dirigeants bastiais, en reprenant les griefs exprimés mezza vocce par les familles des victimes. Sozzi parle fort. Sozzi parle juste. Sozzi parle trop. Le 15 juin 1993, il prend la route depuis son village pour descendre travailler à Bastia. Un commando l'attend dans un virage et l’assassine : un avertissement clair aux détracteurs de Jean-François Filippi . Au lendemain de Noël, le 26 décembre 1994, il sort de sa maison de Lucciana. Il doit se rendre à l'aéroport, dont on aperçoit les lumières en contrebas. Il va signer à Sarcelles un contrat portant sur l'élimination des ordures ménagères de l'agglomération bastiaise. Mais la date de son voyage a été ébruitée. Jean-François Filippi se trouve encore sur le pas de sa porte lorsqu'un coup de feu, un seul, retentit. L'homme s'écroule, tué par un tireur embusqué, disposant apparemment d'un fusil à visée infrarouge. Trois jours plus tard, le soir de ses obsèques, le FLNC -Canal historique réplique à l'aveugle, en supprimant un autre dissident nationaliste, Franck Muzi: Comme son ami Sozzi, il avait osé dénoncer l'affairisme de Filippi et du SCB. Cette série de meurtres n'a jamais été élucidée. Et les assassins - nationalistes, mafieux ou les deux - courent toujours.

    La fiction de Corsica Clandestina :
    Sylvestre Soler, entrepreneur et président de l’Athlétic club de basket, est responsable de l’effondrement d’une tribune du stade de Casaluccia, agrandie à la hâte pour la finale de la coupe d’Europe des vainqueurs de coupes contre l’équipe yougoslave de Belgrade. Matea Bozzi, rendue veuve par ce drame, a constitué un comité des parents des victimes pour exiger que la justice soit rendue. Le leader du FNLC, Vincent Franchi soutient Sylvestre Soler, maire de la commune et bailleur de fond pour la formation clandestine. C’est l’émergence d’une dissidence, organisée par des scissionnistes purs et durs. Sylvestre Soler est assassiné sur la route de l’aéroport par un tireur embusqué. Entre nationalistes, la machine d’une guerre fratricide s’emballe. Dans un climat social et politique explosif, l’auteur décrit leur justice expéditive. Il dresse une série de portraits plus vrais que nature, acteurs d’une vendetta nationaliste sans pitié.

    Extrait : " On ne dira jamais assez la fragilité du monde et ici plus qu’ailleurs sur les îles dérivantes bercées de sels et de lumières. La lenteur du temps donne des poètes égarés, des leaders charismatiques, des politiciens véreux et des foules infatigables sensibles aux mythes obscurs de la nation. "
     

    Isula Blues (2005):



    Dans Isula Blues, Jean-Pierre Santini décrit la Corse profonde : un village perdu où les solitudes se côtoient, s’évitent et parfois s’épient. Sorties du village, des âmes maquisardes errent sur les sentiers de terre et de rocaille où l’on perçoit le drame sourdre. La mort rode et cherche sa proie… Un père et son fils, un commissaire fasciste à la retraite, une femme aussi belle que libre, un amoureux plus âgé qui n’ose pas se déclarer… Chacun a ses fêlures, ses faiblesses, ses névroses dans une Corse désertifiée où le temps épuise la vie et pousse à la mélancolie. Des vies se prennent dans la toile d’araignée que constitue ce récit construit sans espoir et de main de maître (du destin). Le ludi magister vous réserve une fin à la fois tragique et belle : un amour posthume donc éternel.

    Extraits :
    " Cette île est un pays sans retour. Restent les chemins de terre où les pas se font rares et des maisons qui ferment les unes après les autres. Alors, les regards se tournent vers l’intérieur ".
    " Dominique craint parfois que la vie de son fils ne soit à l’image de la sienne. C’est que le pays est fermé. Mais ceux qui prennent le risque de l’évasion n’y reviennent jamais intact. Ils continuent de voyager. Dans l’absence. Comme des touristes que la lumière dissipe aux marches de l’été. Ceux qui restent s’exercent à la mélancolie sans jamais s’émouvoir de leur sort. Quand on est d’ici, l’orgueil commande. On apprend à vivre seul, à exister seul, à se battre seul, à ne jamais aimer s’il le faut puisqu’il n’y a plus personne. "
     

    Nimu (2006)



    Personne, " Nimu ", est le titre du nouveau roman de Jean – Pierre Santini qui, dans la 4ème page de couverture, nous dit, comme un avertissement : " Personne ne peut y échapper… " Echapper à quoi ? Au vertige de la "la mise en abîme de cette Corse à la dérive ".

    Le récit s’ouvre sur un lendemain de cataclysme qui, en 2033, a ravagé la région du Cap corse, champ de ruines peuplé par les morts. Le commissaire Yann Caramusa, enfant du Pays et flic dans la lignée d’un Sherlock Homes, survit au désastre et, en professionnel, évalue les dégâts puis trouve quelques feuillets écrits soigneusement par Michel Casanova sur L'Etat clandestin de la Corse ( une prêche enflammée sur la responsabilité collective du choix du régime des ombres). Quel rapport existe-t-il entre ce cataclysme et l’assassinat de Pétré Céccé, ce curé de campagne soutenu par un quarteron de paroissiennes zélées et quitté brusquement par sa gouvernante, Maria Maddalena Felici, en 2000 ? Quel lien peut-il y avoir avec une Corse clandestine omniprésente? En ce temps – là, Polo était l’amant d’Alice. Il était chargé de la collecte des ordures dans un village ou chaque maison "mais aussi d’autres endroits les plus anodins éveillait quotidiennement la mémoire… Les souvenirs les plus persistants correspondaient à des faits ou des récits dramatiques… "

    L’auteur nous plonge dans un huit-clos Sartrien d’une Corse désertée où, gardiens de hameaux éparpillés, les derniers habitants, comme piégés, tournent en rond dans le vide de leur existence solitaire jusqu’à perdre les mots, comme Alice qui oublie son nom et celui des choses devenues des innommables. Innommables ! On pense au passage sur le canapé dans la Nausée de Sartre, mais le propos est tout autre. Le roman de Sartre fait de la nausée la prise de conscience par Roquentin de l’existence des choses et de sa propre existence alors que l’auteur de Nimu décrit chez Alice un processus inverse : celui de la perte du sentiment d’exister dans une île à la dérive, face à un abîme vertigineux. Roquentin affirme son existence qui l’atteint de plein fouet et l’envahit. Alice s’étiole dans la solitude qui ronge ses souvenirs jusqu’au plus profond de son être. L’existence la quitte et ne renvoie aucun échos à ses cris désespérés face à la beauté vide de la Nature. Sans véritable histoire d’amour, quel avenir pouvait avoir son couple avec Polo disparu en 2033 et, avec qui, elle avait l’impression d’avoir vécu une suite de vies minuscules… "le temps était devenu perceptible, presque pâteux, au point qu’ils s’étaient résigné à se dire le moins de choses possibles, tout juste le strict nécessaire pour marquer leur raison d’être encore là, presque sans mémoire, dans un monde vacillant". Et puis, l'esprit de Polo se refuse à la complicité d'un monde qui se déshumanise et il s'enfonce dans l'inconnu pour trouver du nouveau...

    Autre extrait : " On vivait une ère d’errance. Les uns passaient à proximité immédiate des autres comme des objets mobiles, extraordinairement neutres, glissant en orbites lentes dans une sorte de nomadisme intersidéral. Il semblait que l’on se fut lassé de tout et des mots par-dessus tout. Depuis bien longtemps d’ailleurs, il n’y avait plus de littérature. La communication sociale en était réduite à quelques consignes utiles. "
     
    Jean-Pierre Santini ne nous a pas tricoté un récit pour nous tenir chaud l’hiver. Il défait maille par maille l’armure de l’égoïsme qui, comme une camisole, enferme chaque Corse et ses habitants les plus vulnérables dans la solitude et le silence d’une île à l’abandon. Et si, en 2033, la Corse connaissait un cataclysme ! Si ce silence et cette solitude étaient eux-mêmes ensevelis ou noyés sous un Tsunami ! Que resterait-il ? La constatation du désastre, de la catastrophe naturelle. La Corse mourante euthanasiée par une Nature qui, pillée et négligée, se déchaîne. Cette idée tragique, autant que celle d’une mort lente, devrait pousser à la réflexion et à l’action militante, dans le sens noble du terme.



    Dans le recueil de Nouvelles "Corse noire " (collection Librio), un autre auteur corse, Jacques Mondoloni, avait déjà écrit un récit apocalyptique sur la Corse : Le dernier Corse. Le seul survivant y est un prêtre qui refuse de quitter la Corse sous les bombes incendiaires d’une armée envoyée par un pouvoir qui a décidé de couler l’île, comme l’on coule un vieux rafiot devenu inutile. Avant de mourir le curé écrit son journal. Il s’appelle Pascal Géronimi, de père corse et de mère anglaise. Il se raconte pour expliquer son choix de rester en Corse et d’y mourir en dernier témoin. Nous avons relevé ce passage final : " La terre ne fait que vibrer, et cette fois, je comprends pourquoi : la montage s’affaisse, je découvre l’abîme, des abysses vertigineux, des puits sans fond qui se remplissent de liquides et fusent comme des volcans : la Corse a été minée… ". Plus loin : " … Le Cap corse se décroche de son socle – On dirait une immense caravelle dérivant sur la mer. " On y retrouve des mots du roman "Nimu " : abîme, vertige, dérive… des mots qui provoquent le malaise.

    La Corse est-elle minée par la solitude et le silence qui, peu à peu, font disparaître le sentiment d’exister puis l’existence elle-même, plongeant un peuple et sa culture dans le néant ? Les Corses sont-ils progressivement amputés de leur corsité, dissoute dans un océan d’indifférence ?

    Dans Nimu, le Curé du village a été tué, 33 ans avant un cataclysme. Pendant cette longue période, des lieux de culte disparaissent, la mort se désacralise... Quel sens donner à la Corsité, si les morts disparaissent comme éclatent des bulles de savon ? Si chaque décès n’est plus un arrachement, une plaie dans l’utérus social du groupe? Quelle histoire pourrait s'écrire sans lien entre les vivants et les morts ?

    Et nous nous interrogeons... Un jour viendra-t-il où l’on n’aura plus besoin de livres pour mourir ? N’y aura-t-il plus, en Corse, de mère pour enterrer leurs fils en récitant des stances venues de la nuit des temps?... " Ghia ! Mon fils, va sous cette terre, ta nouvelle mère aux vastes séjours, aux bonnes faveurs ! Douce comme laine à qui sut donner, qu’elle te garde du néant ! Terre corse ! Forme voûte pour lui et ne l’écrase point ; Reçois-le, Terre, accueille-le ! Couvre-le d’un pan de ta robe comme une mère protège mon fils… " Cette incantation inspirée du védisme prend toute sa signification sur l’île de beauté où la mère doit rester la déesse de la famille, celle qui assurait la cohésion, la protégeait et la nourrissait. N’y aura-t-il plus de transmission orale, plus de généalogie entre les vivants et les morts?

    Passer de l’ombre à la lumière ! Donner du sens à une résistance millénaire ! Porter son devoir de mémoire et le transmettre ! Faire peuple ! Entreprendre dans les situations les plus désespérées ! Sans doute, des exigences pour que les Corses écrivent enfin leur propre histoire et irisent leurs hivers blancs.

    Nimu (Personne), le terme polysémique exprime tout et rien. Une personne est un tout humain avec son identité. Personne, c’ est aussi sa négation, son rien. Sorti de la sémantique, entre le rien et le tout, il y a ce que, ensemble, nous y mettons d’humain et c’est de cet intervalle textuellement transmissible que dépend l’histoire d’une famille, d’un village… la survie d’un peuple et, au-delà, de l’humanité.

    Une lecture de Nimu par Jean-Claude Loueilh sur le site Corsicapolar: « Nimu, paradoxalement, écrit un livre d’aube ».


    De Corsica Clandestina à Nimu, Jean-Pierre Santini nous invite, dans des récits construits et denses, à fouiller notre horizon noir. Lorsqu’on le questionne sur celui du peuple corse, il se dit toujours porteur du projet de Consulta Nazionale, projet ambitieux qui permettrait de passer de l’ombre à la lumière, de "faire peuple ". Mais, à partir de la singularité corse, il fait la cosmologie de l’agonie d’une culture, d’une langue, d’un peuple… En ce sens, il rend le drame corse universel. Il lui arrive de citer Paul Valery, grand poète français de père corse et de mère italienne, qui nous a appris que les civilisations étaient mortelles. Il nous parle de nos peurs, des sociétés qui fonctionnent sans nous, du cours trop tranquille d’une vie où l’existence diaphane se dilue en attendant un déluge final. Il incitera peut-être les Corses à faire de leur île l’arche de Noé d’une identité culturelle menacée.
     
    Pour reprendre les mots de Bernard Biancarelli ( Albiana)  , le roman "crée un lien et du sens dans une société qui, en retour, se définit souvent en fonction de ses productions littéraires. Il est éminemment politique, au sens noble du terme. " Jean-Pierre Santini, qui, selon Joël Jegouzo de NCP, "travaille au corps une société en perdition ", invente des histoires qui ressemblent à la vie plus que la vie elle-même, sans doute parce qu’il est un arpenteur du réel mais aussi un poète. " Nimu " est un roman noir d’anticipation sans concession au chauvinisme béat et aux clichés. Deux enquêtes, deux époques s'imbriquent à 33 ans de distance dans ce roman hybride et finalement non classable dans un seul genre romanesque.
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